René Quillivic. Sculpteur pacifiste
Page 1 sur 1
René Quillivic. Sculpteur pacifiste
Publié le 11 novembre 2018 à 06h27
Photo Le Télégramme / François Destoc)
Quelques mois après le traumatisme de la Grande Guerre, les places des 36 000 communes de France se drapent de monuments aux morts glorifiant le sacrifice des Poilus. En Bretagne, certaines œuvres, signées René Quillivic (1879-1969), dénotent par leur dénonciation de la guerre, en rendant hommage à la souffrance de ceux qui ont perdu des proches au combat.
11 novembre 1918 à 11 h 11, le clairon sonne sur tous les champs de bataille du front occidental, de la mer du Nord à la frontière suisse : les armes se taisent après plus de quatre années de guerre. Il est l’heure de compter les morts : 1,4 million des soldats français sont tombés au champ d’honneur. La Bretagne a perdu 150 000 de ses enfants.
Afin de se souvenir du sacrifice de ces millions d’hommes fauchés à la fleur de l’âge, le principe de l’édification d’un monument municipal est acté dès 1919. Dans chaque commune, un comité se met en place pour prendre en charge le projet, son financement et sa réalisation. Face à l’ampleur des demandes, dessinateurs, fondeurs, marbriers et autres sculpteurs sont recrutés par des sociétés qui se spécialisent dans ces hommages de pierre ou de bronze fabriqués en quantité industrielle, sans véritable souci artistique.
De nombreuses municipalités choisissent leur monument sur catalogue, et n’ont d’autre choix qu’une déclinaison de statues représentant un Poilu baïonnette au canon, ou d’un coq aux jabot et ergots menaçants. Certaines préfèrent opter pour des créations plus originales, aux aspirations pacifistes. En Bretagne, on fait appel à un homme du cru : René Quillivic.
Un pêcheur devenu artiste
Cet artiste originaire du Finistère s’est déjà fait remarquer pour ses talents de sculpteur avant guerre, en Bretagne comme à Paris. Né le 13 mai 1879 à Plouhinec au sein d’une famille de pêcheurs, le jeune Quillivic se destine d’abord tout naturellement à reprendre le flambeau paternel. Mais le mal de mer dont il souffre, l’empêche de poursuivre dans cette voie toute tracée. Comme il faut bien travailler et qu’il ne parle que le breton, il devient apprenti chez le charpentier du village. Il découvre le travail du bois et se prend de passion pour la sculpture.
Pour parfaire sa formation professionnelle, il s’engage chez les Compagnons et débute un Tour de France, qui l’amène notamment sur le chantier de l’exposition universelle de 1900 à Paris. Dans la capitale, son intérêt pour les arts le rattrape : il souhaite intégrer l’École nationale des Beaux-Arts, un rêve qui paraît compliqué de par ses origines modestes et son manque d’éducation. C’est sans compter sur l’aide d’un homme qui décèle son talent : Georges Le Bail, le député-maire de Plozévet, un compatriote, qui lui obtient une bourse du conseil général du Finistère. Quillivic est accepté dans le cours du sculpteur Antonin Mercié, au sein-même de la vénérable institution artistique.
Photo Le Télégramme / François Destoc)
Une carrière marquée par la Grande Guerre
Ses premières œuvres sont exposées au Salon des Artistes français en 1905 puis au Salon des Indépendants en 1907, où il présente un plâtre représentant deux sonneurs de biniou (photo ci-dessus), qui lui vaut la médaille d’or de l’exposition. René Quillivic est plusieurs fois récompensé avant 1914 pour ses sculptures et ses gravures, qui témoignent de son attachement à sa terre natale et dont la vie quotidienne lui sert d’inspiration. Mais c’est la Première Guerre mondiale qui va lui donner une autre dimension.
En 1917, il est contacté par l’épouse d’Henri de Polignac, maire de Pont-Scorff, mort au combat dans la Marne deux ans plus tôt. Sa veuve commande une sculpture à Quillivic pour rendre hommage à son mari. L’artiste s’inspire des calvaires traditionnels bretons pour ce premier monument : « L’édifice, initialement prévu pour l’ancien maire, est inauguré deux ans plus tard en hommage à tous les morts de la commune », explique Yves-Marie Evanno dans la revue historique en ligne En Envor.
Cette œuvre est la première d’une série de 22 monuments aux morts installés en Bretagne, principalement dans le Finistère. « Sa réalisation la plus célèbre est très certainement celle de Plozévet, inaugurée le 12 septembre 1922 (photo ci-dessous), poursuit l’historien. Adossé à un menhir, un vieil homme porte son chapeau dans la main droite, et de l’autre main, serre une croix de guerre qu’il pose sur la poitrine. Le monument prend une symbolique d’autant plus forte qu’il représente un paysan du village, Sébastien Le Gouill, endeuillé par la perte de ses trois fils ainsi que de l’un de ses gendres ».
Photo Le Télégramme/François Destoc)
Contrairement aux autres sculpteurs, René Quillivic s’attache moins à montrer le sacrifice du Poilu que « l’évocation du sacrifice tel qu’il se reflète dans les yeux et dans l’attitude de tous ceux qui souffrent de ne plus avoir le disparu à leurs côtés », reconnaît-il à l’époque. Il s’inspire à chaque fois des gens qui l’entourent, ses modèles sont des familiers, connus et reconnus par les Bretons. À Bannalec, les gens du village reconnaissent sur leur monument funéraire la sœur de l’aviateur Le Bourhis, abattu dans la Meuse. Sa propre mère figure, sculptée dans le granit, appuyée à la stèle du monument aux morts de sa commune natale à Plouhinec.
Pour en savoir plus
« René Quillivic, un artiste breton » d’Olivier Levasseur, éditions Coop Breizh, 2014« Les monuments de René Quillivic » d’Yves-Marie Evanno dans la revue historique en ligne En Envor.
en complément
Un artiste complet
L’œuvre de René Quillivic, autour des monuments aux morts bretons d’inspiration pacifique, a donné à ces édifices une place à part dans l’histoire de l’art, en les inscrivant dans un contexte régional compréhensible des Bretons. D’autant plus que l’artiste se rend sur place et n’hésite pas à prendre pour modèles les villageois pour lesquels il travaille. En s’inspirant de ces derniers et de leur histoire, René Quillivic s’empare de leur réalité sans la travestir.
Après la Seconde Guerre mondiale, le sculpteur breton sera une nouvelle fois sollicité pour réaliser des monuments commémoratifs. On lui doit, notamment, l’édifice dédié aux Forces françaises libres sur l’île de Sein, inauguré le 7 septembre 1960 par le Général de Gaulle.
Comparé à Monet
Pourtant, impossible de résumer la carrière de René Quillivic à ses œuvres mortuaires. Son talent créatif, en dessin, gravure ou sculpture, est reconnu par ses contemporains, comme l’écrivain Charles Chassé en 1930, qui n’hésite pas à le comparer à l’auteur des Nymphéas dans la Revue mensuelle d’art ancien et moderne : « Quillivic n’est pas seulement sculpteur ; il est aussi un de nos meilleurs graveurs sur bois, un de nos plus éminents céramistes, et je viens de voir de lui une série nouvelle de tableaux qui vont, je le crois, le classer parmi les meilleurs de nos peintres. Cette variété d’aptitudes […] évoque le souvenir d’un Gauguin désireux et capable de s’exprimer indifféremment par toutes les techniques ».
Le propriétaire de la faïencerie HB de Quimper ne s’y trompe pas, et lui confie durant l’Entre-deux-guerres la direction artistique de ses ateliers avec pour mission de renouveler sa gamme.
L’artiste passera le reste de sa vie entre la Bretagne et son atelier parisien, situé dans le XVIe arrondissement de la capitale, où il décède le 8 avril 1969 à l’âge de 89 ans.
Photo Le Télégramme / François Destoc)
Quelques mois après le traumatisme de la Grande Guerre, les places des 36 000 communes de France se drapent de monuments aux morts glorifiant le sacrifice des Poilus. En Bretagne, certaines œuvres, signées René Quillivic (1879-1969), dénotent par leur dénonciation de la guerre, en rendant hommage à la souffrance de ceux qui ont perdu des proches au combat.
11 novembre 1918 à 11 h 11, le clairon sonne sur tous les champs de bataille du front occidental, de la mer du Nord à la frontière suisse : les armes se taisent après plus de quatre années de guerre. Il est l’heure de compter les morts : 1,4 million des soldats français sont tombés au champ d’honneur. La Bretagne a perdu 150 000 de ses enfants.
Afin de se souvenir du sacrifice de ces millions d’hommes fauchés à la fleur de l’âge, le principe de l’édification d’un monument municipal est acté dès 1919. Dans chaque commune, un comité se met en place pour prendre en charge le projet, son financement et sa réalisation. Face à l’ampleur des demandes, dessinateurs, fondeurs, marbriers et autres sculpteurs sont recrutés par des sociétés qui se spécialisent dans ces hommages de pierre ou de bronze fabriqués en quantité industrielle, sans véritable souci artistique.
De nombreuses municipalités choisissent leur monument sur catalogue, et n’ont d’autre choix qu’une déclinaison de statues représentant un Poilu baïonnette au canon, ou d’un coq aux jabot et ergots menaçants. Certaines préfèrent opter pour des créations plus originales, aux aspirations pacifistes. En Bretagne, on fait appel à un homme du cru : René Quillivic.
Un pêcheur devenu artiste
Cet artiste originaire du Finistère s’est déjà fait remarquer pour ses talents de sculpteur avant guerre, en Bretagne comme à Paris. Né le 13 mai 1879 à Plouhinec au sein d’une famille de pêcheurs, le jeune Quillivic se destine d’abord tout naturellement à reprendre le flambeau paternel. Mais le mal de mer dont il souffre, l’empêche de poursuivre dans cette voie toute tracée. Comme il faut bien travailler et qu’il ne parle que le breton, il devient apprenti chez le charpentier du village. Il découvre le travail du bois et se prend de passion pour la sculpture.
Pour parfaire sa formation professionnelle, il s’engage chez les Compagnons et débute un Tour de France, qui l’amène notamment sur le chantier de l’exposition universelle de 1900 à Paris. Dans la capitale, son intérêt pour les arts le rattrape : il souhaite intégrer l’École nationale des Beaux-Arts, un rêve qui paraît compliqué de par ses origines modestes et son manque d’éducation. C’est sans compter sur l’aide d’un homme qui décèle son talent : Georges Le Bail, le député-maire de Plozévet, un compatriote, qui lui obtient une bourse du conseil général du Finistère. Quillivic est accepté dans le cours du sculpteur Antonin Mercié, au sein-même de la vénérable institution artistique.
Photo Le Télégramme / François Destoc)
Une carrière marquée par la Grande Guerre
Ses premières œuvres sont exposées au Salon des Artistes français en 1905 puis au Salon des Indépendants en 1907, où il présente un plâtre représentant deux sonneurs de biniou (photo ci-dessus), qui lui vaut la médaille d’or de l’exposition. René Quillivic est plusieurs fois récompensé avant 1914 pour ses sculptures et ses gravures, qui témoignent de son attachement à sa terre natale et dont la vie quotidienne lui sert d’inspiration. Mais c’est la Première Guerre mondiale qui va lui donner une autre dimension.
En 1917, il est contacté par l’épouse d’Henri de Polignac, maire de Pont-Scorff, mort au combat dans la Marne deux ans plus tôt. Sa veuve commande une sculpture à Quillivic pour rendre hommage à son mari. L’artiste s’inspire des calvaires traditionnels bretons pour ce premier monument : « L’édifice, initialement prévu pour l’ancien maire, est inauguré deux ans plus tard en hommage à tous les morts de la commune », explique Yves-Marie Evanno dans la revue historique en ligne En Envor.
Cette œuvre est la première d’une série de 22 monuments aux morts installés en Bretagne, principalement dans le Finistère. « Sa réalisation la plus célèbre est très certainement celle de Plozévet, inaugurée le 12 septembre 1922 (photo ci-dessous), poursuit l’historien. Adossé à un menhir, un vieil homme porte son chapeau dans la main droite, et de l’autre main, serre une croix de guerre qu’il pose sur la poitrine. Le monument prend une symbolique d’autant plus forte qu’il représente un paysan du village, Sébastien Le Gouill, endeuillé par la perte de ses trois fils ainsi que de l’un de ses gendres ».
Photo Le Télégramme/François Destoc)
Contrairement aux autres sculpteurs, René Quillivic s’attache moins à montrer le sacrifice du Poilu que « l’évocation du sacrifice tel qu’il se reflète dans les yeux et dans l’attitude de tous ceux qui souffrent de ne plus avoir le disparu à leurs côtés », reconnaît-il à l’époque. Il s’inspire à chaque fois des gens qui l’entourent, ses modèles sont des familiers, connus et reconnus par les Bretons. À Bannalec, les gens du village reconnaissent sur leur monument funéraire la sœur de l’aviateur Le Bourhis, abattu dans la Meuse. Sa propre mère figure, sculptée dans le granit, appuyée à la stèle du monument aux morts de sa commune natale à Plouhinec.
Pour en savoir plus
« René Quillivic, un artiste breton » d’Olivier Levasseur, éditions Coop Breizh, 2014« Les monuments de René Quillivic » d’Yves-Marie Evanno dans la revue historique en ligne En Envor.
en complément
Un artiste complet
L’œuvre de René Quillivic, autour des monuments aux morts bretons d’inspiration pacifique, a donné à ces édifices une place à part dans l’histoire de l’art, en les inscrivant dans un contexte régional compréhensible des Bretons. D’autant plus que l’artiste se rend sur place et n’hésite pas à prendre pour modèles les villageois pour lesquels il travaille. En s’inspirant de ces derniers et de leur histoire, René Quillivic s’empare de leur réalité sans la travestir.
Après la Seconde Guerre mondiale, le sculpteur breton sera une nouvelle fois sollicité pour réaliser des monuments commémoratifs. On lui doit, notamment, l’édifice dédié aux Forces françaises libres sur l’île de Sein, inauguré le 7 septembre 1960 par le Général de Gaulle.
Comparé à Monet
Pourtant, impossible de résumer la carrière de René Quillivic à ses œuvres mortuaires. Son talent créatif, en dessin, gravure ou sculpture, est reconnu par ses contemporains, comme l’écrivain Charles Chassé en 1930, qui n’hésite pas à le comparer à l’auteur des Nymphéas dans la Revue mensuelle d’art ancien et moderne : « Quillivic n’est pas seulement sculpteur ; il est aussi un de nos meilleurs graveurs sur bois, un de nos plus éminents céramistes, et je viens de voir de lui une série nouvelle de tableaux qui vont, je le crois, le classer parmi les meilleurs de nos peintres. Cette variété d’aptitudes […] évoque le souvenir d’un Gauguin désireux et capable de s’exprimer indifféremment par toutes les techniques ».
Le propriétaire de la faïencerie HB de Quimper ne s’y trompe pas, et lui confie durant l’Entre-deux-guerres la direction artistique de ses ateliers avec pour mission de renouveler sa gamme.
L’artiste passera le reste de sa vie entre la Bretagne et son atelier parisien, situé dans le XVIe arrondissement de la capitale, où il décède le 8 avril 1969 à l’âge de 89 ans.
Sujets similaires
» Émile Masson, Breton pacifiste
» Le docteur LAENNEC René
» Plérin. Le sculpteur Charly Sallé passionné par son art
» Marcel Le Nohaic. Le sculpteur sort du bois
» Hommage à René
» Le docteur LAENNEC René
» Plérin. Le sculpteur Charly Sallé passionné par son art
» Marcel Le Nohaic. Le sculpteur sort du bois
» Hommage à René
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum