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Kurt Gerstein, L’Homme-Mystère Qui Infiltra Les SS

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Message par Admin Mar 30 Juin - 22:30



par TSH Publié le avril 26, 2020

Figure énigmatique de la Seconde Guerre Mondiale, Kurt Gerstein est encore drapé dans les silences qui ont suivi les grands procès nazis. Membre révolté des factions SS, il aurait joué double-jeu pour gangréner le système de l’intérieur. Alors, héros ou bourreau ? Le verdict des historiens.

Des temps difficiles justifient des mesures difficiles ». Né en 1905 en Westphalie, Kurt Gerstein grandit seriné de discours rancuniers propres aux années qui suivent la Grande Guerre. Son père Ludwig, ancien officier prussien devenu juge, rapporte à la table familiale cette volonté de « préserver la pureté de la race ». Suivant les conseils paternels, Kurt rejoint une association ultranationaliste pendant ses années étudiantes. Mais l’adolescent est loin d’avoir forgé sa conscience politique ; indécis, les yeux rivés sur sa Bible, il visite d’autres ligues servant des idéaux moins violents. C’est ainsi qu’il s’engage dans des mouvements chrétiens condamnant la rhétorique nazie…

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Propagande antisémite à Worms, Allemagne, en 1935. (Source: Bundesarchiv, Bild 133-075 / Wikipedia, CC-BY-SA 3.0)

Déjà l’ombre et la lumière se mêlent. Le jeune homme, surnommé « Vati », adhère au Parti Nazi en 1933 – une affaire de famille – ce qui ne l’empêche pas de distribuer des pamphlets critiquant son autoritarisme. Ces activités illicites lui valent même plusieurs séjours en cellule dans les années 1930. Rien de bien méchant, jusqu’à cette énième arrestation en septembre 1936 : sa carte de membre du Parti est déchirée, le voilà radié de l’idéologie dominante. Ce qui le prive également de nombreuses opportunités, notamment celle de trouver du travail dans le secteur public… Grâce à l’intercession de son père, figure décidément puissante, Kurt fait pénitence et redevient membre du Parti en 1939. Installé à Tübingen avec son épouse, il fête la naissance de leur premier enfant – Arnulf – lorsqu’un orage diplomatique ébranle le continent.

État Nazi et euthanasie

La guerre. La montée en puissance des Nazis, et leur ascension fulgurante depuis 1933, ont jeté le doute dans l’esprit bouillonnant du jeune homme. En 1941, le Führer donne son feu vert au programme ultra-secret « Aktion T4 », qui vise l’éradication pure et simple des patients atteints de troubles mentaux. Les hôpitaux psychiatriques d’Allemagne et des pays voisins sont ratissés au peigne fin ; près de cent mille lits sont « libérés » (la terminologie nazie a le goût des euphémismes) dans la première année du programme. Une telle opération ne passe pas inaperçue ; la fumée des crématoires, certifie un témoin, se voit des kilomètres à la ronde… Parmi les victimes, une certaine Berta Ebeling – la belle-sœur de Kurt – fait soudain réaliser au jeune homme la noirceur des idéaux nazis.

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« 60 000 Reichsmark, c’est ce que cette personne atteinte d’une maladie héréditaire coûte à la communauté. Camarade, c’est aussi ton argent. » Affiche de propagande nazie, v. 1938.

Que faire ? Espionné par la police secrète du régime, qui soupçonne toujours celui qui fut incarcéré « pour haute trahison », Vati n’a qu’une solution : déguiser ses intentions sous le masque du patriotisme. « Ce n’est pas de l’extérieur qu’on les empêchera, mais l’aide pourra uniquement venir de quelqu’un qui fera disparaître les ordres ou les transmettra tronqués » justifie-t-il dans une missive. Il rejoint les Waffen SS au printemps 1941, et après quelques semaines de formation, le voilà détaché à l’Institut de l’Hygiène de Berlin. Mission sanitaire ? Pas vraiment : son travail consiste à s’assurer de l’efficacité des chambres à gaz.

« Au cœur du mal »

A l’été 1942, Gerstein assiste à l’élimination de Juifs au camp d’extermination de Belzec. Une barbarie devenue quotidienne pour lui, livreur occasionnel de caisses de Zyklon B (l’acide qui alimente les chambres à gaz). Entre-temps, il a travaillé dur pour gagner la confiance d’une hiérarchie suspicieuse ; ses révoltes d’avant-guerre passent désormais pour des erreurs de jeunesse. Mais comment justifier le fait d’être un rouage dans cette machine à tuer ? « C’est une singulière existence que je dois mener, écrit-il à sa femme depuis la Hollande, en 1941. Je pense souvent au mot bien connu de Nietzsche que je citais fréquemment. La génération d’Arnulf devra affronter maints problèmes. Plus clairement qu’auparavant, je distingue maintenant l’essentiel… »

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Kurt Gerstein en uniforme SS. (Source: Véronique Chemla)

Cette lettre pleine de sous-entendus tranche sensiblement avec celles qu’il écrit au reste de sa famille, dans lesquelles il dépeint une camaraderie colorée et virile. Mais son épouse Elfriede sait lire entre les lignes. Dans la marge de cette missive, elle griffonne « Vivre dangereusement ? » à côté de la mention de Nietzsche. Une référence au Gai Savoir, publié en 1901, un an après la mort du philosophe allemand :

« Le secret pour moissonner l’existence la plus féconde et la plus grande jouissance de la vie, c’est de vivre dangereusement ! Construisez vos villes près du Vésuve ! Envoyez vos vaisseaux dans les mers inexplorées ! Vivez en guerres avec vos semblables et avec vous-mêmes ! »

Double-jeu dangereux

Kurt Gerstein a donc décidé de vivre dangereusement. Les massacres de Belzec et de Treblinka, dont il est le témoin – et le complice – le décident à activer ses réseaux d’avant-guerre. Il alerte le baron von Otter, un diplomate suédois, dans un train qui le conduit à Berlin en août 1942 ; le père Cesare Orsenigo, nuncio (ambassadeur) du Pape à Berlin ; ainsi que les nombreuses connaissances qu’il a dans les cercles religieux et résistants. Son objectif : forcer les Allemands à ouvrir les yeux sur la tuerie de masse qu’ils choisissent d’ignorer. Il enjoint par exemple Londres et Washington à bombarder les villes du Reich de tracts racontant ce qu’il a vu dans les moindres détails… Mais ses appels restent sans réponse.

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Cesare Orsenigo rencontre von Ribbentrop et Hitler en 1939. (Credit: Bundesarchiv, Bild 183-H26878 / Wikipedia, CC-BY-SA 3.0)

De 1942 à 1945, nombreux sont les témoins à assister aux récits torturés de Gerstein, qui détaille, à ses risques et périls, le fonctionnement de la machine de mort nazie. Mais les canaux diplomatiques restent bouchés, le Vatican muet. Un calcul politique ou idéologique pousse les uns et les autres à ne pas condamner ce qu’ils redoutent de comprendre, comme si le déni de cette menace suffisait à les en protéger. En 1944, très affaibli, Gerstein avertit à son père : « il me semble que nous tous qui avons encore quelque temps à vivre, aurons suffisamment l’occasion de méditer sur les possibilités pratiques et les limites, mais aussi sur les conséquences de l’absence de loi morale […]. L’orgueil précède la chute. » Comme la plupart de ses contemporains, le vieux juge reste sourd.

La controverse

« La folie est quelque chose de rare chez l’individu ; elle est la règle pour les groupes, les partis, les peuples, les époques » écrit Nietzsche. Cette folie qu’on semble déceler chez Kurt Gerstein, dont on condamne le comportement bizarre, imprudent et parfois violent, c’est celle d’une éclatante lucidité que personne d’autre ne veut admettre. Rongé par la culpabilité et la peur d’être découvert, Gerstein sombre dans une détresse profonde. En arrière-plan, le régime nazi se fissure. Nous sommes en 1945, au terme du conflit le plus meurtrier de tous les temps.

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Prison du Cherche-Midi à Paris, représentée sur une carte postale de 1910. Elle sera démolie en 1966.

Le Troisième Reich courant à la ruine, Gerstein se livre aux autorités alliées. La suspicion demeure. Après plusieurs interrogatoires, il est enfermé à la prison du Cherche-Midi, à Paris. Consumé par une existence passée à changer de visage, le captif s’est résigné : il ne lâche plus le moindre mot. En juillet, les geôliers le retrouvent mort dans sa cellule ; un suicide, selon toute vraisemblance. L’homme-mystère ayant pris son envol, ne reste pour plaider sa cause que son propre témoignage rédigé en cellule, aujourd’hui connu sous le nom de « Rapport Gerstein ».

D’abord condamné par les tribunaux alliés, Gerstein est réhabilité en 1965 grâce à la ténacité de sa veuve, à qui on avait pourtant refusé la pension militaire. Quels secrets feu son mari a-t-il emportés avec lui ? L’homme, régulièrement promu dans les rangs de la Waffen SS, est également décrit comme quelqu’un de digne, droit et honnête par ceux qui le connaissaient bien. Plus que jamais, l’existence de Kurt Gerstein est celle d’une dispute entre la lumière et l’ombre. « L’homme a besoin de ce qu’il y a de pire en lui s’il veut parvenir à ce qu’il a de meilleur. » Nietzsche, une fois encore, a eu le dernier mot.

Bibliographie

Pierre Joffroy, A Spy For God. The Ordeal of Kurt Gerstein, New York, Collins Sons & Co., 1970.
Saul Friedländer, Kurt Gerstein oder die Zwiespältigkeit des Guten, München, C. H. Beck, 2007.
Jennifer Rosenberg, « Kurt Gerstein: A German Spy in the SS », ThoughtCo., 01/05/2019.
Bernd Hey, « Kurt Gerstein. Une vie de résistant », Anglophonia/Caliban, n°17, 2005, Protestantisme(s) et autorité, pp. 431-441.
https://fildelhistoire.com

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