« Rions ! » dit la patronne de l'entreprise de pinceaux

Texte : Anne KIESEL.


Le yoga du rire, sur son lieu de travail, est une bouffée d'air joyeuse et efficace.

Nous nous sommes glissés dans l'atelier des pinceaux Léonard, à Saint-Brieuc. Eh bien, ça décoiffe !

Dans l'atelier de fabrication de pinceaux, on a poussé quelques tables pour faire de la place. La séance commence par des étirements, debout, pour dénouer les épaules, le cou. Puis Nadège Bouguet enchaîne les consignes, sur un rythme soutenu. « Le samouraï ! » lance la prof de yoga. Chacun avance martialement, en tranchant l'air du côté de la main. « On hache menu nos contrariétés. »


Exercice suivant : quinze secondes de folie, pour crier sa joie à l'annonce d'une bonne nouvelle. Tout le monde se met à hurler, avec de grands rires, les bras en l'air, en courant dans tous les sens.

Pendant ce temps, une dame contourne placidement ces agités du bocal. Elle balaie l'atelier, un sourire en coin. Elle sait que nous ne sommes pas dans un asile de fous, mais au yoga du rire des pinceaux Léonard, à Saint-Brieuc. La femme de ménage continue son travail. Les autres salariés ont fini le leur, juste avant la séance.


« Le baragouin », ordonne jovialement Nadège. On se lance dans de grands discours joyeux, dans une fausse langue sans mots, seulement des sons, qui partent souvent dans les aigus. On regarde son interlocuteur dans les yeux, puis on passe à quelqu'un d'autre. C'est super-important, le contact visuel, dans une séance de yoga du rire

Hop, fini, on saute dans le « rire du GPS » : tous à la queue leu leu, en rond. On fait semblant de conduire à un rond-point, tous dans le même sens.


Au signal de la prof, tout le monde part à gauche, en arrière, à droite. On se bouscule joyeusement, on rit de bon cœur. C'est l'un des buts de ce yoga accessible à tous : retrouver son âme d'enfant.

Sauf qu'ici, nous ne sommes pas dans un club, où des adultes consentants ont choisi de s'inscrire à une activité de bien-être. Nous sommes dans une entreprise. Pendant le yoga, tout le monde est mélangé et consentant : ceux qui ne sont pas intéressés rentrent chez eux. Il y a la production, l'administration, la direction. Ce n'est pas tous les jours qu'on voit, dans une boîte, la patronne glousser devant ses salariés en imitant une poule qui bat des ailes. Ni le patron lancer des blagues, sans queue ni tête.

Nadège Bouguet, cheveux frisés, grandes lunettes, tee-shirt orange pétard, est pleine d'une gaieté professionnelle et communicative. Elle invente, s'adapte à son public


Ça vaut trente minutes de cardio


Vient le moment des félicitations collectives : on se met tous en ligne, la main droite tendue. Le premier de la rangée court le long de la ligne, en tapant dans toutes les mains. Il s'insère en bout de rangée et le nouveau premier se lance à son tour. On crie, on clame des bravos, tout le monde a la banane.

La séance d'une heure se termine, tout le monde allongé sur des tapis de gym, avec encore des rires et un petit moment de relaxation. On se relève, on retrouve les codes sociaux. Les salariés s'en vont. Mais comment diable la société Bullier a-t-elle eu l'idée de leur proposer du yoga du rire ? « Les femmes qui fabriquent les pinceaux ont les bras et le haut du corps très sollicités, explique Stéphanie Bullier, la PDG. Certaines ont des tensions dans la nuque, dans les épaules. Dans les bureaux, ce n'est pas mieux, avec les écrans, le téléphone. »



Une ouvrière vient la voir en se plaignant de douleurs. La patronne découvre que son interlocutrice n'effectue aucune activité physique, même pas une heure de marche par semaine. « Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose. Je pratique le yoga depuis longtemps. » Mais le yoga « sérieux » n'est pas facile à organiser en entreprise.


Stéphanie avait rencontré Nadège au yoga. Nadège mettait justement en place des cours de yoga du rire. Les deux femmes font affaire. En deux jours, c'est plié. La première séance a lieu le 17 février.


Rire est un bon moyen de dénouer le corps et de libérer les tensions, assure Stéphanie Bullier. On bouge, on respire. J'ai eu envie de leur offrir une heure hebdomadaire. »


« Dix minutes de rire valent trente minutes de cardio », assure Nadège Bouguet. Elle avance un autre avantage, auquel la PDG n'avait pas pensé : « Rire en entreprise procure de la complicité. Le contact visuel, la bienveillance, le respect, la bonne humeur, tout cela est excellent dans un cadre de travail. »


Encore quelques exemples ? Le rire de la patate chaude. Tout le monde est en rond, épaule contre épaule. Ça vous soude une équipe… On se refile un coussin, c'est la patate dont personne ne veut. Le coussin est lancé et relancé avec les mains, finit en ballon de foot, tout le monde est plié.

Et le rire de la vache à traire : deux par deux, on « trait » les pouces de son vis-à-vis. Pour finir, la douche de rire : tous autour d'un seul, qui reçoit une pluie de rires. La rigolothérapie collective, ça vous file la pêche. Et des frissons dans le dos.


http://www.ouest-france.fr/sante/bien-etre/rions-dit-la-patronne-de-lentreprise-de-pinceaux-4203065