J'ai été victime de bore-out : j'avais honte de toucher un salaire sans rien faire
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J'ai été victime de bore-out : j'avais honte de toucher un salaire sans rien faire
Publié le 08-05-2016 à 13h58
LE PLUS. Frédéric Desnard, 44 ans, licencié en novembre 2014, après un arrêt maladie de six mois vient de saisir la justice. Il se dit victime d’épuisement professionnel par l’ennui, plus connu sous le nom de "bore-out". L’affaire a été examinée lundi au conseil des prud’hommes de Paris. Cette "placardisation" serait, selon lui, à l’origine de ses graves problèmes de santé. Témoignage.
Édité et parrainé par Louise Auvitu
Il y a une dizaine d’années, quand j’ai débuté au sein de cette entreprise, tout allait pour le mieux. Entre collègues, nous la surnommions "l’île des Bisounours". Le chiffre d’affaires ne cessait d’augmenter, tout le monde déjeunait avec tout le monde.
En tant que responsable des services généraux, j’avais de vraies responsabilités.
Et puis, il y a eu des bruits de couloirs : l’une des plus grandes marques de notre société souhaitait rompre son contrat avec nous. Quand la nouvelle a été confirmée, l’entreprise a perdu 50% de son chiffre de travail et n’a pas pris la peine de réorganiser mon travail. Mon univers est passé du blanc au noir.
Je n’étais plus "bankable"
Ma descente aux enfers a débuté il y a six ans, mais elle a été lente et insidieuse. Plus de déjeuners ou de week-ends entre collègues, mais surtout, mon travail et mes responsabilités se sont réduits comme peau de chagrin.
Un jour, une assistante de direction m’a dit clairement qu’à partir d’aujourd’hui, elle ne me déléguerait plus rien.
L’entreprise a préféré laisser ses collaborateurs s’effacer d’eux-mêmes. Je n’étais plus "bankable".
D’un poste à responsabilités, je suis progressivement passé à un travail totalement vide. Mes tâches se limitaient aux commandes de fournitures. Même si la directrice du marketing me confiait l’organisation de quelques événements, c’était loin d’être suffisant
J’étais devenu un "boy"
J’ai mis beaucoup de temps avant de réaliser que j’étais placardisé. Au début, quand un ami me contactait pour me demander ce que je faisais et que je lui répondais "rien", j’avais une certaine fierté. Cet état n’a duré que trois jours. Puis, j’ai ressenti un immense vide. Je suis devenu un zombie professionnel.
Ma situation dépassait celle d’"une mise au placard". Progressivement, on me demandait de faire des tâches qui n’avaient absolument aucun rapport avec le poste pour lequel j’avais été embauché. J’ai dû aller acheter des cordes de guitare pour un directeur, puis récupérer le fils d’un autre à la sortie de l’école.
Puisque l’entreprise ne savait plus quoi me faire faire, je m’étais transformé en homme à tout faire. J’étais devenu un "boy".
J’avais honte de toucher un salaire
Ce sentiment de vide était manifeste, mais j’avais honte de le partager avec mes proches. J’étais payé à ne rien faire, de quel droit devais-je me plaindre ? Au fond de moi, j’avais honte de toucher un salaire sans aucune justification. J’en souffrais.
Le matin, je pleurais en allant au travail, mais je n’arrivais pas à mettre de mots sur cette souffrance. Durant des mois, j’ai donc choisi de m’isoler, je ne sortais plus, mes volets restaient systématiquement clos, je ne voyais plus un seul de mes amis.
Je ne pensais plus à rien. Le vendredi, une fois ma semaine de travail terminé, je coupais mon téléphone, puis je prenais des somnifères jusqu’au lundi pour ne plus avoir à réfléchir.
Je sais qu’il y aura certainement des commentaires désobligeants à la suite de mon témoignage. Peu m’importe, j’estime que les personnes qui n’ont jamais vécu une telle souffrance ne peuvent pas s’imaginer ce que c’est.
J’étais victime de bore-out
Cette situation a eu de graves répercussions sur ma santé. Il y a eu un zona, un ulcère à l’estomac et puis, le 16 mars 2014, j’ai été victime d’une crise d’épilepsie au volant de ma voiture alors que je rentrais chez moi. Je n’ai aucun antécédent d’épilepsie.
Quand je me suis retrouvé à l’hôpital, un médecin m’a examiné. Sur son dossier, il a inscrit les mots "bore-out". Immédiatement, je lui ai dit qu’il avait dû faire une erreur. Il voulait certainement écrire "burn-out".
C’est là qu’il m’a expliqué ce qu’était le bore-out. C’est lorsqu’une personne développe un mépris de soi à cause du vide de son travail. Aujourd’hui, les gens ont besoin de reconnaissance au travail, que ce soit au sein de l’entreprise ou vis-à-vis de ses collègues.
J’ai pensé au suicide
En France, le syndrome du bore-out reste tabou et n’est pas reconnu car cela déclencherait l’obligation pour les multinationales de rembourser les frais que la sécurité sociale rembourse. Donc les personnages politiques ne veulent surtout pas intervenir dans ce sujet tabou.
Personne ne connait ce terme en France, contrairement à l’Allemagne, où le mot est connu de toutes et tous.
Pourtant, les séquelles sont bien réelles : je dois suivre un traitement anti-épileptique à vie, je souffre de vertiges… J’ai déjà pensé au suicide.
En novembre 2014, j’ai finalement été licencié.
Mon entreprise doit reconnaître ses erreurs
Aujourd’hui, j’ai décidé d’attaquer mon ancien employeur pour plusieurs raisons. Tout d’abord, je souhaite que l’entreprise cesse de vivre dans le déni, ce que j’ai vécu n’est pas normal. Elle doit le reconnaître.
Par ailleurs, je réclame des dommages et intérêts. Actuellement, c’est la Sécurité sociale qui rembourse mes frais de santé. J’estime que ce n’est pas aux citoyens, mais à mon entreprise d’engager ces frais.
L’État nivelle la protection sociale. Il préfère ne pas parler de ce syndrome pour ne pas avoir à régler le problème.
Après quatre ans de placardisation, je me sens prêt à travailler à nouveau. J’ai suivi une formation pour me réorienter. J’espère pouvoir travailler dans une ONG. Car malgré tout ce que j’ai vécu, je crois encore en l’être humain.
Propos recueillis par Louise Auvitu
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1511219-j-ai-ete-victime-de-bore-out-j-avais-honte-de-toucher-un-salaire-sans-rien-faire.html
LE PLUS. Frédéric Desnard, 44 ans, licencié en novembre 2014, après un arrêt maladie de six mois vient de saisir la justice. Il se dit victime d’épuisement professionnel par l’ennui, plus connu sous le nom de "bore-out". L’affaire a été examinée lundi au conseil des prud’hommes de Paris. Cette "placardisation" serait, selon lui, à l’origine de ses graves problèmes de santé. Témoignage.
Édité et parrainé par Louise Auvitu
Il y a une dizaine d’années, quand j’ai débuté au sein de cette entreprise, tout allait pour le mieux. Entre collègues, nous la surnommions "l’île des Bisounours". Le chiffre d’affaires ne cessait d’augmenter, tout le monde déjeunait avec tout le monde.
En tant que responsable des services généraux, j’avais de vraies responsabilités.
Et puis, il y a eu des bruits de couloirs : l’une des plus grandes marques de notre société souhaitait rompre son contrat avec nous. Quand la nouvelle a été confirmée, l’entreprise a perdu 50% de son chiffre de travail et n’a pas pris la peine de réorganiser mon travail. Mon univers est passé du blanc au noir.
Je n’étais plus "bankable"
Ma descente aux enfers a débuté il y a six ans, mais elle a été lente et insidieuse. Plus de déjeuners ou de week-ends entre collègues, mais surtout, mon travail et mes responsabilités se sont réduits comme peau de chagrin.
Un jour, une assistante de direction m’a dit clairement qu’à partir d’aujourd’hui, elle ne me déléguerait plus rien.
L’entreprise a préféré laisser ses collaborateurs s’effacer d’eux-mêmes. Je n’étais plus "bankable".
D’un poste à responsabilités, je suis progressivement passé à un travail totalement vide. Mes tâches se limitaient aux commandes de fournitures. Même si la directrice du marketing me confiait l’organisation de quelques événements, c’était loin d’être suffisant
J’étais devenu un "boy"
J’ai mis beaucoup de temps avant de réaliser que j’étais placardisé. Au début, quand un ami me contactait pour me demander ce que je faisais et que je lui répondais "rien", j’avais une certaine fierté. Cet état n’a duré que trois jours. Puis, j’ai ressenti un immense vide. Je suis devenu un zombie professionnel.
Ma situation dépassait celle d’"une mise au placard". Progressivement, on me demandait de faire des tâches qui n’avaient absolument aucun rapport avec le poste pour lequel j’avais été embauché. J’ai dû aller acheter des cordes de guitare pour un directeur, puis récupérer le fils d’un autre à la sortie de l’école.
Puisque l’entreprise ne savait plus quoi me faire faire, je m’étais transformé en homme à tout faire. J’étais devenu un "boy".
J’avais honte de toucher un salaire
Ce sentiment de vide était manifeste, mais j’avais honte de le partager avec mes proches. J’étais payé à ne rien faire, de quel droit devais-je me plaindre ? Au fond de moi, j’avais honte de toucher un salaire sans aucune justification. J’en souffrais.
Le matin, je pleurais en allant au travail, mais je n’arrivais pas à mettre de mots sur cette souffrance. Durant des mois, j’ai donc choisi de m’isoler, je ne sortais plus, mes volets restaient systématiquement clos, je ne voyais plus un seul de mes amis.
Je ne pensais plus à rien. Le vendredi, une fois ma semaine de travail terminé, je coupais mon téléphone, puis je prenais des somnifères jusqu’au lundi pour ne plus avoir à réfléchir.
Je sais qu’il y aura certainement des commentaires désobligeants à la suite de mon témoignage. Peu m’importe, j’estime que les personnes qui n’ont jamais vécu une telle souffrance ne peuvent pas s’imaginer ce que c’est.
J’étais victime de bore-out
Cette situation a eu de graves répercussions sur ma santé. Il y a eu un zona, un ulcère à l’estomac et puis, le 16 mars 2014, j’ai été victime d’une crise d’épilepsie au volant de ma voiture alors que je rentrais chez moi. Je n’ai aucun antécédent d’épilepsie.
Quand je me suis retrouvé à l’hôpital, un médecin m’a examiné. Sur son dossier, il a inscrit les mots "bore-out". Immédiatement, je lui ai dit qu’il avait dû faire une erreur. Il voulait certainement écrire "burn-out".
C’est là qu’il m’a expliqué ce qu’était le bore-out. C’est lorsqu’une personne développe un mépris de soi à cause du vide de son travail. Aujourd’hui, les gens ont besoin de reconnaissance au travail, que ce soit au sein de l’entreprise ou vis-à-vis de ses collègues.
J’ai pensé au suicide
En France, le syndrome du bore-out reste tabou et n’est pas reconnu car cela déclencherait l’obligation pour les multinationales de rembourser les frais que la sécurité sociale rembourse. Donc les personnages politiques ne veulent surtout pas intervenir dans ce sujet tabou.
Personne ne connait ce terme en France, contrairement à l’Allemagne, où le mot est connu de toutes et tous.
Pourtant, les séquelles sont bien réelles : je dois suivre un traitement anti-épileptique à vie, je souffre de vertiges… J’ai déjà pensé au suicide.
En novembre 2014, j’ai finalement été licencié.
Mon entreprise doit reconnaître ses erreurs
Aujourd’hui, j’ai décidé d’attaquer mon ancien employeur pour plusieurs raisons. Tout d’abord, je souhaite que l’entreprise cesse de vivre dans le déni, ce que j’ai vécu n’est pas normal. Elle doit le reconnaître.
Par ailleurs, je réclame des dommages et intérêts. Actuellement, c’est la Sécurité sociale qui rembourse mes frais de santé. J’estime que ce n’est pas aux citoyens, mais à mon entreprise d’engager ces frais.
L’État nivelle la protection sociale. Il préfère ne pas parler de ce syndrome pour ne pas avoir à régler le problème.
Après quatre ans de placardisation, je me sens prêt à travailler à nouveau. J’ai suivi une formation pour me réorienter. J’espère pouvoir travailler dans une ONG. Car malgré tout ce que j’ai vécu, je crois encore en l’être humain.
Propos recueillis par Louise Auvitu
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1511219-j-ai-ete-victime-de-bore-out-j-avais-honte-de-toucher-un-salaire-sans-rien-faire.html
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