« Tous les agents, du facteur jusqu’au haut cadre, sont sur un siège éjectable »
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« Tous les agents, du facteur jusqu’au haut cadre, sont sur un siège éjectable »
Publié le 29/10/2016 à 18:38 L'Humanité
« Les managers viennent beaucoup plus de l’extérieur et sont juste là pour réduire les effectifs. Je ne perçois plus l’âme de La Poste là-dedans./» photo marta nascimento/rea
Marta NASCIMENTO/REA
Poussé à bout par sa hiérarchie, puis déclaré inapte par l’entreprise, avant d’être mis en retraite anticipée, Laurent, 53 ans, ancien responsable territorial, estime que l’entreprise a voulu se débarrasser de lui à cause de son profil de cadre à l’ancienne.
«J’adorais mon job. » Laurent (1) pourrait être un retraité épanoui. Mais, quand il évoque ses dernières années de vie professionnelle à La Poste, sa voix déverse un filet d’amertume. Haut responsable dans une direction territoriale, le fonctionnaire est aujourd’hui sur le banc de touche. Déclaré inapte par l’entreprise, il ne se résout pas à sa mise à la retraite forcée. Tout dérape en 2009. Une de ses filles, adolescente, rencontre des difficultés. Laurent se dégage du temps pour s’occuper d’elle et l’accompagner à ses rendez-vous médicaux. Une requête visiblement insoutenable pour sa hiérarchie. « On m’a dit : “Tu choisis, c’est ton enfant ou ton job !” Après ça, on m’a emmerdé tout le temps. Mon directeur me dénigrait publiquement alors qu’il s’était retrouvé du jour au lendemain à manager des chefs d’établissement sans formation. D’un coup, je ne faisais plus le travail comme il fallait. On essayait de me recaser sur d’autres postes. » Oppressé, Laurent enchaîne les insomnies. Et broie du noir. Il dort une à deux heures par nuit. Mais refuse de se mettre en arrêt maladie. En 2012, il finit par être hospitalisé d’urgence pour « un burn-out complet ».
« Je refuse de donner des ordres et de fliquer les agents »
Avant cette rupture, sa carrière était un long fleuve tranquille. Bosseur, classé parmi les meilleurs directeurs au niveau national, il se souvient avec fierté avoir remporté toutes sortes de challenges : « Je faisais toujours plus que ce qu’on me demandait. » Selon lui, la pluie soudaine de reproches n’est pas sans liens avec la stratégie de rentabilité accrue de La Poste et ses restructurations accélérées depuis le début des années 2000. Pour répercuter les réductions de coûts et les suppressions d’emplois, la fermeté est de mise chez les dirigeants.
Jusqu’ici, ce cadre à l’ancienne avait toujours appliqué les directives à sa manière. « On n’appréciait plus ma conception de l’encadrement copain-copain. Je refuse de donner des ordres et de fliquer les agents. Je devais être plus distant, mais ce n’est pas ma nature. La chose qui intéresse la direction du groupe, c’est les gains de productivité. »
Quand il revient de maladie, en 2014, c’est la douche glacée. En guise de comité d’accueil, il se retrouve dans un bureau isolé, à effectuer deux tâches en deux mois. On lui dit qu’il ne peut plus former de managers car, en 24 mois d’absence, il aurait perdu ses compétences. Laurent replonge. Le couperet de La Poste va vite tomber. « Je suis déclaré inapte par l’entreprise alors que mon médecin dit le contraire. Je serai bientôt mis à la retraite d’office avec 57 % de mon salaire, comme je n’ai pas assez cotisé. J’ai trois enfants, dont deux étudiants, et un prêt en cours. »
Laurent ne se définit pas comme un militant. Il a lui-même diligenté des restructurations pour le compte du groupe. Mais ne se reconnaît pas dans ces méthodes expéditives. « On m’a écarté parce qu’on ne voulait pas que je mette mon nez dans les projets. Avant, quand il s’agissait de transformer un bureau en agence postale communale, on allait discuter avec le maire, avec les agents transférés dans d’autres bureaux, on faisait des simulations, des tests ; aujourd’hui, ça ne se passe plus comme ça. Il n’y a plus de concertation. Ils s’en foutent de laisser les gens au bord de la route. Les managers viennent beaucoup plus de l’extérieur et sont juste là pour réduire les effectifs. Je ne perçois plus l’âme de La Poste là-dedans. »
D’autant que, pris entre le marteau et l’enclume, Laurent est lui-même victime du jeu de chaises musicales. En son absence, le train des restructurations permanentes n’a pas épargné son secteur. « À mon retour d’arrêt maladie, il n’y avait apparemment plus de poste de libre pour mon grade. » Si certains se retrouvent le bec dans l’eau, d’autres cadres, déstabilisés par les orientations stratégiques, prennent aussi la tangente. « Un de mes collègues a préféré redevenir facteur plutôt que de rester à son poste. Un autre a tout lâché pour devenir chauffeur routier. » Face à cette descente aux enfers, les mots de la DRH de la branche courrier évoquant La Poste comme « une entreprise qui prend en compte l’humain », sur RTL, le 7 octobre dernier, résonnent comme une provocation à ses oreilles. Même s’il se consacre à ses petits-enfants et avale les kilomètres en vélo, le quinquagénaire ne digère pas cette blessure. « On m’accuse aussi injustement de harcèlement moral. J’ai bien compris que l’entreprise avait tout fait pour ne plus me voir. »
Brisé dans son attachement aux valeurs de service public, il a décidé de contester sa mise à l’écart devant la justice. Dénouant le nœud de pudeur au fond de sa gorge, il tranche : « Le traitement que m’a infligé La Poste est antisocial. Cela peut arriver à n’importe qui. Tous les agents, du facteur jusqu’au haut cadre, sont sur un siège éjectable. »
« Les managers viennent beaucoup plus de l’extérieur et sont juste là pour réduire les effectifs. Je ne perçois plus l’âme de La Poste là-dedans./» photo marta nascimento/rea
Marta NASCIMENTO/REA
Poussé à bout par sa hiérarchie, puis déclaré inapte par l’entreprise, avant d’être mis en retraite anticipée, Laurent, 53 ans, ancien responsable territorial, estime que l’entreprise a voulu se débarrasser de lui à cause de son profil de cadre à l’ancienne.
«J’adorais mon job. » Laurent (1) pourrait être un retraité épanoui. Mais, quand il évoque ses dernières années de vie professionnelle à La Poste, sa voix déverse un filet d’amertume. Haut responsable dans une direction territoriale, le fonctionnaire est aujourd’hui sur le banc de touche. Déclaré inapte par l’entreprise, il ne se résout pas à sa mise à la retraite forcée. Tout dérape en 2009. Une de ses filles, adolescente, rencontre des difficultés. Laurent se dégage du temps pour s’occuper d’elle et l’accompagner à ses rendez-vous médicaux. Une requête visiblement insoutenable pour sa hiérarchie. « On m’a dit : “Tu choisis, c’est ton enfant ou ton job !” Après ça, on m’a emmerdé tout le temps. Mon directeur me dénigrait publiquement alors qu’il s’était retrouvé du jour au lendemain à manager des chefs d’établissement sans formation. D’un coup, je ne faisais plus le travail comme il fallait. On essayait de me recaser sur d’autres postes. » Oppressé, Laurent enchaîne les insomnies. Et broie du noir. Il dort une à deux heures par nuit. Mais refuse de se mettre en arrêt maladie. En 2012, il finit par être hospitalisé d’urgence pour « un burn-out complet ».
« Je refuse de donner des ordres et de fliquer les agents »
Avant cette rupture, sa carrière était un long fleuve tranquille. Bosseur, classé parmi les meilleurs directeurs au niveau national, il se souvient avec fierté avoir remporté toutes sortes de challenges : « Je faisais toujours plus que ce qu’on me demandait. » Selon lui, la pluie soudaine de reproches n’est pas sans liens avec la stratégie de rentabilité accrue de La Poste et ses restructurations accélérées depuis le début des années 2000. Pour répercuter les réductions de coûts et les suppressions d’emplois, la fermeté est de mise chez les dirigeants.
Jusqu’ici, ce cadre à l’ancienne avait toujours appliqué les directives à sa manière. « On n’appréciait plus ma conception de l’encadrement copain-copain. Je refuse de donner des ordres et de fliquer les agents. Je devais être plus distant, mais ce n’est pas ma nature. La chose qui intéresse la direction du groupe, c’est les gains de productivité. »
Quand il revient de maladie, en 2014, c’est la douche glacée. En guise de comité d’accueil, il se retrouve dans un bureau isolé, à effectuer deux tâches en deux mois. On lui dit qu’il ne peut plus former de managers car, en 24 mois d’absence, il aurait perdu ses compétences. Laurent replonge. Le couperet de La Poste va vite tomber. « Je suis déclaré inapte par l’entreprise alors que mon médecin dit le contraire. Je serai bientôt mis à la retraite d’office avec 57 % de mon salaire, comme je n’ai pas assez cotisé. J’ai trois enfants, dont deux étudiants, et un prêt en cours. »
Laurent ne se définit pas comme un militant. Il a lui-même diligenté des restructurations pour le compte du groupe. Mais ne se reconnaît pas dans ces méthodes expéditives. « On m’a écarté parce qu’on ne voulait pas que je mette mon nez dans les projets. Avant, quand il s’agissait de transformer un bureau en agence postale communale, on allait discuter avec le maire, avec les agents transférés dans d’autres bureaux, on faisait des simulations, des tests ; aujourd’hui, ça ne se passe plus comme ça. Il n’y a plus de concertation. Ils s’en foutent de laisser les gens au bord de la route. Les managers viennent beaucoup plus de l’extérieur et sont juste là pour réduire les effectifs. Je ne perçois plus l’âme de La Poste là-dedans. »
D’autant que, pris entre le marteau et l’enclume, Laurent est lui-même victime du jeu de chaises musicales. En son absence, le train des restructurations permanentes n’a pas épargné son secteur. « À mon retour d’arrêt maladie, il n’y avait apparemment plus de poste de libre pour mon grade. » Si certains se retrouvent le bec dans l’eau, d’autres cadres, déstabilisés par les orientations stratégiques, prennent aussi la tangente. « Un de mes collègues a préféré redevenir facteur plutôt que de rester à son poste. Un autre a tout lâché pour devenir chauffeur routier. » Face à cette descente aux enfers, les mots de la DRH de la branche courrier évoquant La Poste comme « une entreprise qui prend en compte l’humain », sur RTL, le 7 octobre dernier, résonnent comme une provocation à ses oreilles. Même s’il se consacre à ses petits-enfants et avale les kilomètres en vélo, le quinquagénaire ne digère pas cette blessure. « On m’accuse aussi injustement de harcèlement moral. J’ai bien compris que l’entreprise avait tout fait pour ne plus me voir. »
Brisé dans son attachement aux valeurs de service public, il a décidé de contester sa mise à l’écart devant la justice. Dénouant le nœud de pudeur au fond de sa gorge, il tranche : « Le traitement que m’a infligé La Poste est antisocial. Cela peut arriver à n’importe qui. Tous les agents, du facteur jusqu’au haut cadre, sont sur un siège éjectable. »
Re: « Tous les agents, du facteur jusqu’au haut cadre, sont sur un siège éjectable »
Comment La Poste met des bâtons
Comment La Poste met des bâtons dans les roues aux experts
Vendredi, 28 Octobre, 2016
L'Humanité
D’après le document interne et confidentiel que s’est procuré l’Humanité,la société anonyme à capitaux publics a donné des consignes pour contester les expertises commandées par les CHSCT. Des pratiques qui interrogent alors qu’une crise sociale sévit depuis des années dans l’entreprise.
Un document qui tombe mal pour la direction de La Poste. Alors qu’une négociation s’est ouverte mercredi sur les conditions de travail dans le secteur de la distribution de courrier, actant la suspension des projets de réorganisation jusqu’à mi-décembre, que les dirigeants du groupe se succèdent dans les médias pour rassurer sur l’importance du dialogue social, l’Humanité a mis la main sur une note interne qui fait état de pratiques aux antipodes des discours actuels. Ce document daté de 2014, classé confidentiel, n’est rien de moins qu’un mode d’emploi pour entraver le fonctionnement du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et contester par tous les moyens les expertises. Ces directives de remise en cause de cette instance représentative du personnel, en pointe sur l’évaluation des conditions de travail des agents, interrogent fortement dans un contexte de malaise social explosif et de suicides en recrudescence.
Ces documents internes, transmis aux directeurs de site, souvent également présidents des CHSCT, indiquent la marche à suivre pour contester les expertises. D’abord, il s’agit de remettre en cause les honoraires des cabinets, en mettant en avant le coût du travail des experts : « Le tarif de la journée trop élevé », « le nombre de journées d’intervention excessif » ou « les frais de déplacement ». Pour La Poste, « ces points doivent nécessairement être contestés en amont dès la présentation des devis. En effet, il sera plus difficile de les contester dès lors qu’ils auront été implicitement acceptés ». Si ces techniques ne fonctionnent pas, il est toujours possible de dénoncer la facturation après restitution d’expertise. Chaque direction opérationnelle territoriale du courrier (DOTC) est invitée à « analyser la qualité du rapport », à scruter à la loupe qu’il ne comporte pas notamment « des préjugés et un postulat nécessairement défavorables à l’employeur », « des opérations effectuées au-delà de la mission », « des critiques subjectives des conditions de travail et une remise en cause de la politique générale de l’entreprise », « un discours théorique déconnecté de la réalité de l’entreprise », « une approche systématique à charge contre l’entreprise. »
Dans ces « cas », La Poste propose de négocier une transaction ou de s’opposer à la demande du paiement du solde. « Le refus obligera le cabinet d’expertise à être diligent et à prendre l’initiative d’une action en justice pour recouvrir ses honoraires. » Preuve que cette remise en cause des expertises semble orchestrée de manière systématique, un autre document interne, que s’est procuré l’Humanité, dresse le bilan qualitatif global des expertises CHSCT entre 2012 et 2013. Il dénombre 138 expertises votées en CHSCT, dont 53 ont été contestées. À la même époque, à la suite de différents cas de suicide, la direction de La Poste avait œuvré pour l’instauration de la commission Kaspar, qui avait préconisé des recrutements. Elle n’ignorait donc pas la crise sociale d’ampleur qui sévissait entre ses murs.
« Ce document consacre le déni de l’entreprise sur les conditions de travail »
Le 13 octobre dernier, dans une lettre transmise au PDG de La Poste, Philippe Wahl, huit cabinets d’expertise travaillant pour certains CHSCT avaient d’ailleurs dénoncé « la dégradation des conditions de travail et de la santé des agents » et « le mépris du dialogue social ».
Pour Nicolas Spire, expert chez Aptéis, cette note interne vient enfoncer le clou : « Elle est la preuve manifeste et concrète des difficultés rencontrées à chaque fois qu’on travaille pour les CHSCT de La Poste. Quand on arrive sur place pour enquêter, la direction fait bien passer le message aux salariés que l’expertise coûte super cher et qu’ils n’auront pas leur prime de Noël. Certains postiers craignent de se rendre aux entretiens de peur d’être mal vus par la hiérarchie. Comme on connaît déjà bien l’entreprise, La Poste nous accuse aussi de surfacturation, en disant : “Vous n’avez pas besoin de voir autant de postiers.” Ce document consacre le déni de l’entreprise sur les conditions de travail car ces expertises viennent toutes objectiver des souffrances liées aux risques professionnels. » Les petits cabinets se retrouvent en première ligne dans cette contestation systématique. « Cela nous étouffe ! Chez Aptéis, nous réalisons trois à quatre expertises par an pour La Poste, soit 10 à 15 % du chiffre d’affaires. Mais, en général, seule la moitié nous est payée intégralement. Ces pratiques mettent notre activité en danger. »
Pour le groupe, lancé dans une frénésie de suppressions d’emplois – de 90 000 à 100 000, selon les syndicats, en dix ans – et une avalanche de réorganisations tous les 24 mois, les avis des CHSCT et les rapports d’expertise semblent autant de freins. « Toutes les enquêtes montrent aussi que les chiffres fournis par l’outil Metod, qui calcule les tournées des facteurs, n’ont aucun rapport avec le temps réel passé sur le terrain. Les une minute trente estimées par la machine pour un recommandé ne tiennent jamais compte des “haut-le-pied” du facteur, de la géographie du territoire », poursuit l’expert. Au niveau des syndicats, la résistance s’organise. Maître Julien Rodrigue, qui défend une vingtaine de dossiers par an pour le compte des CSHCT, remarque : « Quand le droit s’oppose à La Poste, ils perdent toujours. J’ai gagné beaucoup de cas de contestation d’expertise sur des projets importants. Il y a une méthodologie systématique de l’entreprise qui consiste à ne pas dire la vérité. Ils ne négocient jamais rien, ne reconnaissent pas non plus leurs erreurs. Ils n’arrivent pas à comprendre que les syndicats et les CHSCT pourraient apporter des solutions qui pourraient arranger tout le monde. »
« La direction ne veut pas écouter les salariés»
Depuis la création des CHSCT, en 2011, à la suite du changement de statut de La Poste, devenue une société anonyme à capitaux publics au 1er mars 2010, la situation s’est de fait compliquée.
Valérie Mannevy, membre du comité exécutif de la FAPT-CGT, se souvient d’un démarrage difficile : « Ce n’est pas la culture de La Poste. Le fonctionnement du CHSCT connaît effectivement pas mal de délits d’entrave. Cela prouve que la direction ne veut pas écouter les salariés et continuer sa stratégie de rentabilité et de mise en avant de la Banque postale. »
Pour Eddy Talbot, du bureau national de SUD-PTT, si cette instance est autant dans le viseur de La Poste, c’est qu’elle a un impact dissuasif : « Le CHSCT cristallise les attaques parce que c’est l’une des rares instances représentatives du personnel qui a du pouvoir. Il permet de freiner les réorganisations quand les délais ne sont pas respectés ou l’instance pas consultée. Il faut se rappeler que les agents sont tranquilles six mois au maximum entre deux restructurations ! Une telle saignée de l’emploi dans une entreprise, c’est inédit ! » Par endroits, mettre des bâtons dans les roues aux syndicats est répétitif, comme le raconte François Marchive, de SUD-PTT Isère : « Des tracts sont distribués en disant que les expertises coûtent cher, des pétitions pour s’y opposer sont mises en place. Sur le cas de l’AVC d’une factrice à Courchevel en 2015, La Poste avait refusé l’expertise, mais la justice a reconnu le risque grave lié à la réorganisation et l’a imposé. À la suite de nos actions, de nombreux syndicalistes ont été convoqués en conseil de discipline pour de faux prétextes. » Outre les multiples luttes d’agents qui empêchent les restructurations aux quatre coins du pays, ces enquêtes produisent un effet barrage sur les projets du géant postal. « À Grenoble, dans le bureau principal de Chavant, nous demandions une expertise en vue d’une restructuration. Malgré les pressions de la direction, nous avons quand même organisé un référendum : les agents ont voté massivement en sa faveur. Du coup, toute la réorganisation a été arrêtée. D’ailleurs, dans toute l’Isère, il n’y a plus de réorganisation avant 2017 », conclut le syndicaliste. Contactée, la direction du Groupe La Poste n’a pas donné suite.
Comment La Poste met des bâtons dans les roues aux experts
Vendredi, 28 Octobre, 2016
L'Humanité
D’après le document interne et confidentiel que s’est procuré l’Humanité,la société anonyme à capitaux publics a donné des consignes pour contester les expertises commandées par les CHSCT. Des pratiques qui interrogent alors qu’une crise sociale sévit depuis des années dans l’entreprise.
Un document qui tombe mal pour la direction de La Poste. Alors qu’une négociation s’est ouverte mercredi sur les conditions de travail dans le secteur de la distribution de courrier, actant la suspension des projets de réorganisation jusqu’à mi-décembre, que les dirigeants du groupe se succèdent dans les médias pour rassurer sur l’importance du dialogue social, l’Humanité a mis la main sur une note interne qui fait état de pratiques aux antipodes des discours actuels. Ce document daté de 2014, classé confidentiel, n’est rien de moins qu’un mode d’emploi pour entraver le fonctionnement du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et contester par tous les moyens les expertises. Ces directives de remise en cause de cette instance représentative du personnel, en pointe sur l’évaluation des conditions de travail des agents, interrogent fortement dans un contexte de malaise social explosif et de suicides en recrudescence.
Ces documents internes, transmis aux directeurs de site, souvent également présidents des CHSCT, indiquent la marche à suivre pour contester les expertises. D’abord, il s’agit de remettre en cause les honoraires des cabinets, en mettant en avant le coût du travail des experts : « Le tarif de la journée trop élevé », « le nombre de journées d’intervention excessif » ou « les frais de déplacement ». Pour La Poste, « ces points doivent nécessairement être contestés en amont dès la présentation des devis. En effet, il sera plus difficile de les contester dès lors qu’ils auront été implicitement acceptés ». Si ces techniques ne fonctionnent pas, il est toujours possible de dénoncer la facturation après restitution d’expertise. Chaque direction opérationnelle territoriale du courrier (DOTC) est invitée à « analyser la qualité du rapport », à scruter à la loupe qu’il ne comporte pas notamment « des préjugés et un postulat nécessairement défavorables à l’employeur », « des opérations effectuées au-delà de la mission », « des critiques subjectives des conditions de travail et une remise en cause de la politique générale de l’entreprise », « un discours théorique déconnecté de la réalité de l’entreprise », « une approche systématique à charge contre l’entreprise. »
Dans ces « cas », La Poste propose de négocier une transaction ou de s’opposer à la demande du paiement du solde. « Le refus obligera le cabinet d’expertise à être diligent et à prendre l’initiative d’une action en justice pour recouvrir ses honoraires. » Preuve que cette remise en cause des expertises semble orchestrée de manière systématique, un autre document interne, que s’est procuré l’Humanité, dresse le bilan qualitatif global des expertises CHSCT entre 2012 et 2013. Il dénombre 138 expertises votées en CHSCT, dont 53 ont été contestées. À la même époque, à la suite de différents cas de suicide, la direction de La Poste avait œuvré pour l’instauration de la commission Kaspar, qui avait préconisé des recrutements. Elle n’ignorait donc pas la crise sociale d’ampleur qui sévissait entre ses murs.
« Ce document consacre le déni de l’entreprise sur les conditions de travail »
Le 13 octobre dernier, dans une lettre transmise au PDG de La Poste, Philippe Wahl, huit cabinets d’expertise travaillant pour certains CHSCT avaient d’ailleurs dénoncé « la dégradation des conditions de travail et de la santé des agents » et « le mépris du dialogue social ».
Pour Nicolas Spire, expert chez Aptéis, cette note interne vient enfoncer le clou : « Elle est la preuve manifeste et concrète des difficultés rencontrées à chaque fois qu’on travaille pour les CHSCT de La Poste. Quand on arrive sur place pour enquêter, la direction fait bien passer le message aux salariés que l’expertise coûte super cher et qu’ils n’auront pas leur prime de Noël. Certains postiers craignent de se rendre aux entretiens de peur d’être mal vus par la hiérarchie. Comme on connaît déjà bien l’entreprise, La Poste nous accuse aussi de surfacturation, en disant : “Vous n’avez pas besoin de voir autant de postiers.” Ce document consacre le déni de l’entreprise sur les conditions de travail car ces expertises viennent toutes objectiver des souffrances liées aux risques professionnels. » Les petits cabinets se retrouvent en première ligne dans cette contestation systématique. « Cela nous étouffe ! Chez Aptéis, nous réalisons trois à quatre expertises par an pour La Poste, soit 10 à 15 % du chiffre d’affaires. Mais, en général, seule la moitié nous est payée intégralement. Ces pratiques mettent notre activité en danger. »
Pour le groupe, lancé dans une frénésie de suppressions d’emplois – de 90 000 à 100 000, selon les syndicats, en dix ans – et une avalanche de réorganisations tous les 24 mois, les avis des CHSCT et les rapports d’expertise semblent autant de freins. « Toutes les enquêtes montrent aussi que les chiffres fournis par l’outil Metod, qui calcule les tournées des facteurs, n’ont aucun rapport avec le temps réel passé sur le terrain. Les une minute trente estimées par la machine pour un recommandé ne tiennent jamais compte des “haut-le-pied” du facteur, de la géographie du territoire », poursuit l’expert. Au niveau des syndicats, la résistance s’organise. Maître Julien Rodrigue, qui défend une vingtaine de dossiers par an pour le compte des CSHCT, remarque : « Quand le droit s’oppose à La Poste, ils perdent toujours. J’ai gagné beaucoup de cas de contestation d’expertise sur des projets importants. Il y a une méthodologie systématique de l’entreprise qui consiste à ne pas dire la vérité. Ils ne négocient jamais rien, ne reconnaissent pas non plus leurs erreurs. Ils n’arrivent pas à comprendre que les syndicats et les CHSCT pourraient apporter des solutions qui pourraient arranger tout le monde. »
« La direction ne veut pas écouter les salariés»
Depuis la création des CHSCT, en 2011, à la suite du changement de statut de La Poste, devenue une société anonyme à capitaux publics au 1er mars 2010, la situation s’est de fait compliquée.
Valérie Mannevy, membre du comité exécutif de la FAPT-CGT, se souvient d’un démarrage difficile : « Ce n’est pas la culture de La Poste. Le fonctionnement du CHSCT connaît effectivement pas mal de délits d’entrave. Cela prouve que la direction ne veut pas écouter les salariés et continuer sa stratégie de rentabilité et de mise en avant de la Banque postale. »
Pour Eddy Talbot, du bureau national de SUD-PTT, si cette instance est autant dans le viseur de La Poste, c’est qu’elle a un impact dissuasif : « Le CHSCT cristallise les attaques parce que c’est l’une des rares instances représentatives du personnel qui a du pouvoir. Il permet de freiner les réorganisations quand les délais ne sont pas respectés ou l’instance pas consultée. Il faut se rappeler que les agents sont tranquilles six mois au maximum entre deux restructurations ! Une telle saignée de l’emploi dans une entreprise, c’est inédit ! » Par endroits, mettre des bâtons dans les roues aux syndicats est répétitif, comme le raconte François Marchive, de SUD-PTT Isère : « Des tracts sont distribués en disant que les expertises coûtent cher, des pétitions pour s’y opposer sont mises en place. Sur le cas de l’AVC d’une factrice à Courchevel en 2015, La Poste avait refusé l’expertise, mais la justice a reconnu le risque grave lié à la réorganisation et l’a imposé. À la suite de nos actions, de nombreux syndicalistes ont été convoqués en conseil de discipline pour de faux prétextes. » Outre les multiples luttes d’agents qui empêchent les restructurations aux quatre coins du pays, ces enquêtes produisent un effet barrage sur les projets du géant postal. « À Grenoble, dans le bureau principal de Chavant, nous demandions une expertise en vue d’une restructuration. Malgré les pressions de la direction, nous avons quand même organisé un référendum : les agents ont voté massivement en sa faveur. Du coup, toute la réorganisation a été arrêtée. D’ailleurs, dans toute l’Isère, il n’y a plus de réorganisation avant 2017 », conclut le syndicaliste. Contactée, la direction du Groupe La Poste n’a pas donné suite.
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