La France occulte
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La France occulte
On les croyait disparus, remplacés par les augures des réseaux sociaux et les grand-prêtres de l’informatique. Pourtant, l’ombre des sorciers, des druides, des rebouteux et des médiums plane toujours.
À l’heure des nouvelles technologies et d’internet, dans un monde où la science pèse chaque jour davantage sur notre quotidien, l’univers de l’étrange et de l’occulte semble appartenir à un lointain passé. Pourtant, le recours à l’irrationnel et à l’ésotérique est loin d’avoir disparu en France. Bienvenue chez les guérisseurs, les rebouteux, les magnétiseurs, les médiums, les sorciers et les druides. Des femmes et des hommes qui, tout en suivant des chemins différents, témoignent de croyances en un autre monde, où les champs du possible seraient quasiment infinis. Où la nature et les choses ne sont pas inanimées, mais possèdent des capacités particulières et accessibles à ceux qui peuvent ou veulent les sentir.
Bien sûr, certains ne sont que des charlatans. Des marchands de fausses potions et d’espoirs déçus, qui profitent sans vergogne de l’angoisse et de la crédulité des gogos. Tout ou presque, chez eux, est payant et le résultat, toujours garanti. La connaissance est un chemin ponctué de diplômes sans autre valeur que le montant acquitté par les malheureux candidats à l’illumination. Ceux-là sont au mieux des escrocs, au pire des rabatteurs de mouvements sectaires. Paradoxalement, ces faux mages et ces guérisseurs d’opérette sont souvent sur le devant de la scène. Dans les tribunaux comme dans les médias, où leurs numéros d’illusionnistes amusent, effraient et fascinent à la fois.
«Pourtant, le monde des guérisseurs, par exemple, est à l’opposé des paillettes et de l’argent, assure Déborah Kessler-Bilthauer, ethnologue, auteur du livre Guérisseurs contre sorciers dans la Lorraine du XXIe siècle. La plupart d’entre eux ne demandent qu’une participation symbolique en fonction des moyens de chacun. Ils ne font pas commerce de leurs dons et, le plus souvent, ne se font connaître que par le bouche à oreille. Certains, comme les “barreurs de feu”, ceux qui “soignent” la douleur des brûlures, peuvent même travailler occasionnellement en milieu hospitalier. Mais, en général, ces personnes préfèrent l’ombre à la lumière.»
Les témoignages de guérison sont légion et demeurent souvent mystérieux. Tout le monde ou presque connaît quelqu’un qui en connaît un, lequel a soigné un mal de dos que la médecine traditionnelle ne parvenait pas à soulager ou a fait disparaître un problème dermatologique tel que l’eczéma ou des verrues. Mais d’où vient un tel don? Comment l’expliquer? Où commence l’irrationnel? Et comment faire le tri entre les «bons», les «vrais» et les «bonimenteurs» parmi les quelque 10.000 guérisseurs qui vivraient actuellement en France? Réalité ou autosuggestion? Ces questions demeurent sans réponse. En l’absence d’études scientifiques, il est difficile d’aller plus loin. D’autant que certaines guérisons tiennent tout simplement du miracle.
L’irrationnel a toujours fasciné les hommes
Seule certitude dans cet univers particulier: tout repose sur les notions subjectives de confiance et de croyance. Ainsi, celui qui fait appel aux pouvoirs supposés d’un sorcier ou d’un rebouteux assume-t-il implicitement sa «foi» en ses capacités d’agir sur le monde et la souffrance qu’il ressent. Mieux, il assure la plupart du temps que ses problèmes sont résolus. Cette lecture «magique» des choses est loin d’être un phénomène marginal.
«À l’époque où les sciences et la technologie triomphent, on pourrait penser que la sorcellerie appartient définitivement au passé, explique Dominique Camus, docteur ès sciences de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et l’un des meilleurs spécialistes actuels de sorcellerie en France. C’est faux. Car beaucoup de gens pensent encore aujourd’hui que certaines personnes possèdent des pouvoirs hors du commun. Un savoir ésotérique et mystérieux qui leur permettrait d’agir sur autrui par l’emploi d’étranges rituels. Que l’on y croie ou pas, le phénomène est infiniment plus profond que ce que l’on pense généralement. Et, dans ce contexte, le “pouvoir sorcier” doit être considéré sérieusement.»
Pour Dominique Camus, de tout temps, l’homme a essayé de découvrir ce qui était caché, à l’image des sourciers et des radiesthésistes, par exemple, ces personnes capables de ressentir les vibrations ou les radiations émises par les nappes phréatiques ou les veines de minerais souterraines. Dans le même esprit, la divination n’a jamais cessé d’influencer les sociétés humaines, depuis les oracles de la pythie de Delphes jusqu’aux prédictions de la diseuse de bonne aventure ou de la tireuse de cartes. «Mais attention à ne pas tout mélanger, prévient Dominique Camus. Le monde des sorciers, par exemple, repose sur une transmission du savoir et un investissement personnel qui va bien au-delà de la notion de don, de connaissances empiriques ou de savoir traditionnel et local. L’irrationnel aussi à sa hiérarchie. Il ne faut jamais perdre de vue que ces notions s’appuient sur une croyance bien réelle: la sorcellerie est jugée efficiente par ceux qui y ont recours et la tentation de recourir à l’occulte repose sur le même principe.
Selon Radio Astro, une Française sur cinq et un Français sur dix consulteraient aujourd’hui un voyant ou un médium. Et plus de 15 millions de nos concitoyens avouent croire aux prédictions des voyants. Des hommes illustres, et non des moindres, se sont passionnés pour les phénomènes paranormaux et l’irrationnel. Le célèbre astronome Camille Flammarion, dans la seconde moitié du XIXe siècle, s’est enflammé pour l’étude des manifestations spectrales et les maisons hantées.
À la même époque, le spiritisme fascine la bonne société du second Empire et ébouriffe les crinolines. Le spirite Allan Kardec bouscule la science de son temps. Victor Hugo lui-même adoucit ses tristes soirées d’exil à Jersey par d’interminables séances de spiritisme. L’écrivain reçoit ainsi la visite de sa fille défunte, Léopoldine, noyée en 1843 près du Havre. Puis viennent tournoyer autour de sa table: Platon, Jésus-Christ, Racine, Dante ou Molière… Plus tard, au cours des années 20, sir Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, tente d’entrer en communication avec les esprits grâce à un appareil radio.
Dernièrement, l’écrivain Didier van Cauwelaert a publié Dictionnaire de l’impossible, un livre consacré aux phénomènes inexplicables. Un effet de mode? Pas seulement. Cette démarche intellectuelle autant qu’artistique est un avatar de notre penchant pour le mystère et l’inexplicable. Passé 22 heures, le paranormal fait les choux gras des chaînes de télévisions et le web regorge de fantômes filmés en direct par des experts en canulars et en expériences surnaturelles. «Mais, dans toute caricature, il y a un fond de vérité, rappelle Dominique Camus. L’adhésion au magique et à l’inexplicable se transmet par le vécu de celui qui croit en son existence. Et sa conviction, réelle ou symbolique, suffit à l’inscrire dans une forme de réalité qui n’est pas près de disparaître de nos sociétés modernes. Ni demain, ni même après-demain.» Difficile, dans ces conditions, de penser comme Voltaire, qui déclarait en 1756: «Il n’y a plus de sorciers depuis qu’on ne les brûle plus…»
article FIGARO MAGAZINE
À l’heure des nouvelles technologies et d’internet, dans un monde où la science pèse chaque jour davantage sur notre quotidien, l’univers de l’étrange et de l’occulte semble appartenir à un lointain passé. Pourtant, le recours à l’irrationnel et à l’ésotérique est loin d’avoir disparu en France. Bienvenue chez les guérisseurs, les rebouteux, les magnétiseurs, les médiums, les sorciers et les druides. Des femmes et des hommes qui, tout en suivant des chemins différents, témoignent de croyances en un autre monde, où les champs du possible seraient quasiment infinis. Où la nature et les choses ne sont pas inanimées, mais possèdent des capacités particulières et accessibles à ceux qui peuvent ou veulent les sentir.
Bien sûr, certains ne sont que des charlatans. Des marchands de fausses potions et d’espoirs déçus, qui profitent sans vergogne de l’angoisse et de la crédulité des gogos. Tout ou presque, chez eux, est payant et le résultat, toujours garanti. La connaissance est un chemin ponctué de diplômes sans autre valeur que le montant acquitté par les malheureux candidats à l’illumination. Ceux-là sont au mieux des escrocs, au pire des rabatteurs de mouvements sectaires. Paradoxalement, ces faux mages et ces guérisseurs d’opérette sont souvent sur le devant de la scène. Dans les tribunaux comme dans les médias, où leurs numéros d’illusionnistes amusent, effraient et fascinent à la fois.
«Pourtant, le monde des guérisseurs, par exemple, est à l’opposé des paillettes et de l’argent, assure Déborah Kessler-Bilthauer, ethnologue, auteur du livre Guérisseurs contre sorciers dans la Lorraine du XXIe siècle. La plupart d’entre eux ne demandent qu’une participation symbolique en fonction des moyens de chacun. Ils ne font pas commerce de leurs dons et, le plus souvent, ne se font connaître que par le bouche à oreille. Certains, comme les “barreurs de feu”, ceux qui “soignent” la douleur des brûlures, peuvent même travailler occasionnellement en milieu hospitalier. Mais, en général, ces personnes préfèrent l’ombre à la lumière.»
Les témoignages de guérison sont légion et demeurent souvent mystérieux. Tout le monde ou presque connaît quelqu’un qui en connaît un, lequel a soigné un mal de dos que la médecine traditionnelle ne parvenait pas à soulager ou a fait disparaître un problème dermatologique tel que l’eczéma ou des verrues. Mais d’où vient un tel don? Comment l’expliquer? Où commence l’irrationnel? Et comment faire le tri entre les «bons», les «vrais» et les «bonimenteurs» parmi les quelque 10.000 guérisseurs qui vivraient actuellement en France? Réalité ou autosuggestion? Ces questions demeurent sans réponse. En l’absence d’études scientifiques, il est difficile d’aller plus loin. D’autant que certaines guérisons tiennent tout simplement du miracle.
L’irrationnel a toujours fasciné les hommes
Seule certitude dans cet univers particulier: tout repose sur les notions subjectives de confiance et de croyance. Ainsi, celui qui fait appel aux pouvoirs supposés d’un sorcier ou d’un rebouteux assume-t-il implicitement sa «foi» en ses capacités d’agir sur le monde et la souffrance qu’il ressent. Mieux, il assure la plupart du temps que ses problèmes sont résolus. Cette lecture «magique» des choses est loin d’être un phénomène marginal.
«À l’époque où les sciences et la technologie triomphent, on pourrait penser que la sorcellerie appartient définitivement au passé, explique Dominique Camus, docteur ès sciences de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et l’un des meilleurs spécialistes actuels de sorcellerie en France. C’est faux. Car beaucoup de gens pensent encore aujourd’hui que certaines personnes possèdent des pouvoirs hors du commun. Un savoir ésotérique et mystérieux qui leur permettrait d’agir sur autrui par l’emploi d’étranges rituels. Que l’on y croie ou pas, le phénomène est infiniment plus profond que ce que l’on pense généralement. Et, dans ce contexte, le “pouvoir sorcier” doit être considéré sérieusement.»
Pour Dominique Camus, de tout temps, l’homme a essayé de découvrir ce qui était caché, à l’image des sourciers et des radiesthésistes, par exemple, ces personnes capables de ressentir les vibrations ou les radiations émises par les nappes phréatiques ou les veines de minerais souterraines. Dans le même esprit, la divination n’a jamais cessé d’influencer les sociétés humaines, depuis les oracles de la pythie de Delphes jusqu’aux prédictions de la diseuse de bonne aventure ou de la tireuse de cartes. «Mais attention à ne pas tout mélanger, prévient Dominique Camus. Le monde des sorciers, par exemple, repose sur une transmission du savoir et un investissement personnel qui va bien au-delà de la notion de don, de connaissances empiriques ou de savoir traditionnel et local. L’irrationnel aussi à sa hiérarchie. Il ne faut jamais perdre de vue que ces notions s’appuient sur une croyance bien réelle: la sorcellerie est jugée efficiente par ceux qui y ont recours et la tentation de recourir à l’occulte repose sur le même principe.
Selon Radio Astro, une Française sur cinq et un Français sur dix consulteraient aujourd’hui un voyant ou un médium. Et plus de 15 millions de nos concitoyens avouent croire aux prédictions des voyants. Des hommes illustres, et non des moindres, se sont passionnés pour les phénomènes paranormaux et l’irrationnel. Le célèbre astronome Camille Flammarion, dans la seconde moitié du XIXe siècle, s’est enflammé pour l’étude des manifestations spectrales et les maisons hantées.
À la même époque, le spiritisme fascine la bonne société du second Empire et ébouriffe les crinolines. Le spirite Allan Kardec bouscule la science de son temps. Victor Hugo lui-même adoucit ses tristes soirées d’exil à Jersey par d’interminables séances de spiritisme. L’écrivain reçoit ainsi la visite de sa fille défunte, Léopoldine, noyée en 1843 près du Havre. Puis viennent tournoyer autour de sa table: Platon, Jésus-Christ, Racine, Dante ou Molière… Plus tard, au cours des années 20, sir Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, tente d’entrer en communication avec les esprits grâce à un appareil radio.
Dernièrement, l’écrivain Didier van Cauwelaert a publié Dictionnaire de l’impossible, un livre consacré aux phénomènes inexplicables. Un effet de mode? Pas seulement. Cette démarche intellectuelle autant qu’artistique est un avatar de notre penchant pour le mystère et l’inexplicable. Passé 22 heures, le paranormal fait les choux gras des chaînes de télévisions et le web regorge de fantômes filmés en direct par des experts en canulars et en expériences surnaturelles. «Mais, dans toute caricature, il y a un fond de vérité, rappelle Dominique Camus. L’adhésion au magique et à l’inexplicable se transmet par le vécu de celui qui croit en son existence. Et sa conviction, réelle ou symbolique, suffit à l’inscrire dans une forme de réalité qui n’est pas près de disparaître de nos sociétés modernes. Ni demain, ni même après-demain.» Difficile, dans ces conditions, de penser comme Voltaire, qui déclarait en 1756: «Il n’y a plus de sorciers depuis qu’on ne les brûle plus…»
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