LE VASE DE SOISSONS
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Re: LE VASE DE SOISSONS
le vase de Soissons
vers 486
Le contexte
L'Empire Romain d'Occident vient de s'effondrer, submergé par les Grandes Invasions. Romulus Augustule, le dernier empereur d'occident, a été déposé par Odoacre roi des Hérules. Les insignes du pouvoir imperial ont été envoyé par défi à Constantinople ; l'empereur d'orient se considère désormais comme le seul représentant de l'autorité romaine.
En Gaule, l'unité romaine a été remplacée par une mosaïque d'états germaniques. Seul un territoire reste sous contrôle des gallo-romains : la région entre Somme et Loire, gouvernée par Syagrius, fils d'un compagnon d'Aetius.
L'ambitieux nouveau roi des Francs, Clovis, a des vues sur la Gaule. Sa conquête va commencer par l'invasion du royaume de Syagrius. Les armées s'affrontent près de Soissons. C'est la défaite pour le dernier état gallo-romain libre.
L'anecdote
Après la bataille de Soissons, la ville est pillée et les trésors sont rassemblés pour le grand partage du butin. L'évêque de Reims, Saint Remi, envoie un messager auprès du roi des Francs : il y a parmi le butin un vase sacré qui lui est très précieux et qu'il aimerait récupérer.
Le vase de Soissons - Gravure extraite d'un manuel scolaire de 1968
La règle des Francs est de tirer au sort la part de chacun parmi le butin. Avant que le tirage ne commence, Clovis demande a ses hommes que le fameux vase lui soit donné en plus de la part que le sort lui réservera. La plupart des guerriers sont d'accord, mais un franc s'avance, lance au visage du roi « Tu n'auras que ta part » et frappe le vase de sa francisque (sa hache).
La tradition veut que le vase fut brisé, alors qu'en réalité il ne fut que cabossé (c'était un vase de metal, pas de porcelaine!).
Clovis ravale sa colère et fait donner à l'envoyé de Saint Remi ce qui reste du vase.
Au début de l'année suivante, Clovis passe en revue ses troupes avant de partir à la guerre. Il s'arrête devant l'homme qui a abîmé le vase. Il s'empare de ses armes, les examine et les jette à terre en lui reprochant leur mauvais entretien. Alors que le guerrier se baisse pour les ramasser, Clovis lève sa hache et lui fracasse la tête en disant « Souviens-toi du vase de Soissons! ».
Est-elle authentique?
A priori, oui
Pourquoi est-elle célèbre?
Pas pour illustrer les méfaits de la rancune, mais parce qu'elle est très riche d'enseignements : cette toute petite histoire met en évidence de nombreux détails du fonctionnement de la société des Francs (en particulier elle définit à la perfection le rapport entre le roi et ses guerriers) ainsi que de l'état des pouvoirs dans la Gaule d'après la chute de l'empire romain d'occident (voir ci-dessous pour plus de détails!).
Que nous apprend-elle?
L'anecdote du vase de Soissons nous apprend de nombreuses choses sur les Francs et la Gaule de cette fin de Vième siècle.
Le nouvel empire romain d'occident est mal en point dès sa création. Pour se prémunir contre les invasions les plus belliqueuses (comme celle des Huns), et pour tenter d'endiguer un flux migratoire impossible à arreter, les autorités romaines ont installé sur les terres de l'empire de nombreux peuples germaniques (dont les Francs et les Goths). Les guerriers de ces peuples constituent des troupes auxiliaires qui representent maintenant l'essentiel de l'armée romaine.
Le dernier grand général romain, Aetius réussit à sauver l'Empire de la desintegration en contenant les peuples germains sur les territoires qui leur ont été assignés. Il réussit aussi à réunir la dernière grande armée romaine pour arreter Attila.
Après l'assassinat d'Aetius, plus rien ne peut empecher la chute de l'Empire. Les peuples germains prennent le pouvoir effectif sur les territoires qu'ils occupaient. L'Empire s'effondre et le dernier empereur est déposé. C'est la loi du plus fort, ou plutôt du plus astucieux : Clovis, l'ambitieux roi des francs saliens réussit à reconquérir un à un les territoires de l'ancienne Gaule pour en faire un unique royaume franc.
Le roi franc et ses guerriers
Les rapports entre le roi et ses guerriers sont régis d'une manière très différente du futur fonctionnement féodal et varient suivant qu'on soit en temps de guerre ou de paix. L'histoire du vase de Soissons en est un excellent descriptif
Le temps de la paix : La société franque est fondamentalement égalitaire (égalité entre les guerriers, hommes libres et francs ; les femmes, les non-libres et les étrangers ne sont pas concernés par cette égalité). En temps de paix, le roi est un franc comme les autres. Il ne dispose d'aucun droit et d'aucune autorité particulière. Quand commence l'histoire du vase de Soissons, la fin de la bataille vient de clôturer la saison de guerre et on commence la saison de paix par le partage traditionnel du butin. Pour respecter l'égalité des guerriers, chaque part est tirée au sort, y compris celle du roi qui n'est à ce moment qu'un simple guerrier comme les autres. Clovis fait donc par sa demande une entorse à la loi, et le franc qui s'y oppose est tout à fait dans son bon droit. Clovis (qui n'a pas marqué par ailleurs l'histoire comme quelqu'un aimant se faire marcher sur les pieds) ne peux qu'endurer l'affront et se taire, même si cet affront le discrédite devant les envoyés de l'évêque Rémi
Le temps de la guerre : Quand au début du printemps les guerriers se réunissent à nouveau, on entre dans le temps de la guerre. Le roi devient alors le chef de guerre tout puissant qui a pouvoir de vie et de mort sur chacun de ses guerriers. Dans ce contexte, il a le droit de mettre à mort n'importe quel guerrier, même en punition d'une faute légère (mauvais entretien supposé des armes).
Les conséquences de ce système : Le pouvoir exhorbitant de vie et de mort sur ses sujets pendant le temps de la guerre ne doit pas masquer le gros problème militaire qui se pose au roi franc à cause de ce système : en effet, les guerres se préparent pendant la paix. Or, comme pendant la paix le roi ne peut rien ordonner, l'entrainement et la permanence des troupes sont impossibles à réaliser, ce qui entrave l'efficacité de la machine de guerre franque et empêche le roi d'avoir une politique à long terme. Clovis trouvera un moyen de contourner cette entrave culturelle : par son baptême, il deviendra à travers la religion catholique un souverain de droit divin, ce qui lui fondera une préséance continuelle sur ses guerriers et son peuple.
La Gaule du Vième siècle
L'anecdote du vase de Soissons a pour cadre la Gaule décomposée de l'après empire romain. L'ancienne unité impériale a été anihilée. Peu d'anciens pouvoirs subsistent, de nouveaux apparaissent. Les deux puissances qui dirigeront bientôt la future France amorcent leur rapprochement.
Le pouvoir de l'Eglise : L'Eglise catholique (religion officielle de l'Empire romain) est la seule institution romaine a avoir survecu à la chute de l'Empire romain d'occident (peut être parce qu'elle était une institution ancrée à la fois en occident et en orient). Pour les populations gallo-romaines, elle est le dernier vestige qui les rattache à la splendeur passée. Persécutée par la plupart des peuples germaniques (chrétiens mais ariens), l'Eglise a un avenir incertain, mais jouit encore d'un grand prestige et a un poids politique important car elle commande aux consciences et donc à la fidélité des populations gallo-romaines. C'est une puissance que Clovis ne peut se permettre de s'aliéner pour mener à bien sa conquête. C'est pourquoi, ne pouvant se permettre de débouter les envoyés de l'évêque Rémi, il ne peut faire autrement que prendre le gros risque de braver les coutumes ancestrales et de provoquer le courroux de ses guerriers. Quand son coup d'audace échoue lamentablement, il ne peut réagir, mais brûle interieurement car la dernière chose qu'il voulait était bien de voir son autorité bafouée devant les hommes de l'Eglise.
Clovis est un interlocuteur respectable : Soyons réaliste, Clovis n'est pas le prototype du preux chevalier : cruel, ambitieux, avide de pouvoir et de richesses, sans scrupules, il n'hésite pas à piller et rançonner les régions qu'il envahit, ni à mettre à mort des membres de sa famille. On ne peut pas dire qu'il se rapproche de l'idéal d'humanisme préché par les évangiles... Cependant, il présente un énorme avantage pour l'Eglise : roi barbare et païen, il ne peut espérer établir son pouvoir sur la Gaule (où la puissance dominante est alors le royaume arien des Wisigoths) sans l'aide de l'Eglise, et l'Eglise le sait. L'Eglise sait aussi qu'elle risque de disparaitre sous les persécutions des ariens et que la protection de ce roi non-arien est sa seule chance de survie. Voilà pourquoi des grands noms de l'Eglise de Gaule de l'époque (Sainte Geneviève et Saint Rémi) soutiendront ce roi qui n'a rien d'un saint. Voilà pourquoi on ose (avouez que la chose a de quoi surprendre) lui envoyer un messager pour récupérer gracieusement un vase dont le barbare vient juste de s'emparer par la force! Bien avant le mariage avec la pieuse Clotilde, le roi franc et l'Eglise de Gaule entretiennent déjà des rapports privilégiés.
manuel scolaire de 1968
Bientôt ces deux pouvoirs s'uniront avec le baptême de Clovis (puis le couronnement de Charlemagne et initieront le mariage du pouvoir national franc et de l'Eglise catholique qui domineront conjointement tout le Moyen Age et ne divorceront vraiment (le premier répudiant le second) qu'en 1905 avec la séparation du Clergé et de l'Etat.
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