Depuis 200 ans, les Français adorent le livret A
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Depuis 200 ans, les Français adorent le livret A
Correspondance, Gautier Demouveaux vendredi 06.04.2018
Inventé en 1818 par un philanthrope parisien, le livret A va s’imposer peu à peu dans la société française et la transformer profondément en développant l’épargne populaire. Deux cents ans après sa création, il reste le produit financier de référence.
L’an dernier, d’après la Caisse des dépôts et consignation, on comptait dans l’Hexagone plus de 56 millions de livrets A ouverts. Près de 10,24 milliards d’euros ont ainsi été collectés en 2017, pour une somme totale d’encours de plus de 250 milliards d’euros.
Malgré son taux de rémunération très faible (0,75 %, contre 5 % à l’origine), le livret A reste le produit d’épargne préféré des Français, près de 85 % de la population en posséderait un. « Plus qu’un support, le livret est l’idée même de l’épargne, de l’argent que l’on met de côté par prévoyance, selon des modalités d’une extrême simplicité qui garantissent la liquidité, la sécurité et la rentabilité du capital », explique l’historienne Séverine de Coninck, dans son livre Le livret de Caisse d’Épargne, une passion française.
(Photo : Archives Caisse d’Épargne)
(Photo : Archives Caisse d’Épargne)
Un phénomène qui s’explique aisément selon Franck Olivier, directeur de la communication de la Caisse d’Épargne Île-de-France : « L’épargne de précaution est quelque chose de très ancrée aujourd’hui chez les Français. Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance ! Lorsque nos fondateurs lancent ce livret en 1818, l’idée est révolutionnaire : ils conceptualisent l’épargne populaire. À l’époque, les gens sont payés à la journée ou à la quinzaine, et la plupart ne conçoivent pas de conserver une partie de l’argent et boivent leur solde avant de rentrer à la maison ! »
Il poursuit : « Des auteurs comme Zola décrivent très bien cela dans leurs œuvres. La création du livret constitue une innovation majeure, car il n’existe alors aucun outil d’épargne simple, sûr et accessible au plus grand nombre. Le livret comble un vide dans le paysage financier de l’époque et sert vite d’instrument d’adaptation des Français à une première pratique bancaire. »
Une création s’inspirant des Lumières
Nous sommes en 1818, le pays est exsangue, il sort de la Révolution et des guerres napoléoniennes, l’État est proche de la banqueroute et a besoin de liquidité pour se financer.
Deux hommes proposent au roi Louis XVIII d’aller chercher l’argent là où il se trouve, au fin fond des campagnes. S’inspirant des expériences menées en Suisse et en Angleterre quelques mois auparavant, Benjamin Delessert, homme d’affaires et philanthrope, et François-Alexandre de La Rochefoucauld-Liancourt, banquier et président du Comité de mendicité, créent la première Caisse d’Épargne de France – elle ouvre le 22 mai 1818 à Paris – et lancent ce projet de livret d’épargne populaire.
Benjamin Delessert est le principal instigateur de la création du livret de Caisse d’Épargne. Ce bourgeois philanthrope a plusieurs cordes à son arc : tour à tour banquier, député, entrepreneur mais aussi inventeur… On lui doit notamment l’invention du procédé d’extraction du sucre de la betterave. (Photo : Archives Caisse d’Épargne)
Les fondateurs s’inscrivent dans la lignée des philosophes des Lumières qui, « avec l’allongement de la durée de vie lié au recul des grandes menaces pesant traditionnellement sur l’existence (famines, épidémies…) [ils] promeuvent une nouvelle conception du monde où le devenir de l’homme ne réside plus dans la croyance en la providence mais dans la confiance en la prévoyance, poursuit Séverine de Coninck. Les individus sont appelés à conquérir leur bonheur ici-bas et maintenant. »
Elle ajoute : « Cette conquête implique pour celui qui ne subsiste que grâce à son salaire, de se garantir contre les événements de l’existence en conservant une partie du fruit de son travail ; la maladie, le chômage, la vieillesse sont autant d’étapes douloureuses à surmonter en l’absence d’économies. Dans cet ordre d’idées, l’épargne, traditionnellement discréditée dans un pays de confession catholique en tant que pratique avaricieuse […], devient une vertu nécessaire à l’amélioration des conditions individuelles… »
Un outil d’émancipation
Les premiers livrets de dépôts sont ouverts dès le mois de novembre 1818 à Paris, et le modèle des Caisses d’Épargne est copié progressivement dans les villes et les campagnes. « Le livret est dès l’origine accessible à tous, sans distinction d’âge, de sexe ou de fortune, note Frank Olivier. Le livret participe à l’émancipation financière des femmes. Considérée à l’époque comme « incapable majeure » par le code civil, il leur offre la possibilité, dès 1881, de gérer leurs économies de manière autonome. Elles peuvent ouvrir et gérer seule leur livret d’épargne, une révolution quand on sait qu’il faudra attendre 1965 pour qu’elles puissent ouvrir un simple compte bancaire ! »
(Photo : Archives Caisse d’Épargne)
Le livret d’épargne est également promu au sein même de l’école de la IIIe République, comme le précise l’historienne Séverine de Coninck : « Dans un pays anxieux, au lendemain du désastre de Sedan et de la perte de l’Alsace-Lorraine, le livret affirme l’existence d’une vertu ancestrale et éminemment française, l’épargne sur laquelle peut être construite et justifiée l’unité de la nation. »
Le livret A va être considéré comme un véritable outil républicain, par les gouvernements successifs de la IIIe puis de la IVe République qui vont encourager les Français – petits et grands – à en ouvrir un, jusque dans les écoles où les instituteurs sont appelés à venter les mérites de l’épargne. (Photo : Archives Caisse d’Épargne)
« Le livret sert d’instrument d’alphabétisation monétaire et d’acculturation dès le plus jeune âge, à travers notamment d’une institution restée sans équivalent : l’épargne scolaire, poursuit Franck Olivier. Née au Mans en 1834 et généralisée après la Commune au cours des années 1870, elle permet aux instituteurs de récolter, au sein même des établissements, les modestes économies de leurs élèves pour les placer sur leur livret. Cette collecte hebdomadaire était l’occasion d’un exercice éducatif sur les valeurs de l’épargne… » Ces « cours » perdureront jusque dans les années 1960 dans les écoles françaises.
Des fonds tournés vers le social
Dès 1835, la gestion des fonds des livrets d’épargne populaire est confiée à la Caisse des dépôts et consignation, qui garantit la liquidité en toutes circonstances. La Caisse d’Épargne est déclarée organisme d’utilité publique, et les fonds récoltés sont utilisés dès 1897 pour financer le logement social. Cette ressource a permis notamment de construire les HLM dans les années 1950, quand il a fallu loger les classes laborieuses en ville. Encore aujourd’hui, l’argent du livret A sert à construire 100 000 logements sociaux et à en réhabiliter près de 300 000 chaque année.
(Photo : Archives Caisse d’Épargne)
« L’encours du livret sert aussi plus largement à financer les collectivités et leurs projets d’infrastructures, comme l’électrification des campagnes ou l’adduction d’eau, aujourd’hui pour des projets comme le Grand Paris, précise Franck Olivier. Les fonds collectés régionalement sont réinvestis régionalement. »
Épargne de prévoyance, gratuité à l’ouverture, non imposable, et des fonds qui servent à des programmes sociaux… C’est pour toutes ces raisons que les Français sont encore attachés à ce livret, il existe même une véritable « histoire d’amour » selon Séverine de Coninck : « Le livret de Caisse d’Épargne est entré dans le langage courant via un long processus […]. Il est le signifiant d’une épargne sans risque, garantie par l’État. » Un produit financier qui rassure face aux crises économiques, et qui possède encore aujourd’hui, malgré son bicentenaire, un attrait important dans la population.
Inventé en 1818 par un philanthrope parisien, le livret A va s’imposer peu à peu dans la société française et la transformer profondément en développant l’épargne populaire. Deux cents ans après sa création, il reste le produit financier de référence.
L’an dernier, d’après la Caisse des dépôts et consignation, on comptait dans l’Hexagone plus de 56 millions de livrets A ouverts. Près de 10,24 milliards d’euros ont ainsi été collectés en 2017, pour une somme totale d’encours de plus de 250 milliards d’euros.
Malgré son taux de rémunération très faible (0,75 %, contre 5 % à l’origine), le livret A reste le produit d’épargne préféré des Français, près de 85 % de la population en posséderait un. « Plus qu’un support, le livret est l’idée même de l’épargne, de l’argent que l’on met de côté par prévoyance, selon des modalités d’une extrême simplicité qui garantissent la liquidité, la sécurité et la rentabilité du capital », explique l’historienne Séverine de Coninck, dans son livre Le livret de Caisse d’Épargne, une passion française.
(Photo : Archives Caisse d’Épargne)
(Photo : Archives Caisse d’Épargne)
Un phénomène qui s’explique aisément selon Franck Olivier, directeur de la communication de la Caisse d’Épargne Île-de-France : « L’épargne de précaution est quelque chose de très ancrée aujourd’hui chez les Français. Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance ! Lorsque nos fondateurs lancent ce livret en 1818, l’idée est révolutionnaire : ils conceptualisent l’épargne populaire. À l’époque, les gens sont payés à la journée ou à la quinzaine, et la plupart ne conçoivent pas de conserver une partie de l’argent et boivent leur solde avant de rentrer à la maison ! »
Il poursuit : « Des auteurs comme Zola décrivent très bien cela dans leurs œuvres. La création du livret constitue une innovation majeure, car il n’existe alors aucun outil d’épargne simple, sûr et accessible au plus grand nombre. Le livret comble un vide dans le paysage financier de l’époque et sert vite d’instrument d’adaptation des Français à une première pratique bancaire. »
Une création s’inspirant des Lumières
Nous sommes en 1818, le pays est exsangue, il sort de la Révolution et des guerres napoléoniennes, l’État est proche de la banqueroute et a besoin de liquidité pour se financer.
Deux hommes proposent au roi Louis XVIII d’aller chercher l’argent là où il se trouve, au fin fond des campagnes. S’inspirant des expériences menées en Suisse et en Angleterre quelques mois auparavant, Benjamin Delessert, homme d’affaires et philanthrope, et François-Alexandre de La Rochefoucauld-Liancourt, banquier et président du Comité de mendicité, créent la première Caisse d’Épargne de France – elle ouvre le 22 mai 1818 à Paris – et lancent ce projet de livret d’épargne populaire.
Benjamin Delessert est le principal instigateur de la création du livret de Caisse d’Épargne. Ce bourgeois philanthrope a plusieurs cordes à son arc : tour à tour banquier, député, entrepreneur mais aussi inventeur… On lui doit notamment l’invention du procédé d’extraction du sucre de la betterave. (Photo : Archives Caisse d’Épargne)
Les fondateurs s’inscrivent dans la lignée des philosophes des Lumières qui, « avec l’allongement de la durée de vie lié au recul des grandes menaces pesant traditionnellement sur l’existence (famines, épidémies…) [ils] promeuvent une nouvelle conception du monde où le devenir de l’homme ne réside plus dans la croyance en la providence mais dans la confiance en la prévoyance, poursuit Séverine de Coninck. Les individus sont appelés à conquérir leur bonheur ici-bas et maintenant. »
Elle ajoute : « Cette conquête implique pour celui qui ne subsiste que grâce à son salaire, de se garantir contre les événements de l’existence en conservant une partie du fruit de son travail ; la maladie, le chômage, la vieillesse sont autant d’étapes douloureuses à surmonter en l’absence d’économies. Dans cet ordre d’idées, l’épargne, traditionnellement discréditée dans un pays de confession catholique en tant que pratique avaricieuse […], devient une vertu nécessaire à l’amélioration des conditions individuelles… »
Un outil d’émancipation
Les premiers livrets de dépôts sont ouverts dès le mois de novembre 1818 à Paris, et le modèle des Caisses d’Épargne est copié progressivement dans les villes et les campagnes. « Le livret est dès l’origine accessible à tous, sans distinction d’âge, de sexe ou de fortune, note Frank Olivier. Le livret participe à l’émancipation financière des femmes. Considérée à l’époque comme « incapable majeure » par le code civil, il leur offre la possibilité, dès 1881, de gérer leurs économies de manière autonome. Elles peuvent ouvrir et gérer seule leur livret d’épargne, une révolution quand on sait qu’il faudra attendre 1965 pour qu’elles puissent ouvrir un simple compte bancaire ! »
(Photo : Archives Caisse d’Épargne)
Le livret d’épargne est également promu au sein même de l’école de la IIIe République, comme le précise l’historienne Séverine de Coninck : « Dans un pays anxieux, au lendemain du désastre de Sedan et de la perte de l’Alsace-Lorraine, le livret affirme l’existence d’une vertu ancestrale et éminemment française, l’épargne sur laquelle peut être construite et justifiée l’unité de la nation. »
Le livret A va être considéré comme un véritable outil républicain, par les gouvernements successifs de la IIIe puis de la IVe République qui vont encourager les Français – petits et grands – à en ouvrir un, jusque dans les écoles où les instituteurs sont appelés à venter les mérites de l’épargne. (Photo : Archives Caisse d’Épargne)
« Le livret sert d’instrument d’alphabétisation monétaire et d’acculturation dès le plus jeune âge, à travers notamment d’une institution restée sans équivalent : l’épargne scolaire, poursuit Franck Olivier. Née au Mans en 1834 et généralisée après la Commune au cours des années 1870, elle permet aux instituteurs de récolter, au sein même des établissements, les modestes économies de leurs élèves pour les placer sur leur livret. Cette collecte hebdomadaire était l’occasion d’un exercice éducatif sur les valeurs de l’épargne… » Ces « cours » perdureront jusque dans les années 1960 dans les écoles françaises.
Des fonds tournés vers le social
Dès 1835, la gestion des fonds des livrets d’épargne populaire est confiée à la Caisse des dépôts et consignation, qui garantit la liquidité en toutes circonstances. La Caisse d’Épargne est déclarée organisme d’utilité publique, et les fonds récoltés sont utilisés dès 1897 pour financer le logement social. Cette ressource a permis notamment de construire les HLM dans les années 1950, quand il a fallu loger les classes laborieuses en ville. Encore aujourd’hui, l’argent du livret A sert à construire 100 000 logements sociaux et à en réhabiliter près de 300 000 chaque année.
(Photo : Archives Caisse d’Épargne)
« L’encours du livret sert aussi plus largement à financer les collectivités et leurs projets d’infrastructures, comme l’électrification des campagnes ou l’adduction d’eau, aujourd’hui pour des projets comme le Grand Paris, précise Franck Olivier. Les fonds collectés régionalement sont réinvestis régionalement. »
Épargne de prévoyance, gratuité à l’ouverture, non imposable, et des fonds qui servent à des programmes sociaux… C’est pour toutes ces raisons que les Français sont encore attachés à ce livret, il existe même une véritable « histoire d’amour » selon Séverine de Coninck : « Le livret de Caisse d’Épargne est entré dans le langage courant via un long processus […]. Il est le signifiant d’une épargne sans risque, garantie par l’État. » Un produit financier qui rassure face aux crises économiques, et qui possède encore aujourd’hui, malgré son bicentenaire, un attrait important dans la population.
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