Série Mai 68. 3/Le Plan routier breton octroyé
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Série Mai 68. 3/Le Plan routier breton octroyé
Série Mai 68. 3/Le Plan routier breton octroyé Publié le 13 mai 2018 à 10h00 serge rogers
Le Télégramme http://www.letelegramme.fr/
Le Premier ministre Georges Pompidou a été marqué par la?grève générale organisée le 8 mai dans les départements de Bretagne et des Pays de la Loire, où?plusieurs milliers de personnes ont manifesté sous le slogan «?L’Ouest veut vivre?». Photos DR
Le Plan routier breton, concédé à la fin mai 1968 par le gouvernement au Comité d’études et de liaisons des intérêts bretons (CELIB) pour éviter l’embrasement de la campagne bretonne et la convergence des luttes avec les contestations étudiantes et ouvrières, est bien l’un des fruits - inattendus, des événements de 68.
Le 31 mai 1968, au lendemain de l’allocution du Général de Gaulle à la télévision annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale, Georges Pompidou rentre de l’Élysée avec la liste de son nouveau gouvernement. Ce soir là, « les téléspectateurs français qui vivaient, presque heure par heure, le sort de leur pays, se demandèrent pourquoi, dans ces circonstances, le Premier ministre avait consacré près d’une heure et demi à recevoir une délégation bretonne » écrit dix ans plus tard, dans son ouvrage Mai breton, Georges Pierret, ancien secrétaire général du Comité d’études et de liaisons des intérêts bretons (CELIB) et témoin de cette rencontre. En effet, c’est à Matignon ce soir-là que le gouvernement accepte les revendications des représentants bretons, quelques jours seulement après les accords de Grenelle. Un fait qui paraît étonnant dans cette période troublée de mai 1968, mais qui s’explique aisément dans le contexte de l’époque.
La Bretagne en effervescence
En pleine crise, Georges Pompidou craint en effet une convergence des luttes en cette fin mai 68, alors que la situation est en passe de se régler… Le Premier ministre a été marqué par la grève générale organisée le 8 mai dans les départements de Bretagne et des Pays de la Loire, où plusieurs milliers de personnes ont manifesté sous le slogan « L’Ouest veut vivre ». « Peut-être en raison de ses origines terriennes, sentait-il que rien ne serait totalement perdu si la France rurale ne bougeait pas, note Georges Pierret. Et, probablement, elle ne bougerait pas… À moins que. À moins que le feu ne gagne aussi les campagnes, par le détour de la Bretagne. Depuis le 8 mai, il était clair en effet qu’au moins en Bretagne, les agriculteurs pouvaient se retrouver coude à coude avec les ouvriers et les étudiants - à cause de la situation régionale, à cause d’une immense désillusion. » C’est pourquoi il décide de recevoir la délégation du CELIB ce 31 mai 1968, et de répondre en partie à ses revendications régionalistes.
Désenclaver la région
Dans les années 1960, la Bretagne, encore rurale, vit repliée sur elle-même. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, son problème numéro un, ce sont les moyens de communication, à la fois intra-régionaux et extérieurs. La position de « bout du monde » de la région par rapport au reste de la France et de l’Europe - en pleine construction - nécessite de meilleures liaisons terrestres pour la désenclaver. D’autant plus que la région connaît un manque d’attractivité, forçant la population active à aller chercher du travail ailleurs (plus de 10 000 personnes quittent la Bretagne entre 1954 et 1962). Le CELIB, créé au début des années 1950 par des élus bretons - au premier rang desquels l’ancien ministre René Pleven -, a pour objectif de combler le retard du développement régional afin de permettre aux Bretons de « vivre et travailler au pays ». Il propose au gouvernement un « plan d’aménagement, de modernisation et d’équipement de la Bretagne », qui commence à porter ses fruits lors de la mise en œuvre du programme de décentralisation économique et industrielle en 1961, mais qui sera finalement peu suivi d’effets. Entre 1965 et 1966, les permis de construire d’infrastructures industrielles baisse de plus de 40 %. Du côté de l’agriculture, les problèmes sont également récurrents. On pousse les paysans à se mécaniser et à augmenter leurs productions, mais ces derniers n’arrivent pas à écouler leurs produits assez rapidement, la faute à l’absence d’infrastructures routières. D’autant plus qu’avec la fermeture du réseau ferré secondaire breton, le trafic de marchandises par la route en Bretagne s’est fortement accru.
La peur de la Bretagne
La détresse paysanne se fait entendre à plusieurs reprises dans la décennie 1960, avec quelques accès de fièvre violente, comme lors de la prise de la sous-préfecture de Morlaix, en 1961, ou les affrontements de Quimper, en 1967. Les manifestations du 8 mai 1968 font craindre également des débordements. C'est pourquoi le gouvernement envoie dans la région 52 escadrons de gardes mobiles et 23 compagnies de CRS. Autant de forces de l’ordre qui seront absentes lors de la première nuit des barricades étudiantes au Quartier latin à Paris dans la nuit du 10 mai !
Côté breton, les manifestations se déroulent dans le calme, et aucun débordement n’est à déplorer. Mais elle prouve qu’une convergence des luttes est possible. Si la majorité du monde rural ne supporte pas la contestation étudiante, et est plutôt partisane de « l’ordre », la FNSEA organise « une journée de vigilance » le 24 mai 1968 , à l’approche des négociations sur les prix agricoles à Bruxelles. Et la Bretagne est le fer de lance de la contestation. Par peur d’une contagion du mouvement étudiant au monde agricole, Georges Pompidou accepte de lancer un programme d’amélioration des routes en Bretagne.
Pour en savoir plus
- « Mai breton de Georges Pierret », éditions Euregio,1978.
- « Le réseau automobile breton et ses spécificités »d’André Ollivro publié dans L’automobile, son monde et ses réseaux, ouvrage collectif, éditions PUR, 1997.
en complément
La mise en place de la « révolution routière »
La « révolution routière » permise par le programme d’amélioration des routes s’appuie sur le rapport de Jacques Ferret, commissaire à la rénovation rurale pour la Bretagne au sein de la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale). Ce dernier propose de « réaliser dans des délais rapides les équipements de communication et les investissements intellectuels qui permettront à l’extrême Ouest de vaincre son éloignement, de sortir de son isolement et d’accéder à un développement moderne ».
Au conseil des ministres du 9 octobre 1968, un véritable «Plan routier breton» est envisagé. Il prévoit deux axes à quatre voies, sans péage : Brest-Saint-Brieuc vers la Normandie, et Brest-Nantes par Quimper et Vannes. Ce même plan envisage une « accélération de l’aménagement » des axes Rennes-Châteaulin, Rennes-Nantes et Rennes-Lorient.
Des fonds insuffisants
Une première enveloppe de 800 millions de francs de l’époque est débloquée, et le président de la République, Charles de Gaulle, annonce la mise en chantier lors de sa visite, en février 1969. Mais le rythme du développement annoncé est rapidement revu à la baisse, en raison des financements. L’État a certes débloqué des fonds, mais ils sont loin d’être suffisants !
Craignant que le gouvernement ne tienne pas ses?promesses, les élus bretons insistent pour que les infrastructures à l’ouest de la péninsule bretonne soient réalisées en priorité. C’est ainsi que l’axe Brest-Châteaulin est l’un des premiers tronçons à être construits.
Pour accélérer le développement routier, les collectivités vont rapidement mettre la main à la poche, une première en France. Cette participation va s’accentuer après la décentralisation des années 1980, avec la création des conseils régionaux et la plus grande autonomie financière et décisionnaire des collectivités locales.
La légende urbaine
On justifie souvent la gratuité des voies express bretonnes à une clause présente dans le traité signé par Anne de Bretagne lors du rattachement de la Bretagne à la France en 1532. Mais la réalité est plus prosaïque : devant la détermination des élus bretons lors de l’adoption du plan routier, et inquiet d’une forte contestation - notamment de la part des milieux paysans - le gouvernement décide de ne pas créer d’autoroutes à péage en Bretagne. En 1975, Cofiroute tente de récupérer le tronçon entre la Gravelle et Rennes, mais l’État refuse sous la pression des élus régionaux.
Le Télégramme http://www.letelegramme.fr/
Le Premier ministre Georges Pompidou a été marqué par la?grève générale organisée le 8 mai dans les départements de Bretagne et des Pays de la Loire, où?plusieurs milliers de personnes ont manifesté sous le slogan «?L’Ouest veut vivre?». Photos DR
Le Plan routier breton, concédé à la fin mai 1968 par le gouvernement au Comité d’études et de liaisons des intérêts bretons (CELIB) pour éviter l’embrasement de la campagne bretonne et la convergence des luttes avec les contestations étudiantes et ouvrières, est bien l’un des fruits - inattendus, des événements de 68.
Le 31 mai 1968, au lendemain de l’allocution du Général de Gaulle à la télévision annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale, Georges Pompidou rentre de l’Élysée avec la liste de son nouveau gouvernement. Ce soir là, « les téléspectateurs français qui vivaient, presque heure par heure, le sort de leur pays, se demandèrent pourquoi, dans ces circonstances, le Premier ministre avait consacré près d’une heure et demi à recevoir une délégation bretonne » écrit dix ans plus tard, dans son ouvrage Mai breton, Georges Pierret, ancien secrétaire général du Comité d’études et de liaisons des intérêts bretons (CELIB) et témoin de cette rencontre. En effet, c’est à Matignon ce soir-là que le gouvernement accepte les revendications des représentants bretons, quelques jours seulement après les accords de Grenelle. Un fait qui paraît étonnant dans cette période troublée de mai 1968, mais qui s’explique aisément dans le contexte de l’époque.
La Bretagne en effervescence
En pleine crise, Georges Pompidou craint en effet une convergence des luttes en cette fin mai 68, alors que la situation est en passe de se régler… Le Premier ministre a été marqué par la grève générale organisée le 8 mai dans les départements de Bretagne et des Pays de la Loire, où plusieurs milliers de personnes ont manifesté sous le slogan « L’Ouest veut vivre ». « Peut-être en raison de ses origines terriennes, sentait-il que rien ne serait totalement perdu si la France rurale ne bougeait pas, note Georges Pierret. Et, probablement, elle ne bougerait pas… À moins que. À moins que le feu ne gagne aussi les campagnes, par le détour de la Bretagne. Depuis le 8 mai, il était clair en effet qu’au moins en Bretagne, les agriculteurs pouvaient se retrouver coude à coude avec les ouvriers et les étudiants - à cause de la situation régionale, à cause d’une immense désillusion. » C’est pourquoi il décide de recevoir la délégation du CELIB ce 31 mai 1968, et de répondre en partie à ses revendications régionalistes.
Désenclaver la région
Dans les années 1960, la Bretagne, encore rurale, vit repliée sur elle-même. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, son problème numéro un, ce sont les moyens de communication, à la fois intra-régionaux et extérieurs. La position de « bout du monde » de la région par rapport au reste de la France et de l’Europe - en pleine construction - nécessite de meilleures liaisons terrestres pour la désenclaver. D’autant plus que la région connaît un manque d’attractivité, forçant la population active à aller chercher du travail ailleurs (plus de 10 000 personnes quittent la Bretagne entre 1954 et 1962). Le CELIB, créé au début des années 1950 par des élus bretons - au premier rang desquels l’ancien ministre René Pleven -, a pour objectif de combler le retard du développement régional afin de permettre aux Bretons de « vivre et travailler au pays ». Il propose au gouvernement un « plan d’aménagement, de modernisation et d’équipement de la Bretagne », qui commence à porter ses fruits lors de la mise en œuvre du programme de décentralisation économique et industrielle en 1961, mais qui sera finalement peu suivi d’effets. Entre 1965 et 1966, les permis de construire d’infrastructures industrielles baisse de plus de 40 %. Du côté de l’agriculture, les problèmes sont également récurrents. On pousse les paysans à se mécaniser et à augmenter leurs productions, mais ces derniers n’arrivent pas à écouler leurs produits assez rapidement, la faute à l’absence d’infrastructures routières. D’autant plus qu’avec la fermeture du réseau ferré secondaire breton, le trafic de marchandises par la route en Bretagne s’est fortement accru.
La peur de la Bretagne
La détresse paysanne se fait entendre à plusieurs reprises dans la décennie 1960, avec quelques accès de fièvre violente, comme lors de la prise de la sous-préfecture de Morlaix, en 1961, ou les affrontements de Quimper, en 1967. Les manifestations du 8 mai 1968 font craindre également des débordements. C'est pourquoi le gouvernement envoie dans la région 52 escadrons de gardes mobiles et 23 compagnies de CRS. Autant de forces de l’ordre qui seront absentes lors de la première nuit des barricades étudiantes au Quartier latin à Paris dans la nuit du 10 mai !
Côté breton, les manifestations se déroulent dans le calme, et aucun débordement n’est à déplorer. Mais elle prouve qu’une convergence des luttes est possible. Si la majorité du monde rural ne supporte pas la contestation étudiante, et est plutôt partisane de « l’ordre », la FNSEA organise « une journée de vigilance » le 24 mai 1968 , à l’approche des négociations sur les prix agricoles à Bruxelles. Et la Bretagne est le fer de lance de la contestation. Par peur d’une contagion du mouvement étudiant au monde agricole, Georges Pompidou accepte de lancer un programme d’amélioration des routes en Bretagne.
Pour en savoir plus
- « Mai breton de Georges Pierret », éditions Euregio,1978.
- « Le réseau automobile breton et ses spécificités »d’André Ollivro publié dans L’automobile, son monde et ses réseaux, ouvrage collectif, éditions PUR, 1997.
en complément
La mise en place de la « révolution routière »
La « révolution routière » permise par le programme d’amélioration des routes s’appuie sur le rapport de Jacques Ferret, commissaire à la rénovation rurale pour la Bretagne au sein de la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale). Ce dernier propose de « réaliser dans des délais rapides les équipements de communication et les investissements intellectuels qui permettront à l’extrême Ouest de vaincre son éloignement, de sortir de son isolement et d’accéder à un développement moderne ».
Au conseil des ministres du 9 octobre 1968, un véritable «Plan routier breton» est envisagé. Il prévoit deux axes à quatre voies, sans péage : Brest-Saint-Brieuc vers la Normandie, et Brest-Nantes par Quimper et Vannes. Ce même plan envisage une « accélération de l’aménagement » des axes Rennes-Châteaulin, Rennes-Nantes et Rennes-Lorient.
Des fonds insuffisants
Une première enveloppe de 800 millions de francs de l’époque est débloquée, et le président de la République, Charles de Gaulle, annonce la mise en chantier lors de sa visite, en février 1969. Mais le rythme du développement annoncé est rapidement revu à la baisse, en raison des financements. L’État a certes débloqué des fonds, mais ils sont loin d’être suffisants !
Craignant que le gouvernement ne tienne pas ses?promesses, les élus bretons insistent pour que les infrastructures à l’ouest de la péninsule bretonne soient réalisées en priorité. C’est ainsi que l’axe Brest-Châteaulin est l’un des premiers tronçons à être construits.
Pour accélérer le développement routier, les collectivités vont rapidement mettre la main à la poche, une première en France. Cette participation va s’accentuer après la décentralisation des années 1980, avec la création des conseils régionaux et la plus grande autonomie financière et décisionnaire des collectivités locales.
La légende urbaine
On justifie souvent la gratuité des voies express bretonnes à une clause présente dans le traité signé par Anne de Bretagne lors du rattachement de la Bretagne à la France en 1532. Mais la réalité est plus prosaïque : devant la détermination des élus bretons lors de l’adoption du plan routier, et inquiet d’une forte contestation - notamment de la part des milieux paysans - le gouvernement décide de ne pas créer d’autoroutes à péage en Bretagne. En 1975, Cofiroute tente de récupérer le tronçon entre la Gravelle et Rennes, mais l’État refuse sous la pression des élus régionaux.
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