Que contenaient les cahiers de doléances de la Révolution ?
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Que contenaient les cahiers de doléances de la Révolution ?
Propos recueillis par Hélaine Lefrançois ouest france
À l’aube de la Révolution, des cahiers de doléances ont été rédigés en amont des derniers états généraux. Que contenaient-ils ? Comment étaient-ils rédigés ? Contenaient-ils les signes de la révolte ? Dominique Godineau, historienne, répond à nos questions.
Dans le contexte de protestation sociale des Gilets jaunes, des cahiers de doléances ont été mis en place dans les mairies de plusieurs communes. L’objectif ? Donner la parole aux Français. C’est une vieille tradition française. Apparus au XIVe siècle, les cahiers de doléances les plus connus sont ceux rédigés juste avant la Révolution.
Dominique Godineau, historienne et professeur à l’université de Rennes 2, revient sur ces cahiers de doléances rédigés pendant les derniers états généraux de l’Ancien Régime, juste avant la Révolution, la chute de Louis XVI et la Première République.
Pourquoi des cahiers de doléances ont été rédigés en 1789, à l’aube de la Révolution française ?
Sous l’Ancien Régime, les cahiers de doléances sont adressés aux rois et rédigés, pour la plupart d’entre eux, lors des états généraux. Cette assemblée extraordinaire fournit des conseils au roi, mais il n’est pas obligé de les suivre.
Les états généraux sont réunis lors des périodes de faiblesse du pouvoir, notamment pendant les régences [période transitoire pendant laquelle le pouvoir est exercé par une personne qui remplace un monarque trop jeune ou incapable d’assurer ses fonctions]. En 1789, les états généraux n’ont pas été réunis depuis 1614, ce qui s’explique en partie par le développement de la monarchie absolue.
À ce moment-là, la France traverse une grave crise. Sous la pression des nobles, Louis XVI cède et convoque des états généraux. Il y a un front commun : les nobles sont soutenus par la bourgeoisie dans les pamphlets, par le petit peuple des villes, mais très rapidement, dès que la demande est acceptée par le roi, la fronde éclate, car les revendications sont différentes selon les ordres [tiers état, noblesse, clergé].
Cahier de doléances du tiers état d’un bailliage de Corse. (Photo : Archives nationales / Wikimedia France)
Aujourd’hui, les cahiers de doléances sont mis à disposition des Français dans les mairies. Comment ces cahiers étaient-ils rédigés sous l’Ancien Régime ?
Les cahiers de doléances sont rédigés en amont des états généraux, pendant les élections des représentants de chaque ordre qui seront envoyés à Versailles.
Dans chaque bailliage [circonscription administrative, financière et judiciaire], chaque ordre procède à des élections pour choisir ses représentants.
Pour le tiers état, c’est un suffrage à deux degrés. Dans les communes, la paroisse rurale élit des représentants qui sont envoyés à l’assemblée du bailliage, où les représentants envoyés aux états généraux sont élus. On retrouve un système pyramidal similaire dans les villes, où le tiers état élit ses représentants par corporation, par quartier…
Ces assemblées sont traditionnellement composées des chefs de feu – on dirait aujourd’hui chef de foyer fiscal. Ce sont donc essentiellement des hommes. Mais il peut y avoir quelques cas de veuves ou de filles célibataires si elles sont chefs de feu. Pour la noblesse et le clergé, chaque ordre élit un représentant par bailliage.
La noblesse et le clergé ont eux aussi rédigé des cahiers de doléances, mais ils sont beaucoup moins étudiés par les historiens. On a 60 000 cahiers de doléances de base, rédigés lors des assemblées de villageois. Les cahiers sont ensuite refondus lors des assemblées du bailliage.
Il existe donc deux types de cahiers de doléances. Dans les cahiers de base, on trouve les préoccupations immédiates de la population. C’est, par exemple, des paysans qui demandent au seigneur de pouvoir envoyer leurs vaches paître dans telle prairie.
Les cahiers qui arrivent à Versailles sont fortement édulcorés et ne contiennent que les revendications d’ordre général.
Dessin de 1789 sur le « réveil du tiers état ». (Photo : Bibliothèque nationale de France / Wikimedia Commons)
Justement, quelles revendications reviennent régulièrement dans ces cahiers de doléances ?
Les cahiers de doléances donnent un bon aperçu de l’opinion publique. Pour cette période, on n’a pas de meilleure caisse de résonance de leurs attentes.
Dans les cahiers du tiers état, les revendications d’ordre général concernent l’organisation sociale de la société : ils ne s’expriment pas directement contre la société d’ordre, mais sont contre les privilèges de la noblesse et du clergé, notamment leurs privilèges fiscaux car la noblesse et le clergé sont exemptés d’impôts. Ils sont également opposés aux privilèges civiques, ils veulent que la loi soit la même pour tous.
Ils protestent contre certains impôts jugés injustes, comme les taxes payées aux seigneurs, mais aussi contre les impôts indirects. Il y avait beaucoup de douanes à l’époque. Par exemple, en entrant dans une ville, ils doivent payer une taxe sur les produits de consommation, ce qui augmente leur prix.
Les demandes locales sont très précises, mais vont toutes dans le même sens. Ce sont des paysans qui contestent le pouvoir du seigneur, la féodalité, les taxes qui pèsent sur les paysans. Ils demandent aussi un meilleur accès à l’éducation.
De plus, le tiers état demande que le vote aux états généraux se fasse par tête et non par ordre, comme il y a deux fois plus de représentants du tiers état que de représentants de la noblesse et du clergé.
Demandent-ils la tête du roi ?
Pas du tout ! Tous les cahiers commencent par des phrases emphatiques sur le bon roi. Il n’y a rien contre le roi. Au contraire, on le remercie d’avoir réuni les états généraux, de bien vouloir écouter les doléances de ses sujets. Le roi n’est pas du tout remis en cause, loin de là.
Et que demandent le clergé et la noblesse ?
Les nobles, eux, s’accrochent à leurs privilèges. Ils souhaitent aussi limiter l’absolutisme. Parfois, ils demandent plus de libertés individuelles, comme la liberté de la presse, la liberté d’opinion.
La majorité des représentants du clergé sont des curés de paroisse, donc le bas clergé. Dans leurs cahiers de doléances, ils expriment leur volonté de réformer l’État. À la fin de l’Ancien Régime, la volonté de changement est très forte.
Cahier de doléances du tiers état du bailliage de Nemours pour les États généraux de 1789. (Photo : Archives nationales / Wikimedia France)
Est-il possible de déceler, dans ces cahiers, les prémisses de la Révolution ?
Non. À l’époque, on veut faire les réformes avec le roi. Ce que montrent les états généraux, c’est que les Français attendent un changement et leur espoir est immense. Alors les espoirs sont différents. La bourgeoisie attend la fin d’une société de privilèges qui les place dans un rang inférieur aux nobles. Les paysans attendent de payer moins de taxes au seigneur, de mieux vivre. Les demandes qui paraissent dans les cahiers sont récurrentes pendant la Révolution. Mais personne ne pouvait deviner que la révolte éclaterait en les lisant.
À l’aube de la Révolution, des cahiers de doléances ont été rédigés en amont des derniers états généraux. Que contenaient-ils ? Comment étaient-ils rédigés ? Contenaient-ils les signes de la révolte ? Dominique Godineau, historienne, répond à nos questions.
Dans le contexte de protestation sociale des Gilets jaunes, des cahiers de doléances ont été mis en place dans les mairies de plusieurs communes. L’objectif ? Donner la parole aux Français. C’est une vieille tradition française. Apparus au XIVe siècle, les cahiers de doléances les plus connus sont ceux rédigés juste avant la Révolution.
Dominique Godineau, historienne et professeur à l’université de Rennes 2, revient sur ces cahiers de doléances rédigés pendant les derniers états généraux de l’Ancien Régime, juste avant la Révolution, la chute de Louis XVI et la Première République.
Pourquoi des cahiers de doléances ont été rédigés en 1789, à l’aube de la Révolution française ?
Sous l’Ancien Régime, les cahiers de doléances sont adressés aux rois et rédigés, pour la plupart d’entre eux, lors des états généraux. Cette assemblée extraordinaire fournit des conseils au roi, mais il n’est pas obligé de les suivre.
Les états généraux sont réunis lors des périodes de faiblesse du pouvoir, notamment pendant les régences [période transitoire pendant laquelle le pouvoir est exercé par une personne qui remplace un monarque trop jeune ou incapable d’assurer ses fonctions]. En 1789, les états généraux n’ont pas été réunis depuis 1614, ce qui s’explique en partie par le développement de la monarchie absolue.
À ce moment-là, la France traverse une grave crise. Sous la pression des nobles, Louis XVI cède et convoque des états généraux. Il y a un front commun : les nobles sont soutenus par la bourgeoisie dans les pamphlets, par le petit peuple des villes, mais très rapidement, dès que la demande est acceptée par le roi, la fronde éclate, car les revendications sont différentes selon les ordres [tiers état, noblesse, clergé].
Cahier de doléances du tiers état d’un bailliage de Corse. (Photo : Archives nationales / Wikimedia France)
Aujourd’hui, les cahiers de doléances sont mis à disposition des Français dans les mairies. Comment ces cahiers étaient-ils rédigés sous l’Ancien Régime ?
Les cahiers de doléances sont rédigés en amont des états généraux, pendant les élections des représentants de chaque ordre qui seront envoyés à Versailles.
Dans chaque bailliage [circonscription administrative, financière et judiciaire], chaque ordre procède à des élections pour choisir ses représentants.
Pour le tiers état, c’est un suffrage à deux degrés. Dans les communes, la paroisse rurale élit des représentants qui sont envoyés à l’assemblée du bailliage, où les représentants envoyés aux états généraux sont élus. On retrouve un système pyramidal similaire dans les villes, où le tiers état élit ses représentants par corporation, par quartier…
Ces assemblées sont traditionnellement composées des chefs de feu – on dirait aujourd’hui chef de foyer fiscal. Ce sont donc essentiellement des hommes. Mais il peut y avoir quelques cas de veuves ou de filles célibataires si elles sont chefs de feu. Pour la noblesse et le clergé, chaque ordre élit un représentant par bailliage.
La noblesse et le clergé ont eux aussi rédigé des cahiers de doléances, mais ils sont beaucoup moins étudiés par les historiens. On a 60 000 cahiers de doléances de base, rédigés lors des assemblées de villageois. Les cahiers sont ensuite refondus lors des assemblées du bailliage.
Il existe donc deux types de cahiers de doléances. Dans les cahiers de base, on trouve les préoccupations immédiates de la population. C’est, par exemple, des paysans qui demandent au seigneur de pouvoir envoyer leurs vaches paître dans telle prairie.
Les cahiers qui arrivent à Versailles sont fortement édulcorés et ne contiennent que les revendications d’ordre général.
Dessin de 1789 sur le « réveil du tiers état ». (Photo : Bibliothèque nationale de France / Wikimedia Commons)
Justement, quelles revendications reviennent régulièrement dans ces cahiers de doléances ?
Les cahiers de doléances donnent un bon aperçu de l’opinion publique. Pour cette période, on n’a pas de meilleure caisse de résonance de leurs attentes.
Dans les cahiers du tiers état, les revendications d’ordre général concernent l’organisation sociale de la société : ils ne s’expriment pas directement contre la société d’ordre, mais sont contre les privilèges de la noblesse et du clergé, notamment leurs privilèges fiscaux car la noblesse et le clergé sont exemptés d’impôts. Ils sont également opposés aux privilèges civiques, ils veulent que la loi soit la même pour tous.
Ils protestent contre certains impôts jugés injustes, comme les taxes payées aux seigneurs, mais aussi contre les impôts indirects. Il y avait beaucoup de douanes à l’époque. Par exemple, en entrant dans une ville, ils doivent payer une taxe sur les produits de consommation, ce qui augmente leur prix.
Les demandes locales sont très précises, mais vont toutes dans le même sens. Ce sont des paysans qui contestent le pouvoir du seigneur, la féodalité, les taxes qui pèsent sur les paysans. Ils demandent aussi un meilleur accès à l’éducation.
De plus, le tiers état demande que le vote aux états généraux se fasse par tête et non par ordre, comme il y a deux fois plus de représentants du tiers état que de représentants de la noblesse et du clergé.
Demandent-ils la tête du roi ?
Pas du tout ! Tous les cahiers commencent par des phrases emphatiques sur le bon roi. Il n’y a rien contre le roi. Au contraire, on le remercie d’avoir réuni les états généraux, de bien vouloir écouter les doléances de ses sujets. Le roi n’est pas du tout remis en cause, loin de là.
Et que demandent le clergé et la noblesse ?
Les nobles, eux, s’accrochent à leurs privilèges. Ils souhaitent aussi limiter l’absolutisme. Parfois, ils demandent plus de libertés individuelles, comme la liberté de la presse, la liberté d’opinion.
La majorité des représentants du clergé sont des curés de paroisse, donc le bas clergé. Dans leurs cahiers de doléances, ils expriment leur volonté de réformer l’État. À la fin de l’Ancien Régime, la volonté de changement est très forte.
Cahier de doléances du tiers état du bailliage de Nemours pour les États généraux de 1789. (Photo : Archives nationales / Wikimedia France)
Est-il possible de déceler, dans ces cahiers, les prémisses de la Révolution ?
Non. À l’époque, on veut faire les réformes avec le roi. Ce que montrent les états généraux, c’est que les Français attendent un changement et leur espoir est immense. Alors les espoirs sont différents. La bourgeoisie attend la fin d’une société de privilèges qui les place dans un rang inférieur aux nobles. Les paysans attendent de payer moins de taxes au seigneur, de mieux vivre. Les demandes qui paraissent dans les cahiers sont récurrentes pendant la Révolution. Mais personne ne pouvait deviner que la révolte éclaterait en les lisant.
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