À Auschwitz, avec les derniers témoins français de l’horreur nazie
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À Auschwitz, avec les derniers témoins français de l’horreur nazie
Par Michel MOUTOT (AFP)
« Je ne comprends toujours pas comment nous avons survécu. » Sur les 74 000 juifs déportés de France au camp d’Auschwitz-Birkenau, ils ne sont plus qu’environ 200 encore en vie. Âge moyen : 90 ans. Ils continuent à témoigner, inlassablement. Poignant.
Raphaël Esrail s’arrête sous la sinistre inscription « Arbeit macht frei » au-dessus du portail du camp d’Auschwitz, lève la tête. « Quand je suis passé là, en février 44, je pensais être tué le jour même. » Une fois de plus, à la veille de ses 94 ans, le président de l’Union des déportés d’Auschwitz (UDA) a fait le voyage en Pologne, accompagné de trois autres « passeuses de mémoire », qui ont comme lui, survécu à leur mort programmée. Sur les 74 000 juifs déportés de France vers le complexe de mort allemand d’Auschwitz-Birkenau, 2 500 sont revenus. Ils ne sont plus qu’environ 200 encore en vie, âge moyen 90 ans.
« Nous sommes revenus, mais c’est un accident de l’Histoire, confie ce vieil homme au regard clair, à peine voûté par les ans, le pas hésitant mais la parole ferme. Nous étions voués à disparaître », rappelle-t-il, sans l’armée soviétique, qui a libéré le camp nazi. « C’est pour cela que nous avons le devoir de témoigner, d’apporter à la jeunesse tout ce que nous pouvons lui apporter », ajoute-t-il.
L’entrée principale d’Auschwitz, appelée Porte de l’Enfer, vue depuis l’intérieur du camp. (Photo : Jean-Michel Niester/Ouest-France)
Jeudi, c’est une délégation de cadres de l’Éducation nationale, accompagnée de la secrétaire d’État aux armées Geneviève Darrieussecq, que les quatre anciens déportés accompagnent dans le camp, que 2,2 millions de personnes ont visité l’an dernier.
Les yeux se mouillent à l’écoute de leurs récits. Ceux d’Yvette Levy, qui à 93 ans en est à sa 230 ou 250e visite (« Il y a longtemps que j’ai perdu le compte ») restent secs. « Aujourd’hui, ce sont des adultes, mais le plus souvent nous accompagnons des adolescents, qui ont à peu près l’âge que nous avions quand nous avons débarqué des wagons », dit-elle.
« Dernier voyage »
« J’étais une jeune scout, nous avions la notion de qui nous étions, de toujours servir son prochain. Dans le camp, on essayait d’aider celle qui n’allait pas bien. C’est une promesse qu’on avait faite de ne jamais laisser quelqu’un au bord du chemin. » Tenir une promesse, faite à sa sœur mourante, c’est ce que fait depuis des années, elle aussi, Esther Senot, 91 ans, mise en plis blanche comme neige et regard pétillant. Elle aussi ne compte plus ses séjours.
« Je suis venue d’abord seule, avec mon mari, à partir de 1985, puis j’ai accompagné des groupes, dit-elle. Ma sœur, que j’avais retrouvée dans le camp, m’a fait promettre juste avant de mourir que si je m’en sortais je dirais à tout le monde ce que nous avions vécu. J’ai tenu ma promesse. »
Dans la voiturette électrique qui la conduit d’un lieu à l’autre, des vestiges des chambres à gaz de Birkenau à ce qu’il reste des fours crématoires, dynamités par les nazis pour tenter d’effacer les traces de la machine de mort, elle pose ses mains sur ses genoux. « J’ai bien l’impression que ce sera mon dernier voyage. J’en suis sortie une fois, je pesais 32 kg, j’ai mis trois ans à m’en remettre, mais là ça devient dur. Moralement, ça va, mais physiquement… Je vais sur mes 92 ans, alors maintenant on espère que les jeunes prendront la relève. »
Un wagon, au centre de l’esplanade de « sélection » du camp. Sur le wagon, la guérite qui abritait la sentinelle SS. (Photo : Jean-Michel Niester/Ouest-France)
Ils évoquent la disparition prochaine des derniers témoins de la déportation avec un triste sourire, espèrent que les milliers d’heures d’enregistrements vidéos désormais disponibles sur de multiples plateformes pourront les remplacer, mais savent que bientôt leurs voix s’éteindront pour toujours. « Avec l’UDA, nous nous bagarrons depuis des années pour que ces vidéos soient diffusées à l’entrée des baraques, mais avec les autorités polonaises, ce n’est pas facile, regrette Esther. C’est au point mort. »
À 94 ans, Ginette Kolinka accompagne des scolaires « au moins une fois par mois, d’octobre à mars, depuis plus de vingt ans. Et je reviendrai tant que je pourrai, si on a besoin de moi… »
Elle regarde les membres de la délégation se serrer les uns contre les autres devant les vestiges d’un crématoire, pour tenter de se protéger du vent coupant comme une lame. « Nous n’avions pas de sous-vêtements, un petit pull en coton et une jupe en toile. On avait froid en permanence, on se collait les unes aux autres pour se réchauffer. Je ne comprends toujours pas comment nous avons survécu. »
Voir aussi : « Auschwitz, l’usine à tuer les humains », en diaporama sonore
https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/48513/reader/reader.html?t=1555273210764#!preferred/1/package/48513/pub/70389/page/8
« Je ne comprends toujours pas comment nous avons survécu. » Sur les 74 000 juifs déportés de France au camp d’Auschwitz-Birkenau, ils ne sont plus qu’environ 200 encore en vie. Âge moyen : 90 ans. Ils continuent à témoigner, inlassablement. Poignant.
Raphaël Esrail s’arrête sous la sinistre inscription « Arbeit macht frei » au-dessus du portail du camp d’Auschwitz, lève la tête. « Quand je suis passé là, en février 44, je pensais être tué le jour même. » Une fois de plus, à la veille de ses 94 ans, le président de l’Union des déportés d’Auschwitz (UDA) a fait le voyage en Pologne, accompagné de trois autres « passeuses de mémoire », qui ont comme lui, survécu à leur mort programmée. Sur les 74 000 juifs déportés de France vers le complexe de mort allemand d’Auschwitz-Birkenau, 2 500 sont revenus. Ils ne sont plus qu’environ 200 encore en vie, âge moyen 90 ans.
« Nous sommes revenus, mais c’est un accident de l’Histoire, confie ce vieil homme au regard clair, à peine voûté par les ans, le pas hésitant mais la parole ferme. Nous étions voués à disparaître », rappelle-t-il, sans l’armée soviétique, qui a libéré le camp nazi. « C’est pour cela que nous avons le devoir de témoigner, d’apporter à la jeunesse tout ce que nous pouvons lui apporter », ajoute-t-il.
L’entrée principale d’Auschwitz, appelée Porte de l’Enfer, vue depuis l’intérieur du camp. (Photo : Jean-Michel Niester/Ouest-France)
Jeudi, c’est une délégation de cadres de l’Éducation nationale, accompagnée de la secrétaire d’État aux armées Geneviève Darrieussecq, que les quatre anciens déportés accompagnent dans le camp, que 2,2 millions de personnes ont visité l’an dernier.
Les yeux se mouillent à l’écoute de leurs récits. Ceux d’Yvette Levy, qui à 93 ans en est à sa 230 ou 250e visite (« Il y a longtemps que j’ai perdu le compte ») restent secs. « Aujourd’hui, ce sont des adultes, mais le plus souvent nous accompagnons des adolescents, qui ont à peu près l’âge que nous avions quand nous avons débarqué des wagons », dit-elle.
« Dernier voyage »
« J’étais une jeune scout, nous avions la notion de qui nous étions, de toujours servir son prochain. Dans le camp, on essayait d’aider celle qui n’allait pas bien. C’est une promesse qu’on avait faite de ne jamais laisser quelqu’un au bord du chemin. » Tenir une promesse, faite à sa sœur mourante, c’est ce que fait depuis des années, elle aussi, Esther Senot, 91 ans, mise en plis blanche comme neige et regard pétillant. Elle aussi ne compte plus ses séjours.
« Je suis venue d’abord seule, avec mon mari, à partir de 1985, puis j’ai accompagné des groupes, dit-elle. Ma sœur, que j’avais retrouvée dans le camp, m’a fait promettre juste avant de mourir que si je m’en sortais je dirais à tout le monde ce que nous avions vécu. J’ai tenu ma promesse. »
Dans la voiturette électrique qui la conduit d’un lieu à l’autre, des vestiges des chambres à gaz de Birkenau à ce qu’il reste des fours crématoires, dynamités par les nazis pour tenter d’effacer les traces de la machine de mort, elle pose ses mains sur ses genoux. « J’ai bien l’impression que ce sera mon dernier voyage. J’en suis sortie une fois, je pesais 32 kg, j’ai mis trois ans à m’en remettre, mais là ça devient dur. Moralement, ça va, mais physiquement… Je vais sur mes 92 ans, alors maintenant on espère que les jeunes prendront la relève. »
Un wagon, au centre de l’esplanade de « sélection » du camp. Sur le wagon, la guérite qui abritait la sentinelle SS. (Photo : Jean-Michel Niester/Ouest-France)
Ils évoquent la disparition prochaine des derniers témoins de la déportation avec un triste sourire, espèrent que les milliers d’heures d’enregistrements vidéos désormais disponibles sur de multiples plateformes pourront les remplacer, mais savent que bientôt leurs voix s’éteindront pour toujours. « Avec l’UDA, nous nous bagarrons depuis des années pour que ces vidéos soient diffusées à l’entrée des baraques, mais avec les autorités polonaises, ce n’est pas facile, regrette Esther. C’est au point mort. »
À 94 ans, Ginette Kolinka accompagne des scolaires « au moins une fois par mois, d’octobre à mars, depuis plus de vingt ans. Et je reviendrai tant que je pourrai, si on a besoin de moi… »
Elle regarde les membres de la délégation se serrer les uns contre les autres devant les vestiges d’un crématoire, pour tenter de se protéger du vent coupant comme une lame. « Nous n’avions pas de sous-vêtements, un petit pull en coton et une jupe en toile. On avait froid en permanence, on se collait les unes aux autres pour se réchauffer. Je ne comprends toujours pas comment nous avons survécu. »
Voir aussi : « Auschwitz, l’usine à tuer les humains », en diaporama sonore
https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/48513/reader/reader.html?t=1555273210764#!preferred/1/package/48513/pub/70389/page/8
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