LA SANDALETTE DE PLOUHA
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La poésie des champs, selon Lamartine

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Message par Admin Mer 18 Sep - 22:29

La poésie des champs, selon Lamartine Sans2697

Cette page, un peu longue , est extraite d’un texte peu connu, où le poète met en parallèle l’Odyssée d’Homère et le contexte rural dans lequel s’est déroulée son enfance. Nul ne peut mieux comprendre cette épopée antique que celui qui a grandi « loin de l’ombre morbide des villes », affirme-t-il. Chaque année, le jeune Lamartine quittait, avec ses parents, ses frères et sœurs, la maison familiale du Mâconnais et allait passer l’été dans le domaine d’un de ses oncles, près de Dijon. « C’est là », dit-il, « que nous avons tous pris le goût passionné et l’habitude de la vie des champs. » Voué à une profession sacerdotale, cet oncle n’avait pas de famille et le séjour de ces six neveux en bas âge apportait à la demeure animation et gaîté.

« Quand le soir tombait, toute cette tribu rentrait en chantant dans les cours ; on allait se laver les mains et le visage aux fontaines ; on rentrait dans la cuisine pour prendre en commun le repas du soir.
La cuisine n’était pas moins homérique que l’étable, que le labour, que la fenaison, que la moisson ou que le battage des gerbes sur l’aire. La table était gouvernée par le vieux Joseph, semblable à Patrocle dépeçant les viandes d’Achille. Il était assisté par cinq ou six servantes, Briséis ou Euryclées (1) de ce ministre en chef des festins.

D’immenses chaudières suspendues aux chaînes d’airain des crémaillères fumaient en bouillonnant sur la flamme, sans cesse nourrie de bois vert, du foyer. On puisait dans ces chaudières avec de larges cuillers de cuivre, luisantes comme de l’or, les portions de légumes ou de lard qu’on servait aux ouvriers de la ferme sur des plats d’étain qui couvraient la table.

Cette table sans nappe, de noyer poli, entourée de bancs, s’étendait d’un mur à l’autre sous la voûte immense et enfumée de la cuisine. La flamme du foyer et quelques lampes grecques à bec de grue l’éclairaient de lueurs fantastiques.
Les chefs d’attelage s’asseyaient au bout le plus honorable, parce qu’il était le plus rapproché du grand fauteuil de bois où le cuisinier Joseph, pareil à un roi, présidait au festin, assis lui-même sous le vaste manteau de pierre de la cheminée ; puis les bouviers, puis les simples journaliers, puis les bergers, presque tous enfants en bas âge, à l’exception du berger en chef des moutons, vieillard respecté, pensif, jaseur et philosophe, qui s’asseyait en tête des bouviers par le droit de ses années et de sa profonde sagesse.

Quant aux femmes et aux filles, selon la coutume des siècles d’Homère et de notre pays, elles n’avaient point de place à table à côté des hommes ; elles mangeaient debout derrière les bergers, les unes adossées aux piliers de la voûte, les autres groupées et accroupies sur le seuil des fenêtres, et quand elles voulaient boire elles allaient une à une puiser l’eau fraîche dans un seau suspendu derrière la porte. Une poche de cuivre étamé, au long manche de fer, leur servait de coupe ou de verre ; elles y trempaient leurs lèvres comme des agneaux dans le courant limpide du lavoir.

Ce repas s’accomplissait en silence, interrompu seulement de temps en temps par quelques remarques profondes, fines ou malicieuses du vieux berger, aussi sage que Nestor, ou par quelques rires contenus des jeunes filles rougissantes, qui se retournaient contre le mur pour cacher leur visage ou qui s’enfuyaient en folâtrant dans les cours pour rire en liberté.
Le repas terminé, notre mère, qui ne négligeait aucune occasion d’élever à Dieu l’âme de ceux dont elle était chargée, paraissait, suivie de ses filles et un livre à la main, à la porte de la cuisine.

Aussitôt, le bruit des services, les conversations, les rires se taisaient ; sa physionomie noble, gracieuse et grave, même dans le sourire, apaisait tout ce bruit du jour comme l’huile répandue apaise le léger tumulte des petits flots bouillonnants dans la vasque d’une fontaine. Les hommes se levaient, les fronts se découvraient, les enfants et les jeunes filles se rapprochaient. Elle faisait une courte lecture de piété appropriée à l’intelligence et à la condition de cette famille : c’était le plus souvent un petit épisode tout rural et tout pastoral de la Bible, suivi d’un petit commentaire qui faisait sentir à ces pauvres gens la similitude de leur vie à la vie des patriarches aimés de Dieu, puis une courte prière pour bénir le jour et le lendemain. Ainsi rien ne manquait à cette existence de la famille agricole, pas même l’élévation de la pensée au-dessus de cette terre, pas même ce sursum corda qui manque à toute chose quand on ne la relie pas avec l’infini, l’horizon de l’âme. »

Alphonse de Lamartine

(1) Vieille servante de Télémaque, dans la maison de Pénélope, à Ithaque.

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