Kersten, manipulateur du diable
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Kersten, manipulateur du diable
Médecin de Himmler, Kersten a profité de sa position pour sauver des vies lors de la Seconde Guerre mondiale.
On ne rendra totalement justice à cet ouvrage que lorsque son tome II (Au nom de l'humanité) aura été publié. Nous sommes encore ici au coeur du Pacte avec le mal, titre du tome I.
Le scénario de Pat Perna se nourrit d'un paradoxe : le « médecin [de] Himmler », ce troublant Félix Kersten, a sauvé des milliers de vies humaines. L'histoire racontée ici débute en Suède, en juin 1945. Réfugié et en attente de naturalisation, Kersten se heurte à un refus : il n'est pas l'ami des juifs et de l'humanité ; il n'est que l'ancien masseur du Reichsführer. Le lecteur remonte alors les années jusqu'en mars 1939, quand Kersten rencontre Himmler, qui souffre de violents maux d'estomac.
Né au sein de la communauté allemande de l'Empire russe, résident néerlandais et soigneur de la famille d'Orange, Kersten a reçu dans les années 1920 à Berlin l'enseignement complémentaire d'un Chinois du Tibet, qui a l'air droit sorti des aventures de Fu Manchu, le docteur Kô. Grâce à ses connaissances, Kersten apaise les douleurs de Himmler et, dans un équivoque jeu du chat et de la souris - mais qui est le chat ? -, prend l'ascendant sur le chef de la SS et de la Gestapo. L'important est dans l'usage que Kersten fait de cet ascendant, par convictions humanistes, pour sauver des individus, puis des groupes, voire une population entière. Un social-démocrate, des suspects divers et variés, des milliers de juifs et, en 1941, des millions de Néerlandais - sur ce dernier point, l'affaire est plus douteuse. Dans les ultimes semaines du Reich, quand Himmler lui-même lâche son Führer, Kersten joue un rôle capital dans les derniers marchandages, et leur lot de vies suspendues à un fil. Après guerre plusieurs témoignages confirment une bonne partie de sa version.
D'abord mise sous le boisseau - tout comme celles de Schindler ou d'Albert Göring -, cette histoire, haute en suspense et pleine d'ambiguïtés, a, depuis un demi-siècle, nourri plusieurs livres et un documentaire de télévision, sans que le personnage, sans doute trop peu flamboyant, suscite un grand intérêt.
La première qualité de la bande dessinée tient évidemment à sa crédibilité, tant ce qu'elle nous raconte paraît incroyable. Et la seconde tient à la rigueur d'un scénario et, plus encore, de dialogues qui fonctionnent comme un engrenage aux effets imprévisibles puisque, jusqu'au bout, on hésite à dire qui trompe qui, qui sauve qui. Le traitement graphique de Fabien Bedouel (Un long destin de sang), un peu raide, pose bien l'ambiance sinistre de cette époque, dans une atmosphère ocreuse fournie par la coloriste Florence Fantini.
Chemin faisant, la logique intellectuelle des nazis est reconstituée avec justesse - comme quand Himmler rappelle qu'« il y a trois catégories d'êtres vivants : les hommes, les bêtes et les juifs ». La force de l'intrigue réside dans le croisement de deux enjeux : la survie proprement dite de Kersten, soupçonné d'être un espion au service des Alliés, et celle de ces victimes désignées qui échappent, au gré de diverses circonstances, au destin funeste promis à tant d'autres. Une minorité, sans doute, mais qui suffit, en vertu de la fable de Sodome et Gomorrhe, à faire de ce manipulateur - dans tous les sens du mot - « le dernier des Justes ».
P. Perna, F. Bedouel, Kersten, médecin d'Himmler. T. I, Pacte avec le mal, Glénat, collection « Grafica », 2015.
Mots clés :
Seconde Guerre mondiale
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