LA TOUR D'ABANDON
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LA TOUR D'ABANDON
Ces boîtes où on déposait les bébés au XIXème siècle : les tours d’abandon
Quand on parle d’abandon d’enfants, tout le monde a en tête les histoires tragiques racontées dans les grandes œuvres littéraires du XIXème siècle. Pourtant, à cette époque un procédé glaçant et qui lui, est bien réel, symbolise toute l’ampleur et le drame de ce phénomène : les tours d’abandons, ces cylindres pivotants sur eux-mêmes à l’entrée des hospices et qui permettaient de délaisser un nourrisson en tout anonymat. Retour aujourd’hui sur une pratique qui fit scandale et illustre le sort peu enviable de ces enfants abandonnés à la naissance et promis alors à une vie des plus difficiles.
Une multiplication des abandons à partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle
La fin du XVIIIème siècle et le début XIXème siècle sont marqués par une multiplication des abandons d’enfants à la naissance. Plusieurs raisons l’expliquent : tout d’abord, la détérioration de la situation économique, puisqu’on observe que l’augmentation des abandons durant la seconde moitié du XVIIIème siècle coïncide avec la hausse de la mercuriale du prix du blé, ce procédé étant alors le seul moyen de limiter la taille des familles à une époque où la contraception n’existait pas et l’avortement n’était pas toléré. Un deuxième facteur de multiplication des abandons est l’essor du libertinage à cette époque, qui explique que davantage d’enfants naissent hors mariage, à l’instar de Jean le Rond d’Alembert, né en 1717 d’une liaison illégitime de la baronne de Tencin et abandonné peu après sa naissance.
Enfin, le développement d’une classe bourgeoise fait que la domesticité augmente, et avec elle les amours ancillaires entre maître et servante, durant une période historique où les mariages arrangés étaient encore monnaie courante. Les servantes ne pouvant courir le risque de prendre un enfant à charge et de se faire renvoyer, la plupart d’entre elles étaient contraintes soit à un avortement clandestin et dangereux, soit à l’abandon de l’enfant. Au total, on estime à 3 millions le nombre d’enfants abandonnés en France aux XVIIIème et XIXème siècle, un chiffre considérable pour un pays dont la population était de 27 millions d’habitants en 1800.
etre un enfant abandonné au début du XIXème siècle : un sort peu enviable
Sous l’Ancien Régime, on distingue officiellement deux modes d’abandons : l’abandon de l’enfant à un établissement hospitalier, par ses parents ou par la sage-femme, et l’exposition de celui-ci dans un lieu public, le plus souvent sur le porche des églises, mais aussi parfois dans des lieux isolés ou en pleine voie publique, ce qui condamnait souvent le nourrisson à une mort certaine. Quel que soit le mode d’abandon, ce sont dès le XVIIIème siècle les hospices, ancêtres de nos hôpitaux modernes, qui prenaient en charge ces nouveaux-nés, le plus souvent pour les rapatrier vers l’Hôpital des Enfants trouvés de Paris, également appelé maison de la Couche et fondé en 1638 par Vincent-de-Paul. Néanmoins, ces trajets étaient déjà considérés comme un fléau en ce XVIIIème siècle, car la grande majorité des nourrissons, brinquebalés pendant des jours dans des charrettes avec pour seule nourriture un chiffon imbibé de lait dans la bouche, n’en survivaient pas.
Cette pratique sera formellement interdite par un arrêt du Conseil royal en 1779, même si elle continua tout de même à être observée par la suite dans de moindres mesures. Pour les bébés survivants ou les nourrissons qui n’avaient pas à subir cet atroce trajet, un autre trajet les attendait dans les jours suivant leur admission à l’hospice, celui vers la maison de la nourrice, le plus souvent une femme aux revenus modestes vivant dans la campagne, qui l’élevait jusqu’à ses sept ans, ou jusqu’à ses treize ans selon les cas, dans des conditions souvent dictées par la pauvreté économique et auxquelles une autre partie de ces enfants ne survivaient pas. Ainsi, au début du XIXème siècle, environ 90% des enfants abandonnés dans les hospices y décèdent; à titre de comparaison, le taux de mortalité infantile était de 20% pour la population, illustrant bien les inégalités criantes entre les enfants abandonnés et ceux qui étaient élevés par leurs parents.
Enfin, passé leur treizième année, les enfants abandonnés étaient envoyés chez des cultivateurs locaux, demeuraient travailler à l’hospice comme domestiques, ou bien parfois étaient même envoyés dans les colonies pour les peupler. Le symbole matériel de la marginalité sociale de ces enfants est le collier qu’ils doivent porter avec eux jusqu’à leur treize ans, et qui est décrit en 1888 par Emile Zola dans son roman Le Rêve comme un objet de détestation pour la jeune orpheline Angélique.
La prise en charge des enfants abandonnés par l’État à partir de la Révolution
Afin d’éviter que ces enfants sans famille ne deviennent le terreau de la délinquance future, à partir de la Révolution française, l’État décida d’intervenir dans la prise en charge des petits abandonnés. La loi du 4 juillet 1793 en fait des « orphelins de la patrie » et instaure sur eux une tutelle administrative du préfet, tandis que sous le Directoire, la tutelle passe au maire de la commune de l’hospice, président de son conseil d’administration. Mais c’est sous Napoléon Ier que la prise en charge des enfants abandonnés est véritablement révolutionnée.
En effet, l’Empereur a instauré une législation familiale pour le moins sévère : d’une part le Code civil de 1804 interdit toute recherche de paternité, ce qui fait peser la charge des enfants illégitimes uniquement sur les femmes, et d’autre part, en 1810, l’avortement est considéré comme un délit criminel passible d’une peine de prison. Ainsi, la prise en charge des abandons d’enfants sous le Ier Empire apparaît d’autant plus nécessaires que ces deux mesures ont pour conséquence une multiplication de ces-derniers, notamment pour celles qu’on appelle alors les filles-mères, condamnées à une vie de mépris social et qui ne peuvent ni avorter, ni exiger une reconnaissance paternelle de leur enfant.
Napoléon Ier instaure donc différentes mesures qui renforcent l’action du gouvernement dans la prise en charge de ces enfants : il créé au sein de chaque préfecture un service des enfants abandonnés et trouvés, et créé le statut de « pupille de l’État » pour les enfants trouvés, dont la tutelle est de nouveau confiée aux hospices, mais avec des financements départementaux et municipaux jusqu’à leur douze ans.
Albert Anker (1831-1910), La nurserie, 1890, huile sur toile, musée des Beaux-Arts de Winterthour.
Une mesure radicale : les tours d’abandon
Cependant, la mesure la plus emblématique de la politique impériale en matière d’enfants abandonnés est bien différente : il s’agit de l’obligation pour chaque hospice dépositaire de se munir d’un tour, un cône cylindrique pivotant qui donne à la fois côté rue et côté hospice et qui permet de déposer l’enfant de manière anonyme, avant de sonner une clochette pour avertir la sœur-tourière et de s’enfuir dans l’anonymat le plus complet. De tels tours ne sont pas une nouveauté : ils existent en réalité depuis la Renaissance en Italie, certains, comme l’historien Léon Lallemand, les font même remonter au XIIIème siècle, rapportant que le pape Innocent III, las de voir tous les cadavres de nouveaux-nés que l’on repêchait dans le Tibre, en aurait fait créer un à Rome en 1204. En France, ils existent aussi déjà dans plusieurs villes à la fin du XVIIIème siècle, même si l’origine du premier tour dans notre pays est incertaine : il se pourrait qu’il ait été créé par Vincent de Paul à Paris lorsqu’il fonda l’hôpital des enfants trouvés en 1638, devenu par la suite Maison des Couches, ou bien il pourrait s’agir du tour de l’hospice de Bordeaux créé en 1717.
Re: LA TOUR D'ABANDON
Néanmoins, c’est véritablement le décret de 1811 qui va généraliser l’utilisation du tour d’abandon en France, motivée par plusieurs considérations sociales et morales. Tout d’abord, l’infanticide étant alors perçu comme un crime à la fois aux yeux de l’Eglise et aux yeux du pays, dans un contexte d’angoisse démographique, le tour d’abandon est perçu comme une solution pour les filles-mères d’éviter le déshonneur en leur permettant de confier leurs enfants à l’Etat en tout anonymat.
En outre, à une époque où le patriotisme prend de plus en plus d’importance, l’idée est de donner une seconde chance à ces enfants en les coupant de tout lien avec leur passé et leur filiation. Enfin, on pense que cette pratique permettra, de par le caractère radical de la séparation qu’elle induit, d’éviter les abus de la part des parents qui font élever leurs enfants aux frais de l’Etat ou de la part des femmes qui abandonnent leur enfant à l’hospice puis se présentent comme nourrices afin de percevoir une gratification financière.
C’est d’ailleurs pour cette même raison que le lieu où l’enfant est envoyé en nourrice est tenu secret et doit être situé à au moins 15 kilomètres de la ville où il a été recueilli. Les tours d’abandons connaissent rapidement une propagation rapide en France, et à leur apogée, ils sont 251 dans tout le pays. Une circulaire de 1812 prévoit même de donner aux enfants recueillis dans les tours des noms évoquant le lieu, la région ou l’heure à laquelle ils ont été trouvés.
Tableau du XIXème siècle représentant un bébé abandonné. Artiste inconnu.
La disparition progressives des tours d’abandon à partir des années 1840
Mais ce succès ne durera pas longtemps : à partir des années 1830, la présence de ces tours dans les hospices français suscite de vives polémiques. Ses défenseurs se réclament surtout des principes de la charité chrétienne, à l’instar d’Alphonse de Lamartine, qui les présente comme « une ingénieuse invention du christianisme […] qui a des mains pour recevoir, n’a pas d’yeux pour voir, point de bouche pour révéler« .
Ses détracteurs critiquent quant à eux l’augmentation du nombre d’abandons concomitantte à la mise en place de ces tours : ainsi, le pays passe de 67 966 enfants abandonnés en 1814 à 99 346 enfants abandonnés en 1818. Ils critiquent également l’absence d’autorité liées à ces tours, qui peut selon eux donner lieu à toutes sortes de dérives et d’abus. Très vite, c’est le camp des partisans de la disparition des tours qui l’emporte, puisqu’une circulaire de 1838 institue leur diminution progressive, et que certaines villes, comme Paris, décident de placer un agent de police à côté du tour, auxquelles les mères devaient expliquer les raisons de cet abandon, afin de dissuader celles qui seraient tentées de délaisser leur enfant un peu trop facilement.
Un tournant dans la politique vis-à-vis des enfants trouvés est amorcé sous la IIème République, lorsqu’en 1849, est créée officiellement l’Assistance publique, service déconcentré de l’État qui coordonne au sein de chaque département les politiques sociales et médicales, et notamment l’action des hospices dépositaires.
Cette ingérence de l’État dans la gestion des hospices est accentuée sous le Second Empire, avec l’obligation à partir de 1869 de constituer un dossier individuel pour chaque pupille de l’État. Finalement, c’est en 1904, sous la Troisième République, que la tutelle des enfants abandonnées sera définitivement retirée aux conseils d’administration des hospices et confiée à l’État. C’est également à cette date que la suppression des tours d’abandon est officiellement actée, remplacés désormais par des bureaux d’abandon ouverts jour et nuit dans les commissariats, dans lesquels la mère, la sage-femme ou tout autre proche est tenu de venir déclarer le délaissement de l’enfant; néanmoins, la mère ou l’accompagnateur de l’enfant n’est pas obligé de déclarer son identité, et le secret filial demeure ainsi préservé si les déposants le désirent.
Édouard Gelhay (1856-1939), Aux enfants assistés, L’abandon, 1886, huile sur toile, musée d’Art et d’Archéologie de Senlis.
Re: LA TOUR D'ABANDON
Le tour d’abandon de l’hospice général de Rouen, ouvert en 1813 et fermé en 1862. Licence Creative CommonsCC BY-SA 3.0. Crédits photographiques : Velvet.
Sources :
Lallemand Léon, Histoire des enfants abandonnés et délaissés, Paris, A. Picard, Guillaumin, 1885.
Quelles archives pour l’histoire des enfants abandonnés? Atelier du samedi 12 octobre 2013 Archives départementales d’Indre-et-Loire : http://archives.cg37.fr/UploadFile/GED/X/1395676064.pdf
http://compediart.com/index.php/2019/04/01/ces-boites-ou-on-deposait-les-bebes-au-xixeme-siecle-les-tours-dabandon/
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