À la recherche du docteur Livingstone au cœur de l’Afrique
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À la recherche du docteur Livingstone au cœur de l’Afrique
Le 10 novembre 1871, le reporter américain Henry Stanley retrouve le docteur Livingstone, un explorateur britannique dont on est sans nouvelles depuis près de cinq ans. Cette rencontre improbable se déroule dans un village au bord du lac Tanganyika, en plein cœur du continent africain…
« Docteur Livingstone, je présume ? » C’est la phrase qu’aurait prononcée le journaliste américain Henry Stanley, en tombant sur le docteur David Livingstone, à Ujiji, cité africaine située sur la rive orientale du lac Tanganyika (entre la Tanzanie et la République démocratique du Congo) en plein cœur du centre de l’Afrique. Vérité historique ou le fruit de l’imagination du reporter yankee ? Quoi qu’il en soit, ces quelques mots sont passés à la postérité. Il faut dire qu’à l’époque, Livingstone, malgré son apparence de vieillard émacié habillé de vêtements délavés, est un héros en Grande-Bretagne et le récit de ses aventures est relayé par la presse européenne.
Un personnage atypique
Contrairement aux explorateurs de son époque, David Livingstone a un profil atypique. Cet Écossais, âgé de près de 60 ans, est né dans une famille pauvre à Blantyre, une petite ville de la banlieue sud de Glasgow, où son père est vendeur de thé ambulant. Comme nombre d’enfants de condition modeste, Livingstone est embauché dès l’âge de 10 ans dans l’une des usines de filature de la région, où il travaille 14 heures par jour dans la chaleur des métiers mécaniques à vapeur, et avec le risque de se faire happer par une machine.
Le soir, il trouve malgré tout le courage de suivre les deux heures de cours dispensés à l’école communale, où il apprend à lire et à écrire. Des efforts qui payent, puisqu’à 23 ans, il entre à l’université pour étudier la médecine. Un moyen pour lui d’échapper à cette vie.
Calviniste pratiquant comme son père, David Livingstone devient également pasteur, et compte bien sur son diplôme de médecin pour intégrer les missions évangélisatrices à l’étranger. Il espère d’abord être envoyé dans le Sichuan en Chine, ce sera finalement l’Afrique, un continent alors autant méconnu que fascinant. Le jeune homme, âgé de 28 ans, débarque au Cap, en Afrique du Sud, en décembre 1840, avant de rejoindre la mission du pasteur Joseph Moffat à Kuruman (sud-est du désert de Kalahari), aux confins des territoires connus par les Européens.
Portrait de David Livingstone. (Photo : Thomas Annan / Flickr Commons)
David Livingstone est plus attiré par l’exploration que par son travail d’évangélisation. Bien que viscéralement opposé à l’esclavage (comme la majorité des missionnaires protestants de cette époque), Livingstone arrive en Afrique avec ses préjugés et sûr de sa supériorité d’Occidental. Pour lui, le seul moyen d’éviter l’esclavage sur le continent est de le christianiser, d’y apporter la civilisation et d’exploiter les richesses dont il regorge. C’est à cela qu’il s’emploie les premières années.
Piètre prêcheur (on ne lui reconnaîtra qu’un seul converti tout au long de sa carrière !), il ne se satisfait pas de cette vie sédentaire et se prend au jeu de l’exploration. Il accepte alors avec joie la possibilité qu’on lui donne de s’enfoncer toujours plus au cœur de ce territoire inconnu et inhospitalier pour créer de nouvelles missions. Soucieux de comprendre les autochtones qu’il rencontre, il apprend leur langue et s’imprègne de leur culture.
La découverte des chutes Victoria
Entre 1853 et 1856, Livingstone entreprend son premier grand voyage, la traversée intégrale du continent d’est en ouest, cartographiant les régions qu’il arpente et notant des observations scientifiques tout au long de sa route. C’est lors de ce voyage que David Livingstone a le loisir d’observer les spectaculaires chutes d’eau de Mosi-oa-tunya, le long du fleuve Zambèze (entre la Zambie et le Zimbabwe), qu’il baptise du nom de Victoria, en hommage à la souveraine britannique. L’explorateur relie Luanda, sur la côte Atlantique, à Quelimane, au bord de l’océan Indien, et devient ainsi le premier Occidental à réussir ce périple.
C’est auréolé de ses découvertes qu’il rentre en Angleterre et est accueilli en héros. La Reine le reçoit, il publie le récit de ses aventures, enchaîne les conférences et connaît ainsi la célébrité, dans son pays mais aussi en Europe.
Son exploit est en effet relayé dans la presse, comme le prouve cet extrait du journal La Gironde de 1859 : « Nous ne pouvons résister au désir de jeter un coup d’œil sur les routes que Livingstone a tracées dans les pays les plus inconnus, à travers des obstacles invincibles pour tout autre, mais qui n’ont pu arrêter son courage […]. Il nous serait impossible de raconter les péripéties d’un si long séjour au milieu de populations sauvages qui n’avaient jamais vu un homme de race blanche, ni de donner une idée des grandioses horizons qu’à chaque pas le docteur nous découvre. »
David Livingstone est le premier Européen à admirer les chutes de Mosi-oa-tunya, le long du fleuve Zambèze (entre la Zambie et le Zimbabwe). Il les baptise du nom de Victoria, en hommage à la reine britannique. (Photo : Diego Delso / Wikicommons)
Envoyé spécial par le gouvernement de Sa Majesté
Les mondanités ne plaisent pourtant pas à David Livingstone, qui repart en Afrique dès 1858. Plus en tant que missionnaire – la London Missionary Society ne voulant plus payer pour ses expéditions – mais bel et bien en tant qu’explorateur. Accompagné d’un géologue, d’un botaniste, d’un physicien et d’un dessinateur, mais aussi de son épouse et de son frère. Leur mission ? Descendre le fleuve Zambèze en bateau, afin de trouver une voie navigable depuis le cœur de l’Afrique. Quant aux financements, ils viennent du gouvernement britannique qui espère bien tirer des bénéfices de l’ouverture de nouvelles voies commerciales.
Mais la coûteuse expédition n’a pas le succès escompté, plusieurs de ses membres meurent au cours de cette dernière, dont Mary, la femme de Livingstone. Et si l’Écossais arrive bien à atteindre l’embouchure du fleuve en 1964, une série de rapides rendent une partie du Zambèze impraticable à la navigation. De retour en Grande-Bretagne, l’homme ne peut se résoudre à cet échec, et décide de retourner une nouvelle fois en Afrique, en 1866.
Cette fois-ci, il se lance à la recherche des sources du Nil, les légendaires fontaines décrites par Hérodote, lieu où l’historien et géographe de l’Antiquité grecque localise aussi la fontaine de Jouvence. Avec une équipe restreinte de porteurs et peu d’équipement, Livingstone s’enfonce péniblement au cœur du continent. Au cours de ce voyage difficile, il reconnaît le sud du lac Tanganyika, les lacs Mweru et Bangweulu (dans la Zambie actuelle) et arrive enfin à Ujiji d’où il rayonne à la recherche des sources du Nil et du Congo. Mais les mois passent, et les nouvelles de l’explorateur se font de plus en plus rares. Au point que les rumeurs sur sa mort arrivent en Europe à plusieurs reprises, et que les journaux publient sa nécrologie !
Re: À la recherche du docteur Livingstone au cœur de l’Afrique
La carte des voyages de Livingstone en Afrique australe. (Illustration : Projet Gutenberg / Wikicommons)
La rencontre avec Stanley
En octobre 1869 – plus d’un an après la dernière lettre écrite par Livingstone – James Gordon Bennett Jr, rédacteur en chef du New York Herald, de passage à Paris, convoque l’un de ses correspondants, Henry Stanley. Le patron demande à son journaliste âgé de 28 ans, qui a fait ses armes en tant que reporter lors de la guerre de Sécession américaine, de partir à la recherche du fameux docteur. Pour cette mission de sauvetage, le journal offre un budget quasiment sans limites à Stanley, mais lui demande de profiter de cette épopée pour réaliser différents reportages.
Le jeune Américain assiste donc à l’inauguration du canal de Suez en Égypte, passe par Jérusalem et Istanbul sur des chantiers de fouilles archéologiques, se rend sur les champs de bataille de Crimée, fait un crochet par Persépolis avant de rejoindre Bombay et de s’embarquer pour Zanzibar. Après quinze mois de voyage, Stanley arrive finalement à destination et se lance à la recherche de David Livingstone, que beaucoup croient mort.
Nous sommes le 23 janvier 1871. À peine débarqué, Henry Stanley achète six tonnes de matériel, engage 192 porteurs et fait route vers l’ouest. Contrairement à l’homme qu’il recherche, l’Américain ne connaît pas l’Afrique et méprise ses habitants, n’hésitant pas à fouetter les récalcitrants, hommes comme femmes. Après cinq mois de marche, il débouche sur la rive du lac Tanganyika et fait escale à Ujiji, un caravansérail, véritable carrefour commercial sur les routes de l’ivoire et des esclaves.
C’est là qu’il retrouve la trace du docteur Livingstone, qu’il rencontre finalement le 3 novembre 1871. Cintré dans un complet de flanelle impeccable, casque colonial sur la tête, le jeune reporter s’avance vers l’homme à l’allure de vieillard qui le regarde d’un air incrédule. À ce moment, il prononce sa célèbre phrase : « Doctor Livingstone, I presume ? » C’est en tout cas ce qu’il raconte dans ses mémoires intitulés Comment j’ai retrouvé Livingstone, qu’il publiera à son retour et qui fera un carton en librairie.
Pendant toutes ces années, Livingstone avait poursuivi sa quête, à la recherche des sources du Nil, mais s’était retrouvé fortement affaibli par les maladies tropicales, abandonné par les hommes qu’il avait engagés et quasiment sans argent. Seuls ses deux fidèles porteurs étaient restés à ses côtés.
Lors de sa rencontre avec Henry Stanley, David Livingstone n’avait pas parlé sa langue maternelle avec quelqu’un ni croisé un Occidental depuis près de six ans ! Il est donc heureux de voir le jeune homme et passe plusieurs jours à discuter avec lui, afin de connaître les nouvelles du monde.
« Docteur Livingstone, je présume ? » La fameuse rencontre entre Henry Stanley et David Livingstone a eu lieu à Ujiji, le 3 novembre 1871 (Illustration : Wellcome Images / Wikicommons)
Bien que de caractères très différents, l’Américain et l’Écossais se lient d’amitié, Stanley passe même près de cinq mois avec le célèbre explorateur et l’accompagne dans sa reconnaissance du lac Tanganyika. Ensemble, les deux hommes acquièrent la certitude que ce lac ne peut pas donner naissance au Nil. Alors que Stanley prépare son retour en Europe, Livingstone, malgré son état de santé, décide de rester en Afrique équatoriale pour poursuivre sa quête…
Pendant près de cinq mois, le journaliste Henry Stanley accompagne David Livingstone dans ses explorations en Afrique australe. (Illustration : Wellcome Images / Wikicommons)
Loin des préoccupations humanistes de son comparse, Henry Stanley posera les bases de la colonisation du Congo pour le compte du roi des Belges, Léopold II, en ayant recours à la brutalité et au travail forcé. L’occasion pour lui de s’enrichir. (Photo : Russell E. Train Africana Collection / Wikicommons)
La naissance d’un mythe
Déjà populaire à l’époque, David Livingstone devient un véritable mythe en Europe, grâce notamment au portrait qu’en fait Henry Stanley à son retour. Le célèbre docteur trouve finalement la mort le 1er mai 1873, victime de dysenterie à l’âge de 60 ans, sur les bords du lac Bangwelo (dans la Zambie actuelle), un peu plus d’un an après sa rencontre avec le journaliste américain. Après l’avoir embaumé et enterré son cœur sous un arbre, ses deux fidèles porteurs Abdullah Susi et James Chuma portèrent son corps sur des milliers de kilomètres durant huit mois jusqu’à la côte avant qu’un bateau ne le ramène jusqu’en Grande-Bretagne. En route, ils croisent une autre mission d’assistance, commanditée par la Royal Geographical Society de Londres, venue elle aussi pour retrouver l’explorateur.
Livingstone eut droit à des funérailles nationales, et fut enterré au milieu de la nef centrale de l’abbaye de Westminster le 12 avril 1874 en véritable « saint victorien » qu’il était devenu de par la persévérance de son engagement exploratoire, missionnaire et anti-esclavagiste. Pourtant, malgré son amour de l’Afrique et de ses peuples, Livingstone a jeté les prémisses de l’ouverture de routes commerciales au centre de l’Afrique, entraînant peu de temps après la colonisation de ces territoires et l’exploitation de leurs richesses par les nations européennes. Loin de profiter aux populations locales, comme Livingstone l’imaginait, ce fut au contraire le début d’une période sombre…
Après sa mort, David Livingstone eut droit à des funérailles nationales en Grande-Bretagne. Il fut inhumé dans la cathédrale de Westminster. (Illustration : Inconnu / Wikicommons)
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, David Livingstone fut présenté à plusieurs générations d’enfants européens comme un héros de la colonisation. (Illustration : Poulain / Wikicommons)
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