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« Des familles détruites en quelques jours » : en 1866 à Brest, l’épidémie oubliée

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« Des familles détruites en quelques jours » : en 1866 à Brest, l’épidémie oubliée Empty « Des familles détruites en quelques jours » : en 1866 à Brest, l’épidémie oubliée

Message par Admin Mar 5 Mai - 19:45

« Des familles détruites en quelques jours » : en 1866 à Brest, l’épidémie oubliée Ast_110

Par Thomas BRONNEC

En janvier 1866, le choléra s’invite à Brest. Une épidémie presque ordinaire à cette époque, qui fit 600 morts dans la cité finistérienne. L’édition du soir vous replonge 154 ans en arrière… Un passé qui présente pourtant beaucoup de similitudes avec la période actuelle.

Le 11 janvier 1866, le choléra frappe doucement mais fermement à la porte du château de Brest. Dans cette ville de garnison, où l’armée est omniprésente, pas étonnant que les premières victimes soient des soldats. Mais un civil est lui aussi atteint par « le Mal », à Poullic-al-Lor, un quartier qui descend vers le port du commerce aménagé l’année précédente, et dont le nom signifierait en breton « le lavoir aux lépreux ». On tremblerait presque devant ce nom mais à l’époque, la maladie et la mort font partie de la vie quotidienne, bien plus qu’aujourd’hui.

Le choléra, pour ne citer que lui, a déjà frappé la cité du Ponant en 1832, en 1834, en 1849 et en 1854. Et en ce début d’année 1866, Toulon et Cherbourg comptent eux aussi des « cholériques. »

C’était il y a un siècle et demi. Une autre époque, une épidémie presque comme les autres. La saleté règne sur Brest, qui n’a pas de tout-à-l’égout. Un médecin de marine, le Dr Borius, décrit ainsi la ville et son état sanitaire dans un ouvrage de 1877 intitulé Le Climat de Brest : « Un certain nombre d’urinoirs publics se déversent dans les ruisseaux qui traversent la ville. Les eaux de lavage du linge des malades de l’hospice civil, les eaux provenant des bains de malades, souvent sulfureuses, s’écoulent également à ciel ouvert dans les ruisseaux et traversent la ville. Lorsqu’une tempête menace et que le baromètre subit une dépression rapide, les fosses d’aisance répandent dans les escaliers et dans toutes les parties des maisons leurs gaz méphitiques. »

Des ravages dans les quartiers pauvres

Le manque d’hygiène favorise évidemment la propagation du choléra, une infection qui se caractérise par des diarrhées aiguës et se transmet par la consommation d’aliments ou de boissons contaminées par la bactérie Vibrio cholerae, qui vient d’être découverte par Filippo Pacini une dizaine d’années plus tôt.

On connaît encore très mal cette infection et ses mécanismes de transmission, qui passent aussi par les mains sales, lorsqu’elles sont portées à la bouche. Or à l’époque, personne ne se lave les mains. Avoir les mains sales est un signe de travail acharné. Même en médecine : Louis Pasteur vient à peine de mettre au point les procédés d’antisepsie.

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Une affiche de l’intendance sanitaire de Quimper, en 1832, lors d’une épidémie de choléra. Ce type d’avertissement était placardé dans les villes à l’époque (Photo : archives municipales de Quimper)

Dans les quartiers populaires de Brest, rue Kéravel, à Recouvrance, la classe ouvrière, entassée dans des logements où l’approvisionnement en eau se fait à la pompe au coin de la rue, vit dans une effrayante misère. C’est là que la maladie fait d’abord des ravages dans les jours qui suivent le 11 janvier.

Les cas suspects isolés sur l’île Trébéron


Les autorités municipales, volontairement ou non, ne prennent pas tout de suite la mesure de l’épidémie, dont la violence est d’abord difficile à évaluer. Pendant les premiers jours, tenir le compte des victimes est un véritable casse-tête mais le 16, cinq jours seulement après l’identification des « patients zéro », le Comte de Gueydon, préfet maritime, établit un rapport pour le ministère de la Marine et des Colonies, et les évalue déjà à 175, dont 55 morts.

La veille, il a déjà fait appliquer des mesures de quarantaine : les 400 hommes du château ont évacué Brest et se sont retirés à Pontanézen. Et il a prévu l’évacuation des marins qui seraient touchés par le choléra : les cas suspects doivent être isolés sur un bateau qui mouille dans la rade et soignés au lazaret – un établissement de quarantaine pour les personnes en contact avec des maladies contagieuses à l’époque – construit sur l’île Trébéron.

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Le lazaret de l’île de Trébéron, au large de Brest (date inconnue). (Photo : DR / Creative commons)

La presse n’évoque l’épidémie que le 17 janvier, et encore, sur un ton léger censé apaiser les inquiétudes de la population : « Il a régné hier et avant-hier à Brest une véritable panique, accrue encore par des bruits absurdes et ridiculement exagérés qui se sont répandus en ville sur le nombre de victimes du fléau, peut-on lire dans L’Océan, une publication qui paraissait sur quatre pages, trois fois par semaine. La peur du choléra était partout, et le choléra presque nulle part. Aujourd’hui, le calme est revenu et la ville est parfaitement tranquille. »

« Même devant la mort, les commissions délibèrent »

Une tranquillité toute relative, perturbée par les convois funéraires qui « parcourent incessamment les rues », comme se souviendra plus tard le maire de Brest, Joseph-Marie de Kerros. Mais pour le moment, l’édile livre aux autorités de l’État une lutte d’influence pour minimiser la gravité de l’épidémie.

Le Bulletin officiel de l’état civil fait état pour la première semaine de quelques dizaines de décès à peine dus au choléra. Le retard de la municipalité à prendre la mesure de l’épidémie fait hurler le comte de Gueydon.

Il écrit au ministre, à propos de la quarantaine : « Ce n’est que le 20 janvier, c’est-à-dire dix jours après la naissance de l’épidémie, que la mesure que j’avais prise a été étendue sur la demande du Maire, à la population civile. Fallait-il attendre que le Maire eût constitué ses commissions, que ces commissions eussent délibéré, se fussent concertées avec les Présidents des sociétés de charité, se fussent mises d’accord, car même devant la mort les commissions discutent et délibèrent. »

Sans attendre la demande du maire, les médecins de la marine se sont d’ailleurs mis à soigner à domicile les ouvriers de l’Arsenal et leurs familles, et à fournir gratuitement les médicaments.

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Louis-Henri de Guesdon, portrait à une date inconnue. (Photo : Nadar BNF)

Après une semaine, il est devenu difficile de nier la gravité de l’épidémie. Les deux hôpitaux de la ville, l’hospice civil, rue Traverse de l’Hôpital, qui compte 418 lits, et l’hôpital maritime Clermont-Tonnerre, équipé de 1 200 lits, tiennent un décompte assez précis des victimes. Le maire se résigne enfin à demander de l’aide au préfet maritime, qui détache officiellement deux médecins auprès des habitants, puis quatre, puis bientôt huit dans les « ambulances » situées rue Kéravel, rue de Siam, rue de Paris et à Recouvrance, où l’on peut venir trouver un médecin, des médicaments et des vivres.

« Le concours de ces chirurgiens, tant qu’il en restera un, ne vous fera pas défaut, écrit le Comte de Gueydon. C’est leur habitude d’aimer et de solliciter les postes où il y a le plus à faire et le plus de dangers à courir. »

Le maire écrira plus tard au recteur du service de la Santé : « Leur dévouement et leur zèle n’ont pas failli un seul moment, et pourtant ils étaient constamment au chevet des malades et appelés nuit et jour à soigner des malheureux manquant de tout et logés dans des lieux infects. »

« Des maisons entières se vident »


L’épidémie s’étend au fil des jours : la semaine du 20 janvier, on compte officiellement plus de 170 morts. Les bals sont bientôt interdits.

Les rapports de police, décortiqués par l’historien Jacques Gury dans un article paru dans le numéro d’octobre-décembre 1968 du Bulletin de la Société d’études de Brest et du Léon, révèlent les ravages de la maladie : « Des familles presque entièrement détruites en quelques jours, laissant un ou deux orphelins dans le plus complet dénuement, des veuves restant sans ressources et malades, les soutiens de famille fauchés les uns après les autres en moins d’une semaine. Des maisons entières se vident, ne gardant que quelques enfants sans parents ni tuteurs. »

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L’entrée principale de l’hôpital maritime Clermont-Tonnerre de Brest, en 1914, quelque cinquante ans après l’épidémie dont parle cet article. (Photo : archives municipales et communautaires de Brest)

Le 31 janvier, après le décès d’un élève, le lycée doit fermer ses portes et renvoyer 500 adolescents à la maison. Certains commerçants flairent les bonnes affaires et demandent l’exclusivité de la distribution du pain. Chandelles, cercueils, seringues, couvertures, linges, bois de chauffage, tisane, alcools : certains font augmenter les prix à mesure qu’augmente la demande, comme le remarque Jacques Gury.

Mais l’épidémie révèle aussi le visage de la solidarité. Une souscription est ouverte en faveur des victimes du choléra, qui permettra de récolter près de 35 000 francs de l’époque en tout – difficile à estimer en valeur d’aujourd’hui, mais le salaire d’un ouvrier à l’époque avoisine les 2 à 3 francs quotidiens.

« Beaucoup d’habitants aisés versent généreusement, écrit Jacques Gury, participent à la lutte contre la maladie et vont porter des secours à domicile. Certains commerçants portent gratuitement du rhum, du malaga, de la glace, du bois, du genièvre en grains pour désinfecter. Et rue de Paris, trois fois par jour, on apportait du chocolat et des brioches pour les médecins. »

600 morts environ

Au fil des semaines, l’épidémie se calme, puis s’éteint à Brest où, le 7 mars, on déclare le choléra officiellement disparu, même si on en retrouve sa trace dans les campagnes environnantes. Il est très difficile d’estimer le nombre de victimes, qui devient aussi un enjeu politique entre la mairie et l’État.

Le préfet maritime, lui, est catégorique dans une lettre au ministre : « Le moyen le plus sûr d’apprécier les conséquences de la mauvaise influence qui a pesé sur nous, c’est de comparer la mortalité de cette année à celle de l’année dernière pendant la période correspondante. » Le Comte de Gueydon arrive à une surmortalité de 590 personnes : « C’est la part, qu’en toute équité, il convient d’attribuer au choléra », explique-t-il.

Plus ou moins 600 morts, donc, pour une ville de 80 000 habitants, dont 20 000 militaires. Environ 0,75 % de la population. Ramenée à celle d’aujourd’hui, c’est comme si 2 400 personnes disparaissaient de la métropole brestoise. Une épidémie ordinaire, à l’époque.

Sources :

Jacques Gury, Bulletin de la société d’études de Brest et du Léon, cahier octobre-décembre 1968

Guy Haudebourg, Mendiants et vagabonds de Bretagne au XIXe siècle, PUF Rennes, 1998

J. Foucher et G.M. Thomas, La vie à Brest de 1848 à 1948, tome 2, Presses de la Cité, 1976

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