Il y a 60 ans, « l’hiver du siècle » en Pays bigouden
Page 1 sur 1
Il y a 60 ans, « l’hiver du siècle » en Pays bigouden
Publié par Steven Lecornu le 15 janvier 2023 à 18h30 TÉLÉGRAMME
Février 1963 : sur cette photo, la 2 CV du mareyeur Le Pape s’essaie au ballet sur glace de l’étang de Penanguer à Larvor (Loctudy) complètement gelé?. (Collection Serge Duigou)
En décembre 1962, un froid polaire s’abattait sur la Bretagne. L’hiver glacial se prolongera jusqu’à mars 1963. En Pays bigouden, des témoins racontent cet épisode glacial digne du Grand Nord.
Le port de Pont-l’Abbé transformé en banquise, des personnes décédées frappées de congestion, des milliers de poissons gelés qui s’échouent sur les côtes… C’est le scénario catastrophe qui s’est déroulé en Pays bigouden, il y a 60 ans. Le samedi 22 décembre 1962 marquait le début d’une vague de froid d’une intensité inhabituelle sur le sol français. Le phénomène allait durer jusqu’à mars 1963 ! Du jamais vu. « C’est l’hiver du siècle », confirme Franck Baraer, climatologue de Météo France à Rennes. On a relevé jusqu’à - 15 °C en Pays bigouden (et même - 20 °C à Carhaix !).
« Impossible de tenir sur un vélo »
« J’étais rentré d’Algérie en octobre 1962, j’avais 22 ans. Quel changement de température ! Le plus marquant, c’était de voir la mer gelée en février 63 jusqu’à début mars. C’est la seule fois où j’ai vu cela ! », se souvient Corentin Peoc’h. Le Penmarchais a été marqué par les difficultés de circulation. « Le sol était si froid que, dès qu’il pleuvait, ça se transformait en verglas. Impossible de tenir sur un vélo. Seule solution, utiliser le solex de ma mère. Une fois le moteur en route, je pouvais rouler en gardant les deux pieds au sol, bien écartés pour assurer la stabilité ». À Quimper, l’Odet était gelé ! Marcel Perennou, notre correspondant local à Landudec, habitait alors la capitale de Cornouaille. « Ah oui, je m‘en souviens bien. Le soir pour prendre la voiture, quel bazar ! Je devais aller chercher mon fils chez la nounou sur les hauteurs d’Ergué Armel et là pas moyen, il a passé la nuit chez elle. 62-63, c‘était épique ! ».
L’édition du Télégramme du 12 et 13 janvier 1963. (Le Télégramme/Archives)
L’étang de Penanguer à Larvor transformé en patinoire. (Collection Serge Duigou)
Je mettais les canards sauvages qui jonchaient le sol dans des sacs à pommes de terre. On en avait mangé pendant des semaines !
Un tracteur qui roule sur l’étang gelé !
Ce n’était pas triste non plus dans la capitale bigoudène. Paul Canévet, 12 ans à l’époque, s’en rappelle bien. « J’habitais au Douric. Je me souviens d’un tracteur qui roulait sur le plan d’eau gelé devant le Château, certainement un pari. Impossible de se laver le matin avant d’aller à l’école, l’eau était gelée dans les robinets. En allant à Penmarc’h voir ma grand-mère, je passais le long des plages à vélo. On trouvait sur le sable de nombreux congres complètement congelés. On les ramassait. Une fois réchauffés à l’intérieur des maisons, ils reprenaient vie ! On retrouvait aussi de nombreux oiseaux morts dans les champs. La chasse avait été fermée ». Son frère Henri, de trois ans son aîné, a été frappé par les canards sauvages qui jonchaient le sol. « Je les mettais dans des sacs à pommes de terre. On en avait mangé pendant des semaines ! », raconte le Pont-l’Abbiste. L’économie allait pâtir de ce climat rigoureux et en particulier les ports bigoudens. « Du fait du mauvais temps, le tonnage de poissons débarqués au port du Guilvinec par rapport à février 1962 a diminué du tiers en février 1963. Les maquereautiers de ligne en particulier ont été contraints de demeurer au port pendant 19 jours », relate l’historien Serge Duigou
Deux personnes victimes du froid
En fouillant dans les archives de la presse locale, le Progrès de Cornouaille révèle que deux personnes sont décédées durant ce terrible hiver. Le 5 janvier 1963, à Fouesnant, « une octogénaire est découverte morte frappée par le froid. Elle est retrouvée inanimée sur le sol glacé », relate le journal. Après autopsie, les conclusions sont formelles : la mort a été causée par le froid. « Elle serait venue dans la soirée fermer la barrière de son jardin. Le froid l’aurait saisie, elle serait tombée à diverses reprises en voulant regagner sa maison », détaille le journaliste. Quelques jours plus tard, le 16 février 1963, une nouvelle victime du froid est découverte. Il s’agit d’un homme demeurant à Loctudy. « Il était signalé comme disparu depuis le 27 janvier, à 23 h 30, où il avait été aperçu près son domicile, alors qu’il faisait – 8 °C. Son cadavre sera découvert dans un fossé. Le docteur appelé à l’examiner conclura à une mort naturelle causée par une congestion ».
29 jours de températures négatives à la Pointe du Raz
En 1962-1963, les relevés de températures quotidiennes (minimales et maximales) étaient réalisés à Brest et à la Pointe du Raz. Entre le 23 novembre 1962 et le 4 mars 1963, d’après Météo France, on enregistre 29 jours de températures négatives à la Pointe du Raz avec un record à - 7 °C le 20 janvier 1963, 38 jours de température négative à Brest avec un record à - 10,9 °C. Quel décalage avec l’hiver actuel ! Depuis le 15 décembre 2022, la température n’est pas descendue en dessous de 3,4 °C (mardi 27 décembre). Il a même fait jusqu’à 14,9 °C le vendredi 6 janvier 2023 !
Des milliers de poissons échoués
Le 3 février 1963, l’édition du Télégramme titre : « Par milliers, congres et vieilles sont venus mourir sur les côtes bigoudènes ». L’article illustré d’un cliché évocateur parle d’un « vrai désastre ». L’explication est la suivante : le froid extrême gèle les yeux des congres. Les poissons, aveugles, ne trouvent plus à se nourrir et, incapables de se diriger, viennent mourir sur le sable. Des spécimens de 2 mètres sont retrouvés. « Inutile de dire que les pêcheurs sans hameçons et sans appâts étaient nombreux. Il s’agissait tout simplement de bien choisir », précise le journaliste.
Les cercueils sur une charrette tirée par un tracteur !
À Plozévet, lors des enterrements, pour aller jusqu’au cimetière, la route d’Audierne était tellement gelée et glissante que le corbillard habituel était inutilisable. On mettait alors les cercueils sur une charrette tirée par un tracteur, seul engin pouvant rouler sur cette patinoire. Des cordes étaient également accrochées à la charrette pour permettre aux participants aux obsèques de s’y accrocher afin de ne pas tomber et pouvoir ainsi suivre le convoi jusqu’au cimetière.
Février 1963 : sur cette photo, la 2 CV du mareyeur Le Pape s’essaie au ballet sur glace de l’étang de Penanguer à Larvor (Loctudy) complètement gelé?. (Collection Serge Duigou)
En décembre 1962, un froid polaire s’abattait sur la Bretagne. L’hiver glacial se prolongera jusqu’à mars 1963. En Pays bigouden, des témoins racontent cet épisode glacial digne du Grand Nord.
Le port de Pont-l’Abbé transformé en banquise, des personnes décédées frappées de congestion, des milliers de poissons gelés qui s’échouent sur les côtes… C’est le scénario catastrophe qui s’est déroulé en Pays bigouden, il y a 60 ans. Le samedi 22 décembre 1962 marquait le début d’une vague de froid d’une intensité inhabituelle sur le sol français. Le phénomène allait durer jusqu’à mars 1963 ! Du jamais vu. « C’est l’hiver du siècle », confirme Franck Baraer, climatologue de Météo France à Rennes. On a relevé jusqu’à - 15 °C en Pays bigouden (et même - 20 °C à Carhaix !).
« Impossible de tenir sur un vélo »
« J’étais rentré d’Algérie en octobre 1962, j’avais 22 ans. Quel changement de température ! Le plus marquant, c’était de voir la mer gelée en février 63 jusqu’à début mars. C’est la seule fois où j’ai vu cela ! », se souvient Corentin Peoc’h. Le Penmarchais a été marqué par les difficultés de circulation. « Le sol était si froid que, dès qu’il pleuvait, ça se transformait en verglas. Impossible de tenir sur un vélo. Seule solution, utiliser le solex de ma mère. Une fois le moteur en route, je pouvais rouler en gardant les deux pieds au sol, bien écartés pour assurer la stabilité ». À Quimper, l’Odet était gelé ! Marcel Perennou, notre correspondant local à Landudec, habitait alors la capitale de Cornouaille. « Ah oui, je m‘en souviens bien. Le soir pour prendre la voiture, quel bazar ! Je devais aller chercher mon fils chez la nounou sur les hauteurs d’Ergué Armel et là pas moyen, il a passé la nuit chez elle. 62-63, c‘était épique ! ».
L’édition du Télégramme du 12 et 13 janvier 1963. (Le Télégramme/Archives)
L’étang de Penanguer à Larvor transformé en patinoire. (Collection Serge Duigou)
Je mettais les canards sauvages qui jonchaient le sol dans des sacs à pommes de terre. On en avait mangé pendant des semaines !
Un tracteur qui roule sur l’étang gelé !
Ce n’était pas triste non plus dans la capitale bigoudène. Paul Canévet, 12 ans à l’époque, s’en rappelle bien. « J’habitais au Douric. Je me souviens d’un tracteur qui roulait sur le plan d’eau gelé devant le Château, certainement un pari. Impossible de se laver le matin avant d’aller à l’école, l’eau était gelée dans les robinets. En allant à Penmarc’h voir ma grand-mère, je passais le long des plages à vélo. On trouvait sur le sable de nombreux congres complètement congelés. On les ramassait. Une fois réchauffés à l’intérieur des maisons, ils reprenaient vie ! On retrouvait aussi de nombreux oiseaux morts dans les champs. La chasse avait été fermée ». Son frère Henri, de trois ans son aîné, a été frappé par les canards sauvages qui jonchaient le sol. « Je les mettais dans des sacs à pommes de terre. On en avait mangé pendant des semaines ! », raconte le Pont-l’Abbiste. L’économie allait pâtir de ce climat rigoureux et en particulier les ports bigoudens. « Du fait du mauvais temps, le tonnage de poissons débarqués au port du Guilvinec par rapport à février 1962 a diminué du tiers en février 1963. Les maquereautiers de ligne en particulier ont été contraints de demeurer au port pendant 19 jours », relate l’historien Serge Duigou
Deux personnes victimes du froid
En fouillant dans les archives de la presse locale, le Progrès de Cornouaille révèle que deux personnes sont décédées durant ce terrible hiver. Le 5 janvier 1963, à Fouesnant, « une octogénaire est découverte morte frappée par le froid. Elle est retrouvée inanimée sur le sol glacé », relate le journal. Après autopsie, les conclusions sont formelles : la mort a été causée par le froid. « Elle serait venue dans la soirée fermer la barrière de son jardin. Le froid l’aurait saisie, elle serait tombée à diverses reprises en voulant regagner sa maison », détaille le journaliste. Quelques jours plus tard, le 16 février 1963, une nouvelle victime du froid est découverte. Il s’agit d’un homme demeurant à Loctudy. « Il était signalé comme disparu depuis le 27 janvier, à 23 h 30, où il avait été aperçu près son domicile, alors qu’il faisait – 8 °C. Son cadavre sera découvert dans un fossé. Le docteur appelé à l’examiner conclura à une mort naturelle causée par une congestion ».
29 jours de températures négatives à la Pointe du Raz
En 1962-1963, les relevés de températures quotidiennes (minimales et maximales) étaient réalisés à Brest et à la Pointe du Raz. Entre le 23 novembre 1962 et le 4 mars 1963, d’après Météo France, on enregistre 29 jours de températures négatives à la Pointe du Raz avec un record à - 7 °C le 20 janvier 1963, 38 jours de température négative à Brest avec un record à - 10,9 °C. Quel décalage avec l’hiver actuel ! Depuis le 15 décembre 2022, la température n’est pas descendue en dessous de 3,4 °C (mardi 27 décembre). Il a même fait jusqu’à 14,9 °C le vendredi 6 janvier 2023 !
Des milliers de poissons échoués
Le 3 février 1963, l’édition du Télégramme titre : « Par milliers, congres et vieilles sont venus mourir sur les côtes bigoudènes ». L’article illustré d’un cliché évocateur parle d’un « vrai désastre ». L’explication est la suivante : le froid extrême gèle les yeux des congres. Les poissons, aveugles, ne trouvent plus à se nourrir et, incapables de se diriger, viennent mourir sur le sable. Des spécimens de 2 mètres sont retrouvés. « Inutile de dire que les pêcheurs sans hameçons et sans appâts étaient nombreux. Il s’agissait tout simplement de bien choisir », précise le journaliste.
Les cercueils sur une charrette tirée par un tracteur !
À Plozévet, lors des enterrements, pour aller jusqu’au cimetière, la route d’Audierne était tellement gelée et glissante que le corbillard habituel était inutilisable. On mettait alors les cercueils sur une charrette tirée par un tracteur, seul engin pouvant rouler sur cette patinoire. Des cordes étaient également accrochées à la charrette pour permettre aux participants aux obsèques de s’y accrocher afin de ne pas tomber et pouvoir ainsi suivre le convoi jusqu’au cimetière.
Re: Il y a 60 ans, « l’hiver du siècle » en Pays bigouden
j'ai des souvenirs d'enfance sur cet hiver ,nous arrivions de bordeaux ,sur plouha (22580) pour 2 mois maxi pendant justement cet hiver !
nous attendions pour partir sur DJIBOUTI ou mon père était militaire ,parti 3 mois avant nous .
je me souviens d'une transition assez forte en température ,nous sommes passés de la glace à plus de 40°
QUE DE "PETITS SOUVENIRS"
https://lasandalettedeplouha.lebonforum.com/t2345-votre-serviteur
nous attendions pour partir sur DJIBOUTI ou mon père était militaire ,parti 3 mois avant nous .
je me souviens d'une transition assez forte en température ,nous sommes passés de la glace à plus de 40°
QUE DE "PETITS SOUVENIRS"
https://lasandalettedeplouha.lebonforum.com/t2345-votre-serviteur
Sujets similaires
» Pays bigouden. La coiffe bientôt classée à l'Unesco ?
» Pays bigouden sud. Chiens sur la plage : « Nous sommes sidérés »
» l'ESSENCE POUR ROULER L'HIVER
» HIVER 1916 SOUVENIR (triste) Il est rude.....
» Le Mont d'Or dauphinois ! Un plat d'hiver magnifiquement gourmand
» Pays bigouden sud. Chiens sur la plage : « Nous sommes sidérés »
» l'ESSENCE POUR ROULER L'HIVER
» HIVER 1916 SOUVENIR (triste) Il est rude.....
» Le Mont d'Or dauphinois ! Un plat d'hiver magnifiquement gourmand
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum