Ces pénuries en série qui nous menacent
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Ces pénuries en série qui nous menacent
Muryel Jacque / Journaliste au service Marchés | Le 30/06 à 17:43, mis à jour le 01/07 à 10:55
Après les Mayas du Yucatan, les anciens habitants de l’île de Pâques, les Vikings du Groenland ou les Khmers d’Angkor, pourrions-nous à notre tour disparaître à force de déboiser, d’exploiter les sols et, surtout, de puiser dans les ressources naturelles non renouvelables ?
Certains chiffres donnent le tournis. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’habitants a été multiplié par près de trois sur la planète. Dans ce laps de temps, davantage de ressources ont été consommées qu’entre l’apparition de l’homme sur la Terre et 1945. Et les choses se sont récemment accélérées de façon vertigineuse. En 1990, le monde avait besoin de moins de 43 millions de tonnes de métaux pour tourner ; en 2012, il lui en fallait 91 millions, d’après la Banque mondiale. La Chine y est pour beaucoup, dont la part est passée de 4 % à 45 %.
A ce rythme-là, notre civilisation risque tout bonnement de s’effondrer de notre vivant. C’est la thèse avancée par deux chercheurs, Pablo Servigne et Raphaël Stevens, l’un ingénieur agronome, l’autre éco-conseiller, dans leur essai « Comment tout peut s’effondrer », paru au printemps. Ces « collapsologues », comme ils se définissent eux-mêmes, sont catégoriques : aujourd’hui, « si on retire le pétrole, le gaz et le charbon, il ne reste plus grand-chose de notre civilisation thermo-industrielle. Presque tout ce que nous connaissons en dépend : les transports, la nourriture, les vêtements, le chauffage, etc. » Or, selon eux, nous arrivons à un pic de production d’énergie, et les principaux minerais et métaux prennent le même chemin.
Le fameux « peak oil » est pourtant moins en vogue depuis le boom du pétrole de schiste aux Etats-Unis. Mais celui-ci ne changera pas la donne à l’échelle humaine : l’Agence internationale de l’énergie l’annonce en déclin d’ici à quinze ans .
http://www.lesechos.fr/13/11/2014/LesEchos/21813-128-ECH_petrole---l-aie-combat-l-illusion-actuelle-de-l-abondance.htm?texte=combat%20illusion
De toute façon, la vraie question n’est pas de savoir quelle quantité d’or noir il reste sous nos pieds, mais à quel prix nous sommes prêts à l’extraire. L’opération devient en effet de plus en plus chère car plus complexe : on va chercher la matière toujours plus en profondeur, on explore les sables bitumineux et jusqu’à l’Arctique. Le pétrole saoudien coûte moins de 20 dollars à extraire, le schiste américain entre 60 et 80 dollars, et celui qui proviendra bientôt du Kazakhstan atteindra 125 dollars le baril. Le problème ?
http://leseconoclastes.fr/2015/05/le-pic-petrolier-naura-pas-lieu/
la demande flanche. « Il y a 40 ans, on disait qu’il restait 40 ans de pétrole. On nous dit toujours la même chose aujourd’hui. La différence ? Il y a 40 ans, il s’agissait de 40 ans de pétrole à 10 dollars, désormais, il s’agit de 40 ans de pétrole à 100 dollars, et dans 40 ans, 40 ans de pétrole à 1.000 dollars. Mais nous n’aurons certainement pas les moyens d’aller le chercher », indique Nicolas Meilhan, ingénieur-conseil chez Frost & Sullivan. Même si le plafond physique n’est pas atteint, le plafond économique, certes variable en fonction des progrès techniques, s’avère, lui, bien réel.
La fin de l’exploitation « bon marché » des gisements pétroliers se rapproche donc. Il en est de même pour de nombreux métaux, avec, pour certains d’entre eux, des risques de pénurie d’ici à une quinzaine d’années. Car hormis l’aluminium et le fer qui sont des minerais abondants dans la croûte terrestre, les grands métaux industriels comme le cuivre, le zinc et le nickel, les métaux spéciaux comme le tantale ou le tungstène, ou encore les métaux précieux sont de moins en moins faciles à sortir de terre techniquement et économiquement. « Les géologues vous diront qu’il n’y a pas de problème de ressources. En réalité, il faut tenir compte de l’interaction entre énergie et métaux », soulève Philippe Bihouix, ingénieur spécialiste des métaux, auteur de « L’Age des low tech ». Pour récupérer 1 tonne de cuivre aujourd’hui, il faut fouiller 125 tonnes de roche, alors qu’il y a un siècle il suffisait de remuer 50 tonnes. En Afrique du Sud, les mines d’or peuvent descendre à près de 4 kilomètres de profondeur. Désormais, près de 10 % de l’énergie primaire mondiale est consacrée à raffiner les métaux, d’après le spécialiste. L’énergie, elle-même moins accessible, nécessite davantage de métaux : 5 % de l’acier mondial est utilisé uniquement dans le secteur du pétrole et du gaz. Les énergies renouvelables sont elles aussi « métalivores », tout comme les objets connectés ou les voitures électriques dans lesquelles on trouve trois fois plus de cuivre que dans les voitures diesels.
Evidemment, certains métaux peuvent être substitués avec succès. La crise des terres rares provoquée en 2010 par la chute des exportations chinoises a poussé les entreprises utilisatrices du monde entier à trouver des solutions alternatives. Le constructeur automobile Renault a ainsi tout mis en œuvre pour réduire sa consommation de terres rares de 65 % entre 2012 et 2016. Les métaux ne sont toutefois pas tous substituables, l’étain notamment n’a, pour l’heure, aucun remplaçant.
Le recyclage a également de beaux jours devant lui. A part pour des métaux tels que le cuivre et le plomb, les taux actuels de recyclage sont encore très bas. Les terres rares sont recyclées à moins de 1 %. Mais recycler à 100 % ne sera jamais possible. Des économies s’imposent donc. Certains prônent la sobriété, d’autres la décroissance, le retour au local, d’autres encore la régulation des naissances. Dans l’histoire, des crises graves ont permis des changements de consommation radicaux. Ainsi, l’énorme brouillard de pollution au charbon qui étouffa Londres fin 1952 et tua des milliers de personnes a poussé la Grande-Bretagne à adopter une loi révolutionnaire sur la qualité de l’air. Après le choc pétrolier de 1973, le monde entier a privilégié d’autres façons de produire de l’électricité. En 2011, après le désastre de Fukushima, le pays, subitement privé d’énergie nucléaire, a pris des mesures d’économies sans précédent et incité sa population à bouleverser ses habitudes de vie . Mais en dehors de ce genre de crises majeures, les sociétés évoluent très lentement. Restera alors peut-être à exploiter l’espace car on y trouve des quantités infinies de minerais et de métaux. L’exploration a déjà débuté.
Muryel Jacque
Journaliste au service Marchés des « Echos »
http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021175052514-ces-penuries-en-serie-qui-nous-menacent-1133155.php
Après les Mayas du Yucatan, les anciens habitants de l’île de Pâques, les Vikings du Groenland ou les Khmers d’Angkor, pourrions-nous à notre tour disparaître à force de déboiser, d’exploiter les sols et, surtout, de puiser dans les ressources naturelles non renouvelables ?
Certains chiffres donnent le tournis. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’habitants a été multiplié par près de trois sur la planète. Dans ce laps de temps, davantage de ressources ont été consommées qu’entre l’apparition de l’homme sur la Terre et 1945. Et les choses se sont récemment accélérées de façon vertigineuse. En 1990, le monde avait besoin de moins de 43 millions de tonnes de métaux pour tourner ; en 2012, il lui en fallait 91 millions, d’après la Banque mondiale. La Chine y est pour beaucoup, dont la part est passée de 4 % à 45 %.
A ce rythme-là, notre civilisation risque tout bonnement de s’effondrer de notre vivant. C’est la thèse avancée par deux chercheurs, Pablo Servigne et Raphaël Stevens, l’un ingénieur agronome, l’autre éco-conseiller, dans leur essai « Comment tout peut s’effondrer », paru au printemps. Ces « collapsologues », comme ils se définissent eux-mêmes, sont catégoriques : aujourd’hui, « si on retire le pétrole, le gaz et le charbon, il ne reste plus grand-chose de notre civilisation thermo-industrielle. Presque tout ce que nous connaissons en dépend : les transports, la nourriture, les vêtements, le chauffage, etc. » Or, selon eux, nous arrivons à un pic de production d’énergie, et les principaux minerais et métaux prennent le même chemin.
Le fameux « peak oil » est pourtant moins en vogue depuis le boom du pétrole de schiste aux Etats-Unis. Mais celui-ci ne changera pas la donne à l’échelle humaine : l’Agence internationale de l’énergie l’annonce en déclin d’ici à quinze ans .
http://www.lesechos.fr/13/11/2014/LesEchos/21813-128-ECH_petrole---l-aie-combat-l-illusion-actuelle-de-l-abondance.htm?texte=combat%20illusion
De toute façon, la vraie question n’est pas de savoir quelle quantité d’or noir il reste sous nos pieds, mais à quel prix nous sommes prêts à l’extraire. L’opération devient en effet de plus en plus chère car plus complexe : on va chercher la matière toujours plus en profondeur, on explore les sables bitumineux et jusqu’à l’Arctique. Le pétrole saoudien coûte moins de 20 dollars à extraire, le schiste américain entre 60 et 80 dollars, et celui qui proviendra bientôt du Kazakhstan atteindra 125 dollars le baril. Le problème ?
http://leseconoclastes.fr/2015/05/le-pic-petrolier-naura-pas-lieu/
la demande flanche. « Il y a 40 ans, on disait qu’il restait 40 ans de pétrole. On nous dit toujours la même chose aujourd’hui. La différence ? Il y a 40 ans, il s’agissait de 40 ans de pétrole à 10 dollars, désormais, il s’agit de 40 ans de pétrole à 100 dollars, et dans 40 ans, 40 ans de pétrole à 1.000 dollars. Mais nous n’aurons certainement pas les moyens d’aller le chercher », indique Nicolas Meilhan, ingénieur-conseil chez Frost & Sullivan. Même si le plafond physique n’est pas atteint, le plafond économique, certes variable en fonction des progrès techniques, s’avère, lui, bien réel.
La fin de l’exploitation « bon marché » des gisements pétroliers se rapproche donc. Il en est de même pour de nombreux métaux, avec, pour certains d’entre eux, des risques de pénurie d’ici à une quinzaine d’années. Car hormis l’aluminium et le fer qui sont des minerais abondants dans la croûte terrestre, les grands métaux industriels comme le cuivre, le zinc et le nickel, les métaux spéciaux comme le tantale ou le tungstène, ou encore les métaux précieux sont de moins en moins faciles à sortir de terre techniquement et économiquement. « Les géologues vous diront qu’il n’y a pas de problème de ressources. En réalité, il faut tenir compte de l’interaction entre énergie et métaux », soulève Philippe Bihouix, ingénieur spécialiste des métaux, auteur de « L’Age des low tech ». Pour récupérer 1 tonne de cuivre aujourd’hui, il faut fouiller 125 tonnes de roche, alors qu’il y a un siècle il suffisait de remuer 50 tonnes. En Afrique du Sud, les mines d’or peuvent descendre à près de 4 kilomètres de profondeur. Désormais, près de 10 % de l’énergie primaire mondiale est consacrée à raffiner les métaux, d’après le spécialiste. L’énergie, elle-même moins accessible, nécessite davantage de métaux : 5 % de l’acier mondial est utilisé uniquement dans le secteur du pétrole et du gaz. Les énergies renouvelables sont elles aussi « métalivores », tout comme les objets connectés ou les voitures électriques dans lesquelles on trouve trois fois plus de cuivre que dans les voitures diesels.
Evidemment, certains métaux peuvent être substitués avec succès. La crise des terres rares provoquée en 2010 par la chute des exportations chinoises a poussé les entreprises utilisatrices du monde entier à trouver des solutions alternatives. Le constructeur automobile Renault a ainsi tout mis en œuvre pour réduire sa consommation de terres rares de 65 % entre 2012 et 2016. Les métaux ne sont toutefois pas tous substituables, l’étain notamment n’a, pour l’heure, aucun remplaçant.
Le recyclage a également de beaux jours devant lui. A part pour des métaux tels que le cuivre et le plomb, les taux actuels de recyclage sont encore très bas. Les terres rares sont recyclées à moins de 1 %. Mais recycler à 100 % ne sera jamais possible. Des économies s’imposent donc. Certains prônent la sobriété, d’autres la décroissance, le retour au local, d’autres encore la régulation des naissances. Dans l’histoire, des crises graves ont permis des changements de consommation radicaux. Ainsi, l’énorme brouillard de pollution au charbon qui étouffa Londres fin 1952 et tua des milliers de personnes a poussé la Grande-Bretagne à adopter une loi révolutionnaire sur la qualité de l’air. Après le choc pétrolier de 1973, le monde entier a privilégié d’autres façons de produire de l’électricité. En 2011, après le désastre de Fukushima, le pays, subitement privé d’énergie nucléaire, a pris des mesures d’économies sans précédent et incité sa population à bouleverser ses habitudes de vie . Mais en dehors de ce genre de crises majeures, les sociétés évoluent très lentement. Restera alors peut-être à exploiter l’espace car on y trouve des quantités infinies de minerais et de métaux. L’exploration a déjà débuté.
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