La direction d’Amazon menace de me licencier
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La direction d’Amazon menace de me licencier
« La direction d’Amazon menace de me licencier pour avoir reçu une journaliste »
Mercredi, 27 Avril, 2016
Par Alain Jeault, Délégué Syndical Central de la CGT Amazon.
« Venez découvrir ce qui se passe lorsque vous cliquez sur notre site. Bienvenue dans les coulisses d’Amazon ! » affirme le site Internet du « Amazon Tour », une opération de communication qui propose des visites guidées des entrepôts logistiques du numéro un mondial de la vente en ligne. La presse française a abondamment commenté cette initiative d’Amazon car ces mêmes entrepôts furent jadis fermés aux journalistes. Journalistes qui se sont depuis précipités dans les entrepôts pour y écrire des articles louant la multinationale.
Tout récemment, une journaliste du Monde, Perrine Mouterde, désireuse de rencontrer différentes sources afin d’écrire un article à paraître prochainement, a souhaité me rencontrer pour m’interviewer. Heureux de pouvoir faire entendre la voix de la CGT j’ai donc tout naturellement accepté de a recevoir, en évoquant les conditions de travail extrêmement pénibles des travailleurs Amazon. Je lui ai parlé des fraudes à l’Assurance Maladie auxquelles se livre Amazon en trichant sur les statistiques d’accident du travail, les entrepôts Amazon étant des lieux où l’on se blesse énormément, où les taux de Troubles Musculo Squelettiques atteignent des records, où les accidents du travail sont innombrables, comme le confirme la Médecine du Travail dans ses récents rapports. Il s’agit là de « l’envers de l’écran » d’une multinationale qui, depuis son introduction en Bourse en 1997, a multiplié par plus de quatre cent vingt son chiffre d’affaires — il atteignait 62 milliards de dollars en 2012 et dépasse désormais les 100 milliards de dollars. La fortune personnelle de mon patron, Jeff Bezos, est quant à elle passée de 28 milliards en 2013, à 52,4 milliards de dollars cette année. Il a investi 250 millions d’euros en août 2013 — 1 % de sa fortune personnelle — dans le rachat du quotidien américain The Washington Post, ainsi que plus de 500 millions de dollars pour son programme spatial privé, Blue Origin. Mon patron étant lancé dans la grande course à l’espace où s’affrontent désormais des milliardaires
.
Avant de recevoir la journaliste du Monde dans le bureau de la CGT Amazon du site de Chalon-sur-Saône, j’avais informé au préalable, la veille, les instances de l’entrepôt logistique où je travaille. La journaliste a ainsi pu franchir sans encombre les multiples contrôles de sécurité de l’entrepôt et se rendre dans le bureau de la CGT. J’ai alors pu lui rappeler qu’en février 2015 le journal l’Humanité révélait une fraude d’Amazon à l’Assurance Maladie : la multinationale a réalisé une fausse déclaration visant à faire baisser ses statistiques élevées d’accidents du travail. L’information révélée, aucune sanction interne ne fut prise à l’encontre du fraudeur, le manager Julien Lefevre, responsable hygiène sécurité environnement (HSE) de l’entrepôt de Sevrey. Bras droit du directeur pour l’évaluation des risques, il est normalement chargé de la sécurité des salariés et des programmes de prévention de réduction des accidents. L’Assurance Maladie, quant à elle, n’a pas souhaité commenter la fraude pourtant révélée preuve à l’appui.
Quelques jours après l’interview donné au Monde, je découvre avec effroi que l’agent de sécurité gardant l’entrée du site, celui-là même qui avait vérifié la pièce d’identité de la journaliste, a été expulsé de l’entreprise Amazon et « remis » à son employeur, le sous-traitant de la sécurité d’Amazon. J’ignore si ce dernier a depuis été licencié. La direction d’Amazon m’informa consécutivement du lancement d’une procédure de licenciement à mon encontre.
En me menaçant désormais de licenciement au simple motif d’avoir reçu une journaliste dans mon bureau, par cette attitude d’hostilité à la liberté syndicale, la direction d’Amazon prouve aujourd’hui que ses récentes initiatives de communication « Amazon Tour », ses visites guidées d’entrepôts, n’étaient en réalité que des opérations de propagande déguisée. Selon la direction d’Amazon il n’y aurait en effet que les communicants d’Havas worldwide, le prestataire d’Amazon, qui puissent parler de la vie des travailleurs à l’intérieur de l’entrepôt logistique, et ce en leur nom. Céline Stierlé occupe actuellement le poste de responsable de la communication d’Amazon. Directeur associée chez Havas, cette communicante a commencé sa carrière dans le secteur audiovisuel au sein des Directions Générales de France 2, de Public-Sénat et à la Direction des programmes du CSA. Elle a ensuite rejoint en 2002 le Département Ventes France d’Europe Images International (groupe Lagardère), puis France Télévisions, puis en 2009 Euro RSCG C&O comme Consultante Senior au pôle Influence, avant de devenir la tête de proue de la propagande Amazon. Je tiens à affirmer haut et fort que la CGT Amazon, en recevant la journaliste du Monde qui souhaitait seulement rencontrer une source contradictoire, n’a fait qu’œuvrer à cette invitation à la transparence dont Amazon se targue fallacieusement et pour laquelle l’entreprise menace désormais de me licencier.
Cette menace de licenciement intervient quelques jours seulement avant les Négociations Annuelles Obligatoires qui ont débuté mardi 26 avril ; menace à laquelle s’ajoute la violence et les intimidations. Vendredi 22 avril, dans l’entrepôt de Douai, un élu CGT Amazon a été agressé verbalement par un manager Amazon. La direction d’Amazon a également récemment transmis des informations confidentielles, des données personnelles de syndicalistes, à d’autres « syndicats » de l’entreprise, parmi lequel la Confédération autonome du travail (CAT), dont le logo est un soleil jaune. Il s’agit d’un syndicat maison, monté de toute pièce par les cadres dirigeants d’Amazon France. La DRH Amazon France, Catherine Anglebert, a en effet téléphoné à des salariés Amazon afin de leur proposer de rejoindre la CAT peu avant les dernières élections. Et ce pour, selon ses mots, « se débarrasser de la CGT ». Lors des élections prud’homales de 1979, la CAT avait noué une alliance avec la Confédération des syndicats libres (CSL), le « syndicat » d’extrême droite jadis implanté dans l’industrie automobile né sous le nom de Confédération française du travail (CFT) et qui changea son nom pour celui de la CSL suite à l’assassinat, par des militants CFT, du syndicaliste CGT Pierre Maître, en 1977. La CAT est aujourd’hui un groupuscule dont le site Internet n’a pas été mis à jour depuis 2013, implanté essentiellement dans l’entreprise Darty. « C’est le syndicat maison par excellence, considère mon camarade Jean-Marc Miduri de la CGT Darty. La direction l’a monté de toutes pièces à la fin des années 1970. La CAT valide tout ce que la direction met en place. Quand Darty a supprimé 500 emplois en 2013, la CGT a attaqué le plan en justice mais la CAT l’a voté sans discuter. »
Le modèle Amazon, tant vanté pour sa supposée modernité, cherche en réalité à ramener ses travailleurs à des conditions de travail dignes du XIXe siècle. Pour ce faire Amazon veut museler les syndicalistes qui pourraient évoquer auprès de journalistes l’extrême pénibilité du travail au sein des entrepôts ainsi que les fraudes d’Amazon et ses multiples atteintes au droit du travail. J’appelle donc les travailleurs Amazon à se tenir unis et solidaires contre ces pratiques rétrogrades et indignes. J’appelle également les clients d’Amazon ainsi que les concurrents d’Amazon, parmi lesquels les libraires confrontés à de lourdes difficultés financières, à comprendre que nous nous devons d’être tous solidaires, en unissant nos efforts et nos luttes pour le respect du droit et des libertés syndicales. Cela est dans l’intérêt de tous. Nous devons nous unir contre cette nouvelle tyrannie que nous préparent les grandes multinationales. Ces mastodontes sont désormais capables d’évader fiscalement des milliards en échappant à l’impôt, aux règles de l’Assurance Maladie, ainsi qu’aux lois, en manipulant l’opinion par un intense lobbying auprès des médias et des politiques. Et ce en parfaite impunité. Il serait parfois tentant de céder au désespoir mais pour ma part je m’y refuse catégoriquement. Ne laissons pas le modèle Amazon, avant-goût de l’économie mondiale de demain, réduire à néant notre dignité en demeurant de simple spectateurs. Levons-vous, tous ensemble, et défendons fièrement nos droits, notre Code du Travail : tout ce qu’Amazon cherche à hacher menu dans le simple but de pouvoir additionner toujours plus de milliards à des milliards.
Alain Jeault, Délégué Syndical Central de la CGT Amazon
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