Locataires de tout, propriétaires de rien
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Locataires de tout, propriétaires de rien
Edouard Lederer / Journaliste au service Finance | Le 04/05 à 15:51
Le succès grandissant du covoiturage, du Vélib' ou des diverses formules de location longue durée est révélateur d'une tendance de fond : pour les consommateurs, la possession d'un bien est désormais moins importante que son usage.
La propriété aurait-elle du plomb dans l'aile ? Après le succès du Vélib' parisien, du covoiturage industrialisé par des acteurs comme BlaBlaCar, voilà que les conducteurs préfèrent désormais louer leur véhicule, plutôt que le posséder. Une révolution alors que le véhicule a si longtemps été synonyme de réussite sociale ! La location avec option d'achat (LOA) progresse de façon exponentielle, dans une économie française toujours poussive. Cette formule permet de louer un véhicule pendant trois ans, avec à l'issue la possibilité de le racheter ou d'en louer un nouveau. Sur les trois premiers mois de l'année, les financements en LOA ont bondi de 35,7 % (sur un an), contre un petit +2,2 % pour le crédit auto classique. Autre signe révélateur, le financement d'automobiles neuves passe désormais en majorité par la LOA (au premier trimestre 1,1 milliard d'euros de LOA sur un total financé de 1,8 milliard). Le phénomène commence même à déborder le terrain automobile : il est désormais possible de louer et de renouveler régulièrement des objets aussi différents qu'un réfrigérateur ou des meubles. Cette offre - vendue sous le nom Move & Rent - s'adresse aux étudiants et professionnels déménageant régulièrement et cherchant à s'équiper rapidement. En volume, ces offres restent dix fois plus faibles que la LOA automobile, mais la progression est elle aussi impressionnante. Comment expliquer ce mouvement de fond ?
On peut y lire une évolution profonde des modes de consommation : la possession d'un objet serait désormais bien moins importante que son usage. Le mouvement s'est déclenché dans la téléphonie, les abonnés acceptant de « rembourser » tous les mois un smartphone qu'ils pourraient renouveler régulièrement. Ce modèle économique a changé depuis - puisqu'il existe à présent des abonnements téléphoniques « nus » sans téléphone et symétriquement la possibilité de se procurer un téléphone sans abonnement… en LOA. Pour un technophile, il est donc possible d'obtenir un terminal dernier cri tous les deux ou trois ans. La propriété a depuis perdu du terrain dans d'autres domaines : la musique s'écoute désormais en streaming, les ventes d'albums diminuent. Le marché de la résidence secondaire souffre car, pour les jeunes générations, les compagnies aériennes low cost et désormais Airbnb permettent de varier les destinations et de ne pas s'encombrer de l'entretien d'une propriété.
Mais les consommateurs ne sont pas pour autant devenus des militants de la décroissance. Plus que philosophique, cette nouvelle attitude est en réalité parfaitement pragmatique. La location est considérée comme une arme anticrise, permettant de mieux maîtriser son budget. Ainsi, les spécialistes de la consommation observent une tendance globale à la mensualisation des dépenses. Qu'il s'agisse de LOA, de l'abonnement téléphonique, d'un service de musique en ligne, voire même du paiement des impôts, les dépenses sont de plus en plus souvent lissées dans le temps et la vision des particuliers sur leur « reste à vivre » (ce qu'il reste une fois que les factures sont payées) en est ainsi simplifiée. Surtout, ce mouvement n'aurait sans doute jamais pris un tel essor dans le secteur automobile si les industriels n'y avaient pas vu leur intérêt. Au point d'attirer l'attention des enquêteurs de la Direction de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui ont récemment très bien résumés les atouts du dispositif : « Pour le constructeur et le concessionnaire, il permet de fidéliser le client, non seulement en lui proposant de changer régulièrement de véhicule dans le cadre du renouvellement de son contrat de LOA, mais aussi en conservant l'entretien et les réparations du véhicule au sein des garages du réseau par le biais des contrats accessoires. La LOA, associée à des prestations annexes, leur permet ainsi de faire face à la concurrence des centres auto indépendants et de la vente par Internet de pièces détachées. » Elle permet en outre de concurrencer les banques traditionnelles qui financent les particuliers pour ce type d'achats et enfin « de constituer un parc de véhicules d'occasion récents et bien entretenus en contrôlant de façon optimale l'ancienneté et le kilométrage des voitures ainsi reprises ».
Avec de tels arguments, la location va-t-elle devenir le modèle dominant ? Tout dépendra de l'appétence des consommateurs : au-delà de l'évolution des comportements, certes bien engagée, la formule doit éviter la surchauffe et jouer la transparence. La DGCCRF relève ainsi des pratiques publicitaires assez discutables. D'après son enquête, les constructeurs orientent leur communication sur la location longue durée - plutôt que sur la LOA -, car les règles encadrant la publicité y sont plus souples. Cela leur donne la possibilité « de communiquer sur des loyers bas, attractifs, correspondant à une base kilométrique peu importante et des véhicules d'entrée de gamme ». Mais, ensuite, « le consommateur attiré par ces prix attractifs est orienté sur la LOA ». Autre frein possible : tous les biens de consommation ne se prêtent pas forcément à ce système. Pour que la formule fonctionne, il faut qu'un service puisse être associé à l'objet (par exemple l'entretien ou le remplacement immédiat d'un lave-linge défectueux) et que, au bout du bail, l'objet ait conservé une valeur résiduelle suffisante. Ces différents paramètres servent à établir le montant du loyer et à imaginer la vie future de l'objet restitué : nouvelle location ? Recyclage des pièces ? Vente d'occasion ? In fine, la question est de savoir s'il existe bien un modèle économique viable. Dans le secteur automobile, la réponse est clairement positive.
Edouard Lederer
Journaliste au service Finance
Les points à retenir
Dans l'automobile, la location avec option d'achat (LOA) progresse de façon exponentielle.
Cela confirme une évolution profonde des modes de consommation.
Plus que philosophique, cette nouvelle attitude est en réalité parfaitement pragmatique.
Ce mouvement n'aurait sans doute jamais pris un tel essor dans le secteur automobile si les industriels n'y avaient pas vu leur intérêt.
@EdouardLederer
http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021902707272-locataires-de-tout-proprietaires-de-rien-1219871.php
Le succès grandissant du covoiturage, du Vélib' ou des diverses formules de location longue durée est révélateur d'une tendance de fond : pour les consommateurs, la possession d'un bien est désormais moins importante que son usage.
La propriété aurait-elle du plomb dans l'aile ? Après le succès du Vélib' parisien, du covoiturage industrialisé par des acteurs comme BlaBlaCar, voilà que les conducteurs préfèrent désormais louer leur véhicule, plutôt que le posséder. Une révolution alors que le véhicule a si longtemps été synonyme de réussite sociale ! La location avec option d'achat (LOA) progresse de façon exponentielle, dans une économie française toujours poussive. Cette formule permet de louer un véhicule pendant trois ans, avec à l'issue la possibilité de le racheter ou d'en louer un nouveau. Sur les trois premiers mois de l'année, les financements en LOA ont bondi de 35,7 % (sur un an), contre un petit +2,2 % pour le crédit auto classique. Autre signe révélateur, le financement d'automobiles neuves passe désormais en majorité par la LOA (au premier trimestre 1,1 milliard d'euros de LOA sur un total financé de 1,8 milliard). Le phénomène commence même à déborder le terrain automobile : il est désormais possible de louer et de renouveler régulièrement des objets aussi différents qu'un réfrigérateur ou des meubles. Cette offre - vendue sous le nom Move & Rent - s'adresse aux étudiants et professionnels déménageant régulièrement et cherchant à s'équiper rapidement. En volume, ces offres restent dix fois plus faibles que la LOA automobile, mais la progression est elle aussi impressionnante. Comment expliquer ce mouvement de fond ?
On peut y lire une évolution profonde des modes de consommation : la possession d'un objet serait désormais bien moins importante que son usage. Le mouvement s'est déclenché dans la téléphonie, les abonnés acceptant de « rembourser » tous les mois un smartphone qu'ils pourraient renouveler régulièrement. Ce modèle économique a changé depuis - puisqu'il existe à présent des abonnements téléphoniques « nus » sans téléphone et symétriquement la possibilité de se procurer un téléphone sans abonnement… en LOA. Pour un technophile, il est donc possible d'obtenir un terminal dernier cri tous les deux ou trois ans. La propriété a depuis perdu du terrain dans d'autres domaines : la musique s'écoute désormais en streaming, les ventes d'albums diminuent. Le marché de la résidence secondaire souffre car, pour les jeunes générations, les compagnies aériennes low cost et désormais Airbnb permettent de varier les destinations et de ne pas s'encombrer de l'entretien d'une propriété.
Mais les consommateurs ne sont pas pour autant devenus des militants de la décroissance. Plus que philosophique, cette nouvelle attitude est en réalité parfaitement pragmatique. La location est considérée comme une arme anticrise, permettant de mieux maîtriser son budget. Ainsi, les spécialistes de la consommation observent une tendance globale à la mensualisation des dépenses. Qu'il s'agisse de LOA, de l'abonnement téléphonique, d'un service de musique en ligne, voire même du paiement des impôts, les dépenses sont de plus en plus souvent lissées dans le temps et la vision des particuliers sur leur « reste à vivre » (ce qu'il reste une fois que les factures sont payées) en est ainsi simplifiée. Surtout, ce mouvement n'aurait sans doute jamais pris un tel essor dans le secteur automobile si les industriels n'y avaient pas vu leur intérêt. Au point d'attirer l'attention des enquêteurs de la Direction de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui ont récemment très bien résumés les atouts du dispositif : « Pour le constructeur et le concessionnaire, il permet de fidéliser le client, non seulement en lui proposant de changer régulièrement de véhicule dans le cadre du renouvellement de son contrat de LOA, mais aussi en conservant l'entretien et les réparations du véhicule au sein des garages du réseau par le biais des contrats accessoires. La LOA, associée à des prestations annexes, leur permet ainsi de faire face à la concurrence des centres auto indépendants et de la vente par Internet de pièces détachées. » Elle permet en outre de concurrencer les banques traditionnelles qui financent les particuliers pour ce type d'achats et enfin « de constituer un parc de véhicules d'occasion récents et bien entretenus en contrôlant de façon optimale l'ancienneté et le kilométrage des voitures ainsi reprises ».
Avec de tels arguments, la location va-t-elle devenir le modèle dominant ? Tout dépendra de l'appétence des consommateurs : au-delà de l'évolution des comportements, certes bien engagée, la formule doit éviter la surchauffe et jouer la transparence. La DGCCRF relève ainsi des pratiques publicitaires assez discutables. D'après son enquête, les constructeurs orientent leur communication sur la location longue durée - plutôt que sur la LOA -, car les règles encadrant la publicité y sont plus souples. Cela leur donne la possibilité « de communiquer sur des loyers bas, attractifs, correspondant à une base kilométrique peu importante et des véhicules d'entrée de gamme ». Mais, ensuite, « le consommateur attiré par ces prix attractifs est orienté sur la LOA ». Autre frein possible : tous les biens de consommation ne se prêtent pas forcément à ce système. Pour que la formule fonctionne, il faut qu'un service puisse être associé à l'objet (par exemple l'entretien ou le remplacement immédiat d'un lave-linge défectueux) et que, au bout du bail, l'objet ait conservé une valeur résiduelle suffisante. Ces différents paramètres servent à établir le montant du loyer et à imaginer la vie future de l'objet restitué : nouvelle location ? Recyclage des pièces ? Vente d'occasion ? In fine, la question est de savoir s'il existe bien un modèle économique viable. Dans le secteur automobile, la réponse est clairement positive.
Edouard Lederer
Journaliste au service Finance
Les points à retenir
Dans l'automobile, la location avec option d'achat (LOA) progresse de façon exponentielle.
Cela confirme une évolution profonde des modes de consommation.
Plus que philosophique, cette nouvelle attitude est en réalité parfaitement pragmatique.
Ce mouvement n'aurait sans doute jamais pris un tel essor dans le secteur automobile si les industriels n'y avaient pas vu leur intérêt.
@EdouardLederer
http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021902707272-locataires-de-tout-proprietaires-de-rien-1219871.php
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