Des femmes et des (petits) métiers
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Des femmes et des (petits) métiers
Elles étaient brodeuses « en chambre », prêtaient leurs mains agiles et minutieuses aux imprimeurs ou aux maîtres-verriers, et n'étaient pas les dernières à faire la grève pour défendre leurs droits.
A Rennes, quelques rues et places publiques portent les noms de femmes jouissant d'une certaine célébrité. Mais les cours et les cages d'escalier bruissent aussi du labeur de femmes parfaitement anonymes.
En promenade dans le centre historique, souvenons-nous de celles qui le soir tombé à la lueur des bougies brodaient inlassablement les chasubles ecclésiastiques ou celles qui avant le lever du jour s'activaient déjà au lavoir sur les bords de l'Ille.
On dit souvent que le travail des femmes est une acquisition récente et émancipatrice. Une certaine forme de travail, issu notamment d'un accès tardif aux études, bien sûr. Mais faut il oublier pour autant toutes ces tâches depuis toujours dévolues aux femmes ? Celles de la maison et de la famille sont certes les principales, celles liées aux exploitations agricoles très longtemps invisibilisées ont toujours existé aussi, mais les femmes n'ont pas toutes attendu comme on le croit parfois que les hommes partent à la guerre pour prendre leur place dans les commerces et l'industrie.
La lecture du Parcours de femmes à Rennes, co-écrit par Colette Cosnier et Dominique Irvoas-Dantec, permet d'imaginer toute cette vie laborieuse du temps passé.
Eloigner les femmes de la mendicité et du libertinage
La « nature » des femmes jugée calme, sérieuse, discrète les a placées depuis longtemps dans les ateliers comme celui de la rue d'Antrain, créé au début des années 1920, par l'orfèvre Evellin. Tandis que les hommes s'y spécialisent dans les travaux de bronze et d'orfèvrerie d'art sacré et profane, brodeuses et couturières travaillent sur les ornements liturgiques puis, la guerre venue, sur les décorations militaires et les drapeaux. Elles travaillent l'or et la soie et l'une d'elles sera plusieurs fois nommée « première brodeuse de France » lors d'un concours national. L'atelier ne fermera ses portes qu'après le Concile Vatican II qui invite l'Eglise à plus de sobriété.
Si cet atelier est le seul à Rennes, les brodeuses « en chambre », travaillant à leur domicile, sont nombreuses. Dès le 19ème siècle, rue des Carmes, la manufacture de dentelle et de broderie est une école gratuite fréquentée par une soixantaine d'élèves. On prétend que ce genre d'institution pourrait à terme occuper plus de 500 femmes et filles, une bonne chose, dit-on, pour « réduire la mendicité et arrêter les progrès du libertinage ».
Les travaux d'aiguille, c'est bien connu, plaisent aux femmes. Ambroisine Garnier-Leray, n'a-t-elle pas créé son petit commerce de mercerie à l'angle de la rue Hoche et de la rue Sainte-Melaine ? Déplacée en 1899 rue d'Estrées, « A la fée » est longtemps restée célèbre à Rennes. Le mari d'Ambroisine, instituteur, raconte dans ses mémoires : « cette création d'une maison de commerce par une femme et l'extension qu'elle a prise, grâce à ses connaissances techniques, à son activité intellectuelle, à ses efforts soutenus, est tellement rare que bien des représentants qui visitent toute la France m'ont affirmé qu'à leur connaissance, deux établissements, l'un à Béziers et le sien, avaient dû leur fondation et leur prospérité à une femme. »
Un petit commerce qui apparemment avait su résister à l'arrivée des Grands Magasins. La journaliste et écrivaine féministe, Louise Bodin dans un article publié en avril 1923 par La Bretagne Communiste, s'inquiète déjà de l'influence que pourraient avoir sur les femmes aux revenus modestes « le miroir aux alouettes » que sont ces « magasins pour dames » qui se « multiplient avec une rapidité qui tient du prodige ».
Faire le marché ou s'acheter des bas de soie ?
Plus discrètes mais non moins nombreuses sont les employées des imprimeries que l'on peut voir sur les vieux clichés photographiques, mêlées aux hommes à la sortie des ateliers. Rue de Paris, la maison Oberthur est selon le Journal de la typographie de juillet 1877, « une vraie providence ». Les femmes peut-on lire « trouve une occupation plus douce que celles auxquelles elles se livrent habituellement et mieux rétribuée. » Et comme elles ne doivent jamais oublier de rester de bonnes mères de famille, « la paie se fait le samedi matin afin que la ménagère puisse faire ses provisions pour le dimanche ».
Leurs camarades « munitionnettes » de l'Arsenal employées en grand nombre au cours de la Première Guerre Mondiale pour remplacer les hommes partis au front, sont, elles, accusées de dilapider leur salaire. On leur reproche de s'acheter des robes et des bas de soie, elles qui chaque jour risquent l'intoxication due à la mélinite. Louise Bodin se fait leur porte-parole dans un article publié par la Voix des Femmes en décembre 1917. « Vous n'avez donc pas vu le visage flétri précocement de la plupart des femmes qui entrent à l'Arsenal ou qui en sortent et leurs expressions de lassitude – écrit-elle – Les ouvrières s'en vont chaque jour dans la pluie, dans la boue, dans le froid, tandis que vous dormez encore bien douillettement enfouies dans la tiédeur de votre lit ! Vous devez à leur labeur la sécurité de votre patriotisme verbal ! »
Place Hoche, c'est du côté des ateliers du maître-verrier Rault, installé depuis 1894, que l'on trouve les jeunes femmes qui cherchent du travail. On les emploie pour leur caractère appliqué, minutieux ; elles réalisent, dit-on, une mise en plomb plus soignée que les hommes. Mais, lorsqu'il faut sortir et aller installer les vitraux sur place, ce sont ces messieurs qui s'en chargent. A une exception près, cependant.
En 1937, l'entreprise doit réaliser les vitraux de la chapelle du monastère Saint-Cyr dont la règle stricte interdit l'entrée aux hommes. Le maître-verrier obtient l'autorisation d'entrer une seule fois, pour établir le devis. Une fois les vitraux réalisés, ce sont des femmes - la grand-mère, la mère et la tante d'Emmanuel Rault – qui vont réaliser la pose ; le père et l'oncle restant à la porte, rue Papu, pour donner leurs instructions. Le chantier, dit-on, dura deux mois quand il aurait fallu seulement une dizaine de jours à une équipe d'hommes entraînés !
S'organiser pour défendre ses droits
18 juin 1936, des ouvrières tiennent meeting à la Maison du Peuple, rue Saint-Louis. Elles sont les premières grévistes de Rennes, ce sont des employées de la chemiserie Strauss et de la bonneterie Moreau. Après avoir occupé leurs ateliers, elles ont rejoint le syndicat de l'habillement. Tandis que c'est aussi une femme, employée du Prisunic, qui préside le même jour un meeting des employé-e-s des grands magasins.
Ernest Chéreau, secrétaire départemental de la CGT, s'adresse aux grévistes pour leur conseiller de s'organiser pour défendre leurs droits. Assez maladroitement, il leur précise « il serait préférable que vos maris gagnent assez pour faire vivre leur famille, mais il y a des femmes qui n'ont aucun soutien ».
Et qui n'ont guère besoin d'hommes pour les défendre semble-t-il. Le journal Ouest-Eclair de ce même 18 juin 1936 cite une gréviste de la chemiserie Strauss disant sa colère face aux propositions dérisoires d'augmentation faites par le patron et aux conditions de travail des employées. « Encore, si on était toutes assurées de faire des journées entières – s'insurge-t-elle – mais certaines n'ont souvent pas de travail tout en ayant l'obligation de passer leurs huit heures dans l'usine. Or, c'est « pas de boulot, pas de paye » et voilà des femmes qui se font seulement de 10 à 20F par semaine ! »
Louise Bodin, décédée en 1929, n'est plus là pour défendre les ouvrières. Elle qui avait si souvent pris la parole dans cette Maison du Peuple pour des « causeries féministes ». Des convictions qui sans doute n'auraient pas été du goût de sa belle-mère, Marie Bodin, directrice de la ferme-école pour jeunes filles de Coëtlogon dont les propos étaient rapportés par les Nouvelles Rennaises de septembre 1900. « Pour former la femme, il faut lui conserver sa mission spéciale pour laquelle elle est faite – disait-elle lors d'un congrès – ne pas la sortir du domaine des professions qui conviennent à son sexe, ne pas encourager les revendications de droits différents des siens ou les empiétements sur le domaine de l'homme. »
Geneviève ROY
Sources : Parcours de femmes à Rennes de Colette Cosnier et Dominique Irvoas-Dantec, éditions Apogée (2001)
parcours livre
Les photos anciennes extraites du livre :
1- Le lavoir du boulevard Chézy (carte postale de 1911)
2- Un buvard publicitaire de la mercerie A la fée
3- La sortie des ateliers Oberthur
A Rennes, quelques rues et places publiques portent les noms de femmes jouissant d'une certaine célébrité. Mais les cours et les cages d'escalier bruissent aussi du labeur de femmes parfaitement anonymes.
En promenade dans le centre historique, souvenons-nous de celles qui le soir tombé à la lueur des bougies brodaient inlassablement les chasubles ecclésiastiques ou celles qui avant le lever du jour s'activaient déjà au lavoir sur les bords de l'Ille.
On dit souvent que le travail des femmes est une acquisition récente et émancipatrice. Une certaine forme de travail, issu notamment d'un accès tardif aux études, bien sûr. Mais faut il oublier pour autant toutes ces tâches depuis toujours dévolues aux femmes ? Celles de la maison et de la famille sont certes les principales, celles liées aux exploitations agricoles très longtemps invisibilisées ont toujours existé aussi, mais les femmes n'ont pas toutes attendu comme on le croit parfois que les hommes partent à la guerre pour prendre leur place dans les commerces et l'industrie.
La lecture du Parcours de femmes à Rennes, co-écrit par Colette Cosnier et Dominique Irvoas-Dantec, permet d'imaginer toute cette vie laborieuse du temps passé.
Eloigner les femmes de la mendicité et du libertinage
La « nature » des femmes jugée calme, sérieuse, discrète les a placées depuis longtemps dans les ateliers comme celui de la rue d'Antrain, créé au début des années 1920, par l'orfèvre Evellin. Tandis que les hommes s'y spécialisent dans les travaux de bronze et d'orfèvrerie d'art sacré et profane, brodeuses et couturières travaillent sur les ornements liturgiques puis, la guerre venue, sur les décorations militaires et les drapeaux. Elles travaillent l'or et la soie et l'une d'elles sera plusieurs fois nommée « première brodeuse de France » lors d'un concours national. L'atelier ne fermera ses portes qu'après le Concile Vatican II qui invite l'Eglise à plus de sobriété.
Si cet atelier est le seul à Rennes, les brodeuses « en chambre », travaillant à leur domicile, sont nombreuses. Dès le 19ème siècle, rue des Carmes, la manufacture de dentelle et de broderie est une école gratuite fréquentée par une soixantaine d'élèves. On prétend que ce genre d'institution pourrait à terme occuper plus de 500 femmes et filles, une bonne chose, dit-on, pour « réduire la mendicité et arrêter les progrès du libertinage ».
Les travaux d'aiguille, c'est bien connu, plaisent aux femmes. Ambroisine Garnier-Leray, n'a-t-elle pas créé son petit commerce de mercerie à l'angle de la rue Hoche et de la rue Sainte-Melaine ? Déplacée en 1899 rue d'Estrées, « A la fée » est longtemps restée célèbre à Rennes. Le mari d'Ambroisine, instituteur, raconte dans ses mémoires : « cette création d'une maison de commerce par une femme et l'extension qu'elle a prise, grâce à ses connaissances techniques, à son activité intellectuelle, à ses efforts soutenus, est tellement rare que bien des représentants qui visitent toute la France m'ont affirmé qu'à leur connaissance, deux établissements, l'un à Béziers et le sien, avaient dû leur fondation et leur prospérité à une femme. »
Un petit commerce qui apparemment avait su résister à l'arrivée des Grands Magasins. La journaliste et écrivaine féministe, Louise Bodin dans un article publié en avril 1923 par La Bretagne Communiste, s'inquiète déjà de l'influence que pourraient avoir sur les femmes aux revenus modestes « le miroir aux alouettes » que sont ces « magasins pour dames » qui se « multiplient avec une rapidité qui tient du prodige ».
Faire le marché ou s'acheter des bas de soie ?
Plus discrètes mais non moins nombreuses sont les employées des imprimeries que l'on peut voir sur les vieux clichés photographiques, mêlées aux hommes à la sortie des ateliers. Rue de Paris, la maison Oberthur est selon le Journal de la typographie de juillet 1877, « une vraie providence ». Les femmes peut-on lire « trouve une occupation plus douce que celles auxquelles elles se livrent habituellement et mieux rétribuée. » Et comme elles ne doivent jamais oublier de rester de bonnes mères de famille, « la paie se fait le samedi matin afin que la ménagère puisse faire ses provisions pour le dimanche ».
Leurs camarades « munitionnettes » de l'Arsenal employées en grand nombre au cours de la Première Guerre Mondiale pour remplacer les hommes partis au front, sont, elles, accusées de dilapider leur salaire. On leur reproche de s'acheter des robes et des bas de soie, elles qui chaque jour risquent l'intoxication due à la mélinite. Louise Bodin se fait leur porte-parole dans un article publié par la Voix des Femmes en décembre 1917. « Vous n'avez donc pas vu le visage flétri précocement de la plupart des femmes qui entrent à l'Arsenal ou qui en sortent et leurs expressions de lassitude – écrit-elle – Les ouvrières s'en vont chaque jour dans la pluie, dans la boue, dans le froid, tandis que vous dormez encore bien douillettement enfouies dans la tiédeur de votre lit ! Vous devez à leur labeur la sécurité de votre patriotisme verbal ! »
Place Hoche, c'est du côté des ateliers du maître-verrier Rault, installé depuis 1894, que l'on trouve les jeunes femmes qui cherchent du travail. On les emploie pour leur caractère appliqué, minutieux ; elles réalisent, dit-on, une mise en plomb plus soignée que les hommes. Mais, lorsqu'il faut sortir et aller installer les vitraux sur place, ce sont ces messieurs qui s'en chargent. A une exception près, cependant.
En 1937, l'entreprise doit réaliser les vitraux de la chapelle du monastère Saint-Cyr dont la règle stricte interdit l'entrée aux hommes. Le maître-verrier obtient l'autorisation d'entrer une seule fois, pour établir le devis. Une fois les vitraux réalisés, ce sont des femmes - la grand-mère, la mère et la tante d'Emmanuel Rault – qui vont réaliser la pose ; le père et l'oncle restant à la porte, rue Papu, pour donner leurs instructions. Le chantier, dit-on, dura deux mois quand il aurait fallu seulement une dizaine de jours à une équipe d'hommes entraînés !
S'organiser pour défendre ses droits
18 juin 1936, des ouvrières tiennent meeting à la Maison du Peuple, rue Saint-Louis. Elles sont les premières grévistes de Rennes, ce sont des employées de la chemiserie Strauss et de la bonneterie Moreau. Après avoir occupé leurs ateliers, elles ont rejoint le syndicat de l'habillement. Tandis que c'est aussi une femme, employée du Prisunic, qui préside le même jour un meeting des employé-e-s des grands magasins.
Ernest Chéreau, secrétaire départemental de la CGT, s'adresse aux grévistes pour leur conseiller de s'organiser pour défendre leurs droits. Assez maladroitement, il leur précise « il serait préférable que vos maris gagnent assez pour faire vivre leur famille, mais il y a des femmes qui n'ont aucun soutien ».
Et qui n'ont guère besoin d'hommes pour les défendre semble-t-il. Le journal Ouest-Eclair de ce même 18 juin 1936 cite une gréviste de la chemiserie Strauss disant sa colère face aux propositions dérisoires d'augmentation faites par le patron et aux conditions de travail des employées. « Encore, si on était toutes assurées de faire des journées entières – s'insurge-t-elle – mais certaines n'ont souvent pas de travail tout en ayant l'obligation de passer leurs huit heures dans l'usine. Or, c'est « pas de boulot, pas de paye » et voilà des femmes qui se font seulement de 10 à 20F par semaine ! »
Louise Bodin, décédée en 1929, n'est plus là pour défendre les ouvrières. Elle qui avait si souvent pris la parole dans cette Maison du Peuple pour des « causeries féministes ». Des convictions qui sans doute n'auraient pas été du goût de sa belle-mère, Marie Bodin, directrice de la ferme-école pour jeunes filles de Coëtlogon dont les propos étaient rapportés par les Nouvelles Rennaises de septembre 1900. « Pour former la femme, il faut lui conserver sa mission spéciale pour laquelle elle est faite – disait-elle lors d'un congrès – ne pas la sortir du domaine des professions qui conviennent à son sexe, ne pas encourager les revendications de droits différents des siens ou les empiétements sur le domaine de l'homme. »
Geneviève ROY
Sources : Parcours de femmes à Rennes de Colette Cosnier et Dominique Irvoas-Dantec, éditions Apogée (2001)
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2- Un buvard publicitaire de la mercerie A la fée
3- La sortie des ateliers Oberthur
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