A la recherche du plus ancien facteur de bombarde
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A la recherche du plus ancien facteur de bombarde
Trouver la trace d’un joueur de bombarde du début du XVIIIe siècle n’est déjà pas banal, mais lorsque l’on découvre que ce sonneur est aussi tourneur de profession, la tentation est grande d’imaginer ce personnage en facteur.
Les affaires judiciaires, avec les transcriptions des interrogatoires, sont une mine de renseignements sur la vie de la population sous l’Ancien Régime. L’exemple qui suit en est une parfaite illustration (1).
L’affaire se passe à Callac au début de l’année 1707. René Le Bourhis, soldat de marine, de retour de campagne passe un repos mérité à Callac. La veille de son départ pour Brest, afin de s’embarquer pour les Indes, il fait sa tournée d’adieu et boit quelques bonnes bouteilles de cidre avec des amis. Dans la soirée, la joyeuse bande décide de faire une virée au bourg de Callac.
« Qu’il est à la connaissance de la plus grande partye des habitants de laditte ville de Callac, que s’en retournant avec deux de ses amis, aussy soldats de marine, ils prièrent le nommé Morvan, sonneur de bombarde, et luy firent en jouer en passant la maison à vis l’auberge du Baron, ils furent attaquéz par quatre certains particuliers qui sortirent de ladite maison, dont l’un deux qui se fait craindre et redouter sur la pays, déchargea plusieurs coups de canne sur ledit Morvan, et dégaisna mesme son épe et luy donna quantité de coups, et de l’un desquels il luy coupa presque le poulce de la main droite (2). »
Il semble que se soit le Sénéchal de la ville, Julien Floyd, qui sorti de l’auberge bastonne le sonneur, et qui conduit toute la bande à la prison de la ville. Il ne s’agit pas d’un simple tapage nocturne, l’histoire est en réalité plus compliquée. Nous avons affaire à une lutte de pouvoir et sans doute personnelle entre le Sénéchal et le Procureur Fiscal.
L’auberge du Cheval Blanc tenue par le nommé Baron, appartenait à René Soreau qui était aussi Procureur Fiscal. Notre marin René Le Bourhis est le fils de François Le Bourhis qui est le Sergent ville, il est aussi le neveu du Procureur Fiscal. Un pouce coupé et un séjour dans les geôles de la ville, pour une soirée de fête, c’est cher payé pour le sonneur Pierre Morvan. Une enquête est menée sur cette affaire. Plusieurs témoignages sont recueillis, ainsi René Guénégou, 27 ans, confirme que René Le Bourhis se trouvait à souper avec ses camarades chez la nommée Chavannes, ayant avec eux Pierre Morvan qui jouait du hautbois, et décrit la bagarre qui s’en suivit.
Mais le témoignage le plus intéressant est bien sur celui de Pierre Morvan lui même, on y apprend qu’il à 43 ans (il est donc né en 1664), mais surtout il se déclare comme « tourneur » de profession. Nous avons donc affaire à un sonneur qui est aussi tourneur. Le raccourci est peut être rapide mais comment ne pas le faire, n’avons-nous pas affaire ici a un facteur de hautbois (3) ?
Selon le Furetière, dictionnaire de 1690, aucun doute n’est possible, un tourneur est un ouvrier qui façonne en rond ou autres figures sur une petite machine qu’on appelle un tour, le bois ou l’ivoire. Qu’elle pouvait donc être l’activité d’un tourneur à cette époque en centre Bretagne, éléments de mobiliers, ustensiles divers, outillages ?
Les instruments des sonneurs (bombarde et biniou) provenaient, d’après les renseignements datant des années 1880-1920, soit des sonneurs eux même, qui bricolant un tour à pédale, tournaient très artisanalement des instruments, soit d’artisans travaillant déjà le bois et fabricant des instruments à la demande. On peut aussi citer les meuniers qui, profitant de la force hydraulique de leur moulin, ont pu réaliser des bombardes ou biniou, en remarquant que bon nombre de sonneurs sont aussi meunier de profession.
Il a existé, semble t-il, à Lorient au moins depuis le milieu du XIXe siècle, quelques rares facteurs professionnels (4), cette profession ne fournissant sans aucun doute pas assez d’activité. Le plus célèbre, voir mythique, est Jean-Pierre Jacob (1865-1919) de Keryado en Lorient, sur lequel on ne sait que peut de chose. Les instruments anciens n’étant pas signés, il donc extrêmement difficile d’attribuer un instrument à un facteur.
Une recherche généalogique sur ce Pierre Morvan de la région de Callac serait sans aucun doute riche en renseignements, avis aux amateurs ! Ne chercher, à priori, aucun lien de parenté entre l’auteur de cet article et le sonneur Pierre Morvan.
A lire, pour complément sur la même affaire, l’article de Joseph Lohou : « Les vicissitudes de René Le Bourhis, dit Brindamour soldat de marine callacois en 1706 » publié dans la revue Pays d’Argoat, n°47, 1er semestre 2007, pp. 25-30.
(1) FAVÉ (Antoine), Brindamour soldat de marine pour le service du roy détenu aux prisons de Callac, Bulletin de la société archéologique du Finistère, t. XXX, 1903, pp. 393-410.
(2) Favé ne donne pas de source précise, il serait intéressant de retrouver le document original pour vérifier la transcription.
(3) J’emploie le terme facteur plutôt que luthier qui est normalement réservé aux instruments à cordes.
(4) Voir l’ouvrage collectif Musique Bretonne, Ed. Le Chasse-Marée, 1996, p. 343.
Kristian Morvan, Musique Bretonne, n° 203, Juillet 2007, pp. 30-31.
Les affaires judiciaires, avec les transcriptions des interrogatoires, sont une mine de renseignements sur la vie de la population sous l’Ancien Régime. L’exemple qui suit en est une parfaite illustration (1).
L’affaire se passe à Callac au début de l’année 1707. René Le Bourhis, soldat de marine, de retour de campagne passe un repos mérité à Callac. La veille de son départ pour Brest, afin de s’embarquer pour les Indes, il fait sa tournée d’adieu et boit quelques bonnes bouteilles de cidre avec des amis. Dans la soirée, la joyeuse bande décide de faire une virée au bourg de Callac.
« Qu’il est à la connaissance de la plus grande partye des habitants de laditte ville de Callac, que s’en retournant avec deux de ses amis, aussy soldats de marine, ils prièrent le nommé Morvan, sonneur de bombarde, et luy firent en jouer en passant la maison à vis l’auberge du Baron, ils furent attaquéz par quatre certains particuliers qui sortirent de ladite maison, dont l’un deux qui se fait craindre et redouter sur la pays, déchargea plusieurs coups de canne sur ledit Morvan, et dégaisna mesme son épe et luy donna quantité de coups, et de l’un desquels il luy coupa presque le poulce de la main droite (2). »
Il semble que se soit le Sénéchal de la ville, Julien Floyd, qui sorti de l’auberge bastonne le sonneur, et qui conduit toute la bande à la prison de la ville. Il ne s’agit pas d’un simple tapage nocturne, l’histoire est en réalité plus compliquée. Nous avons affaire à une lutte de pouvoir et sans doute personnelle entre le Sénéchal et le Procureur Fiscal.
L’auberge du Cheval Blanc tenue par le nommé Baron, appartenait à René Soreau qui était aussi Procureur Fiscal. Notre marin René Le Bourhis est le fils de François Le Bourhis qui est le Sergent ville, il est aussi le neveu du Procureur Fiscal. Un pouce coupé et un séjour dans les geôles de la ville, pour une soirée de fête, c’est cher payé pour le sonneur Pierre Morvan. Une enquête est menée sur cette affaire. Plusieurs témoignages sont recueillis, ainsi René Guénégou, 27 ans, confirme que René Le Bourhis se trouvait à souper avec ses camarades chez la nommée Chavannes, ayant avec eux Pierre Morvan qui jouait du hautbois, et décrit la bagarre qui s’en suivit.
Mais le témoignage le plus intéressant est bien sur celui de Pierre Morvan lui même, on y apprend qu’il à 43 ans (il est donc né en 1664), mais surtout il se déclare comme « tourneur » de profession. Nous avons donc affaire à un sonneur qui est aussi tourneur. Le raccourci est peut être rapide mais comment ne pas le faire, n’avons-nous pas affaire ici a un facteur de hautbois (3) ?
Selon le Furetière, dictionnaire de 1690, aucun doute n’est possible, un tourneur est un ouvrier qui façonne en rond ou autres figures sur une petite machine qu’on appelle un tour, le bois ou l’ivoire. Qu’elle pouvait donc être l’activité d’un tourneur à cette époque en centre Bretagne, éléments de mobiliers, ustensiles divers, outillages ?
Les instruments des sonneurs (bombarde et biniou) provenaient, d’après les renseignements datant des années 1880-1920, soit des sonneurs eux même, qui bricolant un tour à pédale, tournaient très artisanalement des instruments, soit d’artisans travaillant déjà le bois et fabricant des instruments à la demande. On peut aussi citer les meuniers qui, profitant de la force hydraulique de leur moulin, ont pu réaliser des bombardes ou biniou, en remarquant que bon nombre de sonneurs sont aussi meunier de profession.
Il a existé, semble t-il, à Lorient au moins depuis le milieu du XIXe siècle, quelques rares facteurs professionnels (4), cette profession ne fournissant sans aucun doute pas assez d’activité. Le plus célèbre, voir mythique, est Jean-Pierre Jacob (1865-1919) de Keryado en Lorient, sur lequel on ne sait que peut de chose. Les instruments anciens n’étant pas signés, il donc extrêmement difficile d’attribuer un instrument à un facteur.
Une recherche généalogique sur ce Pierre Morvan de la région de Callac serait sans aucun doute riche en renseignements, avis aux amateurs ! Ne chercher, à priori, aucun lien de parenté entre l’auteur de cet article et le sonneur Pierre Morvan.
A lire, pour complément sur la même affaire, l’article de Joseph Lohou : « Les vicissitudes de René Le Bourhis, dit Brindamour soldat de marine callacois en 1706 » publié dans la revue Pays d’Argoat, n°47, 1er semestre 2007, pp. 25-30.
(1) FAVÉ (Antoine), Brindamour soldat de marine pour le service du roy détenu aux prisons de Callac, Bulletin de la société archéologique du Finistère, t. XXX, 1903, pp. 393-410.
(2) Favé ne donne pas de source précise, il serait intéressant de retrouver le document original pour vérifier la transcription.
(3) J’emploie le terme facteur plutôt que luthier qui est normalement réservé aux instruments à cordes.
(4) Voir l’ouvrage collectif Musique Bretonne, Ed. Le Chasse-Marée, 1996, p. 343.
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