Feux de la Saint-Jean en Bretagne
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Feux de la Saint-Jean en Bretagne
(d’après un article paru en 1834)
Dès la veille de le Saint-Jean, on voit des troupes de petits garçons et de petites filles en haillons aller de porte en porte, une assiette à la main, quêter une légère aumône : ce sont les pauvres, qui n’ont pu économiser sur l’année entière de quoi acheter une fascine d’ajonc, qui envoient ainsi leurs enfants mendier de quoi allumer un feu « en l’honneur de monsieur saint Jean. »
Vers le soir, on aperçoit, sur quelque rocher élevé, au haut de quelque montagne, un feu qui brille tout-à-coup ; puis un second, un troisième, puis cent feux, mille feux ! Devant, derrière, à l’horizon, partout la terre semble refléter le ciel, et avoir autant d’étoiles ; de loin, on entend une rumeur confuse, joyeuse, et je ne sais quelle étrange musique, mélangée de sons métalliques et de vibrations d’harmonica qu’obtiennent des enfants en caressant du doigt un jonc fixé aux deux parois d’une bassine de cuivre pleine d’eau et de morceaux de fer ; cependant, les conques des pâtres se répondent de vallée en vallée ; les voix des paysans chantent des noëls aux pieds des calvaires, se font entendre ; les jeunes filles, parées de leurs habits de fête, accourent pour danser autour des feux de saint Jean ; car on leur a dit que, si elles en visitaient neuf, elle se marieraient dans l’année. Les paysans conduisent leurs troupeaux pour les faire sauter par dessus le brasier sacré, sûrs de les préserver ainsi de maladie.
C’est alors un spectacle étrange pour le voyageur qui passe, que de voir de longues chaînes d’ombres bondissantes tourner autour de mille feux, comme des rondes diaboliques, en jetant des cris farouches et des appels lointains. Dans beaucoup de paroisses, c’est le curé lui-même qui vient processionnellement, avec la croix, allumer le feu de joie préparé au milieu du bourg ; à Saint-Jean-du-Doigt (Finistère), le même office est rempli par un ange qui, au moyen d’un mécanisme fort simple, descend, un flambeau à la main, du sommet de la tour élancée, enflamme le bûcher, puis s’envole et disparaît dans les aiguilles tailladées du clocher.
Les Bretons conservent avec une grande piété un tison du feu de la Saint-Jean : ce tison, placé près de leur lit, entre un bois bénit le dimanche des Rameaux, et un morceau de gâteau des Rois, les préserve, disent-ils, du tonnerre. Ils se disputent en outre, avec beaucoup d’ardeur, la couronne de fleurs qui domine le feu de Saint-Jean : ces fleurs flétries sont des talismans contre les maux du corps et les peines de l’âme : quelques jeunes filles les portent suspendues sur leur poitrine par un fil de laine rouge, tout puissant, comme on le sait, pour guérir les douleurs nerveuses.
A Brest, la Saint-Jean a une physionomie particulière et plus fantastique encore que dans le reste de le Bretagne. Vers le soir, trois à quatre mille personnes accourent sur les glacis ; enfants, ouvriers, matelots, tous portent à la main une torche de goudron enflammée, à laquelle ils impriment un mouvement rapide de rotation. Au milieu des ténèbres de la nuit, on aperçoit des milliers de lumières agitées par des mains invisibles qui courent en sautillant, tournent en cercle, scintillent, et décrivent dans l’air mille capricieuses arabesques de feu : parfois, lancées par des bras vigoureux, cent torches s’élèvent en même temps vers le ciel, et retombent en secouant une grêle de braie enflammée, qui grésille sur les feuilles des arbres ; on dirait une pluie d’étoiles.
Une foule immense de spectateurs, attirée par l’originalité de ce spectacle, circule sous cette rosée de feu. Cela dure jusqu’à la fermeture des portes. Quand le roulement de rentrée se fait entendre, la foule reprend le chemin de la ville. Alors, le pont-levis remonte, et les sentinelles commencent à se renvoyer le qui vive de nuit, tandis que sur les routes de Saint-Marc, de Morlaix et de Kerinou, on voit les torches fuir en courant, et s’éteindre successivement, comme les feux follets des montagnes.
En Poitou, pour célébrer la Saint-Jean, on entoure d’un bourrelet de paille une roue de charrette ; on allume le bourrelet avec un cierge bénit, puis l’on promène la roue enflammée à travers les campagnes, qu’elle fertilise, si l’on en croit les gens du pays.
Ici, les traces du druidisme sont évidentes : cette roue qui brûle est une image grossière, mais sensible, du disque du soleil, dont le passage féconde les terres. Le long de la Loire, les mariniers qui fêtent la Saint-Jean allument aussi des feux de joie, sur lesquels ils font une matelotte. Cet acte domestique semble rappeler le renouvellement des feux de ménage à l’ancienne fête de solstice.
En Allemagne, des usages du même genre constatent la liaison qui existe entre les feux de la Saint-Jeean et l’ancien culte du soleil.
C’est ainsi qu’un regard attentif nous fait retrouver partout dans le présent les traces du passé.
https://www.france-pittoresque.com/
Dès la veille de le Saint-Jean, on voit des troupes de petits garçons et de petites filles en haillons aller de porte en porte, une assiette à la main, quêter une légère aumône : ce sont les pauvres, qui n’ont pu économiser sur l’année entière de quoi acheter une fascine d’ajonc, qui envoient ainsi leurs enfants mendier de quoi allumer un feu « en l’honneur de monsieur saint Jean. »
Vers le soir, on aperçoit, sur quelque rocher élevé, au haut de quelque montagne, un feu qui brille tout-à-coup ; puis un second, un troisième, puis cent feux, mille feux ! Devant, derrière, à l’horizon, partout la terre semble refléter le ciel, et avoir autant d’étoiles ; de loin, on entend une rumeur confuse, joyeuse, et je ne sais quelle étrange musique, mélangée de sons métalliques et de vibrations d’harmonica qu’obtiennent des enfants en caressant du doigt un jonc fixé aux deux parois d’une bassine de cuivre pleine d’eau et de morceaux de fer ; cependant, les conques des pâtres se répondent de vallée en vallée ; les voix des paysans chantent des noëls aux pieds des calvaires, se font entendre ; les jeunes filles, parées de leurs habits de fête, accourent pour danser autour des feux de saint Jean ; car on leur a dit que, si elles en visitaient neuf, elle se marieraient dans l’année. Les paysans conduisent leurs troupeaux pour les faire sauter par dessus le brasier sacré, sûrs de les préserver ainsi de maladie.
C’est alors un spectacle étrange pour le voyageur qui passe, que de voir de longues chaînes d’ombres bondissantes tourner autour de mille feux, comme des rondes diaboliques, en jetant des cris farouches et des appels lointains. Dans beaucoup de paroisses, c’est le curé lui-même qui vient processionnellement, avec la croix, allumer le feu de joie préparé au milieu du bourg ; à Saint-Jean-du-Doigt (Finistère), le même office est rempli par un ange qui, au moyen d’un mécanisme fort simple, descend, un flambeau à la main, du sommet de la tour élancée, enflamme le bûcher, puis s’envole et disparaît dans les aiguilles tailladées du clocher.
Les Bretons conservent avec une grande piété un tison du feu de la Saint-Jean : ce tison, placé près de leur lit, entre un bois bénit le dimanche des Rameaux, et un morceau de gâteau des Rois, les préserve, disent-ils, du tonnerre. Ils se disputent en outre, avec beaucoup d’ardeur, la couronne de fleurs qui domine le feu de Saint-Jean : ces fleurs flétries sont des talismans contre les maux du corps et les peines de l’âme : quelques jeunes filles les portent suspendues sur leur poitrine par un fil de laine rouge, tout puissant, comme on le sait, pour guérir les douleurs nerveuses.
A Brest, la Saint-Jean a une physionomie particulière et plus fantastique encore que dans le reste de le Bretagne. Vers le soir, trois à quatre mille personnes accourent sur les glacis ; enfants, ouvriers, matelots, tous portent à la main une torche de goudron enflammée, à laquelle ils impriment un mouvement rapide de rotation. Au milieu des ténèbres de la nuit, on aperçoit des milliers de lumières agitées par des mains invisibles qui courent en sautillant, tournent en cercle, scintillent, et décrivent dans l’air mille capricieuses arabesques de feu : parfois, lancées par des bras vigoureux, cent torches s’élèvent en même temps vers le ciel, et retombent en secouant une grêle de braie enflammée, qui grésille sur les feuilles des arbres ; on dirait une pluie d’étoiles.
Une foule immense de spectateurs, attirée par l’originalité de ce spectacle, circule sous cette rosée de feu. Cela dure jusqu’à la fermeture des portes. Quand le roulement de rentrée se fait entendre, la foule reprend le chemin de la ville. Alors, le pont-levis remonte, et les sentinelles commencent à se renvoyer le qui vive de nuit, tandis que sur les routes de Saint-Marc, de Morlaix et de Kerinou, on voit les torches fuir en courant, et s’éteindre successivement, comme les feux follets des montagnes.
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