Cidre bouché, Boujaron. « Bienvenue » À Binic-Etables-sur-Mer
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Cidre bouché, Boujaron. « Bienvenue » À Binic-Etables-sur-Mer
Sur une grande table en bois, dans une jolie bouteille en verre, du boujaron. Jacques sert un godet et fait valser le liquide brun caramel. Avant d’y tremper les lèvres, on hume les arômes qui se déploient. À 10 h du matin, « la bonne heure pour déguster », les 42 degrés d’alcool piquent un peu les narines. Finalement, la mise en bouche est plus douce que prévu.
À Binic-Etables-sur-Mer, au bout d’une impasse, un pavillon ordinaire. Sous la boîte aux lettres, un écriteau : Cidre bouché, Boujaron. « Bienvenue », sourit Martine Barreau. « Mon mari ne devrait pas tarder, il est dans le verger ». À grandes enjambées, ce dernier s’approche. La poignée de main est virile. Jacques Barreau endosse ses 72 printemps aussi bien qu’il ramasse des kilos de pommes à l’automne. Ses mains, endurcies par des années de labeur, témoignent d’un amour inconditionnel pour le travail, la terre et le fruit que l’on peut en récolter.
Son trésor est là, à portée de main. Sur une grande table en bois, dans une jolie bouteille en verre, du Boujaron. Jacques sert un godet et fait valser le liquide brun caramel. Avant d’y tremper les lèvres, on hume les arômes qui se déploient. À 10 h du matin, « la bonne heure pour déguster », les 42 degrés d’alcool piquent un peu les narines. Finalement, la mise en bouche est plus douce que prévue. Après plus de sept ans à reposer dans le tonneau, la rugosité s’est arrondie. « Le vieillissement permet d’émietter les pointes et de remplir les creux avec des arômes », détaille l’expert. Une fois recraché (ou avalé), un effluve s’évanouit lentement. Derrière une simple gorgée, le fruit d’années de travail mais surtout la sauvegarde d’un patrimoine plus ancien.
Bien avant d’être une marque déposée, un alcool chouchouté, le boujaron était « un rituel » prisé des marins. Jacques réveille sa mémoire. « L’un de mes arrière-grands-pères, Jean-Marie Botrel, était capitaine d’une goélette. Avec ses gars, ils partaient pêcher la morue en Islande de février à août. Pour tenir le coup, ils avaient le droit au boujaron ». L’arrière-petit-fils attrape un ouvrage sur le sujet et poursuit le récit : « Dès le réveil avant l’aube, 6 cl d’eau-de-vie sont servis à chaque matelot, puis tout devient prétexte à boire la goutte : repas, fin du quart de pêche, manœuvre imprévue… Rien de tel que du tord-boyaux servi avec largesse pour ramener à la docilité un équipage ». Le breuvage « infâme qui rendait les hommes malades » n’était pas encore concocté à partir de cidre. « C’était plus souvent de l’eau-de-vie des Charentes, du tafia ou encore du rhum, en fonction des endroits où l’on naviguait », précise le producteur Tagarin.
Pour comprendre le mariage entre le boujaron et les pommes, Jacques fait appel à son autre arrière-grand-père, François Le Bars. Ce dernier possédait à la fin du XIXe siècle un four à chaux à Saint-Quay-Portrieux. « À la fin des campagnes de pêche, plusieurs marins allaient y travailler. Sauf que quand ils revenaient au pays, il n’y avait plus l’eau-de-vie du bord. Pour perpétuer la tradition, on a donc commencé à distiller du cidre. » Les années passent. Petit à petit, l’esprit marin qui régnait en pays Goëlo s’estompe. Le rituel du boujaron s’embrume, puis disparaît. Même les vergers, très abondant jusqu’au début des années 60, sont ratiboisés pour laisser place à de nouvelles cultures. Au milieu de ce terroir en pleine mutation, Jacques est élevé par son grand-père. « Il m’a appris à vivre, formé. Il s’est peut-être un peu projeté sur mon devenir pour réaliser ce qu’il n’avait pas pu faire ». Le garçon apprend le goût du travail, « de la chose bien faite », mais aussi le béguin pour les pommes, le cidre et le boujaron que son grand-père versait dans le café.
Résultat, après une carrière dans la marine marchande, Jacques Barreau pose définitivement ses valises à terre. Craignant la disparition du cidre traditionnel breton, il enfourche son vélo et arpente les vergers encore debout pour sauver un maximum de variétés. Petit à petit, son verger s’étoffe. La production de cidre redémarre. À l’ombre de son atelier, le retour du boujaron se trame. « Il m’a fallu quinze ans pour réussir à produire une eau-de-vie de qualité. C’est une école de tous les jours. Ce n’est jamais gagné. » Pour parvenir au résultat qu’il vend aujourd’hui, Jacques s’est investi corps et âme dans son projet.
Dans le sillage de cette aventure, il a entraîné Martine, sa femme. « J’ai rencontré Jacques en maternelle. Quand on s’est marié, j’avais 21 ans », glisse-t-elle. Fille de pêcheur, elle a su trouver sa place au milieu de la passion de son mari. L’histoire du boujaron, c’est avant tout celle du pays Goëlo, « c’est aussi la mienne », souligne-t-elle. Comme son époux, le travail au quotidien ne l’effraye pas. Son record personnel : « 1, 7 t de pommes ramassées en 7 h 30 ». « Aujourd’hui, à 68 ans, j’en fais un peu moins », dit-elle, presque en s’excusant. Ce n’est pourtant pas vraiment la vérité. Au Verger du Ponto, le téléphone n’arrête pas de sonner et les visiteurs sont légion. « On reçoit beaucoup d’habitués. Certaines personnes viennent de loin. Il profite de l’été pour passer quelques jours dans la région », explique Martine. Justement, ce jour-là, un couple arrive.
C’est Bernard et Odile, des camping-caristes venus de Lambersart, dans le Nord. Eux ont découvert l’endroit il y a cinq ans au détour d’une promenade à vélo. Depuis, Bretons et Nordistes sont devenus amis. « C’est ça qui est important : le côté humain, les sourires, l’accueil. Nous y sommes très attachés. Nous nous téléphonons régulièrement, pour parler de choses et d’autres », souligne Bernard. Face à lui, Jacques sourit, presque gêné par les éloges prononcés par ce client aux cheveux couleur d’argent.
« La modestie, ce n’est pas toujours facile, mais c’est vachement utile », confie Jacques. Plutôt que de se reposer sur ses lauriers, l’homme qui a réveillé le boujaron garde la tête froide, le regard tourné vers l’avenir. Une filière cidricole sauvée, un boujaron sauvegardé, l’aventure ne fait finalement que commencer. « Il faut continuer pour transmettre les valeurs et l’histoire. C’est ça le plus important ».
Credits:
Jonathan Konitz
TELEGRAMME
Re: Cidre bouché, Boujaron. « Bienvenue » À Binic-Etables-sur-Mer
ARTICLE DU TELEGRAMME
Après plus de sept ans à reposer dans le tonneau, la rugosité s’est arrondie. « Le vieillissement permet d’émietter les pointes et de remplir les creux avec des arômes », détaille l’expert. Une fois recraché (ou avalé), un effluve s’évanouit lentement. Derrière une simple gorgée, le fruit d’années de travail mais surtout la sauvegarde d’un patrimoine plus ancien.
Bien avant d’être une marque déposée, un alcool chouchouté, le boujaron était « un rituel » prisé des marins. Jacques réveille sa mémoire. « L’un de mes arrière-grand-pères, Jean-Marie Botrel, était capitaine d’une goélette. Avec ses gars, ils partaient pêcher la morue en Islande, de février à août. Pour tenir le coup, ils avaient le droit au boujaron ».
L’arrière-petit-fils attrape un ouvrage sur le sujet et poursuit le récit : « Dès le réveil, avant l’aube, 6 cl d’eau-de-vie sont servis à chaque matelot, puis tout devient prétexte à boire la goutte : repas, fin du quart de pêche, manœuvre imprévue… Rien de tel que du tord-boyaux servi avec largesse pour ramener à la docilité un équipage ».
Le breuvage « infâme qui rendait les hommes malades » n’était pas encore concocté à partir de cidre. « C’était plus souvent de l’eau-de-vie des Charentes, du tafia ou encore du rhum, en fonction des endroits où l’on naviguait », précise le producteur tagarin. Pour comprendre le mariage entre le boujaron et les pommes, Jacques fait appel à son autre arrière-grand-père, François Le Bars.
Ce dernier possédait, à la fin du XIXe siècle, un four à chaux, à Saint-Quay-Portrieux (Côtes-d'Armor). « À la fin des campagnes de pêche, plusieurs marins allaient y travailler. Sauf que, quand ils revenaient au pays, il n’y avait plus l’eau-de-vie du bord. Pour perpétuer la tradition, on a donc commencé à distiller du cidre ».
De la mer à la terre
Les années passent. Petit à petit, l’esprit marin qui régnait en pays Goëlo s’estompe. Le rituel du boujaron s’embrume, puis disparaît. Même les vergers, très abondant jusqu’au début des années 60, sont ratiboisés pour laisser place à de nouvelles cultures.
Au milieu de ce terroir en pleine mutation, Jacques est élevé par son grand-père. « Il m’a appris à vivre, formé. Il s’est peut-être un peu projeté sur mon devenir pour réaliser ce qu’il n’avait pas pu faire ». Le garçon apprend le goût du travail, « de la chose bien faite », mais aussi le béguin pour les pommes, le cidre et le boujaron que son grand-père versait dans le café.
Résultat, après une carrière dans la marine marchande, Jacques Barreau pose définitivement ses valises à terre. Craignant la disparition du cidre traditionnel breton, il enfourche son vélo et arpente les vergers encore debout pour sauver un maximum de variétés.
Petit à petit, le sien s’étoffe. La production de cidre redémarre. À l’ombre de son atelier, le retour du boujaron se trame. « Il m’a fallu quinze ans pour réussir à produire une eau-de-vie de qualité. C’est une école de tous les jours. Ce n’est jamais gagné ». Pour parvenir au résultat qu’il vend aujourd’hui, Jacques s’est investi corps et âme dans son projet.
Dans le sillage de cette aventure, il a entraîné Martine, sa femme. « J’ai rencontré Jacques en maternelle. Quand on s’est marié, j’avais 21 ans », glisse-t-elle. Fille de pêcheur, elle a su trouver sa place au milieu de la passion de son mari. L’histoire du boujaron, c’est avant tout celle du pays Goëlo, « c’est aussi la mienne », souligne-t-elle. Comme son époux, le travail au quotidien ne l’effraye pas. Son record personnel : « 1,7 t de pommes ramassées en 7 heures 30 ».
« Aujourd’hui, à 68 ans, j’en fais un peu moins », dit-elle, presque en s’excusant. Ce n’est pourtant pas vraiment la vérité. Au Verger du Ponto, le téléphone n’arrête pas de sonner et les visiteurs sont légion. « On reçoit beaucoup d’habitués. Certaines personnes viennent de loin et profitent de l’été pour passer quelques jours dans la région », explique Martine. Justement, ce jour-là, un couple arrive.
C’est Bernard et Odile, des camping-caristes venus de Lambersart, dans le Nord (59). Eux ont découvert l’endroit il y a cinq ans au détour d’une promenade à vélo. Depuis, Bretons et Nordistes sont devenus amis. « C’est ça qui est important : le côté humain, les sourires, l’accueil.
Nous y sommes très attachés. Nous nous téléphonons régulièrement, pour parler de choses et d’autres », souligne Bernard. Face à lui, Jacques sourit, presque gêné par les éloges prononcés par ce client aux cheveux couleur d’argent. « La modestie, ce n’est pas toujours facile mais c’est vachement utile », confie Jacques. Plutôt que de se reposer sur ses lauriers, l’homme qui a réveillé le boujaron garde la tête froide, le regard tourné vers l’avenir.
Une filière cidricole sauvée, un boujaron sauvegardé, l’aventure ne fait finalement que commencer. « Il faut continuer pour transmettre les valeurs et l’histoire. C’est ça le plus important ».
Charles Drouilly
Après plus de sept ans à reposer dans le tonneau, la rugosité s’est arrondie. « Le vieillissement permet d’émietter les pointes et de remplir les creux avec des arômes », détaille l’expert. Une fois recraché (ou avalé), un effluve s’évanouit lentement. Derrière une simple gorgée, le fruit d’années de travail mais surtout la sauvegarde d’un patrimoine plus ancien.
Dès le réveil, avant l’aube, 6 cl d’eau-de-vie sont servis à chaque matelot, puis tout devient prétexte à boire la goutte
Bien avant d’être une marque déposée, un alcool chouchouté, le boujaron était « un rituel » prisé des marins. Jacques réveille sa mémoire. « L’un de mes arrière-grand-pères, Jean-Marie Botrel, était capitaine d’une goélette. Avec ses gars, ils partaient pêcher la morue en Islande, de février à août. Pour tenir le coup, ils avaient le droit au boujaron ».
L’arrière-petit-fils attrape un ouvrage sur le sujet et poursuit le récit : « Dès le réveil, avant l’aube, 6 cl d’eau-de-vie sont servis à chaque matelot, puis tout devient prétexte à boire la goutte : repas, fin du quart de pêche, manœuvre imprévue… Rien de tel que du tord-boyaux servi avec largesse pour ramener à la docilité un équipage ».
Le breuvage « infâme qui rendait les hommes malades » n’était pas encore concocté à partir de cidre. « C’était plus souvent de l’eau-de-vie des Charentes, du tafia ou encore du rhum, en fonction des endroits où l’on naviguait », précise le producteur tagarin. Pour comprendre le mariage entre le boujaron et les pommes, Jacques fait appel à son autre arrière-grand-père, François Le Bars.
Ce dernier possédait, à la fin du XIXe siècle, un four à chaux, à Saint-Quay-Portrieux (Côtes-d'Armor). « À la fin des campagnes de pêche, plusieurs marins allaient y travailler. Sauf que, quand ils revenaient au pays, il n’y avait plus l’eau-de-vie du bord. Pour perpétuer la tradition, on a donc commencé à distiller du cidre ».
De la mer à la terre
Les années passent. Petit à petit, l’esprit marin qui régnait en pays Goëlo s’estompe. Le rituel du boujaron s’embrume, puis disparaît. Même les vergers, très abondant jusqu’au début des années 60, sont ratiboisés pour laisser place à de nouvelles cultures.
Au milieu de ce terroir en pleine mutation, Jacques est élevé par son grand-père. « Il m’a appris à vivre, formé. Il s’est peut-être un peu projeté sur mon devenir pour réaliser ce qu’il n’avait pas pu faire ». Le garçon apprend le goût du travail, « de la chose bien faite », mais aussi le béguin pour les pommes, le cidre et le boujaron que son grand-père versait dans le café.
C’est ça qui est important : le côté humain, les sourires, l’accueil. Nous y sommes très attachés
Résultat, après une carrière dans la marine marchande, Jacques Barreau pose définitivement ses valises à terre. Craignant la disparition du cidre traditionnel breton, il enfourche son vélo et arpente les vergers encore debout pour sauver un maximum de variétés.
Petit à petit, le sien s’étoffe. La production de cidre redémarre. À l’ombre de son atelier, le retour du boujaron se trame. « Il m’a fallu quinze ans pour réussir à produire une eau-de-vie de qualité. C’est une école de tous les jours. Ce n’est jamais gagné ». Pour parvenir au résultat qu’il vend aujourd’hui, Jacques s’est investi corps et âme dans son projet.
Des tonnes de pommes ramassées à la main
Dans le sillage de cette aventure, il a entraîné Martine, sa femme. « J’ai rencontré Jacques en maternelle. Quand on s’est marié, j’avais 21 ans », glisse-t-elle. Fille de pêcheur, elle a su trouver sa place au milieu de la passion de son mari. L’histoire du boujaron, c’est avant tout celle du pays Goëlo, « c’est aussi la mienne », souligne-t-elle. Comme son époux, le travail au quotidien ne l’effraye pas. Son record personnel : « 1,7 t de pommes ramassées en 7 heures 30 ».
« Aujourd’hui, à 68 ans, j’en fais un peu moins », dit-elle, presque en s’excusant. Ce n’est pourtant pas vraiment la vérité. Au Verger du Ponto, le téléphone n’arrête pas de sonner et les visiteurs sont légion. « On reçoit beaucoup d’habitués. Certaines personnes viennent de loin et profitent de l’été pour passer quelques jours dans la région », explique Martine. Justement, ce jour-là, un couple arrive.
C’est Bernard et Odile, des camping-caristes venus de Lambersart, dans le Nord (59). Eux ont découvert l’endroit il y a cinq ans au détour d’une promenade à vélo. Depuis, Bretons et Nordistes sont devenus amis. « C’est ça qui est important : le côté humain, les sourires, l’accueil.
Nous y sommes très attachés. Nous nous téléphonons régulièrement, pour parler de choses et d’autres », souligne Bernard. Face à lui, Jacques sourit, presque gêné par les éloges prononcés par ce client aux cheveux couleur d’argent. « La modestie, ce n’est pas toujours facile mais c’est vachement utile », confie Jacques. Plutôt que de se reposer sur ses lauriers, l’homme qui a réveillé le boujaron garde la tête froide, le regard tourné vers l’avenir.
Une filière cidricole sauvée, un boujaron sauvegardé, l’aventure ne fait finalement que commencer. « Il faut continuer pour transmettre les valeurs et l’histoire. C’est ça le plus important ».
Charles Drouilly
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