Le père Hardouin
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Le père Hardouin
Le père Hardouin.L’inventeur de la théorie du complot ( telegramme)
Portrait de Jean Hardouin (Galerie illustrée de la Compagnie de Jésus/ Wikicommons)
Ce moine breton, savant reconnu du XVIIe siècle, s’est décrédibilisé à la fin de sa vie en développant une théorie selon laquelle une grande majorité des textes et des œuvres d’art de l’Antiquité étaient des faux, volontairement créés dans le but de falsifier l’Histoire. Retour sur l’une des premières théories du complot…
Né à Quimper le 23 décembre 1646, Jean Hardouin est le fils d’un libraire normand installé dans la cité de Cornouaille, spécialisé notamment dans les ouvrages religieux. Il grandit entouré de livres et acquiert un goût immodéré pour la littérature, développant ainsi une grande culture générale, à tel point qu’il est remarqué par les pères jésuites de Quimper. Ces derniers le prennent sous leur aile, et lui proposent d’intégrer l’ordre de la Compagnie de Jésus. Le 25 septembre 1660, à presque 15 ans, il entre au noviciat avant de prononcer ses vœux six ans plus tard, tout en poursuivant ses études. De la faculté d’Arras à celle d’Évreux, le jeune moine étudie la rhétorique ainsi que le grec et le latin, à travers la littérature antique et médiévale. En 1674, il rejoint Paris pour suivre sa formation en théologie et devient adjoint du bibliothécaire du collège Louis-le-Grand, l’une des institutions les plus cotées de la capitale.Hardouin est nommé professeur de théologie positive, et bibliothécaire en chef du collège en 1683, à seulement 37 ans
Un des plus grands savants de son époque
Bourreau de travail, Jean Hardouin dort peu. Levé dès 4 h du matin, il passe plus de quatorze heures par jour assis devant son chapitre à lire et relire des ouvrages, et se lance dans la traduction des auteurs antiques. « Éditeur scrupuleux de [l’œuvre de] Pline l’Ancien, qui reste considéré comme un chef-d’œuvre, […], passionné de numismatique, Jean Hardouin était considéré par ses pairs comme l’un des plus brillants érudits de l’époque », explique l’universitaire Louis Watier. Le père Hardouin compte parmi les plus grands historiens d’alors. Pourtant, certaines de ses affirmations commencent à faire du bruit et dérangent une partie de la société. Au fil de ses études des textes anciens naît chez le jésuite breton une conviction : la majorité des textes et œuvres d’art venant de l’Antiquité sont des faux ! C’est ce qu’il explique dans un ouvrage intitulé « Chronologiae restitutae » qu’il publie en 1693. « Seuls les travaux de Cicéron, Pline, les Géorgiques de Virgile, les Satires et les Épîtres d’Horace trouvent grâce à ses yeux. Dans les ouvrages suivants, il reconnaîtra encore l’authenticité de deux auteurs grecs : Homère et Hésiode. Tout le reste n’est que mensonge », poursuit Louis Watier. Pour Haroudin, « l’histoire des douze siècles passés est entièrement fabuleuse ». Selon lui, derrière cette falsification de l’histoire ancienne, on trouve un groupe de faussaires constitué de mathématiciens, d’hommes de loi, de médecins, de poètes et de linguistes, qui aurait forgé la tradition occidentale à partir des six œuvres originales citées et d’une vaste collection de médailles et de monnaies.
Un complot païen
« C’est mon intention de montrer, avec l’aide de Dieu et aussi longtemps qu’il me gardera en vie, que tous les écrits que l’on croit généralement antiques, à l’exception des livres considérés comme sacrés et canoniques par l’Église, de quatre auteurs latins et de deux auteurs grecs, sont en réalité des faux fabriqués par une assemblée impie d’hommes de lettres », écrit le moine breton. À l’origine de cette supercherie : un groupuscule de moines bénédictins des XIIIe et XIVe siècles, mené par un certain Severus Archontius. Jean Hardouin assure que ces faussaires ont non seulement forgé les principaux textes classiques, mais aussi toute une série de références ultérieures à ces textes, créant ainsi un vaste réseau de tromperies se renforçant mutuellement.
« Un monstrueux système » qui a un objectif : « dépraver l’écriture sainte, parce qu’elle mettait fin à leurs principes impies, établir l’athéisme parmi les hommes, en paganisant tous les faits du christianisme ». Selon lui, tous les textes des pères de l’Église - au premier rang desquels Saint-Augustin - sont autant de falsifications destinées à obscurcir le message des évangiles. De même, la véritable tradition catholique se serait transmise oralement, les moines copistes étant tous des faussaires. Des affirmations qui entraînent l’indignation de la communauté ecclésiastique et pousse sa hiérarchie à le forcer à se rétracter publiquement en 1707. « Mais, suivant le mot du poète, ce furent les lèvres seules qui abjurèrent et l’entêté sceptique, au fond de son cœur, garda ses chimères. Prévoyant qu’au lendemain de sa mort, l’autorité ecclésiastique confisquerait et détruirait prudemment ses papiers, il prit soin de faire désormais deux copies de ses travaux, l’une qu’il gardait par devers lui, l’autre qu’il communiquait à un de ses amis […] pour en assurer la publication posthume », explique l’historien Galletier en 1924. Il poursuivra sa carrière de professeur de théologie chez les Jésuites jusqu’à sa mort, le 3 septembre 1729, à l’âge de 82 ans.
Un scepticisme à outrance dans un contexte religieux particulier
Jean Hardouin n’a jamais expliqué les raisons ni les bénéficiaires d’un tel complot. Il déclara seulement, elliptiquement, que tout serait révélé à sa mort, sur un morceau de papier de la taille de sa main. Parchemin qui ne fut jamais retrouvé. Bien que condamné au sein même de sa congrégation religieuse à l’époque, Jean Hardouin a gardé jusqu’à sa mort une certaine aura dans les milieux catholiques. En effet, ce défenseur zélé de la foi, face à l’émergence du protestantisme et du jansénisme, arrange bien l’autorité papale. Jean Hardouin s’emploie à contester tous les textes antiques redécouverts pendant la Renaissance en Europe, et qui nourrissent peu à peu la pensée de réformateurs de la religion comme les Jansénistes ou les protestants comme Luther ou Calvin, ou de la société comme les humanistes. Quant au commendataire, le mystérieux Severus Archontius, il ferait référence à l’empereur romain germanique Frédéric II de Hohenstaufen, l’ennemi de la papauté au XIIIe siècle. Les critiques de Hardouin sont finalement publiées plusieurs années après sa mort, en 1766, à Londres.
On se souviendra du moine breton comme le premier érudit à avoir soutenu toute une série de théories paradoxales. Des élucubrations qui furent reprises aux XIXe et XXe siècles par des penseurs, comme l’historien anglais Edwin Johnson ou le mathématicien russe Anatoli Fomenko. Réactualisant les idées de Hardouin, l’académicien russe propose « une nouvelle chronologie ». Selon lui, l’histoire antique serait cette fois-ci une invention des Jésuites ! Une théorie marginale, considérée par le monde universitaire comme relevant de la pseudo-histoire, du négationnisme, voire de l’imposture…
Pour en savoir plus
- « Un Breton du XVIIe siècle à l’avant-garde de la critique : le Père Jean Hardouin », de E. Galletier, Annales de Bretagne, 1924.
- « L’érudition fabulatrice du père Jean Hardouin », de Louis Watier, revue Épreuves n°1, 2014.
Ci-dessous, gravure antijanséniste datant du XVIIIe siècle, représentant le père Pasquier, l’un des chantres de cette nouvelle philosophie, écrasé par l’Église catholique (anonyme/Wikicommons).
en complément
Les traces d’une époque
1520 : publication des 95 thèses de Martin Luther, début de la réforme protestante. 1640 : publication de l’« Augustinus » par Cornelius Jansen, lancement du jansénisme. 1646 : naissance à Quimper. 1660 : entrée chez les Jésuites. 1674 : arrivée à Paris. 1683 : nomination à la tête de la bibliothèque du collège Louis-le-Grand. 1693 : publication de son premier ouvrage controversé. 1707 : rétractation forcée et publique à la demande de la Compagnie de Jésus. 1729 : mort à Paris. 1766 : publication de ses écrits, à titre posthume.
Le Télégramme https://www.letelegramme.fr/histoire/le-pere-hardouin-l-inventeur-de-la-theorie-du-complot-02-09-2018-12053847.php#lp90Ilkw9kkS3Aju.99
Portrait de Jean Hardouin (Galerie illustrée de la Compagnie de Jésus/ Wikicommons)
Ce moine breton, savant reconnu du XVIIe siècle, s’est décrédibilisé à la fin de sa vie en développant une théorie selon laquelle une grande majorité des textes et des œuvres d’art de l’Antiquité étaient des faux, volontairement créés dans le but de falsifier l’Histoire. Retour sur l’une des premières théories du complot…
Né à Quimper le 23 décembre 1646, Jean Hardouin est le fils d’un libraire normand installé dans la cité de Cornouaille, spécialisé notamment dans les ouvrages religieux. Il grandit entouré de livres et acquiert un goût immodéré pour la littérature, développant ainsi une grande culture générale, à tel point qu’il est remarqué par les pères jésuites de Quimper. Ces derniers le prennent sous leur aile, et lui proposent d’intégrer l’ordre de la Compagnie de Jésus. Le 25 septembre 1660, à presque 15 ans, il entre au noviciat avant de prononcer ses vœux six ans plus tard, tout en poursuivant ses études. De la faculté d’Arras à celle d’Évreux, le jeune moine étudie la rhétorique ainsi que le grec et le latin, à travers la littérature antique et médiévale. En 1674, il rejoint Paris pour suivre sa formation en théologie et devient adjoint du bibliothécaire du collège Louis-le-Grand, l’une des institutions les plus cotées de la capitale.Hardouin est nommé professeur de théologie positive, et bibliothécaire en chef du collège en 1683, à seulement 37 ans
Un des plus grands savants de son époque
Bourreau de travail, Jean Hardouin dort peu. Levé dès 4 h du matin, il passe plus de quatorze heures par jour assis devant son chapitre à lire et relire des ouvrages, et se lance dans la traduction des auteurs antiques. « Éditeur scrupuleux de [l’œuvre de] Pline l’Ancien, qui reste considéré comme un chef-d’œuvre, […], passionné de numismatique, Jean Hardouin était considéré par ses pairs comme l’un des plus brillants érudits de l’époque », explique l’universitaire Louis Watier. Le père Hardouin compte parmi les plus grands historiens d’alors. Pourtant, certaines de ses affirmations commencent à faire du bruit et dérangent une partie de la société. Au fil de ses études des textes anciens naît chez le jésuite breton une conviction : la majorité des textes et œuvres d’art venant de l’Antiquité sont des faux ! C’est ce qu’il explique dans un ouvrage intitulé « Chronologiae restitutae » qu’il publie en 1693. « Seuls les travaux de Cicéron, Pline, les Géorgiques de Virgile, les Satires et les Épîtres d’Horace trouvent grâce à ses yeux. Dans les ouvrages suivants, il reconnaîtra encore l’authenticité de deux auteurs grecs : Homère et Hésiode. Tout le reste n’est que mensonge », poursuit Louis Watier. Pour Haroudin, « l’histoire des douze siècles passés est entièrement fabuleuse ». Selon lui, derrière cette falsification de l’histoire ancienne, on trouve un groupe de faussaires constitué de mathématiciens, d’hommes de loi, de médecins, de poètes et de linguistes, qui aurait forgé la tradition occidentale à partir des six œuvres originales citées et d’une vaste collection de médailles et de monnaies.
Un complot païen
« C’est mon intention de montrer, avec l’aide de Dieu et aussi longtemps qu’il me gardera en vie, que tous les écrits que l’on croit généralement antiques, à l’exception des livres considérés comme sacrés et canoniques par l’Église, de quatre auteurs latins et de deux auteurs grecs, sont en réalité des faux fabriqués par une assemblée impie d’hommes de lettres », écrit le moine breton. À l’origine de cette supercherie : un groupuscule de moines bénédictins des XIIIe et XIVe siècles, mené par un certain Severus Archontius. Jean Hardouin assure que ces faussaires ont non seulement forgé les principaux textes classiques, mais aussi toute une série de références ultérieures à ces textes, créant ainsi un vaste réseau de tromperies se renforçant mutuellement.
« Un monstrueux système » qui a un objectif : « dépraver l’écriture sainte, parce qu’elle mettait fin à leurs principes impies, établir l’athéisme parmi les hommes, en paganisant tous les faits du christianisme ». Selon lui, tous les textes des pères de l’Église - au premier rang desquels Saint-Augustin - sont autant de falsifications destinées à obscurcir le message des évangiles. De même, la véritable tradition catholique se serait transmise oralement, les moines copistes étant tous des faussaires. Des affirmations qui entraînent l’indignation de la communauté ecclésiastique et pousse sa hiérarchie à le forcer à se rétracter publiquement en 1707. « Mais, suivant le mot du poète, ce furent les lèvres seules qui abjurèrent et l’entêté sceptique, au fond de son cœur, garda ses chimères. Prévoyant qu’au lendemain de sa mort, l’autorité ecclésiastique confisquerait et détruirait prudemment ses papiers, il prit soin de faire désormais deux copies de ses travaux, l’une qu’il gardait par devers lui, l’autre qu’il communiquait à un de ses amis […] pour en assurer la publication posthume », explique l’historien Galletier en 1924. Il poursuivra sa carrière de professeur de théologie chez les Jésuites jusqu’à sa mort, le 3 septembre 1729, à l’âge de 82 ans.
Un scepticisme à outrance dans un contexte religieux particulier
Jean Hardouin n’a jamais expliqué les raisons ni les bénéficiaires d’un tel complot. Il déclara seulement, elliptiquement, que tout serait révélé à sa mort, sur un morceau de papier de la taille de sa main. Parchemin qui ne fut jamais retrouvé. Bien que condamné au sein même de sa congrégation religieuse à l’époque, Jean Hardouin a gardé jusqu’à sa mort une certaine aura dans les milieux catholiques. En effet, ce défenseur zélé de la foi, face à l’émergence du protestantisme et du jansénisme, arrange bien l’autorité papale. Jean Hardouin s’emploie à contester tous les textes antiques redécouverts pendant la Renaissance en Europe, et qui nourrissent peu à peu la pensée de réformateurs de la religion comme les Jansénistes ou les protestants comme Luther ou Calvin, ou de la société comme les humanistes. Quant au commendataire, le mystérieux Severus Archontius, il ferait référence à l’empereur romain germanique Frédéric II de Hohenstaufen, l’ennemi de la papauté au XIIIe siècle. Les critiques de Hardouin sont finalement publiées plusieurs années après sa mort, en 1766, à Londres.
On se souviendra du moine breton comme le premier érudit à avoir soutenu toute une série de théories paradoxales. Des élucubrations qui furent reprises aux XIXe et XXe siècles par des penseurs, comme l’historien anglais Edwin Johnson ou le mathématicien russe Anatoli Fomenko. Réactualisant les idées de Hardouin, l’académicien russe propose « une nouvelle chronologie ». Selon lui, l’histoire antique serait cette fois-ci une invention des Jésuites ! Une théorie marginale, considérée par le monde universitaire comme relevant de la pseudo-histoire, du négationnisme, voire de l’imposture…
Pour en savoir plus
- « Un Breton du XVIIe siècle à l’avant-garde de la critique : le Père Jean Hardouin », de E. Galletier, Annales de Bretagne, 1924.
- « L’érudition fabulatrice du père Jean Hardouin », de Louis Watier, revue Épreuves n°1, 2014.
Ci-dessous, gravure antijanséniste datant du XVIIIe siècle, représentant le père Pasquier, l’un des chantres de cette nouvelle philosophie, écrasé par l’Église catholique (anonyme/Wikicommons).
en complément
Les traces d’une époque
1520 : publication des 95 thèses de Martin Luther, début de la réforme protestante. 1640 : publication de l’« Augustinus » par Cornelius Jansen, lancement du jansénisme. 1646 : naissance à Quimper. 1660 : entrée chez les Jésuites. 1674 : arrivée à Paris. 1683 : nomination à la tête de la bibliothèque du collège Louis-le-Grand. 1693 : publication de son premier ouvrage controversé. 1707 : rétractation forcée et publique à la demande de la Compagnie de Jésus. 1729 : mort à Paris. 1766 : publication de ses écrits, à titre posthume.
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