Des mots et des livres. Intéressants voyages
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Des mots et des livres. Intéressants voyages
Publié le 02 février 2019 à 18h04 La chronique de Stéphane Bugat
(Depositphotos)
S’il est un thème qui inspire la littérature et depuis toujours, ce sont bien les voyages. Soit parce qu’ils sont matière à récits, à découvertes, à exotisme, soit parce qu’ils constituent un cadre privilégié pour installer une intrigue. On ajoutera que les voyages conduisent vers d’innombrables destinations et s’effectuent de maintes manières, étant ainsi prétextes à mille curiosités. Trois ouvrages récents illustrent ce constat d’évidence, qui plus est, de façons bien différentes.
En mer
Reconnu comme un déclencheur de la mondialisation économique, Internet n’est pas seul à pouvoir y prétendre. Le conteneur, d’apparence si banale et pourtant invention géniale, joue pleinement sa part dans cette globalisation des échanges. Grâce ces cubes en aluminium, aux dimensions homogènes, les marchandises ne sont plus transportées en vrac, mais conditionnées plus rationnellement, manutentionnées avec une efficacité maximum et suivies en permanence, tout au long de leurs parcours.
C’est ainsi qu’aux antiques cargos, à bord desquels régnait un joyeux désordre, se sont substitués de modernes porte-conteneurs, de plus en plus gigantesques, comme de véritables hangars flottants. Ceux qui ont eu le privilège de visiter l’un de ces mastodontes auront pu constater qu’ils abritent, à quelques pas du poste de commandement, une cabine, spartiate bien qu’assez vaste, destinée à de rares visiteurs ayant réussi à s’y faire admettre, le temps d’une croisière pas comme les autres. C’est le cas de Jean-Paul Honoré, ce qui est déjà une raison pour le jalouser. Sans doute pour se faire pardonner mais surtout pour nous faire partager ce moment peu ordinaire, il y a consacré un ouvrage réellement original. En effet, nous ne sommes ni dans le roman, ni même dans le récit.
Il nous livre plutôt une suite de notations qui mélange allègrement les descriptions les plus techniques et les métaphores poétiques, les considérations très personnelles et les indications objectives sur la vie à bord. On se perd un peu, en particulier dans la chronologie bousculée du périple. Mais on se laisse vite prendre au jeu et on l’accompagne avec grand plaisir dans ses découvertes et ses surprises. Et il n’en manque pas, au hasard de ce géant de cinquante-deux mille tonnes qui atteint les deux cent quarante mille, chargé à ras bord.
Un imposant condensé de technologie et d’automatisme, conçu pour être confié aux bons soins d’un équipage comprenant vingt-sept hommes, en tout et pour tout. Pour donner une idée plus précise des proportions, on notera, avec l’auteur, par exemple, que « l’arbre de l’hélice mesure quatre-vingt mètres ».
« Le porte-conteneurs qui rentre de Chine est l’armoire à échantillon de la consommation planétaire, » indique Jean-Paul Honoré. Une raison supplémentaire pour l’accompagner dans son intrigant périple de la Mer de Chine à la Mer du Nord.
(Arléa)
Pontée, de Jean-Paul Honoré. Éditions Arléa. 16 euros.
Les airs
Après la mer, les airs, mais pour un voyage qui pioche encore davantage dans l’imaginaire, un voyage immobile. Tiffany Tavernier a une fascination manifeste pour l’univers à la fois stéréotypé et trouble de Roissy, archétype de l’aéroport-monde. À la lire, on ne doute pas qu’elle y a passé des journées entières à observer les avions qui décollent et les voyageurs qui débarquent le regard un peu hagard, mais aussi à fouiner dans les coulisses de cette ville hors de la ville dont la surface équivaut à la moitié de celle de Paris.
C’est exactement ce que fait la narratrice de ce roman, puisque c’est bien d’un roman dont il s’agit, cette fois. Une femme qui ne sait ni d’où elle vient, ni où elle va, incertaine jusque sur son identité. La voici donc qui dialogue avec les petites mains indispensables au bon fonctionnement de l’aéroport dont l’identité s’affiche sur les badges réglementaires qu’elles arborent sans y prêter attention, qui sympathise avec des passagers en perdition entre deux vols retardés, qui fraye avec les mendiants dans l’ombre du décor d’apparence luxueuse, dont elle utilise les expédients pour survivre.
« Je ne me balade plus avec des sacs plastique, signe distinctif du SDF », raconte-t-elle. « Je n’arrête pas de marcher non plus, de changer de vêtements (vestes, pulls, foulards, bonnets, paires de lunettes, que je trouve ou vole), d’inventer des coiffures, d’ouvrir des portes, n’importe lesquelles ».
Quelques rituels lui servent de points de repères dans une vie comme suspendue, tel ce rendez-vous qu’elle ne veut manquer sous aucun prétexte, le débarquement les passagers du vol de Rio, celui-là même qui s’est écrasé en mer quelque temps auparavant.
Avec Tiffany Tavernier, la sécheresse du décor fait écho à l’humanité des personnages, la sobriété de l’écriture sied à l’émotion de la quête aveugle de son héroïne. Après l’avoir lu, vous ne verrez plus Roissy avec le même regard.
(Sabine Wespieser éditeur)
Roissy, de Tiffany Tavernier. Sabine Wespieser Editeur. 21 euros
(Depositphotos)
S’il est un thème qui inspire la littérature et depuis toujours, ce sont bien les voyages. Soit parce qu’ils sont matière à récits, à découvertes, à exotisme, soit parce qu’ils constituent un cadre privilégié pour installer une intrigue. On ajoutera que les voyages conduisent vers d’innombrables destinations et s’effectuent de maintes manières, étant ainsi prétextes à mille curiosités. Trois ouvrages récents illustrent ce constat d’évidence, qui plus est, de façons bien différentes.
En mer
Reconnu comme un déclencheur de la mondialisation économique, Internet n’est pas seul à pouvoir y prétendre. Le conteneur, d’apparence si banale et pourtant invention géniale, joue pleinement sa part dans cette globalisation des échanges. Grâce ces cubes en aluminium, aux dimensions homogènes, les marchandises ne sont plus transportées en vrac, mais conditionnées plus rationnellement, manutentionnées avec une efficacité maximum et suivies en permanence, tout au long de leurs parcours.
C’est ainsi qu’aux antiques cargos, à bord desquels régnait un joyeux désordre, se sont substitués de modernes porte-conteneurs, de plus en plus gigantesques, comme de véritables hangars flottants. Ceux qui ont eu le privilège de visiter l’un de ces mastodontes auront pu constater qu’ils abritent, à quelques pas du poste de commandement, une cabine, spartiate bien qu’assez vaste, destinée à de rares visiteurs ayant réussi à s’y faire admettre, le temps d’une croisière pas comme les autres. C’est le cas de Jean-Paul Honoré, ce qui est déjà une raison pour le jalouser. Sans doute pour se faire pardonner mais surtout pour nous faire partager ce moment peu ordinaire, il y a consacré un ouvrage réellement original. En effet, nous ne sommes ni dans le roman, ni même dans le récit.
Il nous livre plutôt une suite de notations qui mélange allègrement les descriptions les plus techniques et les métaphores poétiques, les considérations très personnelles et les indications objectives sur la vie à bord. On se perd un peu, en particulier dans la chronologie bousculée du périple. Mais on se laisse vite prendre au jeu et on l’accompagne avec grand plaisir dans ses découvertes et ses surprises. Et il n’en manque pas, au hasard de ce géant de cinquante-deux mille tonnes qui atteint les deux cent quarante mille, chargé à ras bord.
Un imposant condensé de technologie et d’automatisme, conçu pour être confié aux bons soins d’un équipage comprenant vingt-sept hommes, en tout et pour tout. Pour donner une idée plus précise des proportions, on notera, avec l’auteur, par exemple, que « l’arbre de l’hélice mesure quatre-vingt mètres ».
« Le porte-conteneurs qui rentre de Chine est l’armoire à échantillon de la consommation planétaire, » indique Jean-Paul Honoré. Une raison supplémentaire pour l’accompagner dans son intrigant périple de la Mer de Chine à la Mer du Nord.
(Arléa)
Pontée, de Jean-Paul Honoré. Éditions Arléa. 16 euros.
Les airs
Après la mer, les airs, mais pour un voyage qui pioche encore davantage dans l’imaginaire, un voyage immobile. Tiffany Tavernier a une fascination manifeste pour l’univers à la fois stéréotypé et trouble de Roissy, archétype de l’aéroport-monde. À la lire, on ne doute pas qu’elle y a passé des journées entières à observer les avions qui décollent et les voyageurs qui débarquent le regard un peu hagard, mais aussi à fouiner dans les coulisses de cette ville hors de la ville dont la surface équivaut à la moitié de celle de Paris.
C’est exactement ce que fait la narratrice de ce roman, puisque c’est bien d’un roman dont il s’agit, cette fois. Une femme qui ne sait ni d’où elle vient, ni où elle va, incertaine jusque sur son identité. La voici donc qui dialogue avec les petites mains indispensables au bon fonctionnement de l’aéroport dont l’identité s’affiche sur les badges réglementaires qu’elles arborent sans y prêter attention, qui sympathise avec des passagers en perdition entre deux vols retardés, qui fraye avec les mendiants dans l’ombre du décor d’apparence luxueuse, dont elle utilise les expédients pour survivre.
« Je ne me balade plus avec des sacs plastique, signe distinctif du SDF », raconte-t-elle. « Je n’arrête pas de marcher non plus, de changer de vêtements (vestes, pulls, foulards, bonnets, paires de lunettes, que je trouve ou vole), d’inventer des coiffures, d’ouvrir des portes, n’importe lesquelles ».
Quelques rituels lui servent de points de repères dans une vie comme suspendue, tel ce rendez-vous qu’elle ne veut manquer sous aucun prétexte, le débarquement les passagers du vol de Rio, celui-là même qui s’est écrasé en mer quelque temps auparavant.
Avec Tiffany Tavernier, la sécheresse du décor fait écho à l’humanité des personnages, la sobriété de l’écriture sied à l’émotion de la quête aveugle de son héroïne. Après l’avoir lu, vous ne verrez plus Roissy avec le même regard.
(Sabine Wespieser éditeur)
Roissy, de Tiffany Tavernier. Sabine Wespieser Editeur. 21 euros
Re: Des mots et des livres. Intéressants voyages
L’étape initiatique
Le voyage n’est pas, à proprement parlé, le sujet du captivant Triptyque de l’infamie, de l’Espagnol Pablo Montoya. Il n’en est pas moins l’élément clé, l’étape initiatique indispensable pour les trois personnages auxquels s’intéresse l’auteur. Ce sont, en l’occurrence, trois artistes, dont le parcours et même l’acte de création s’entrechoquent avec les violents évènements de ce XVIe siècle lors duquel les catholiques et les protestants se livrent à de cruels affrontements.
Jacques Le Moyne est cartographe et, à ce titre, participe à une expédition vers le Nouveau Monde, où ses aspirations le conduisent tout naturellement à nouer des liens étroits avec les indigènes. Jusqu’à ce qu’il se retrouve parmi les rescapés contraints de revenir sur leurs bases en ayant eu la chance d’échapper au carnage perpétré par les rivaux catholiques espagnols. François Dubois, peintre de son état, échappe tout aussi miraculeusement au massacre de la Saint-Barthélemy et se réfugie miraculeusement à Genève, où il a tout loisir de méditer sur les haines recuites qui tourmentent l’époque. Enfin, Théodore de Bry, graveur, quittant cette fois de bon gré son Liège natal, se retrouve dans l’est de la France pour y affronter d’autres mésaventures de la même inspiration.
Précisons toutefois que ce pâle résumé, s’il indique ce qu’il en est de l’importance des voyages pour ces trois protagonistes qui ne font que se croiser, ne rend vraiment pas justice à cette œuvre érudite et superbement conduite. Montoya a une écriture ample et enlevée dans laquelle on se plonge avec émerveillement et gourmandise.
Et une manière bien à lui de souligner les caractéristiques et les richesses de ses personnages. L’infamie est bien là, celle qui inspire tant de rancœur envers ceux qui ont le tort de ne pas être inspirés par les mêmes dogmes. Il ne nous en laisse rien ignorer mais c’est pour mieux nous faire comprendre ce qu’est aussi la beauté du monde et ce que les artistes font pour nous en porter témoignage. Un message qui traverse les époques.
(Éditions du Rocher)
Triptyque de l’infamie, de Pablo Montoya. Éditions du Rocher. 22 euros
Le voyage n’est pas, à proprement parlé, le sujet du captivant Triptyque de l’infamie, de l’Espagnol Pablo Montoya. Il n’en est pas moins l’élément clé, l’étape initiatique indispensable pour les trois personnages auxquels s’intéresse l’auteur. Ce sont, en l’occurrence, trois artistes, dont le parcours et même l’acte de création s’entrechoquent avec les violents évènements de ce XVIe siècle lors duquel les catholiques et les protestants se livrent à de cruels affrontements.
Jacques Le Moyne est cartographe et, à ce titre, participe à une expédition vers le Nouveau Monde, où ses aspirations le conduisent tout naturellement à nouer des liens étroits avec les indigènes. Jusqu’à ce qu’il se retrouve parmi les rescapés contraints de revenir sur leurs bases en ayant eu la chance d’échapper au carnage perpétré par les rivaux catholiques espagnols. François Dubois, peintre de son état, échappe tout aussi miraculeusement au massacre de la Saint-Barthélemy et se réfugie miraculeusement à Genève, où il a tout loisir de méditer sur les haines recuites qui tourmentent l’époque. Enfin, Théodore de Bry, graveur, quittant cette fois de bon gré son Liège natal, se retrouve dans l’est de la France pour y affronter d’autres mésaventures de la même inspiration.
Précisons toutefois que ce pâle résumé, s’il indique ce qu’il en est de l’importance des voyages pour ces trois protagonistes qui ne font que se croiser, ne rend vraiment pas justice à cette œuvre érudite et superbement conduite. Montoya a une écriture ample et enlevée dans laquelle on se plonge avec émerveillement et gourmandise.
Et une manière bien à lui de souligner les caractéristiques et les richesses de ses personnages. L’infamie est bien là, celle qui inspire tant de rancœur envers ceux qui ont le tort de ne pas être inspirés par les mêmes dogmes. Il ne nous en laisse rien ignorer mais c’est pour mieux nous faire comprendre ce qu’est aussi la beauté du monde et ce que les artistes font pour nous en porter témoignage. Un message qui traverse les époques.
(Éditions du Rocher)
Triptyque de l’infamie, de Pablo Montoya. Éditions du Rocher. 22 euros
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