Les Oubliés de l'île Saint-Paul
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Les Oubliés de l'île Saint-Paul
Les Oubliés de l’Île St Paul sont un groupe de six hommes et une femme enceinte qui furent abandonnés en 1930 sur l’île St Paul dans le sud de l’Océan Indien alors qu’ils étaient chargés de garder l’île et ses installations pour le compte de leur employeur, La Langouste Française. En 1928 les frères Bossières décident d’exploiter les richesses maritimes de ces îles. Ils fondent « La Langouste française ». Ils recrutent dans la région de Concarneau des pêcheurs expérimentés à la pêche des langoustes. Ces pêcheurs sont transportés sur l’île et installés tant bien que mal. Les résultats sont encourageants. Pendant des semaines 20 000 langoustes par jour seront pêchées, et mises en conserve. Puis l’usine est fermée jusqu’au mois de mars suivant.
En mars 1929, la première équipe est rapatriée. Les marins bretons rentrent chez eux convenablement rémunérés du fruit de leur travail lointain. Ceci encourage une deuxième équipe recrutée également dans la région de Pont Aven à s’expatrier à son tour dans l’hémisphère austral, répondant ainsi à l’invitation des frères Bossière qui n’ont aucun mal à constituer cette deuxième équipe. Celle là comprendra quelques épouses et quatre vingt dix travailleurs malgaches.En octobre 1929, l’usine fermée depuis le printemps est rouverte. La pêche à la langouste est toujours aussi abondante. Une centaine de personnes travaillent d’arrache-pied sur la petite bande de terre à l’entrée du lagon. En février 1930 la deuxième campagne d’été austral s’achève. Le personnel va être rapatrié à Madagascar et en Bretagne.Le Directeur Délégué de la société « La Langouste Française » demande des volontaires pour assurer le gardiennage et l’entretien des installations. Sept personnes six Bretons et un Malgache acceptent de rester sur l’île, jusqu’à la prochaine campagne qui débutera en octobre 1930.Les réserves de vivres étant insuffisantes pour une longue durée, le magasin de vivres ayant subi des dommages suite à un incendie, on leur garantit la venue d’un bateau de ravitaillement dans un délai de deux ou trois mois.Restent donc sur l’île :
Victor Brunou, 28 ans de Concarneau, et son épouse Louise née Le Meur, enceinte
Julien le Huludut, 26 ans de Concarneau
Pierre Quillivic, 18 ans de Concarneau
Louis Herlédan, 18 ans de Riec sur Belon
Emmanuel Pulloc’h, 26 ans de Trégunc
François Ramazoni jeune Malgache de 18 ans
Début mars, le bateau ayant disparu à l’horizon, ils se retrouvent seuls sur cet espace restreint et mal abrité des intempéries avec pour seules provisions des conserves de viande. Ils prennent alors conscience de leur solitude livrés à eux même sur ce caillou désert perdu au milieu de l’Océan Indien à des milliers de milles de toute terre. Ils ont un émetteur radio mais l’opérateur radio est parti et personne ne sait faire fonctionner l’appareil. Impossible donc de communiquer et d’appeler au secours en cas de problème.A notre époque il nous est facile d’imaginer leurs conditions de vie durant l’hiver austral avec les images en direct qui nous parviennent de ces régions, filmées par les navigateurs du Vendée Globe. Des vents violents et glacés de 100 km/h et parfois plus. Des vagues géantes se lançant à l’assaut de la bande étroite de terre où ils sont réfugiés.
Et ce pendant la pire période, les mois de l’hiver austral juillet aout septembre qui correspondent à notre été. en France.Abandon et désespoir Quelques semaines après le départ du bateau, le 26 mars la petite Paule nait dans cet univers sinistre. Elle ne survivra pas au-delà de deux mois. Une caisse en bois ayant contenu des conserves lui servira de cercueil. Ses parents ne pourront même pas mettre de fleurs sur sa tombe, l’île en étant dépourvue.Avril, mai, juin passent. Le bateau ravitailleur promis ne vient pas… Mal abrités sur leur étroite bande de terre à l’entrée du lagon, battue par les vents et les tempêtes de l’hiver austral, les sept « naufragés » gagnés par le mal du pays se désespèrent.Le 15 juillet Emanuel Puloc’h tombe malade. Ses chevilles sont enflées et de couleur violacée. Puis ce sont ses jambes qui enflent à leur tour pleines d’un liquide jaunâtre que ses camarades tentent d’éliminer en incisant et bientôt ce sera le reste du corps. Le malade est incapable de s’alimenter. Il a une énorme envie de boire mais ne peut uriner… Ses camarades de misère, grâce un livre de médecine qui leur a été laissé, arrivent enfin à identifier le mal. C’est le scorbut.
La seule façon d’y échapper est de réduire la consommation de viande en conserve et de consommer des fruits et des légumes frais. Mais il n’y a rien de tel sur l’île où rien ne pousse. Fin juillet Emmanuel Puloc’h meurt dans d’atroces souffrances après deux semaines d’agonie. Le malheur s’est abattu sur l’île abandonnée.François Ramamonzi, le jeune Malgache est atteint à son tour du même mal. Il meurt fin août. Puis c’est Victor Brunou qui se plaint à son tour d’enflures aux jambes. Il quitte ce monde le 1er septembre 1930.Louise sa veuve, ressent à son tour les mêmes effets dus à la viande en conserve consommée depuis des mois. Les quatre survivants décident alors de ne manger que des œufs d’albatros, de manchots, et un peu de poisson ce qui les sauvera.« Dans cette île où il n’y a rien, il y a un cimetière ! » écrit Louis Hérlédant dans son journal.Fin octobre un nouveau drame survient. Pierre Quillivic parti en mer à bord d’un petit canot, par très mauvais temps, sans doute pour pêcher, ne réapparaitra pas…Octobre et l’été austral arrivent, six mois se sont écoulés. Les quatre survivants sont toujours sans nouvelles du monde extérieur. En France personne ne se doute du sort des Bretons restés sur l’île. Pire ! Des changements au sein de la Société des frères Bossière font que la relève pour une nouvelle campagne est retardée. Peu à peu les pauvres gens sont oubliés sauf dans leur pays natal où l’on commence à s’inquiéter. Les « naufragés » ont été oubliés mais pas la langouste car une nouvelle campagne de pêche se prépare.
Ce n’est que le 6 Décembre soit dix mois plus tard que les survivants verront enfin apparaitre au large de leur prison désertique le navire de la relève. Ils ne sont plus que trois : Louise Brunou, Julien le Huludut et Louis Herlédan.
C’est dans le courant du mois de décembre que la nouvelle des décès arrive en Bretagne. Elle aura un grand retentissement en métropole. Le journal l’Humanité dénoncera le scandale dans un article à charge contre les frères Bossière intitulé : « Les esclaves de l’île morte ».L’histoire ne s’arrête pas là. Le bateau qui arrive devant St Paul au mois de décembre 1930 amène une nouvelle équipe composée d’une centaine de Malgaches et de vingt deux Bretons.Louis Herlédan repart avec le bateau, mais Julien Le Huludut et Louise Brunou décident d’effectuer une nouvelle campagne d’été jusqu’en mars 1931. Cette dernière retrouve sa fille ainée envoyée par sa famille rejoindre ses parents sur l’île… La raison de cette prolongation de séjour dans cette île si inhospitalière est que la vie est dure en Bretagne. On est en pleine crise de 1930, le chômage et les salaires bas vont influencer ces deux rescapés.Nouveau drameL’exploitation de la langouste a repris. 6 000 langoustes sont pêchées chaque jour et mises en conserve. Mais une épidémie foudroyante de béribéri se déclare chez les Malgaches en mars 1931 causée par une consommation presque exclusive de riz blanc, modifié industriellement. Le béribéri est une maladie causée par un déficit en vitamine B1 qui provoque une insuffisance cardiaque et des troubles neurologiques. Quarante quatre Malgaches vont mourir avant que la décision soit prise enfin de rapatrier tout le monde. La pêcherie est fermée et son exploitation sera abandonnée.L’île St Paul, île maudite sera définitivement inhabitable. Seules quelques expéditions scientifiques y feront désormais escale pour quelques heures.
Les frères Bossières sont ruinés. Un procès qui va durer six ans contre la société « La Langouste française » rend la société responsable de ce terrible drame, et la condamne à verser des indemnités aux victimes encore en vie, ainsi qu’aux familles de ceux qui ont péri. Ces indemnités ne seront jamais versées…. Car la société a fait faillite.
Autre conséquence de ce drame. Manuel Puloc’h le premier décédé, travaillait avant son départ pour l’hémisphère Austral, comme journalier dans une ferme de Pont Aven. Son épouse s’occupait des travaux ménagers et culinaires pour les propriétaires de cette ferme. Manuel Puloc’h ne revenant pas, au bout de quelques mois, son épouse fut mise à la porte avec ses enfants… Usée par le chagrin et la maladie elle survécut malgré tout onze années à son mari et s’est éteinte à l’âge de 35 ans le 19 janvier 1942. Le plus vieux de ses enfants n’avait que 16 ans.Le 30 Novembre 2015, 85 ans après sa mort, la fille de Julien Le Huludut, l’un des Oubliés de l’île St Paul fut amenée sur l’île par le Marion Dufresne le bateau des Terres Australes. Une plaque gravée à leur nom fut scellée. Ceux que l’on a appelé les Oubliés de St Paul allaient enfin avoir leur nom sur les lieux de leur martyr.La même plaque a été apposée dans un square de Concarneau, lequel porte désormais le nom de « Square des Oubliés de St Paul ».
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