19 septembre 1648 : mise en évidence de la pesanteur de l’air
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19 septembre 1648 : mise en évidence de la pesanteur de l’air
D’après « Les merveilles de la sciences ou Description populaire
des inventions modernes » (Tome 1), paru en 1867)
Avant les expériences imaginées par Blaise Pascal dès l’automne 1647 et menées par son beau-frère Florin Périer, la pesanteur de l’air restait encore à démontrer, n’étant qu’une simple conjecture dont on n’avait aucune preuve
Cependant qu’il réfléchissait sur la cause de l’ascension et de l’équilibre du mercure dans les tubes fermés, Blaise Pascal fut informé de l’opinion de Torricelli, qui n’hésitait pas à attribuer ce phénomène à la pression de l’air. Une expérience, qu’il désigne sous le nom du vuide dans le vuide et dans laquelle il vit le mercure, suspendu dans l’intérieur d’un tube, s’élever ou s’abaisser selon qu’il faisait varier la pression de l’air extérieur, donna à ses yeux une force nouvelle aux vues du physicien romain.
Enfin, un trait de son génie lui révéla le moyen de résoudre ce grand problème. Pascal pensa que, pour trancher sans retour la difficulté qui divisait les savants, il suffirait d’observer la hauteur du mercure dans le tube de Torricelli, au pied et sur le sommet d’une montagne. Si la hauteur de la colonne de mercure était moindre au sommet qu’au bas de la montagne, la pression de l’air serait positivement démontrée, car l’air diminue de masse dans les hautes régions, tandis que l’on ne peut admettre que la nature ait de l’horreur pour le vide au pied d’une montagne et qu’elle le souffre à son sommet.
Le Puy-de-Dôme, élevé de 1467 mètres et placé aux portes d’une grande ville, lui parut merveilleusement propre à cet important essai. Mais retenu à Paris par d’autres soins, il ne pouvait songer à l’exécuter lui-même. Heureusement, son beau-frère Périer, conseiller à la cour des aides d’Auvergne, se trouvait alors à Moulins. Il avait assisté aux expériences faites à Rouen, et il possédait assez de connaissances scientifiques pour que l’on pût se reposer sur lui du soin de procéder à cette vérification avec toute la précision nécessaire. Le 15 novembre 1647, Pascal écrivait donc à Périer, pour réclamer de lui ce service.
Expériences du Puy-de-Dôme sur la pesanteur de l’air.
Gravure (colorisée) extraite de Les merveilles de la sciences
ou Description populaire des inventions modernes (Tome 1), paru en 1867
Nous rapporterons ici dans son entier la lettre de Pascal à son beau-frère Périer, chef-d’œuvre de raisonnement, que l’on ne peut lire sans une admiration profonde pour la sagesse et la portée de ce grand esprit.
« MONSIEUR,
« Je n’interromprais pas le travail continuel où vos emplois vous engagent, pour vous entretenir de méditations physiques, si je ne savais qu’elles servent à vous délasser en vos heures de relâche, et qu’au lieu que d’autres en seraient embarrassés, vous en aurez du divertissement. J’en fais d’autant moins de difficulté que je sais le plaisir que vous recevez en cette sorte d’entretiens. Celui-ci ne sera qu’une continuation de ceux que nous avons eus ensemble touchant le vuide.
« Vous savez quels sentiments les philosophes ont eus sur ce sujet. Tous ont tenu pour maxime que la nature abhorre le vuide, et presque tous, passant plus avant, ont soutenu qu’elle ne peut l’admettre et qu’elle se détruirait elle-même plutôt que de le souffrir. Ainsi les opinions ont été divisées : les uns se sont contentés de dire qu’elle l’abhorrait seulement ; les autres ont maintenu qu’elle ne pouvait le souffrir. J’ai travaillé dans mon Abrégé du Traité du vuide, à détruire cette dernière opinion ; et je crois que les expériences que j’y ai rapportées suffisent pour faire voir manifestement que la nature peut souffrir et souffre en effet un espace si grand que l’on voudra, vuide de toutes les matières qui sont à notre connaissance et qui tombent sous nos sens.
« Je travaille maintenant à examiner la vérité de la première, savoir, que la nature abhorre le vuide, et à chercher des expériences qui fassent voir si les effets que l’on attribue à l’horreur du vuide doivent être véritablement attribués à cette horreur du vuide, ou s’ils doivent l’être à la pesanteur et pression de l’air ; car, pour vous ouvrir franchement ma pensée, j’ai peine à croire que la nature, qui n’est point animée ni sensible, soit susceptible d’horreur, puisque les passions supposent une âme capable de les ressentir ; et j’incline bien plus à imputer tous ces effets à la pesanteur et pression de l’air, parce que je ne les considère que comme des cas particuliers d’une proposition universelle de l’équilibre des liqueurs, qui doit faire la plus grande partie du Traité que j’ai promis.
« Ce n’est pas que je n’eusse ces mêmes pensées lors de la production de mon Abrégé ; et toutefois, faute d’expériences convaincantes, je n’osai pas alors (et je n’ose pas encore) me départir de la maxime de l’horreur du vuide, et je l’ai même employée pour maxime dans mon Abrégé, n’ayant alors d’autre dessein que de combattre l’opinion de ceux qui soutiennent que le vuide est absolument impossible, et que la nature souffrirait plutôt sa destruction que le moindre espace vuide. En effet, je n’estime pas qu’il nous soit permis de nous départir légèrement des maximes que nous tenons de l’antiquité, si nous n’y sommes obligés par des preuves convaincantes et invincibles.
« Mais, dans ce cas, je tiens que ce serait une extrême faiblesse d’en faire le moindre scrupule, et qu’enfin nous devons avoir plus de vénération pour les vérités évidentes que d’obstination pour ces opinions reçues. Je ne saurais mieux vous témoigner la circonspection que j’apporte avant que de m’éloigner des anciennes maximes, que de vous remettre dans la mémoire l’expérience que je fis ces jours passés, en votre présence, avec deux tuyaux l’un dans l’autre, qui montre apparemment le vuide dans le vuide.
« Vous vîtes que le vif-argent du tuyau intérieur demeura suspendu à la hauteur où il se tient par l’expérience ordinaire, quand il était contre-balancé et pressé par la pesanteur de la masse entière de l’air ; et qu’au contraire il tomba entièrement sans qu’il lui restât aucune hauteur ni suspension, lorsque, par le moyen du vuide dont il fut environné, il ne fut plus du tout pressé ni contre-balancé d’aucun air, en ayant été destitué de tous côtés. Vous vîtes ensuite que cette hauteur de suspension du vif-argent augmentait ou diminuait à mesure que la pression de l’air augmentait ou diminuait, et qu’enfin toutes ces diverses hauteurs de suspension du vif-argent se trouvaient toujours proportionnées à la pression de l’air.
« Certainement, après cette expérience, il y avait lieu de se persuader que ce n’est pas l’horreur du vuide, comme nous estimons, qui cause la suspension du vif-argent dans l’expérience ordinaire, mais bien la pesanteur et pression de l’air qui contrebalance la pesanteur du vif-argent. Mais parce que tous les effets de cette dernière expérience des deux tuyaux, qui s’expliquent si naturellement par la seule pression et pesanteur de l’air, peuvent encore être expliqués assez probablement par l’horreur du vuide, je nie tiens dans cette ancienne maxime, résolu néanmoins de chercher l’éclaircissement entier de cette difficulté par une expérience décisive.
« J’en ai imaginé une qui pourra seule suffire pour nous donner la lumière que nous cherchons, si elle peut être exécutée avec justesse. C’est de faire l’expérience ordinaire du vuide plusieurs fois le même jour, dans un même tuyau, avec le même vif-argent, tantôt au bas et tantôt au sommet d’une montagne, élevée pour le moins de cinq ou six cents toises, pour éprouver si la hauteur du vif-argent suspendu dans le tuyau se trouvera pareille ou indifférente dans ces deux situations.
« Vous voyez déjà, sans doute, que cette expérience est décisive sur la question, et que s’il arrive que la hauteur du vif-argent soit moindre au haut qu’au bas de la montagne (comme j’ai beaucoup de raisons pour le croire, quoique tous ceux qui ont médité sur cette matière soient contraires à ce sentiment), il s’ensuivra nécessairement que la pesanteur et pression de l’air est la seule cause de cette suspension du vif-argent, et non pas l’horreur du vuide, puisqu’il suspension du vif-argent, et non pas l’horreur du vuide, puisqu’il est bien certain qu’il y a beaucoup plus d’air qui pèse sur le pied de la montagne que non pas sur le sommet ; au lieu que l’on ne saurait dire que la nature abhorre le vuide au pied de la montagne plus que sur le sommet.
des inventions modernes » (Tome 1), paru en 1867)
Avant les expériences imaginées par Blaise Pascal dès l’automne 1647 et menées par son beau-frère Florin Périer, la pesanteur de l’air restait encore à démontrer, n’étant qu’une simple conjecture dont on n’avait aucune preuve
Cependant qu’il réfléchissait sur la cause de l’ascension et de l’équilibre du mercure dans les tubes fermés, Blaise Pascal fut informé de l’opinion de Torricelli, qui n’hésitait pas à attribuer ce phénomène à la pression de l’air. Une expérience, qu’il désigne sous le nom du vuide dans le vuide et dans laquelle il vit le mercure, suspendu dans l’intérieur d’un tube, s’élever ou s’abaisser selon qu’il faisait varier la pression de l’air extérieur, donna à ses yeux une force nouvelle aux vues du physicien romain.
Enfin, un trait de son génie lui révéla le moyen de résoudre ce grand problème. Pascal pensa que, pour trancher sans retour la difficulté qui divisait les savants, il suffirait d’observer la hauteur du mercure dans le tube de Torricelli, au pied et sur le sommet d’une montagne. Si la hauteur de la colonne de mercure était moindre au sommet qu’au bas de la montagne, la pression de l’air serait positivement démontrée, car l’air diminue de masse dans les hautes régions, tandis que l’on ne peut admettre que la nature ait de l’horreur pour le vide au pied d’une montagne et qu’elle le souffre à son sommet.
Le Puy-de-Dôme, élevé de 1467 mètres et placé aux portes d’une grande ville, lui parut merveilleusement propre à cet important essai. Mais retenu à Paris par d’autres soins, il ne pouvait songer à l’exécuter lui-même. Heureusement, son beau-frère Périer, conseiller à la cour des aides d’Auvergne, se trouvait alors à Moulins. Il avait assisté aux expériences faites à Rouen, et il possédait assez de connaissances scientifiques pour que l’on pût se reposer sur lui du soin de procéder à cette vérification avec toute la précision nécessaire. Le 15 novembre 1647, Pascal écrivait donc à Périer, pour réclamer de lui ce service.
Expériences du Puy-de-Dôme sur la pesanteur de l’air.
Gravure (colorisée) extraite de Les merveilles de la sciences
ou Description populaire des inventions modernes (Tome 1), paru en 1867
Nous rapporterons ici dans son entier la lettre de Pascal à son beau-frère Périer, chef-d’œuvre de raisonnement, que l’on ne peut lire sans une admiration profonde pour la sagesse et la portée de ce grand esprit.
« MONSIEUR,
« Je n’interromprais pas le travail continuel où vos emplois vous engagent, pour vous entretenir de méditations physiques, si je ne savais qu’elles servent à vous délasser en vos heures de relâche, et qu’au lieu que d’autres en seraient embarrassés, vous en aurez du divertissement. J’en fais d’autant moins de difficulté que je sais le plaisir que vous recevez en cette sorte d’entretiens. Celui-ci ne sera qu’une continuation de ceux que nous avons eus ensemble touchant le vuide.
« Vous savez quels sentiments les philosophes ont eus sur ce sujet. Tous ont tenu pour maxime que la nature abhorre le vuide, et presque tous, passant plus avant, ont soutenu qu’elle ne peut l’admettre et qu’elle se détruirait elle-même plutôt que de le souffrir. Ainsi les opinions ont été divisées : les uns se sont contentés de dire qu’elle l’abhorrait seulement ; les autres ont maintenu qu’elle ne pouvait le souffrir. J’ai travaillé dans mon Abrégé du Traité du vuide, à détruire cette dernière opinion ; et je crois que les expériences que j’y ai rapportées suffisent pour faire voir manifestement que la nature peut souffrir et souffre en effet un espace si grand que l’on voudra, vuide de toutes les matières qui sont à notre connaissance et qui tombent sous nos sens.
« Je travaille maintenant à examiner la vérité de la première, savoir, que la nature abhorre le vuide, et à chercher des expériences qui fassent voir si les effets que l’on attribue à l’horreur du vuide doivent être véritablement attribués à cette horreur du vuide, ou s’ils doivent l’être à la pesanteur et pression de l’air ; car, pour vous ouvrir franchement ma pensée, j’ai peine à croire que la nature, qui n’est point animée ni sensible, soit susceptible d’horreur, puisque les passions supposent une âme capable de les ressentir ; et j’incline bien plus à imputer tous ces effets à la pesanteur et pression de l’air, parce que je ne les considère que comme des cas particuliers d’une proposition universelle de l’équilibre des liqueurs, qui doit faire la plus grande partie du Traité que j’ai promis.
« Ce n’est pas que je n’eusse ces mêmes pensées lors de la production de mon Abrégé ; et toutefois, faute d’expériences convaincantes, je n’osai pas alors (et je n’ose pas encore) me départir de la maxime de l’horreur du vuide, et je l’ai même employée pour maxime dans mon Abrégé, n’ayant alors d’autre dessein que de combattre l’opinion de ceux qui soutiennent que le vuide est absolument impossible, et que la nature souffrirait plutôt sa destruction que le moindre espace vuide. En effet, je n’estime pas qu’il nous soit permis de nous départir légèrement des maximes que nous tenons de l’antiquité, si nous n’y sommes obligés par des preuves convaincantes et invincibles.
« Mais, dans ce cas, je tiens que ce serait une extrême faiblesse d’en faire le moindre scrupule, et qu’enfin nous devons avoir plus de vénération pour les vérités évidentes que d’obstination pour ces opinions reçues. Je ne saurais mieux vous témoigner la circonspection que j’apporte avant que de m’éloigner des anciennes maximes, que de vous remettre dans la mémoire l’expérience que je fis ces jours passés, en votre présence, avec deux tuyaux l’un dans l’autre, qui montre apparemment le vuide dans le vuide.
« Vous vîtes que le vif-argent du tuyau intérieur demeura suspendu à la hauteur où il se tient par l’expérience ordinaire, quand il était contre-balancé et pressé par la pesanteur de la masse entière de l’air ; et qu’au contraire il tomba entièrement sans qu’il lui restât aucune hauteur ni suspension, lorsque, par le moyen du vuide dont il fut environné, il ne fut plus du tout pressé ni contre-balancé d’aucun air, en ayant été destitué de tous côtés. Vous vîtes ensuite que cette hauteur de suspension du vif-argent augmentait ou diminuait à mesure que la pression de l’air augmentait ou diminuait, et qu’enfin toutes ces diverses hauteurs de suspension du vif-argent se trouvaient toujours proportionnées à la pression de l’air.
« Certainement, après cette expérience, il y avait lieu de se persuader que ce n’est pas l’horreur du vuide, comme nous estimons, qui cause la suspension du vif-argent dans l’expérience ordinaire, mais bien la pesanteur et pression de l’air qui contrebalance la pesanteur du vif-argent. Mais parce que tous les effets de cette dernière expérience des deux tuyaux, qui s’expliquent si naturellement par la seule pression et pesanteur de l’air, peuvent encore être expliqués assez probablement par l’horreur du vuide, je nie tiens dans cette ancienne maxime, résolu néanmoins de chercher l’éclaircissement entier de cette difficulté par une expérience décisive.
« J’en ai imaginé une qui pourra seule suffire pour nous donner la lumière que nous cherchons, si elle peut être exécutée avec justesse. C’est de faire l’expérience ordinaire du vuide plusieurs fois le même jour, dans un même tuyau, avec le même vif-argent, tantôt au bas et tantôt au sommet d’une montagne, élevée pour le moins de cinq ou six cents toises, pour éprouver si la hauteur du vif-argent suspendu dans le tuyau se trouvera pareille ou indifférente dans ces deux situations.
« Vous voyez déjà, sans doute, que cette expérience est décisive sur la question, et que s’il arrive que la hauteur du vif-argent soit moindre au haut qu’au bas de la montagne (comme j’ai beaucoup de raisons pour le croire, quoique tous ceux qui ont médité sur cette matière soient contraires à ce sentiment), il s’ensuivra nécessairement que la pesanteur et pression de l’air est la seule cause de cette suspension du vif-argent, et non pas l’horreur du vuide, puisqu’il suspension du vif-argent, et non pas l’horreur du vuide, puisqu’il est bien certain qu’il y a beaucoup plus d’air qui pèse sur le pied de la montagne que non pas sur le sommet ; au lieu que l’on ne saurait dire que la nature abhorre le vuide au pied de la montagne plus que sur le sommet.
Re: 19 septembre 1648 : mise en évidence de la pesanteur de l’air
« Mais comme la difficulté se trouve d’ordinaire jointe aux grandes choses, j’en vois beaucoup dans l’exécution de ce dessein, puisqu’il faut pour cela choisir une montagne excessivement haute, proche d’une ville, dans laquelle se trouve une personne capable d’apporter à cette épreuve toute l’exactitude nécessaire. Car si la montagne était éloignée, il serait difficile d’y porter des vaisseaux, le vif-argent, les tuyaux et beaucoup d’autres choses nécessaires, et d’entreprendre ce voyage pénible autant de fois qu’il le faudrait pour rencontrer, au haut de ces montagnes, le temps serein et commode qui ne s’y voit que peu souvent ; et comme c’est aussi rare de trouver des personnes hors de Paris qui aient ces qualités que des lieux qui aient ces conditions, j’ai beaucoup estimé mon bonheur d’avoir, en cette occasion, rencontré l’un et l’autre, puisque notre ville de Clermont est au pied de la haute montagne du Puy-de-Dôme, et que j’espère de votre bonté que vous m’accorderez la grâce de vouloir y faire vous-même cette expérience ; et, sur cette assurance, je l’ai fait espérer à tous nos curieux de Paris, et entre autres au R.P. Mersenne, qui s’est déjà engagé, par des lettres qu’il en a écrites en Italie, en Pologne, en Suède, en Hollande, etc., d’en faire part aux amis qu’il s’y est acquis par son mérite. Je ne touche pas aux moyens de l’exécution, parce que je sais bien que vous n’omettrez aucune des circonstances nécessaires pour le faire avec précaution.
« Je vous prie seulement que ce soit le plus tôt qu’il vous sera possible, et d’excuser cette liberté où m’oblige l’impatience que j’ai d’en apprendre le succès, sans lequel je ne puis mettre la dernière main au Traité que j’ai promis au public, ni satisfaire au désir de tant de personnes qui l’attendent, et qui vous en seront infiniment obligées. Ce n’est pas que je veuille diminuer ma reconnaissance par le nombre de ceux qui la partageront avec moi, puisque je veux, au contraire, prendre part à celle qu’ils vous auront, et à demeurer d’autant plus, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
PASCAL.
15 novembre 1617. »
Périer reçut à Moulins la lettre de Pascal. Ses occupations de conseiller à la cour des aidés le retinrent longtemps dans cette ville. Il ne put se rendre à Clermont que dans l’hiver de l’année suivante. Mais, pendant toute la durée du printemps et de l’été, le sommet du Puy-de-Dôme resta enveloppé de brouillards ou couvert de neiges qui en empêchaient l’accès ; il ne se dégagea entièrement que dans les premiers jours de septembre.
Blaise Pascal. Gravure (colorisée) réalisée vers 1830 par Henry Meyer
Le 19 septembre 1648, à 5 heures du matin, le temps paraissait beau et la cime du Puy-de-Dôme se montrait à découvert : Périer résolut d’exécuter ce jour-là l’expérience depuis si longtemps méditée. Il fit avertir aussitôt les personnes qui devaient l’accompagner, et, à 8 heures du matin, tout le monde se trouvait réuni dans le jardin du couvent des Minimes. Le Père Bannier, ancien supérieur de l’ordre, le Père Mosnier, chanoine de l’église cathédrale de Clermont, La Ville et Begon, conseillers à la cour des aides, et Laporte, médecin de Clermont, furent les témoins et les acteurs de cette expédition mémorable.
Périer prit deux tubes de verre, longs de quatre pieds (1m299) et fermés par un bout ; il les remplit de mercure et fit l’expérience du vide, c’est-à-dire les renversa sur un bain de mercure. Il marqua avec la pointe d’un diamant la hauteur occupée dans le tube par la colonne de mercure au-dessus du niveau du réservoir ; cette hauteur, plusieurs fois vérifiée, était, dans les deux tubes, de vingt-six pouces trois lignes et demie (0m711). L’un de ces tubes fut fixé à demeure et laissé en expérience ; le Père Chastin, un des religieux de la maison, fut chargé de le surveiller et d’y observer la hauteur du mercure pendant toute la journée.
La compagnie quitta alors le couvent, emportant le second tube, et l’on commença, à 10 heures, à gravir la montagne. On atteignit son sommet au milieu de la journée. Arrivé là, Périer répéta l’expérience du vide telle qu’il l’avait exécutée le matin dans le jardin des Minimes, et il s’empressa de mesurer l’élévation du mercure au-dessus du réservoir. Le liquide, qui, au pied de la montagne, s’élevait à vingt-six pouces trois lignes et demie (0m711), ne s’élevait plus qu’à vingt-trois pouces deux lignes (0m626) ; il y avait donc trois pouces une ligne et demie (0m085) de différence entre les deux mesures prises à la base et au sommet du Puy-de-Dôme.
Quand ils furent revenus de la surprise et de la joie que leur faisait éprouver une si éclatante confirmation des prévisions de la théorie, nos expérimentateurs s’empressèrent de répéter l’observation, en variant les circonstances extérieures. On mesura cinq fois la hauteur du mercure : tantôt à découvert, dans un lieu exposé au vent ; tantôt à l’abri, sous le toit d’une petite chapelle qui se trouvait au plus haut de la montagne ; une fois par le beau temps, une autre fois pendant la pluie, ou au milieu des brouillards qui venaient de temps en temps visiter ces sommets déserts : le mercure marquait partout vingt-trois pouces deux lignes (0m626).
On se mit alors à redescendre. Arrivé vers le milieu de la montagne, Périer jugea utile de répéter l’observation, afin de reconnaître si la colonne de mercure décroissait proportionnellement avec la hauteur des lieux. L’expérience donna le résultat prévu : le mercure s’élevait à vingt-cinq pouces (0m675), mesure supérieure d’un pouce dix lignes (0m045) à celle qu’on avait prise sur la hauteur du Puy-de-Dôme, et inférieure d’un pouce trois lignes (0m036) à l’observation prise à Clermont-Ferrand. Périer fit deux fois la même épreuve, qui fut répétée une troisième fois par le Père Mosnier. Ainsi le niveau du mercure s’abaissait selon les hauteurs.
Les heureux expérimentateurs étaient de retour au couvent avant la fin de la journée. Ils trouvèrent le Père Chastin continuant d’observer son appareil. Le patient religieux leur apprit que la colonne de mercure n’avait pas varié une seule fois depuis le matin. Comme dernière confirmation, Périer remit en expérience l’appareil même qu’il rapportait du Puy-de-Dôme : le mercure s’y éleva, comme le matin, à la hauteur de vingt-six pouces trois lignes et demie (0m711).
Le lendemain, le Père de La Mare, théologal de l’église cathédrale, qui avait assisté la veille à tout ce qui s’était passé dans le couvent des Minimes, proposa à Périer de répéter l’expérience au pied et sur le faîte de la plus haute des tours de l’église Notre-Dame, à Clermont. On trouva une différence de deux lignes (0m0045) entre les deux mesures prises à la base et au sommet de la tour. Enfin, en déterminant comparativement la hauteur du mercure dans le jardin des Minimes, situé dans une des positions les plus basses de la ville et sur le point le plus élevé de la même tour, on constata une différence de deux lignes et demie (0m0055).
Les prévisions de Pascal étaient confirmées dans toute leur étendue ; la maxime de l’horreur du vide n’était plus qu’une chimère condamnée par l’expérience, et un horizon nouveau s’offrait à l’avenir des sciences physiques. La découverte de la pesanteur de l’air et la mesure de ses variations à l’aide du tube de Torricelli devinrent, en effet, le point de départ et l’origine des grands travaux qui devaient élever la physique sur les bases positives où elle reposa ensuite.
Le tube de Torricelli, dont Pascal venait de faire un admirable moyen de mesurer la pression atmosphérique, apporta aux observateurs un secours de la plus haute importance, en ce qu’il permit de soumettre au calcul et de ramener à des conditions comparables un grand nombre de phénomènes naturels restés jusque-là inexplicables.
Pascal ne manqua pas de saisir toute la portée du principe fondamental qu’il venait de mettre en lumière. Le fait de la pression que l’air atmosphérique exerce sur tous les corps qui nous environnent lui permit d’expliquer plusieurs phénomènes physiques dont la cause s’était dérobée jusque-là à toute interprétation. L’ascension de l’eau dans le tuyau des pompes, le jeu du siphon, de la seringue et divers autres faits physiques, reçurent de lui une explication complète.
« Je vous prie seulement que ce soit le plus tôt qu’il vous sera possible, et d’excuser cette liberté où m’oblige l’impatience que j’ai d’en apprendre le succès, sans lequel je ne puis mettre la dernière main au Traité que j’ai promis au public, ni satisfaire au désir de tant de personnes qui l’attendent, et qui vous en seront infiniment obligées. Ce n’est pas que je veuille diminuer ma reconnaissance par le nombre de ceux qui la partageront avec moi, puisque je veux, au contraire, prendre part à celle qu’ils vous auront, et à demeurer d’autant plus, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
PASCAL.
15 novembre 1617. »
Périer reçut à Moulins la lettre de Pascal. Ses occupations de conseiller à la cour des aidés le retinrent longtemps dans cette ville. Il ne put se rendre à Clermont que dans l’hiver de l’année suivante. Mais, pendant toute la durée du printemps et de l’été, le sommet du Puy-de-Dôme resta enveloppé de brouillards ou couvert de neiges qui en empêchaient l’accès ; il ne se dégagea entièrement que dans les premiers jours de septembre.
Blaise Pascal. Gravure (colorisée) réalisée vers 1830 par Henry Meyer
Le 19 septembre 1648, à 5 heures du matin, le temps paraissait beau et la cime du Puy-de-Dôme se montrait à découvert : Périer résolut d’exécuter ce jour-là l’expérience depuis si longtemps méditée. Il fit avertir aussitôt les personnes qui devaient l’accompagner, et, à 8 heures du matin, tout le monde se trouvait réuni dans le jardin du couvent des Minimes. Le Père Bannier, ancien supérieur de l’ordre, le Père Mosnier, chanoine de l’église cathédrale de Clermont, La Ville et Begon, conseillers à la cour des aides, et Laporte, médecin de Clermont, furent les témoins et les acteurs de cette expédition mémorable.
Périer prit deux tubes de verre, longs de quatre pieds (1m299) et fermés par un bout ; il les remplit de mercure et fit l’expérience du vide, c’est-à-dire les renversa sur un bain de mercure. Il marqua avec la pointe d’un diamant la hauteur occupée dans le tube par la colonne de mercure au-dessus du niveau du réservoir ; cette hauteur, plusieurs fois vérifiée, était, dans les deux tubes, de vingt-six pouces trois lignes et demie (0m711). L’un de ces tubes fut fixé à demeure et laissé en expérience ; le Père Chastin, un des religieux de la maison, fut chargé de le surveiller et d’y observer la hauteur du mercure pendant toute la journée.
La compagnie quitta alors le couvent, emportant le second tube, et l’on commença, à 10 heures, à gravir la montagne. On atteignit son sommet au milieu de la journée. Arrivé là, Périer répéta l’expérience du vide telle qu’il l’avait exécutée le matin dans le jardin des Minimes, et il s’empressa de mesurer l’élévation du mercure au-dessus du réservoir. Le liquide, qui, au pied de la montagne, s’élevait à vingt-six pouces trois lignes et demie (0m711), ne s’élevait plus qu’à vingt-trois pouces deux lignes (0m626) ; il y avait donc trois pouces une ligne et demie (0m085) de différence entre les deux mesures prises à la base et au sommet du Puy-de-Dôme.
Quand ils furent revenus de la surprise et de la joie que leur faisait éprouver une si éclatante confirmation des prévisions de la théorie, nos expérimentateurs s’empressèrent de répéter l’observation, en variant les circonstances extérieures. On mesura cinq fois la hauteur du mercure : tantôt à découvert, dans un lieu exposé au vent ; tantôt à l’abri, sous le toit d’une petite chapelle qui se trouvait au plus haut de la montagne ; une fois par le beau temps, une autre fois pendant la pluie, ou au milieu des brouillards qui venaient de temps en temps visiter ces sommets déserts : le mercure marquait partout vingt-trois pouces deux lignes (0m626).
On se mit alors à redescendre. Arrivé vers le milieu de la montagne, Périer jugea utile de répéter l’observation, afin de reconnaître si la colonne de mercure décroissait proportionnellement avec la hauteur des lieux. L’expérience donna le résultat prévu : le mercure s’élevait à vingt-cinq pouces (0m675), mesure supérieure d’un pouce dix lignes (0m045) à celle qu’on avait prise sur la hauteur du Puy-de-Dôme, et inférieure d’un pouce trois lignes (0m036) à l’observation prise à Clermont-Ferrand. Périer fit deux fois la même épreuve, qui fut répétée une troisième fois par le Père Mosnier. Ainsi le niveau du mercure s’abaissait selon les hauteurs.
Les heureux expérimentateurs étaient de retour au couvent avant la fin de la journée. Ils trouvèrent le Père Chastin continuant d’observer son appareil. Le patient religieux leur apprit que la colonne de mercure n’avait pas varié une seule fois depuis le matin. Comme dernière confirmation, Périer remit en expérience l’appareil même qu’il rapportait du Puy-de-Dôme : le mercure s’y éleva, comme le matin, à la hauteur de vingt-six pouces trois lignes et demie (0m711).
Le lendemain, le Père de La Mare, théologal de l’église cathédrale, qui avait assisté la veille à tout ce qui s’était passé dans le couvent des Minimes, proposa à Périer de répéter l’expérience au pied et sur le faîte de la plus haute des tours de l’église Notre-Dame, à Clermont. On trouva une différence de deux lignes (0m0045) entre les deux mesures prises à la base et au sommet de la tour. Enfin, en déterminant comparativement la hauteur du mercure dans le jardin des Minimes, situé dans une des positions les plus basses de la ville et sur le point le plus élevé de la même tour, on constata une différence de deux lignes et demie (0m0055).
Les prévisions de Pascal étaient confirmées dans toute leur étendue ; la maxime de l’horreur du vide n’était plus qu’une chimère condamnée par l’expérience, et un horizon nouveau s’offrait à l’avenir des sciences physiques. La découverte de la pesanteur de l’air et la mesure de ses variations à l’aide du tube de Torricelli devinrent, en effet, le point de départ et l’origine des grands travaux qui devaient élever la physique sur les bases positives où elle reposa ensuite.
Le tube de Torricelli, dont Pascal venait de faire un admirable moyen de mesurer la pression atmosphérique, apporta aux observateurs un secours de la plus haute importance, en ce qu’il permit de soumettre au calcul et de ramener à des conditions comparables un grand nombre de phénomènes naturels restés jusque-là inexplicables.
Pascal ne manqua pas de saisir toute la portée du principe fondamental qu’il venait de mettre en lumière. Le fait de la pression que l’air atmosphérique exerce sur tous les corps qui nous environnent lui permit d’expliquer plusieurs phénomènes physiques dont la cause s’était dérobée jusque-là à toute interprétation. L’ascension de l’eau dans le tuyau des pompes, le jeu du siphon, de la seringue et divers autres faits physiques, reçurent de lui une explication complète.
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