« The Dig » : retour sur une découverte archéologique exceptionnelle
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« The Dig » : retour sur une découverte archéologique exceptionnelle
Le film se trouve gratuitement et sans risque ici : http://pifdi.com
La sensationnelle découverte d'un bateau-tombe de 24 mètres de long sur le site de Sutton Hoo, retracée dans le film « The Dig », pourrait être le dernier exemple d’une extravagante tradition funéraire médiévale.
De Erin Blakemore
Publication 2 févr. 2021 à 16:58 CET
Mis au jour sur le site de Sutton Hoo, ce casque extraordinaire était enterré avec son propriétaire, un guerrier d’élite voire un roi anglo-saxon, mort au début du 7e siècle apr. J.-C.
Photographie de BRITISH MUSEUM
Réputés pour leur prudence, les archéologues remettent sans cesse en question les découvertes passées et tentent d’éviter tout sensationnalisme. Pourtant, même le plus circonspect d’entre eux ne tarira pas d’éloges au sujet des tertres funéraires de Sutton Hoo, situés dans le sud-est de l’Angleterre, employant des superlatifs comme « magnifique », « monumental », et « sans pareil ».
C’est dans la région, en 1939, que les archéologues ont mis au jour un site funéraire anglo-saxon vieux de 1 400 ans, qui incluait un bateau complet et une cachette d’objets funéraires somptueux. Cette découverte spectaculaire a changé la compréhension qu’avaient les historiens de la Grande-Bretagne du Haut Moyen-Âge, explique Sue Brunning, conservatrice au British Museum responsable des objets anciens désormais légendaires. « Elle a soudainement tout transformé », confie-t-elle.
Cette photographie des premières fouilles menées à Sutton Hoo montre les vestiges du bateau en bois enterré dans le sud-est de l’Angleterre il y a environ 1 400 ans.
82 ans plus tard, le bateau-tombe de Sutton Hoo revient sur le devant de la scène avec le nouveau film de Netflix « The Dig », avec Carey Mulligan, Ralph Fiennes et Lily James. Pourtant, au début du 7e siècle apr. J.-C., lorsque la dernière pelletée de terre fut jetée sur le guerrier anglo-saxon et ses trésors, la pratique qui consistait à enterrer les morts avec une quantité d’objets ostentatoires tombait en désuétude. Au 8e siècle, la plupart des tombes anglaises ne contenaient plus que des corps en décomposition. Pourquoi un tel changement ?
« Les humains enterraient des personnes dans des bateaux depuis des siècles, des millénaires », indique Sue Brunning. Cela s’appliquait aussi aux présents funéraires. Dans l’Europe du Haut Moyen-Âge, les défunts étaient rarement enterrés sans certains objets qui leur tenaient à cœur, qu’il s’agisse de perles, de pièces de monnaie ou de harnais.
Le film « The Dig » retrace l’histoire des fouilles menées à Sutton Hoo du point de vue de la propriétaire du site Edith Pretty (interprétée par Carey Mulligan) et de l’archéologue Basil Brown (Ralph Fiennes).
Photographie de NETFLIX/ENTERTAINMENT PICTURES, ALAMY
Le site funéraire de Sutton Hoo a été mis au jour par Basil Brown, un archéologue amateur embauché par la propriétaire des lieux, Edith Pretty. Cette dernière souhaitait savoir ce qu’abritaient les tumuli présents sur sa propriété du Suffolk, proche du fleuve Deben. Plusieurs fouilles ont été menées, au cours desquelles Basil Brown a mis au jour 263 objets précieux enterrés dans un bateau anglo-saxon de 24 mètres de long. Parmi les somptueux objets trouvés et fabriqués en fer, en or, en os, en grenats et en plumes, figuraient un casque à visage humain, des attaches d’épaule délicatement ouvragées, des biens domestiques et des armes (la plupart présentaient des liens avec des lieux lointains, comme la Syrie ou le Sri Lanka).
La découverte de ces objets anciens à Sutton Hoo changea immédiatement l’image qu’avaient les historiens d’une période surnommée l’Âge sombre. Confectionnés dans des matériaux provenant des quatre coins du monde, les magnifiques présents funéraires laissaient penser que la société du Haut Moyen-Âge, décrite dans des poèmes épiques comme Beowulf, relevait peut-être plus de la réalité que du mythe. « Nous pensions que ce genre de choses, c’était de la fiction », explique Sue Brunning.
Mais, lorsque le dernier membre de l’élite anglo-saxonne de Sutton Hoo rendit son dernier souffle, la pratique consistant à garnir les tombes d’objets avait déjà commencé à disparaître. Les tombes anglaises devinrent plus simples et plus rares entre les 6e et 8e siècles apr. J.-C.
UNE TRADITION SUR LE DÉCLIN
Afin de comprendre pourquoi et comment cette pratique avait disparu, Emma Brownlee, archéologue et chercheuse au Griton College de l’université de Cambridge et spécialiste des pratiques funéraires du Haut Moyen-Âge, s'est plongée dans les archives archéologiques qui décrivaient plus de 33 000 tombes de cette période. Récemment publiée dans la revue Antiquity, son analyse portait sur 237 cimetières, principalement situés en Angleterre et au nord-ouest de l'Europe.
À l’aide de descriptions et de dessins de dizaines de milliers de tombes mises au jour au cours des 60 dernières années, Emma Brownlee a calculé méticuleusement, jusqu’à la dernière perle, le nombre moyen d’objets ensevelis dans chaque tombe. Elle a recueilli également d’autres informations importantes, comme la durée d’utilisation des cimetières, et les suggestions des techniques de datation les plus fiables concernant leur âge.
Elle est ensuite passée au traitement des données. Sa carte montrait que l’Angleterre avait abandonné la pratique des présents funéraires dès le milieu du 6e siècle. Par conséquent, lorsque le guerrier anglo-saxon de Sutton Hoo fut enterré vers 625 apr. J.-C., la pratique était bien en désuétude.
« Après le 7e siècle, plus personne n’était enterré avec des objets », déclare la chercheuse.
Elle précise toutefois que ces données concernaient principalement l’Angleterre et que les Anglais de l’époque n’étaient pas forcément les instigateurs de cette tendance. Son analyse révèle néanmoins que le virage amorcé par la nation vers des sépultures plus simples a pris fin vers 720 apr. J.-C., alors qu’un demi-siècle supplémentaire fut nécessaire aux pays du nord-ouest de l’Europe pour lui emboîter le pas.
La sensationnelle découverte d'un bateau-tombe de 24 mètres de long sur le site de Sutton Hoo, retracée dans le film « The Dig », pourrait être le dernier exemple d’une extravagante tradition funéraire médiévale.
De Erin Blakemore
Publication 2 févr. 2021 à 16:58 CET
Mis au jour sur le site de Sutton Hoo, ce casque extraordinaire était enterré avec son propriétaire, un guerrier d’élite voire un roi anglo-saxon, mort au début du 7e siècle apr. J.-C.
Photographie de BRITISH MUSEUM
Réputés pour leur prudence, les archéologues remettent sans cesse en question les découvertes passées et tentent d’éviter tout sensationnalisme. Pourtant, même le plus circonspect d’entre eux ne tarira pas d’éloges au sujet des tertres funéraires de Sutton Hoo, situés dans le sud-est de l’Angleterre, employant des superlatifs comme « magnifique », « monumental », et « sans pareil ».
C’est dans la région, en 1939, que les archéologues ont mis au jour un site funéraire anglo-saxon vieux de 1 400 ans, qui incluait un bateau complet et une cachette d’objets funéraires somptueux. Cette découverte spectaculaire a changé la compréhension qu’avaient les historiens de la Grande-Bretagne du Haut Moyen-Âge, explique Sue Brunning, conservatrice au British Museum responsable des objets anciens désormais légendaires. « Elle a soudainement tout transformé », confie-t-elle.
Cette photographie des premières fouilles menées à Sutton Hoo montre les vestiges du bateau en bois enterré dans le sud-est de l’Angleterre il y a environ 1 400 ans.
82 ans plus tard, le bateau-tombe de Sutton Hoo revient sur le devant de la scène avec le nouveau film de Netflix « The Dig », avec Carey Mulligan, Ralph Fiennes et Lily James. Pourtant, au début du 7e siècle apr. J.-C., lorsque la dernière pelletée de terre fut jetée sur le guerrier anglo-saxon et ses trésors, la pratique qui consistait à enterrer les morts avec une quantité d’objets ostentatoires tombait en désuétude. Au 8e siècle, la plupart des tombes anglaises ne contenaient plus que des corps en décomposition. Pourquoi un tel changement ?
« Les humains enterraient des personnes dans des bateaux depuis des siècles, des millénaires », indique Sue Brunning. Cela s’appliquait aussi aux présents funéraires. Dans l’Europe du Haut Moyen-Âge, les défunts étaient rarement enterrés sans certains objets qui leur tenaient à cœur, qu’il s’agisse de perles, de pièces de monnaie ou de harnais.
Le film « The Dig » retrace l’histoire des fouilles menées à Sutton Hoo du point de vue de la propriétaire du site Edith Pretty (interprétée par Carey Mulligan) et de l’archéologue Basil Brown (Ralph Fiennes).
Photographie de NETFLIX/ENTERTAINMENT PICTURES, ALAMY
Le site funéraire de Sutton Hoo a été mis au jour par Basil Brown, un archéologue amateur embauché par la propriétaire des lieux, Edith Pretty. Cette dernière souhaitait savoir ce qu’abritaient les tumuli présents sur sa propriété du Suffolk, proche du fleuve Deben. Plusieurs fouilles ont été menées, au cours desquelles Basil Brown a mis au jour 263 objets précieux enterrés dans un bateau anglo-saxon de 24 mètres de long. Parmi les somptueux objets trouvés et fabriqués en fer, en or, en os, en grenats et en plumes, figuraient un casque à visage humain, des attaches d’épaule délicatement ouvragées, des biens domestiques et des armes (la plupart présentaient des liens avec des lieux lointains, comme la Syrie ou le Sri Lanka).
La découverte de ces objets anciens à Sutton Hoo changea immédiatement l’image qu’avaient les historiens d’une période surnommée l’Âge sombre. Confectionnés dans des matériaux provenant des quatre coins du monde, les magnifiques présents funéraires laissaient penser que la société du Haut Moyen-Âge, décrite dans des poèmes épiques comme Beowulf, relevait peut-être plus de la réalité que du mythe. « Nous pensions que ce genre de choses, c’était de la fiction », explique Sue Brunning.
Mais, lorsque le dernier membre de l’élite anglo-saxonne de Sutton Hoo rendit son dernier souffle, la pratique consistant à garnir les tombes d’objets avait déjà commencé à disparaître. Les tombes anglaises devinrent plus simples et plus rares entre les 6e et 8e siècles apr. J.-C.
UNE TRADITION SUR LE DÉCLIN
Afin de comprendre pourquoi et comment cette pratique avait disparu, Emma Brownlee, archéologue et chercheuse au Griton College de l’université de Cambridge et spécialiste des pratiques funéraires du Haut Moyen-Âge, s'est plongée dans les archives archéologiques qui décrivaient plus de 33 000 tombes de cette période. Récemment publiée dans la revue Antiquity, son analyse portait sur 237 cimetières, principalement situés en Angleterre et au nord-ouest de l'Europe.
À l’aide de descriptions et de dessins de dizaines de milliers de tombes mises au jour au cours des 60 dernières années, Emma Brownlee a calculé méticuleusement, jusqu’à la dernière perle, le nombre moyen d’objets ensevelis dans chaque tombe. Elle a recueilli également d’autres informations importantes, comme la durée d’utilisation des cimetières, et les suggestions des techniques de datation les plus fiables concernant leur âge.
Elle est ensuite passée au traitement des données. Sa carte montrait que l’Angleterre avait abandonné la pratique des présents funéraires dès le milieu du 6e siècle. Par conséquent, lorsque le guerrier anglo-saxon de Sutton Hoo fut enterré vers 625 apr. J.-C., la pratique était bien en désuétude.
« Après le 7e siècle, plus personne n’était enterré avec des objets », déclare la chercheuse.
Elle précise toutefois que ces données concernaient principalement l’Angleterre et que les Anglais de l’époque n’étaient pas forcément les instigateurs de cette tendance. Son analyse révèle néanmoins que le virage amorcé par la nation vers des sépultures plus simples a pris fin vers 720 apr. J.-C., alors qu’un demi-siècle supplémentaire fut nécessaire aux pays du nord-ouest de l’Europe pour lui emboîter le pas.
Re: « The Dig » : retour sur une découverte archéologique exceptionnelle
UN SITE FUNÉRAIRE ROYAL
L’évolution des pratiques funéraires coïncida avec une période de profonds changements en Angleterre. Autrefois sous domination romaine, la nation devint indépendante vers 410. Elle connut ensuite plusieurs vagues successives de conquérants, notamment les Angles et les Saxons germaniques.
Ces puissances païennes s’unirent entre 400 et 600 apr. J.-C. et donnèrent naissance aux royaumes qui se convertirent au christianisme au 7e siècle. Les royaumes anglo-saxons les plus puissants résistèrent à l’invasion viking, qui débuta au 9e siècle. Ils s’unirent en 927 pour créer le Royaume d’Angleterre et ainsi former la base de la monarchie britannique moderne.
Le guerrier enterré dans le bateau-tombe serait un roi anglo-saxon, peut-être Rædwald d’Est-Anglie, dont le royaume englobait le Suffolk entre 599 et 624 environ. Les dates inscrites sur les pièces retrouvées sur le site coïncident avec son règne. De plus, la qualité et la valeur des présents funéraires laissent penser que le défunt était une personne extrêmement influente.
Il en va de même avec l’existence de la tombe elle-même. « Le fait même de remonter un bateau depuis le fleuve, de creuser un trou suffisamment grand pour l’y ensevelir et de construire la chambre funéraire relève presque d’une pièce de théâtre », estime Sue Brunning. « Nous pouvons imaginer qu’un grand nombre de personnes ont été impliquées. L’enterrement a sans doute été un grand événement et le [tumulus] était si énorme qu’il devait être visible depuis le fleuve situé en contrebas par les personnes qui naviguaient sur le cours d’eau ».
Le défunt de Sutton Hoo avait été enterré avec son épée. Selon une étude récente réalisée par la conservatrice du British Museum, Sue Brunning, le propriétaire anglo-saxon de l’arme était gaucher.
Photographie de BRITISH MUSEUM
Selon les archéologues, Sutton Hoo était également le cimetière des proches du roi. 17 autres tertres autour de celui du roi présumé abritaient aussi des corps. Un bateau plus petit a également été mis au jour sur le site.
Le pouvoir politique serait à l’origine de l’évolution des pratiques funéraires, estime l’archéologue Heinrich Härke. Ce dernier, spécialiste des sépultures du Haut Moyen-Âge et professeur à l’université HSE de Moscou, n’a pas pris part à l’étude. Selon lui, alors que les dirigeants de toute l’Angleterre commençaient à consolider leur pouvoir et à former les royaumes au 6e siècle, il serait devenu moins important aux yeux des défunts d’afficher leur puissance et d’être enterrés avec des biens précieux.
Andrew Reynolds, archéologue spécialiste du Haut Moyen-Âge à l’University College London, a une autre théorie : l’ascension des rois aurait provoqué l’appauvrissement de tous ceux qui n’appartenaient pas à la royauté
« Avec la mainmise croissante des familles royales anglaises sur les ressources et les terres, les petites communautés ont perdu les libertés qu'elles avaient auparavant », explique-t-il. « La richesse est devenue de plus en plus polarisée ».
Puis il y eut l’émergence du christianisme. Alors que la nouvelle religion gagnait du terrain à travers l’Europe, les tertres funéraires tombèrent en désuétude et les tombes royales migrèrent vers les cimetières ou au sein des églises et des cathédrales. Le nombre de présents funéraires déclina lui aussi. À partir du 8e siècle, la royauté et les personnes n’appartenant pas à l’élite étaient en général enterrées avec rien de plus que des linceuls, des bijoux ou des bibelots chrétiens, comme des croix.
Selon Andrew Reynolds, le site funéraire de Sutton Hoo serait un exemple de cette transition, en particulier parce qu’il semble avoir été le lieu de sépulture d’une seule famille anglo-saxonne et ne faisait donc pas partie d’un cimetière plus grand.
Photographie des tertres funéraires recouverts de givre au petit matin, à Sutton Hoo. Une partie du site funéraire découvert à proximité du bateau-tombe est restée intacte pour permettre aux futures générations d’archéologues de l’explorer en se posant d’autres questions et en ayant recours aux nouvelles technologies.
Photographie de NATIONAL TRUST PHOTOLIBRARY, ALAMY
« Toutes les sépultures de personnes de rang élevé qui datent de cette période sont éloignées des lieux de sépulture des personnes de rang inférieur », dit-il. « Sutton Hoo est l’illustration de la manière dont les personnes qui contrôlaient l’accès aux biens révélateurs d’un rang élevé, et qui faisaient sans doute la loi au niveau local, essayaient de se différencier des autres par l’acquisition d’objets ostentatoires, mais aussi par la distanciation spatiale ».
Emma Brownlee pense quant à elle que cette tendance des tombes exemptes de présents funéraires s’explique par l’augmentation du commerce et le développement des relations dans l’Europe occidentale, et non pas par les prises de pouvoir monarchique. Elle émet l’hypothèse que « le changement observé dans la plupart des pratiques funéraires s’est opéré en communiquant avec des personnes de même statut social » en s’appuyant sur des modèles sociologiques et linguistiques qui démontrent qu’un changement culturel se produit plus rapidement s’il est initié par des semblables.
« Il existe de nombreuses théories selon lesquelles Sutton Hoo était une réaction à l’arrivée du christianisme », dit-elle. « Le site serait un signe d’insécurité plutôt que de puissance, un geste symbolique qui dissimule un sentiment d’insécurité. »
D’AUTRES RÉPONSES À APPORTER
En l’absence de preuve tangible, les chercheurs ont des difficultés à déterminer avec exactitude la manière dont les pratiques funéraires du passé se seraient adaptées au vaste changement sociétal. Une portion encore intacte du site de Sutton Hoo pourrait répondre à cette question, tout du moins pour l’Angleterre du Moyen-Âge.
Après les fouilles initiales menées par Brown, deux autres projets de fouilles ont permis d’explorer le site jusqu’au début des années 1990. Mais une partie du site funéraire proche de l’endroit où le bateau-tombe a été mis au jour est « restée intacte pour permettre aux futures générations d’archéologues de l’explorer en se posant d’autres questions et en ayant recours à de nouvelles technologies », a indiqué un porte-parole du National Trust au East Anglian Daily Times en 2019.
Pour le moment, les chercheurs doivent se contenter de ce qui a déjà été mis au jour par Basil Brown et ses successeurs ou tenter d’obtenir de nouvelles informations en puisant dans d’anciennes données, comme l’a fait Emma Brownlee. En attendant, Sue Brunning et ses confrères conservateurs préservent méticuleusement les objets anciens exhumés dans le tumulus.
S’il importe peu de savoir pourquoi le site funéraire de Sutton Hoo et ses équivalents ultérieurs de plus en plus rares ont été créés, il demeure intéressant de s’interroger sur la manière et les raisons pour lesquelles les vivants enterraient autrefois leurs morts et ce qu’ils laissaient, ou non, dans les tombes.
« Les tombes sont l’un des rares éléments des archives archéologiques à être enfouies de façon délibérées dans le sol », rappelle Emma Brownlee. « C’est accidentel pour presque tout le reste ». Selon elle, chaque élément « y était placé dans un but bien précis. Redécouvrir ce but fait partie du défi [archéologique]. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
https://www.nationalgeographic.fr
L’évolution des pratiques funéraires coïncida avec une période de profonds changements en Angleterre. Autrefois sous domination romaine, la nation devint indépendante vers 410. Elle connut ensuite plusieurs vagues successives de conquérants, notamment les Angles et les Saxons germaniques.
Ces puissances païennes s’unirent entre 400 et 600 apr. J.-C. et donnèrent naissance aux royaumes qui se convertirent au christianisme au 7e siècle. Les royaumes anglo-saxons les plus puissants résistèrent à l’invasion viking, qui débuta au 9e siècle. Ils s’unirent en 927 pour créer le Royaume d’Angleterre et ainsi former la base de la monarchie britannique moderne.
Le guerrier enterré dans le bateau-tombe serait un roi anglo-saxon, peut-être Rædwald d’Est-Anglie, dont le royaume englobait le Suffolk entre 599 et 624 environ. Les dates inscrites sur les pièces retrouvées sur le site coïncident avec son règne. De plus, la qualité et la valeur des présents funéraires laissent penser que le défunt était une personne extrêmement influente.
Il en va de même avec l’existence de la tombe elle-même. « Le fait même de remonter un bateau depuis le fleuve, de creuser un trou suffisamment grand pour l’y ensevelir et de construire la chambre funéraire relève presque d’une pièce de théâtre », estime Sue Brunning. « Nous pouvons imaginer qu’un grand nombre de personnes ont été impliquées. L’enterrement a sans doute été un grand événement et le [tumulus] était si énorme qu’il devait être visible depuis le fleuve situé en contrebas par les personnes qui naviguaient sur le cours d’eau ».
Le défunt de Sutton Hoo avait été enterré avec son épée. Selon une étude récente réalisée par la conservatrice du British Museum, Sue Brunning, le propriétaire anglo-saxon de l’arme était gaucher.
Photographie de BRITISH MUSEUM
Selon les archéologues, Sutton Hoo était également le cimetière des proches du roi. 17 autres tertres autour de celui du roi présumé abritaient aussi des corps. Un bateau plus petit a également été mis au jour sur le site.
Le pouvoir politique serait à l’origine de l’évolution des pratiques funéraires, estime l’archéologue Heinrich Härke. Ce dernier, spécialiste des sépultures du Haut Moyen-Âge et professeur à l’université HSE de Moscou, n’a pas pris part à l’étude. Selon lui, alors que les dirigeants de toute l’Angleterre commençaient à consolider leur pouvoir et à former les royaumes au 6e siècle, il serait devenu moins important aux yeux des défunts d’afficher leur puissance et d’être enterrés avec des biens précieux.
Andrew Reynolds, archéologue spécialiste du Haut Moyen-Âge à l’University College London, a une autre théorie : l’ascension des rois aurait provoqué l’appauvrissement de tous ceux qui n’appartenaient pas à la royauté
« Avec la mainmise croissante des familles royales anglaises sur les ressources et les terres, les petites communautés ont perdu les libertés qu'elles avaient auparavant », explique-t-il. « La richesse est devenue de plus en plus polarisée ».
Puis il y eut l’émergence du christianisme. Alors que la nouvelle religion gagnait du terrain à travers l’Europe, les tertres funéraires tombèrent en désuétude et les tombes royales migrèrent vers les cimetières ou au sein des églises et des cathédrales. Le nombre de présents funéraires déclina lui aussi. À partir du 8e siècle, la royauté et les personnes n’appartenant pas à l’élite étaient en général enterrées avec rien de plus que des linceuls, des bijoux ou des bibelots chrétiens, comme des croix.
Selon Andrew Reynolds, le site funéraire de Sutton Hoo serait un exemple de cette transition, en particulier parce qu’il semble avoir été le lieu de sépulture d’une seule famille anglo-saxonne et ne faisait donc pas partie d’un cimetière plus grand.
Photographie des tertres funéraires recouverts de givre au petit matin, à Sutton Hoo. Une partie du site funéraire découvert à proximité du bateau-tombe est restée intacte pour permettre aux futures générations d’archéologues de l’explorer en se posant d’autres questions et en ayant recours aux nouvelles technologies.
Photographie de NATIONAL TRUST PHOTOLIBRARY, ALAMY
« Toutes les sépultures de personnes de rang élevé qui datent de cette période sont éloignées des lieux de sépulture des personnes de rang inférieur », dit-il. « Sutton Hoo est l’illustration de la manière dont les personnes qui contrôlaient l’accès aux biens révélateurs d’un rang élevé, et qui faisaient sans doute la loi au niveau local, essayaient de se différencier des autres par l’acquisition d’objets ostentatoires, mais aussi par la distanciation spatiale ».
Emma Brownlee pense quant à elle que cette tendance des tombes exemptes de présents funéraires s’explique par l’augmentation du commerce et le développement des relations dans l’Europe occidentale, et non pas par les prises de pouvoir monarchique. Elle émet l’hypothèse que « le changement observé dans la plupart des pratiques funéraires s’est opéré en communiquant avec des personnes de même statut social » en s’appuyant sur des modèles sociologiques et linguistiques qui démontrent qu’un changement culturel se produit plus rapidement s’il est initié par des semblables.
« Il existe de nombreuses théories selon lesquelles Sutton Hoo était une réaction à l’arrivée du christianisme », dit-elle. « Le site serait un signe d’insécurité plutôt que de puissance, un geste symbolique qui dissimule un sentiment d’insécurité. »
D’AUTRES RÉPONSES À APPORTER
En l’absence de preuve tangible, les chercheurs ont des difficultés à déterminer avec exactitude la manière dont les pratiques funéraires du passé se seraient adaptées au vaste changement sociétal. Une portion encore intacte du site de Sutton Hoo pourrait répondre à cette question, tout du moins pour l’Angleterre du Moyen-Âge.
Après les fouilles initiales menées par Brown, deux autres projets de fouilles ont permis d’explorer le site jusqu’au début des années 1990. Mais une partie du site funéraire proche de l’endroit où le bateau-tombe a été mis au jour est « restée intacte pour permettre aux futures générations d’archéologues de l’explorer en se posant d’autres questions et en ayant recours à de nouvelles technologies », a indiqué un porte-parole du National Trust au East Anglian Daily Times en 2019.
Pour le moment, les chercheurs doivent se contenter de ce qui a déjà été mis au jour par Basil Brown et ses successeurs ou tenter d’obtenir de nouvelles informations en puisant dans d’anciennes données, comme l’a fait Emma Brownlee. En attendant, Sue Brunning et ses confrères conservateurs préservent méticuleusement les objets anciens exhumés dans le tumulus.
S’il importe peu de savoir pourquoi le site funéraire de Sutton Hoo et ses équivalents ultérieurs de plus en plus rares ont été créés, il demeure intéressant de s’interroger sur la manière et les raisons pour lesquelles les vivants enterraient autrefois leurs morts et ce qu’ils laissaient, ou non, dans les tombes.
« Les tombes sont l’un des rares éléments des archives archéologiques à être enfouies de façon délibérées dans le sol », rappelle Emma Brownlee. « C’est accidentel pour presque tout le reste ». Selon elle, chaque élément « y était placé dans un but bien précis. Redécouvrir ce but fait partie du défi [archéologique]. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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