Flop à sa sortie, l’album de Gainbourg Histoire de Melody Nelson a trop joué avec le feu
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Flop à sa sortie, l’album de Gainbourg Histoire de Melody Nelson a trop joué avec le feu
Correspondance, Brice MICLET
Souvent considéré aujourd’hui comme le meilleur album de Serge Gainsbourg, Histoire de Melody Nelson, sorti en 1971, s’est frotté aux carcans musicaux et moraux de son époque. Au point de n’avoir jamais su totalement faire taire les critiques
« Les ailes de la Rolls effleuraient des pylônes / Quand m’étant malgré moi égaré / Nous arrivâmes ma Rolls et moi dans une zone / Dangereuse / Un endroit isolé… » Voici comment Serge Gainsbourg introduit son dixième album, Histoire de Melody Nelson, sorti en 1971. Un disque dont le rayonnement ne fait plus de doute dans notre pays, mais qui est également l’une des quelques œuvres musicales hexagonales à retentir hors de France. Abouti, sulfureux, voire scandaleux pour certains, taillé dans le son anglais de l’époque, c’est un ovni sonore. Et comme beaucoup d’albums avant-gardistes, il a eu bien du mal à trouver son public
https://youtu.be/OXUrl3fGknM
Pourtant, à la fin des années 1960, Serge Gainsbourg est à ce qu’il croit être le zénith de sa carrière. Il a connu l’amour fougueux de Brigitte Bardot, a chanté avec elle le succès Bonnie & Clyde puis écrit, après leur rupture, l’ode Initials B.B. Artistiquement, il peut tout se permettre. Du moins, c’est ce qu’il croit et espère.
Exilé à Londres, c’est dans un hôtel cabossé mais prisé de la capitale anglaise, le Cadogan, qu’il fait part à l’arrangeur Jean-Claude Vannier de son nouveau projet : composer un album-concept imprégné du rock anglais et des écrits de Vladimir Nabokov. Pour le moment, le chanteur n’a qu’une seule et unique pierre à son édifice, à savoir le titre Histoire de Melody Nelson. Tout le reste est à bâtir.
Le narrateur impuni
Ensemble, ils enregistrent plusieurs morceaux à Londres avec une formation de musiciens axés sur le rock et le jazz. Et ramènent le fruit de leur travail à Paris où Jean-Claude Vannier compose les parties symphoniques. Mais plus important encore, il y a les textes. Cet album raconte de bout en bout une histoire, celle d’un homme mûr qui, au volant de sa Rolls, percute une (très) jeune fille anglaise aux cheveux rouges et à l’allure innocente qui se promène à vélo. Il la ramasse littéralement et vit avec elle une histoire immorale et débridée.
Cette adolescente, Melody, doit pourtant bien retourner en Angleterre. Mais l’avion qui la ramène au pays s’écrase, laissant certes le narrateur seul avec ses souvenirs, mais également impuni d’avoir ainsi profité d’une si jeune fille en détresse.
Car voilà bien l’ambiguïté de l’album. Malgré son aspect musical novateur, sa forme, le son qui s’en échappe empreint de mélancolie, de basses profondes, de guitares distordues et de cordes aux accents orientaux, il est un terrain de scandale. C’est sa compagne de l’époque, Jane Birkin, qui fait office de muse. C’est elle que l’on entend susurrer son nom sur les titres Melody, Ballade de Melody Nelson et le fabuleux Cargo Culte. C’est elle également que l’on retrouve sur la pochette, la poitrine nue et cachée par une poupée symbolisant l’enfant qu’elle portait alors. Si Jane Birkin était alors âgée de 24 ans, le personnage qu’elle incarne en a dix de moins.
Vers la reconnaissance critique
À sa sortie le 24 mars 1971, le public découvre donc un album de seulement 24 minutes, mais dont certaines chansons durent plus de 7 minutes. Bizarre… Il n’y a pas de single qui se détache, c’est un tout, un bloc, une œuvre à embrasser dans son ensemble. Et ça ne plaît ni aux radios ni aux auditeurs les plus frileux. Encore moins à ceux qui estiment qu’avec cette torride relation entre un Serge Gainsbourg de 42 ans et une adolescente qui en fait presque trente de moins est inacceptable.
Histoire de Melody Nelson est un flop commercial, il faudra attendre douze années pour qu’il soit finalement certifié disque d’or. Mais à l’instar des albums suivants, comme Vue de l’extérieur, Rock Around The Bunker et L’Homme à la tête de chou, il connaîtra une renaissance critique après la mort de son auteur le 2 mars 1991.
Aujourd’hui, ce disque est considéré par beaucoup comme le plus audacieux, voire le meilleur de la discographie de Serge Gainsbourg. Plusieurs musiciens, notamment des Anglo-Saxons, s’en inspirent et le citent comme influence. Et même si son impact sur la musique anglaise est souvent exagéré en nos contrées, tenant certainement plus du snobisme que du réel succès commercial, il reste le plus britannique des albums de Gainsbourg. Ce qui a fait son échec il y a cinquante ans fait aujourd’hui son renouveau. Et même si les voix dénonçant ses thèmes n’ont jamais cessé de retentir, il survit à la remise en cause, à l’anachronisme et à sa forme. Ça n’est pas rien.
OUEST FRANCE
DESSIN DE PATRICK
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