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Ces villages de France engloutis, sacrifiés sur l’autel de la fée électricité

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Ces villages de France engloutis, sacrifiés sur l’autel de la fée électricité Empty Ces villages de France engloutis, sacrifiés sur l’autel de la fée électricité

Message par Admin Ven 10 Avr - 20:54

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Correspondance, Gautier DEMOUVEAUX

Dans les Hautes-Alpes, les villages de Savines et d’Ubaye ont été détruits au début des années 1960 lors de la mise en eau du barrage hydro-électrique de Serre-Ponçon. En France, plusieurs dizaines de communes et hameaux ont ainsi été engloutis au cours du XXe siècle pour répondre aux besoins en énergie de l’Hexagone.


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En février, avant le confinement, certains habitants des Hautes-Alpes et les touristes qui passaient sur la route nationale 94, le long des berges du lac de Serre-Ponçon, pour se rendre dans les stations de ski des Orres, de Vars ou Risoul étaient étonnés par le niveau des eaux, particulièrement bas.

Sur les berges, la végétation s’arrête net, marquant la limite de la plus haute cote, à 780 mètres au niveau de l’océan. Comme une mer intérieure, le lac de Serre-Ponçon connaît deux « marées », son niveau varie de près de 50 mètres entre l’été – où le lac est plein – et l’hiver, où il se vide progressivement pour des besoins industriels.

Car si de nombreux badauds l’ignorent, cette grande étendue d’eau bordée de montagnes n’a rien de naturel. Elle est le fruit de l’homme, qui a transformé cette vallée alpestre, coincée entre le massif des Écrins et celui du Parpaillon, en un gigantesque lac artificiel, le plus grand en volume (1,27 milliard de m³) de France métropolitaine.

Le 16 novembre 1959, le début de la mise en eau du barrage hydro-électrique condamne deux chefs-lieux – Savines et Ubaye – ainsi que cinq hameaux. L’État exproprie plusieurs dizaines de familles, soit près de 2 000 personnes à la fin des années 1950.

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Le barrage de Serre-Ponçon, dans les années 1960 et aujourd’hui. (Photos : DR)


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Le lac de Serre-Ponçon est devenu une destination touristique estivale, et attire chaque année près de 40 000 touristes. Il a permis de redynamiser économiquement la vallée de la Durance. (Photo : Gautier Demouveaux)

Un village reconstruit plus haut

Si Ubaye a disparu, laissant seulement son nom à une vallée en amont du barrage, Savines a été reconstruit quelques centaines de mètres plus haut. Construit en longueur, le long de la Nationale, le village marque par son architecture très « années 1950 », une fierté pour le maire du village, Victor Berenguel, qui a réussi à faire labelliser sa commune « Patrimoine du XXe siècle »

« Il était important pour moi de mettre en avant cette richesse patrimoniale », explique l’édile, qui rappelle que le plan d’urbanisme du nouveau village fut conçu par l’architecte Achille de Panaskhet, un disciple de Le Corbusier.

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La nouvelle église, imaginée par l’architecte Achille de Panaskhet, rappelle les travaux de Le Corbusier, dont il fut l’un des disciples. (Photo : Gautier Demouveaux)

Les formes de l’église Saint-Florent, qui étonne par sa couleur et ses courbes contemporaines, qui évoquent l’image d’un navire, sont là pour témoigner. Résolument tourné vers cette histoire récente, le nouveau village accueille depuis quelques années le CIAP, le Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine. L’exposition propose de découvrir comment le progrès a transformé la vallée, entre l’arrivée de l’or blanc et du tourisme balnéaire…

« Il fallait rappeler le contexte, poursuit Victor Berenguel. Le pays sortait de la guerre et avait cruellement besoin de son indépendance énergétique. Le barrage avait plusieurs vocations : produire de l’électricité, mais aussi réguler la Durance qui à l’époque était capricieuse et avait de grandes crues, entraînant régulièrement des inondations dans la région. Il devait également servir de réservoir pour les agriculteurs durant l’été pour l’irrigation des basses terres, jusqu’à Cavaillon, afin de contrer la sécheresse. »

Pour le maire de Savines, rebaptisé Savines-le-Lac depuis 1963, ce sacrifice des habitants pour l’intérêt général du pays a aussi été bénéfique pour la vallée, alors assez enclavée, qui passa sans transition d’une agriculture moribonde au développement touristique.

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Le village aujourd’hui et avant la mise en eau du barrage, en 1959, avant la destruction des dernières maisons et de l’église du vieux Savines. (Photo : DR)

Un traumatisme pour les habitants

« J’ai l’habitude de dire que les travaux du siècle dernier sont devenus l’économie du XXIe siècle, précise le maire. Savines-le-Lac est devenue une vraie destination touristique mais aussi nautique, comme le prouve le Tour de France à la voile, qui fera escale sur le lac en juillet prochain. C’est la première fois que cette compétition fait escale sur un plan d’eau ! »

Le lac de Serre-Ponçon, qui compte sept plages publiques et une dizaine de ports, répartis sur les onze kilomètres de berges aménagées (sur un total de 91 km de littoral) attire chaque été entre 35 et 40 000 touristes et génère près de 400 emplois.

« Savines aujourd’hui ne pourrait pas survivre sans le tourisme », avoue l’élu local, qui espère encore développer son village, afin de passer la barre des 1 500 habitants à l’année, contre 1 100 aujourd’hui. « Ce serait symbolique, car c’est le nombre d’habitants que comptait l’ancienne commune avant sa destruction. »

Car les expropriations ont été vécues comme un véritable traumatisme, et la plupart des gens de la vallée ont décidé, la mort dans l’âme, de quitter leurs terres millénaires pour ne pas les voir englouties par les eaux. Ainsi, seulement 247 personnes ont choisi d’habiter dans le nouveau Savines.

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le curé de Savines assistant, impuissant, au dynamitage de son église, en 1959. (Photo : DR)

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L’ancien village de Savine, pendant les travaux du barrage et la construction du nouveau pont. (Photo : DR)

Une histoire oubliée

De l’ancien Savines, il ne reste rien, mis à part le cimetière, construit alors sur les hauteurs, qui a aujourd’hui quasiment les pieds dans l’eau. Mais il a survécu, contrairement à celui du village d’Ubaye, qu’il a fallu déménagé sur les rives, et qui est aujourd’hui un lieu fantôme, rappelant qu’autrefois, il existait à quelques centaines de mètres un village.

Chaque année, les anciens habitants ou leur famille se retrouvent le 1er novembre pour fleurir les tombes et se souvenir de ce lieu disparu à jamais. Lors des marnages hivernaux, l’eau qui baisse laisse découvrir encore certains vestiges, comme ce chemin qui mène à la chapelle Saint-Michel, qui trône fièrement sur son île au milieu du lac le reste de l’année (photo en tête d’article), ou encore le viaduc de Chanteloube, qui émerge de l’eau et que les piétons peuvent emprunter pour rejoindre l’autre rive.

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Lors du marnage hivernal, la baisse du niveau de l’eau laisse entrevoir quelques vestiges, comme le viaduc de Chanteloube, que les piétons peuvent emprunter. Haut de près de 80 mètres, il avait été construit pour la ligne de train Chorges/Barcelonnette, qui ne verra jamais le jour. (Photo : DR)


Ce pont ferroviaire fut construit dans les années 1930, il suivait le tracé de la future ligne Chorges/Barcelonnette, qui fut abandonnée en 1937 pour des raisons économiques et politiques. Un peu plus loin, sur les hauteurs, le belvédère offre un point de vue qui permet de découvrir le fameux barrage et d’embrasser d’un regard la vallée submergée. C’est là que se trouve le Muséoscope du lac, qui propose au public de découvrir l’histoire de ces villages engloutis.

« Notre famille a repris en 1993 un camping situé juste au-dessus du barrage, se souvient Florence Ubrun, la directrice du musée. À l’époque beaucoup de gens venaient voir l’édifice et nous posaient beaucoup de questions. Mon père a alors constaté que cette histoire était mal connue, et risquait de tomber dans l’oubli. Il a donc décidé de créer le Muséoscope du lac. Pendant quatre ans, il a recueilli les témoignages des personnes expropriées. Certains avaient du mal à parler de tout cela car c’était encore douloureux pour eux, même trente ans après les faits. »

Le film d’introduction raconte ainsi la vie de ces habitants déracinés, qui préférèrent quitter la vallée qui les avait vu naître plutôt que de continuer à vivre devant ces terres inondées. « La plupart d’entre eux étaient paysans et attachés à leurs champs et leurs pâtures, transmis de génération en génération, explique Florence Ubrun. Dans l’ensemble, les gens ont été bien indemnisés, mais c’était à eux de trouver à se reloger. La majorité des familles a décidé de partir loin de tout cela, pour tenter d’oublier ce traumatisme. Beaucoup sont partis en Provence, mais cela a été compliqué pour eux. Ils étaient agriculteurs en montagne, ici dans les Hautes-Alpes, et se sont retrouvés sur un territoire où ils ont dû s’adapter à un climat différent, mais aussi à de nouveaux voisins qui les considéraient comme étrangers. »

Un film nominé à Cannes


Chaque année, le Muséoscope du lac accueille près de 35 000 visiteurs, des touristes mais aussi des gens de la région. « Beaucoup de gens ne connaissent pas cette histoire, et ne savent pas que deux villages ont été détruits pour la construction du barrage », note la directrice.

Pourtant, les travaux sont médiatisés dans les années 1950 et un film – qui prend pour toile de fond la construction du barrage de Serre-Ponçon – est même tourné pendant les travaux. L’eau vive est réalisé par François Villiers sur un scénario de Jean Giono.

L’œuvre de fiction est sélectionné à Cannes en 1958 et décroche même un Golden Globe aux États-Unis. Salué par les artistes de la Nouvelle Vague, le film est un peu oublié aujourd’hui. Seule sa bande originale parle encore au grand public, sans savoir que la musique a été composée spécialement pour ce long-métrage : la chanson éponyme, écrite par Guy Béart.

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Durant les années de travaux, le cinéaste François Villiers réalise le film L’eau vive, qui a pour toile de fond la construction du barrage. Le scénario est de Jean Giono, la musique de Guy Béart. Quant à l’héroïne, elle est interprétée par Pascale Audret, la sœur d’Hugues Aufray. (Photos : DR)

44 vallées noyées au cours du XXe siècle


Bien que méconnu, le cas du lac de Serre-Ponçon est loin d’être unique. C’est ce que tend à prouver le journaliste Gérard Guérit, auteur du livre La France des villages engloutis (Nouvelles Éditions Sutton – 2019). Dans cet ouvrage, il a recensé 44 vallées qui ont disparu à cause de la construction de barrages au cours du XXe siècle, entraînant la migration des populations de dizaines de villages et de hameaux rayés de la carte au profit de la fée électricité.

Cela se fait progressivement, principalement dans des territoires vallonnés, en Auvergne -Rhônes Alpes. « Durant la première période, avant 1940, les ouvrages ne touchent que peu de personnes, et on ne s’oppose pas au progrès, explique Gérard Guérit. La seconde, à partir des années 1950, est marquée par le début des Trente glorieuses et les besoins énormes en électricité, qui nécessitent la construction de barrages de grandes tailles. »

L’opinion publique est marquée par le « drame de Tignes » en 1952, qui voit la destruction d’un village réputé pour la fertilité de ses champs et la qualité de son environnement. La commune de Savoie accueille les touristes en villégiature depuis les années 1930. La population s’oppose à ce projet et déclare la guerre à EDF et à l’État, en refusant les indemnisations et les expulsions.

« La construction du barrage du Chevril a défrayé la chronique, car c’est la première fois qu’un vrai village, avec son église, sa mairie et son école étaient détruits, précise l’auteur. Mais malgré la contestation, la population s’incline, souvent de mauvaise grâce, devant les besoins en électricité de la France. Il faut rappeler qu’à l’époque l’énergie nucléaire n’est qu’un vague projet ! »

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Autre barrage marquant, celui du Chevril qui noya le village de Tignes. Les habitants refusèrent jusqu’au bout la destruction de leur commune, certains gardèrent énormément de rancœur jusqu’à la fin de leur vie. (Photo : Gautier Demouveaux)


La décennie suivante marque l’âge d’or pour l’énergie hydro-électrique. EDF, avec le soutien de l’État, construit toujours plus grand. C’est le cas de Serre-Ponçon, dont on vante le chantier titanesque, qui voit alors la construction du plus grand barrage en terre d’Europe. Les années 1970 et 1980 marquent la fin de ce gigantisme.

« Nous sommes après mai 1968, le Larzac et les premières luttes anti-nucléaires, note le journaliste. La convergence des luttes intervient contre les barrages, d’autant plus qu’on construit maintenant pour permettre à des centrales nucléaires de s’installer au bord des fleuves, et nécessite un débit constant pour leur refroidissement. »

Un avenir menacé ?

Dans la plupart des cas, le traumatisme est le même, les expropriations se font dans la douleur. « D’un côté bien souvent la mise en eau d’un barrage permet le développement touristique et économique, bénéfique à toute une région, poursuit Gérard Guérit. Mais de l’autre les gens qui ont connu la vallée avant le lac gardent une certaine nostalgie. Ils n’arrivent pas à voir l’aspect balnéaire avec ses touristes et ses bateaux, mais reconstituent dans leur tête ces villages fantômes engloutis. »

Le dernier village à être sacrifié sur l’autel de la modernité est Naussac en Lozère, en 1983. Aujourd’hui, l’électricité hydro-électrique représente 13 % de l’énergie produite dans l’Hexagone et reste la première source d’énergie renouvelable, loin devant l’éolien ou le solaire. Elle permet de générer rapidement une énergie propre

Pourtant, malgré la réussite de cette industrie, la libéralisation du marché de l’énergie européen pousse l’État à réfléchir à une privatisation de certains barrages. Se pose donc la question de leur avenir, de leur sécurité et de leur impact dans les territoires. Leur entretien coûte cher, certaines concessions arrivent à terme, et la destruction du barrage de Vezins dans la Manche il y a quelques mois crée un précédent.

De quoi faire craindre à certains la disparition de ces lacs artificiels autour desquels se sont souvent organisées des activités économiques et touristiques… Et à d’autre d’espérer, comme à Ubaye ou Tignes, retrouver et reconstruire leur village englouti…

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