Les questions que pose l’essai clinique mortel de Rennes
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Les questions que pose l’essai clinique mortel de Rennes
Par Gaëlle Fleitour - Publié le 18 janvier 2016, à 17h28 l'usine nouvelle
A Rennes, il était fréquent d’entendre à la radio les publicités du centre de recherche Biotrial, visant à recruter de nouveaux volontaires pour des essais de médicaments. Mais dimanche 17 janvier, un drame s’est produit avec le décès d’un des participants lors d’un test réalisé pour le compte du groupe pharmaceutique Bial. Cinq autres patients sont toujours hospitalisés, dont quatre présentent des troubles neurologiques. Décryptage par L’Usine Nouvelle.
En quoi consistait cet essai clinique de phase 1 ?
Avant une autorisation de mise sur le marché, des tests sont réalisés durant plusieurs années pour tout médicament, afin de s’assurer qu’il ne met pas en danger les patients. Après la phase préclinique d’essais sur des animaux de différentes tailles (dont des chimpanzés dans le cas présent), la molécule venait d’entrer dans la première phase de tests sur l’homme.
Elle est alors expérimentée sur des volontaires non malades, afin d’étudier la pharmacocinétique, la façon dont le médicament est absorbé, distribué et éliminé par l’organisme ; et la tolérance du produit.
En fonction de ces résultats, des phases 2 et 3 d’essais peuvent alors être envisagées sur des personnes atteintes de la maladie à traiter, pour mesurer l’efficacité et le bon dosage du produit
Pourquoi l’essai n’était-il pas conduit par le fabricant du médicament ?
Le fabricant de la molécule en développement - censée traiter les troubles de l’humeur et de l’anxiété et les troubles moteurs liés à des maladies neurodégénératives – s’appelle Bial. Premier groupe pharmaceutique portugais avec environ 200 millions d'euros de chiffre d'affaires, il était en voie d’internationalisation. Bial, comme la plupart des groupes pharmaceutiques occidentaux, sous-traite la réalisation des essais cliniques à des sociétés spécialisées, les entreprises de la recherche clinique (CRO).
C’est le cas de Biotrial. Cette entreprise rennaise, aux 300 salariés dont 200 localisées à Rennes, avait fait l'objet de deux inspections de routine jugées positives par les autorités en 2014.
Dans ces centres de recherche spécialisés, généralement situés à proximité d’un service d’urgence hospitalière, les volontaires bénéficient d’un environnement médical : chambres, présence d’infirmières et de médecins… Mais dans le cas de la molécule de Bial, la surveillance 24 heures sur 24 des patients n’avait pas été requise.
Quels types d’effets étaient attendus en phase 1 ?
Lors d'une phase 1, une centaine de volontaires se voit administrer durant quelques mois le médicament, dont les doses sont progressivement augmentées jusqu’à atteindre la dose définitive du produit. "Le processus est très réglementé et protocolé, insiste Yves Alamercy, membre du comité directeur de l’AFCROs, le syndicat représentant les CRO. Il peut y avoir des effets indésirables, mais le risque qu’on accepte de prendre en phase 1 est minime : il se limite à des maux de tête, nausées… Il s’agit là d’un cas catastrophique, inimaginable."
Le protocole de l’essai clinique avait préalablement été validé par les autorités sanitaires (ANSM) et par le Comité de protection des personnes (CPP). Sur le groupe de 108 volontaires, des hommes âgés de 28 à 49 ans, 90 avaient reçu la molécule, les autres du placebo. Et comme aucun effet indésirable ne semblait avoir été détecté aux doses inférieures, l’essai s’était poursuivi.
Quels patients étaient impliqués ?
Le décès de ce patient est d’autant plus soudain et dramatique que les participants aux essais en phase 1, contrairement aux phases 2 et 3, sont des personnes non malades. Ces "volontaires sains" sont donc recrutés selon des conditions d’éthique strictes et rétribués jusqu’à un plafond fixé à 4 500 euros par an en France. Il s’agit généralement d’étudiants ou de personnes sans emploi.
Qu’est ce qui a dérapé ?
Trois enquêtes – menées par la police judiciaire, l'IGAS et l'ANSM - sont en cours pour tenter de comprendre les raisons de cet accident. Bial et Biotrial risquent de se renvoyer la responsabilité.
Il pourrait s’agir d’une erreur technique lors de la fabrication du lot du produit - ces lots expérimentaux étant fabriqués sur mesure - comme d'un dosage trop élevé, une contamination…
Un effet secondaire grave doit normalement être signalé dans les 24 heures. "Une alerte plus rapide aurait été appréciée", a indiqué la ministre de la Santé, Marisol Touraine.
Les autorités sanitaires n’ont été contactées par Bial que mercredi 13 janvier, alors que le premier patient était hospitalisé en urgence le dimanche précédent.
La gravité de son état aurait été "mesurée plutôt mercredi que lundi", justifie François Peaucelle, le directeur général de Biotrial interrogé par l’AFP.
Les médecins du CHU de Rennes auraient ainsi d’abord pensé que ce patient faisait un accident vasculaire cérébral et son état n'aurait pas été mis en rapport immédiatement avec l'essai de médicaments.
Quel impact pour les entreprises réalisant des essais cliniques ?
"Aucune raison aujourd'hui ne justifie de suspendre les essais cliniques" en France, a affirmé lundi 18 janvier Marisol Touraine. Mais le décès de ce patient pourrait mettre en difficulté l’activité des CRO. Or Biotrial faisait partie de la poignée d’entreprises - trois selon Yves Alamercy- qui continuaient à mener des essais de phase 1 en France, malgré la forte concurrence de pays asiatiques, l’Inde en particulier.
Dans les essais cliniques des phases suivantes, la part de la France décline également, alertent l’AFCROs et le syndicat de l’industrie pharmaceutique depuis quelques années. "Or on peut craindre que le médicament ne marche pas de la même façon sur deux types de populations très fortement différentes, notamment sur les plans génétique ou environnemental", s’inquiète Yves Alamercy. "Et si on ne fait plus d’essais clinique, il n’y aura plus de nouveaux médicaments."
Biotrial vient pour sa part dans un communiqué de "proposer, en relation avec la communauté scientifique internationale, le cas échéant, des évolutions des standards encadrant ces essais".
Gaëlle Fleitour
A Rennes, il était fréquent d’entendre à la radio les publicités du centre de recherche Biotrial, visant à recruter de nouveaux volontaires pour des essais de médicaments. Mais dimanche 17 janvier, un drame s’est produit avec le décès d’un des participants lors d’un test réalisé pour le compte du groupe pharmaceutique Bial. Cinq autres patients sont toujours hospitalisés, dont quatre présentent des troubles neurologiques. Décryptage par L’Usine Nouvelle.
En quoi consistait cet essai clinique de phase 1 ?
Avant une autorisation de mise sur le marché, des tests sont réalisés durant plusieurs années pour tout médicament, afin de s’assurer qu’il ne met pas en danger les patients. Après la phase préclinique d’essais sur des animaux de différentes tailles (dont des chimpanzés dans le cas présent), la molécule venait d’entrer dans la première phase de tests sur l’homme.
Elle est alors expérimentée sur des volontaires non malades, afin d’étudier la pharmacocinétique, la façon dont le médicament est absorbé, distribué et éliminé par l’organisme ; et la tolérance du produit.
En fonction de ces résultats, des phases 2 et 3 d’essais peuvent alors être envisagées sur des personnes atteintes de la maladie à traiter, pour mesurer l’efficacité et le bon dosage du produit
Pourquoi l’essai n’était-il pas conduit par le fabricant du médicament ?
Le fabricant de la molécule en développement - censée traiter les troubles de l’humeur et de l’anxiété et les troubles moteurs liés à des maladies neurodégénératives – s’appelle Bial. Premier groupe pharmaceutique portugais avec environ 200 millions d'euros de chiffre d'affaires, il était en voie d’internationalisation. Bial, comme la plupart des groupes pharmaceutiques occidentaux, sous-traite la réalisation des essais cliniques à des sociétés spécialisées, les entreprises de la recherche clinique (CRO).
C’est le cas de Biotrial. Cette entreprise rennaise, aux 300 salariés dont 200 localisées à Rennes, avait fait l'objet de deux inspections de routine jugées positives par les autorités en 2014.
Dans ces centres de recherche spécialisés, généralement situés à proximité d’un service d’urgence hospitalière, les volontaires bénéficient d’un environnement médical : chambres, présence d’infirmières et de médecins… Mais dans le cas de la molécule de Bial, la surveillance 24 heures sur 24 des patients n’avait pas été requise.
Quels types d’effets étaient attendus en phase 1 ?
Lors d'une phase 1, une centaine de volontaires se voit administrer durant quelques mois le médicament, dont les doses sont progressivement augmentées jusqu’à atteindre la dose définitive du produit. "Le processus est très réglementé et protocolé, insiste Yves Alamercy, membre du comité directeur de l’AFCROs, le syndicat représentant les CRO. Il peut y avoir des effets indésirables, mais le risque qu’on accepte de prendre en phase 1 est minime : il se limite à des maux de tête, nausées… Il s’agit là d’un cas catastrophique, inimaginable."
Le protocole de l’essai clinique avait préalablement été validé par les autorités sanitaires (ANSM) et par le Comité de protection des personnes (CPP). Sur le groupe de 108 volontaires, des hommes âgés de 28 à 49 ans, 90 avaient reçu la molécule, les autres du placebo. Et comme aucun effet indésirable ne semblait avoir été détecté aux doses inférieures, l’essai s’était poursuivi.
Quels patients étaient impliqués ?
Le décès de ce patient est d’autant plus soudain et dramatique que les participants aux essais en phase 1, contrairement aux phases 2 et 3, sont des personnes non malades. Ces "volontaires sains" sont donc recrutés selon des conditions d’éthique strictes et rétribués jusqu’à un plafond fixé à 4 500 euros par an en France. Il s’agit généralement d’étudiants ou de personnes sans emploi.
Qu’est ce qui a dérapé ?
Trois enquêtes – menées par la police judiciaire, l'IGAS et l'ANSM - sont en cours pour tenter de comprendre les raisons de cet accident. Bial et Biotrial risquent de se renvoyer la responsabilité.
Il pourrait s’agir d’une erreur technique lors de la fabrication du lot du produit - ces lots expérimentaux étant fabriqués sur mesure - comme d'un dosage trop élevé, une contamination…
Un effet secondaire grave doit normalement être signalé dans les 24 heures. "Une alerte plus rapide aurait été appréciée", a indiqué la ministre de la Santé, Marisol Touraine.
Les autorités sanitaires n’ont été contactées par Bial que mercredi 13 janvier, alors que le premier patient était hospitalisé en urgence le dimanche précédent.
La gravité de son état aurait été "mesurée plutôt mercredi que lundi", justifie François Peaucelle, le directeur général de Biotrial interrogé par l’AFP.
Les médecins du CHU de Rennes auraient ainsi d’abord pensé que ce patient faisait un accident vasculaire cérébral et son état n'aurait pas été mis en rapport immédiatement avec l'essai de médicaments.
Quel impact pour les entreprises réalisant des essais cliniques ?
"Aucune raison aujourd'hui ne justifie de suspendre les essais cliniques" en France, a affirmé lundi 18 janvier Marisol Touraine. Mais le décès de ce patient pourrait mettre en difficulté l’activité des CRO. Or Biotrial faisait partie de la poignée d’entreprises - trois selon Yves Alamercy- qui continuaient à mener des essais de phase 1 en France, malgré la forte concurrence de pays asiatiques, l’Inde en particulier.
Dans les essais cliniques des phases suivantes, la part de la France décline également, alertent l’AFCROs et le syndicat de l’industrie pharmaceutique depuis quelques années. "Or on peut craindre que le médicament ne marche pas de la même façon sur deux types de populations très fortement différentes, notamment sur les plans génétique ou environnemental", s’inquiète Yves Alamercy. "Et si on ne fait plus d’essais clinique, il n’y aura plus de nouveaux médicaments."
Biotrial vient pour sa part dans un communiqué de "proposer, en relation avec la communauté scientifique internationale, le cas échéant, des évolutions des standards encadrant ces essais".
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