La grève du Joint Français à Saint-Brieuc (10 mars – 9 mai 1972)
LA SANDALETTE DE PLOUHA :: NOTRE HISTOIRE :: VOS SOUVENIRS ( bretagne) :: INFOS GENERALES BZH :: 2024 et avant
Page 1 sur 1
La grève du Joint Français à Saint-Brieuc (10 mars – 9 mai 1972)
Auteur : Christian Bougeard / décembre 2015
S’inscrivant dans la forte conflictualité sociale des années 1968, la grève de l’usine du Joint Français à Saint-Brieuc, qui dure deux mois, met en lumière les limites de la décentralisation industrielle des années 1960. Cette grève déclenche une solidarité régionale qui déborde la région briochine et elle devient l’un des conflits sociaux emblématiques de la période post-1968 dans lequel s’affirme une identité régionale bretonne.
Une entreprise décentralisée
Bénéficiant de fortes aides de l’État et de la ville (zone industrielle aménagée, prix du terrain symbolique), l’usine du Joint Français, qui fabrique des joints de caoutchouc et appartient au grand groupe industriel La Compagnie Générale d’Électricité (CGE), est venue s’installer à Saint-Brieuc en 1962. Employant une main-d’œuvre jeune, peu qualifiée, essentiellement ouvrière (OS) et féminine (64 %), l’entreprise passe de 211 salariés en 1963 à 579 en 1967 et à 1 031 à son apogée en 1970. C’est la deuxième entreprise briochine après Chaffoteaux-et-Maury. Le choix de cette implantation tient aux bas salaires, inférieurs de 20 à 30 % à ceux de l’usine de Bezons en région parisienne (du fait des primes) mais aussi à ceux de l’industrie briochine, ce qui explique un fort turn over des employés. La direction compte sans doute sur la docilité d’une main-d’œuvre d’origine rurale, laborieuse et peu syndiquée. En mai-juin 1968, le Joint Français entre tardivement dans la grève mais les salariés prennent conscience de la faiblesse de leurs salaires. En mars 1969, alors que la CFDT est devenue majoritaire, une grève de dix jours réclame déjà l’égalisation des salaires avec Bezons. Mais la direction refuse un rattrapage. Le 27 octobre 1971, des militants marxistes-léninistes (maoïstes) tentent en vain de déclencher une grève illimitée à l’atelier de boudinage.
Un conflit salarial classique au printemps 1972
En février 1972, la CFDT et la CGT demandent une augmentation de 70 centimes de l’heure et un 13e mois. Face au refus de négocier de la direction et à son choix de laisser pourrir la situation, une grève perlée de trois semaines avec meetings de soutien débouche le 10 mars sur le vote (à 75 %) de la grève générale illimitée, avec l’appui de la maîtrise. Décidée lors de ce vote, l’occupation de l’usine débute le 13 mars. Les pourparlers ayant échoué, sur décision judiciaire les gendarmes mobiles occupent l’usine le 17 mars bientôt remplacés par les CRS. La presse régionale informe du conflit alors que le secrétaire de l’UD CFDT Jean Le Faucheur s’affirme comme le leader du mouvement. À l’appel du PSU, la solidarité financière s’organise : un comité de soutien départemental se met en place avec les partis de la gauche non-communiste, la Ligue communiste révolutionnaire (trotskiste), les syndicats d’agriculteurs (FDSEA, CDJA) et les comités lycéens. Des prêtres font des quêtes en faveur des familles de grévistes bientôt ravitaillées par des paysans. Des municipalités de l’agglomération, dont celle de Saint-Brieuc dirigée par Yves Le Foll (PSU), votent des subventions. Alors que le conflit s’enlise face à l’intransigeance patronale, meetings, sit in et manifestations se succèdent à Saint-Brieuc (21 et 30 mars). Dans la nuit du 5 avril, des négociations houleuses entre les syndicats et la direction nationale du Joint Français se terminent avec l’évacuation musclée de la salle provoquant un durcissement du conflit.
Une mobilisation régionale, voire nationale
Au début avril, des comités de soutien se créent dans d’autres villes (Lannion le 6, Loudéac le 13, Paimpol le 14…) mais des divergences apparaissent entre la CGT, qui craint des « débordements gauchistes », et la CFDT, qui tient bon face aux menaces de fermeture de l’usine. Signe de fermeté, son secrétaire général Edmond Maire se déplace le 24 avril. Il est vrai que la grève du Joint attire à Saint-Brieuc toute l’extrême gauche, des trotskistes aux divers groupes maoïstes (Le Travailleur de l’Ouest, La Gauche prolétarienne…) et aux autogestionnaires ainsi que les médias militants. On est en pleine campagne sur le référendum européen (acceptation de l’entrée de trois nouveaux pays dont le Royaume-Uni). Localement, le parti gaulliste UDR condamne l’attitude de la CGE, suivi par son journal national le 27 avril. Le CELIB, alors orienté à droite, appuie la reprise des négociations. Son président (jusqu’en 1972) René Pleven est ministre de Georges Pompidou et président du Conseil général des Côtes-du-Nord lequel se décide à apporter une aide financière aux grévistes le 28 avril. Le 18 avril : 15 à 18 000 personnes ont manifesté à Saint-Brieuc reprenant le slogan et la chanson : « on ne travaille pas le fusil dans le dos » pour dénoncer les CRS dans l’usine. On brandit des drapeaux bretons et des drapeaux rouges. Artistes et chanteurs bretons, souvent proches ou membres de l’UDB, tels Kirjuhel qui écrit sa chanson : « Au Joint Français, les ouvriers bretons disent merde aux patrons », Gilles Servat, Gweltaz… soutiennent les grévistes en participant à des concerts de solidarité. Toute une région vibre et se mobilise pour le Joint Français alors que la radio et la télévision nationales évoquent la grève le 1er et le 2 mai. À Paris, le 1er mai, des grévistes ont symboliquement pris la tête du cortège de l’extrême gauche. Le 3 mai, des manifestations se déroulent à Saint-Brieuc, Vannes, Lorient et Quimper. Le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas décide alors d’en finir : au ministère du Travail des négociations se déroulent le 29 avril, puis le 5 mai, aboutissant à un protocole d’accord le 6 mai (65 centimes d’augmentation), accepté le 8 mai par les ouvriers par 641 voix contre 191 sur 985 inscrits. À l’issue de cette grève victorieuse, le soutien a permis de verser 1 110 F à chaque gréviste. L’importance de la grève du Joint Français à Saint-Brieuc tient au fait que, outre une lutte pour plus de justice sociale et salariale dans une période riche en conflits, elle s’est transformée en combat de toute une région pour sa dignité, son identité, sa langue et sa culture.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Peuple_breton
S’inscrivant dans la forte conflictualité sociale des années 1968, la grève de l’usine du Joint Français à Saint-Brieuc, qui dure deux mois, met en lumière les limites de la décentralisation industrielle des années 1960. Cette grève déclenche une solidarité régionale qui déborde la région briochine et elle devient l’un des conflits sociaux emblématiques de la période post-1968 dans lequel s’affirme une identité régionale bretonne.
Une entreprise décentralisée
Bénéficiant de fortes aides de l’État et de la ville (zone industrielle aménagée, prix du terrain symbolique), l’usine du Joint Français, qui fabrique des joints de caoutchouc et appartient au grand groupe industriel La Compagnie Générale d’Électricité (CGE), est venue s’installer à Saint-Brieuc en 1962. Employant une main-d’œuvre jeune, peu qualifiée, essentiellement ouvrière (OS) et féminine (64 %), l’entreprise passe de 211 salariés en 1963 à 579 en 1967 et à 1 031 à son apogée en 1970. C’est la deuxième entreprise briochine après Chaffoteaux-et-Maury. Le choix de cette implantation tient aux bas salaires, inférieurs de 20 à 30 % à ceux de l’usine de Bezons en région parisienne (du fait des primes) mais aussi à ceux de l’industrie briochine, ce qui explique un fort turn over des employés. La direction compte sans doute sur la docilité d’une main-d’œuvre d’origine rurale, laborieuse et peu syndiquée. En mai-juin 1968, le Joint Français entre tardivement dans la grève mais les salariés prennent conscience de la faiblesse de leurs salaires. En mars 1969, alors que la CFDT est devenue majoritaire, une grève de dix jours réclame déjà l’égalisation des salaires avec Bezons. Mais la direction refuse un rattrapage. Le 27 octobre 1971, des militants marxistes-léninistes (maoïstes) tentent en vain de déclencher une grève illimitée à l’atelier de boudinage.
Un conflit salarial classique au printemps 1972
En février 1972, la CFDT et la CGT demandent une augmentation de 70 centimes de l’heure et un 13e mois. Face au refus de négocier de la direction et à son choix de laisser pourrir la situation, une grève perlée de trois semaines avec meetings de soutien débouche le 10 mars sur le vote (à 75 %) de la grève générale illimitée, avec l’appui de la maîtrise. Décidée lors de ce vote, l’occupation de l’usine débute le 13 mars. Les pourparlers ayant échoué, sur décision judiciaire les gendarmes mobiles occupent l’usine le 17 mars bientôt remplacés par les CRS. La presse régionale informe du conflit alors que le secrétaire de l’UD CFDT Jean Le Faucheur s’affirme comme le leader du mouvement. À l’appel du PSU, la solidarité financière s’organise : un comité de soutien départemental se met en place avec les partis de la gauche non-communiste, la Ligue communiste révolutionnaire (trotskiste), les syndicats d’agriculteurs (FDSEA, CDJA) et les comités lycéens. Des prêtres font des quêtes en faveur des familles de grévistes bientôt ravitaillées par des paysans. Des municipalités de l’agglomération, dont celle de Saint-Brieuc dirigée par Yves Le Foll (PSU), votent des subventions. Alors que le conflit s’enlise face à l’intransigeance patronale, meetings, sit in et manifestations se succèdent à Saint-Brieuc (21 et 30 mars). Dans la nuit du 5 avril, des négociations houleuses entre les syndicats et la direction nationale du Joint Français se terminent avec l’évacuation musclée de la salle provoquant un durcissement du conflit.
Une mobilisation régionale, voire nationale
Au début avril, des comités de soutien se créent dans d’autres villes (Lannion le 6, Loudéac le 13, Paimpol le 14…) mais des divergences apparaissent entre la CGT, qui craint des « débordements gauchistes », et la CFDT, qui tient bon face aux menaces de fermeture de l’usine. Signe de fermeté, son secrétaire général Edmond Maire se déplace le 24 avril. Il est vrai que la grève du Joint attire à Saint-Brieuc toute l’extrême gauche, des trotskistes aux divers groupes maoïstes (Le Travailleur de l’Ouest, La Gauche prolétarienne…) et aux autogestionnaires ainsi que les médias militants. On est en pleine campagne sur le référendum européen (acceptation de l’entrée de trois nouveaux pays dont le Royaume-Uni). Localement, le parti gaulliste UDR condamne l’attitude de la CGE, suivi par son journal national le 27 avril. Le CELIB, alors orienté à droite, appuie la reprise des négociations. Son président (jusqu’en 1972) René Pleven est ministre de Georges Pompidou et président du Conseil général des Côtes-du-Nord lequel se décide à apporter une aide financière aux grévistes le 28 avril. Le 18 avril : 15 à 18 000 personnes ont manifesté à Saint-Brieuc reprenant le slogan et la chanson : « on ne travaille pas le fusil dans le dos » pour dénoncer les CRS dans l’usine. On brandit des drapeaux bretons et des drapeaux rouges. Artistes et chanteurs bretons, souvent proches ou membres de l’UDB, tels Kirjuhel qui écrit sa chanson : « Au Joint Français, les ouvriers bretons disent merde aux patrons », Gilles Servat, Gweltaz… soutiennent les grévistes en participant à des concerts de solidarité. Toute une région vibre et se mobilise pour le Joint Français alors que la radio et la télévision nationales évoquent la grève le 1er et le 2 mai. À Paris, le 1er mai, des grévistes ont symboliquement pris la tête du cortège de l’extrême gauche. Le 3 mai, des manifestations se déroulent à Saint-Brieuc, Vannes, Lorient et Quimper. Le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas décide alors d’en finir : au ministère du Travail des négociations se déroulent le 29 avril, puis le 5 mai, aboutissant à un protocole d’accord le 6 mai (65 centimes d’augmentation), accepté le 8 mai par les ouvriers par 641 voix contre 191 sur 985 inscrits. À l’issue de cette grève victorieuse, le soutien a permis de verser 1 110 F à chaque gréviste. L’importance de la grève du Joint Français à Saint-Brieuc tient au fait que, outre une lutte pour plus de justice sociale et salariale dans une période riche en conflits, elle s’est transformée en combat de toute une région pour sa dignité, son identité, sa langue et sa culture.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Peuple_breton
Dernière édition par Admin le Jeu 15 Sep - 22:29, édité 1 fois
Sujets similaires
» À Saint-Brieuc, les agents en grève
» Saint-Brieuc. Grève et occupation au conseil départemental
» Saint-Brieuc. La grève des services techniques a pris fin ce matin
» Saint-Brieuc INFOGRAPHIE. Eau: la facture est salée pour Saint-Brieuc Agglomération
» SAINT BRIEUC ENTRETIEN. « On est dans le dur, mais Saint-Brieuc se métamorphose »
» Saint-Brieuc. Grève et occupation au conseil départemental
» Saint-Brieuc. La grève des services techniques a pris fin ce matin
» Saint-Brieuc INFOGRAPHIE. Eau: la facture est salée pour Saint-Brieuc Agglomération
» SAINT BRIEUC ENTRETIEN. « On est dans le dur, mais Saint-Brieuc se métamorphose »
LA SANDALETTE DE PLOUHA :: NOTRE HISTOIRE :: VOS SOUVENIRS ( bretagne) :: INFOS GENERALES BZH :: 2024 et avant
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum