Ayele, caissière, 33 ans, licenciée après une fausse couche au travail !
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Ayele, caissière, 33 ans, licenciée après une fausse couche au travail !
Mardi, 25 Octobre, 2016
ARTICLE L HUMANITE
Hier, ayele dans son appartement de Villepinte (seine- saint-denis), qui avoue : « Rien ne va me ramener mon enfant. Mais je veux qu’on rappelle aux employeurs leurs limites. » photo julien jaulin/ hanslucas
Julien Jaulin
Caissière de 33 ans, Ayele a percé sa poche des eaux au travail et a perdu son enfant. Un mois après avoir repris son poste, l’employeur l’a licenciée, la jugeant trop lente. Une décision insupportable que dénonce, la CGT et des personnalités du mouvement féministe à travers une pétition.
«Le jour de l’accident, il y avait beaucoup de monde dans le magasin. J’étais enceinte de quatre mois et demi, stressée, j’avais la boule au ventre, je savais qu’il faudrait aller vite. J’ai pris dans les mains une grosse pastèque pour la peser. J’ai entendu un bruit. L’eau tombait. J’avais des contractions, ça tirait, j’ai commencé à pleurer. J’ai tout de suite appelé la caisse centrale. » Le souvenir est difficile mais elle ne cille pas. Ayele raconte comment la poche des eaux s’est rompue au travail. Comment elle a espéré garder son enfant durant toute la semaine qu’elle a passée à l’hôpital. Puis le retour à son poste, à la même place derrière la caisse, après l’avoir perdu. Enfin les brimades, les questions sur son rendement, ses erreurs de caisse. Et son licenciement un mois après son retour.
Pour elle, les conditions de travail difficiles au sein du magasin O’Marché frais, pour lequel elle tient la caisse depuis le 28 avril 2015, sont responsables de l’accident. La CGT dénonce depuis longtemps, dans ce supermarché de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), spécialisé dans les dates limites de consommation, les pressions exercées sur les employés, notamment les caissières. Une vingtaine de salariés sont déjà venus consulter le syndicat à l’union locale à la suite de ruptures de contrats de travail en période d’essai non concluante ou de licenciements. « Treize dossiers sont en cours aux prud’hommes », témoigne Moussa Diakhaté, défenseur syndical.
« On me disait sans arrêt que j’étais lente, se souvient Ayele. On m’a convoquée un jour dans la “guitoune”, la salle d’accueil. La chef de caisse m’a montré une vidéo de mon poste enregistrée la veille. “Comment tu trouves ton travail ?” m’a-t-elle demandé. Avec tout ce temps, maintenant je la connais, elle cherchait quelque chose. J’étais enceinte de deux mois à peine. » La chef de caisse se montre compréhensive, mais insiste sur le fait que l’employée doit aller plus vite pour scanner les marchandises.
« Je cherchais un logement pour mon compagnon, le bébé et moi. Il ne fallait pas que je perde mon travail. Je me tenais même parfois debout pour être plus rapide. Un samedi, je savais que la directrice de la société était dans la guitoune. J’ai travaillé deux fois plus vite que mes collègues. Quand je suis montée apporter ma caisse à 15 h 30, je lui ai parlé de ma cadence en précisant que je voulais m’améliorer. Elle était morte de rire. Et la chef de caisse m’a dit en riant “Tu vas y arriver”. C’est une blessure que je n’arrive pas à fermer, je vois encore cette image. L’avis de la directrice était le plus important pour moi. » À l’entretien préalable au licenciement, celle-ci confirmera qu’elle a bien « rigolé » ce jour-là.
Aucun aménagement de poste lié au port de charge
« Cette personne ne veut même pas qu’on travaille bien. Comment pense-t-elle que son rire va nous encourager à mieux travailler ? Elle m’a dit qu’il y avait beaucoup de gens qui étaient prêts à supplier pour travailler », se souvient la caissière de 33 ans, titulaire d’un DUT de gestion et de logistique. Pour Ayele, il est évident que les conditions de travail ont provoqué ce qu’elle évoque pudiquement comme « l’accident ». Chaque soir, elle rentrait à la maison courbée, le mal au ventre.
Et le certificat de grossesse apporté à son employeur dès le mois de mai n’aura entraîné aucun aménagement de poste ou amélioration de ses conditions de travail, notamment dans le port de charge, contrairement aux stipulations du Code du travail. En revanche la directrice, Laura Quattrucci, a bien reproché à la salariée lors de l’entretien préalable au licenciement les questions des délégués du personnel concernant « l’accident », et de la rendre responsable de sa fausse couche : « Je l’ai vraiment pris pour moi parce que l’entreprise m’appartient. C’est mon entreprise. Qu’on me mette maintenant un enfant sur le dos, ça, je ne le supporte pas », aurait-elle déclaré. Des propos confirmés par la salariée et le délégué syndical qui l’accompagnait au rendez-vous.
« Dans ce magasin, le dialogue social était rompu. Nous avons organisé des distributions de tracts en demandant à être reçus pour la réintégration de salariés licenciés et contester des traitements de salaires », raconte Moussa Diakhaté, un des responsables de l’union locale de la CGT de La Courneuve. Des salariés à qui on avait proposé un CDI temps plein ont dû accepter un temps partiel. Après un an d’ancienneté, un autre a été licencié parce qu’un client s’est enfui sans signer son chèque. Un autre a été remercié pour des retards datant de l’année précédente et une absence soi-disant non justifiée. La CGT, qui défend ce salarié, trouve étonnant que cette décision arrive juste après un arrêt de travail dû à une infection développée en nettoyant une plaque d’un rayon alimentaire. Des champignons recouvraient le meuble, de quoi inquiéter le salarié sur les conditions d’hygiène et sécurité du magasin.
« Lors des élections professionnelles de mai 2016, la direction a fait pression sur les candidats de notre liste CGT, détaille Muriel Wolfers, la secrétaire générale de l’union locale CGT de La Courneuve. Nous avons effectué beaucoup de réunions pour préparer les listes. Il en est ressorti beaucoup de souffrance chez les caissières. Une caméra les filme en permanence, on les appelle sans arrêt pour vérifier leurs gestes. Nombre de caisses subissent un froid terrible où les employées doivent parfois rester six heures sans pause.
On demande à certaines de nettoyer les entrées, mais aussi les toilettes de la caisse centrale, ce qu’elles estiment être des mesures vexatoires. L’une de nos candidates est en état de souffrance préoccupant, pour ces raisons, à tel point que j’ai parfois été très inquiète pour elle. »
« Elle a fait perdre de l’argent à l’entreprise »
Contacté par nos soins, le directeur du magasin, Claude Ferreira, se défend de toute responsabilité : « Ne mélangeons pas les choses. Le magasin n’est pas responsable de la vie personnelle de la salariée, de ce qui lui est arrivé. Elle a accumulé les fautes professionnelles depuis deux ans. L’un n’a rien à voir avec l’autre. On ne peut pas protéger cette salariée parce qu’elle a perdu son enfant. Tout cela n’est pas dû à des conditions difficiles. Mais à un moment, avec toutes ses erreurs, elle fait perdre de l’argent à l’entreprise. » Si ce directeur reconnaît des accrochages avec la CGT à propos des nombreux licenciements et ruptures de périodes d’essai qui ont eu lieu depuis l’ouverture du supermarché, le cadre en impute la cause à des résultats financiers qui ne seraient pas à la hauteur des prévisions. L’entreprise a dû revoir ses effectifs à la baisse.
« La maternité est un droit, pas une faute professionnelle et l’employeur a des obligations vis-à-vis de tout salarié-ée, rappelle la CGT de La Courneuve. L’une d’elles est l’obligation de protection de la santé et de la sécurité des salariés définie par l’article L 4121-1 du Code du travail. » Jeudi 27 octobre, l’organisation appelle à un rassemblement devant le magasin pour la réintégration de la jeune femme et que son accident du travail fasse l’objet d’une enquête. « En un an et demi, j’ai subi des choses pas possibles, conclut Ayele. Rien ne va me ramener mon enfant. Mais je veux qu’on rappelle aux employeurs leurs limites. Que les autres femmes salariées soient protégées. »
Derrière O’Marché frais, la famille Quattrucci
Claude, Antoine, Bruno, Céline, Franck, Laetitia, Laura… Deux générations de Quattrucci, famille de primeurs d’origine italienne vendant sur les marchés
parisiens, contrôlent aujourd’hui dix-sept magasins dont douze de l’enseigne O’Marché frais, spécialisée dans les produits proches de la date limite de
consommation et implantée dans des zones populaires d’Île-de-France. L’activité est divisée en une myriade de sociétés indépendantes relevant du commerce,
de l’immobilier, de la gestion (holding) dirigées par les membres de la famille. Les Quattrucci sont associés à Système U pour certains
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