en 1954, l’abbé résistant lançait « l’insurrection de la bonté »
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en 1954, l’abbé résistant lançait « l’insurrection de la bonté »
« Mes amis, au secours », s’écrie l’abbé Pierre à l’antenne de Radio Luxembourg, le 1er février 1954. Son
insolence mesurée déclencha un élan populaire inégalé pour le droit au logement. Un appel toujours d’actualité.
« À cette époque, on ne parlait pas de “SDF”. L’abbé Pierre a simplement évoqué le sort d’une femme. Une femme morte sur le boulevard Sébastopol. » Daniel Atlan, quatre-vingts ans, s’en souvient parfaitement. Il a vu cette « insurrection de la bonté » déferler sur notre pays, il y a exactement soixante ans. « Mes amis, au secours... » avait lancé l’abbé sur les ondes de Radio Luxembourg, ce 1er février 1954. Ce fameux appel, resté dans l’histoire, s’achevait par une liste très terre à terre. « Chacun de nous peut venir en aide aux sans-abri. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain, 5 000 couvertures, 300 grandes tentes américaines, 200 poêles catalytiques. Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie. »
Cet hôtel, Daniel en était le réceptionniste. Alors, il réceptionnait. Les bénévoles, le matériel et beaucoup d’argent. « Tout le monde défilait, hommes, femmes, de tous les milieux. C’était l’après-guerre, personne n’était très riche, mais les gens n’arrêtaient pas d’entrer et de sortir. Des centaines et des centaines de billets étaient déposés dans les corbeilles que nous avions disposées sur le comptoir de la réception. Le soir, à trois ou quatre, on les montait à l’étage et on les vidait dans les baignoires des chambres vides. On en a rempli cinq… »
À l’époque, personne ne se rend compte du caractère historique de l’appel, explique Daniel Atlan. « C’est tout ce qu’a fait l’abbé Pierre par la suite qui a donné tant de portée à cette journée du 1er février. » C’est aussi et surtout l’élan de solidarité de tout un peuple qui a suivi. Sitôt l’appel diffusé, des gendarmeries ouvrent leurs portes pour héberger des sans-abri exposés, en cet hiver glacial, à des températures inférieures à – 10 °C. En quelques heures, la gare d’Orsay se transforme en entrepôt central de dons. Le patron du Bazar de l’Hôtel de Ville, à Paris, prête ses camionnettes.
Au fin fond de la Lorraine, un gamin de quatorze ans, avec quelques copains, fait le tour du village avec une charrette pour récolter vêtements, chaussures, couvertures… « La première fois, tout est parti à Paris. La deuxième, on s’est rendu compte qu’il y avait aussi des personnes défavorisées chez nous », explique Raymond Étienne. Devenu majeur, il s’investira dans une des communautés Emmaüs qui se multiplient partout dans le pays et deviendra, soixante ans plus tard, président de la Fondation Abbé-Pierre. Un homme, aussi, viendra déposer 2 millions d’anciens francs. « Je ne les donne pas. Je les rends. Ils appartiennent au vagabond que j’ai été et que j’ai incarné. » Il s’appelait Charlie Chaplin.
L’abbé Pierre, nom hérité de la clandestinité et de ses années de résistance, s’affiche en une de Paris Match. Henri Grouès devient une icône malgré lui, voyage deux ans durant pour répondre aux sollicitations et organiser la solidarité. On tourne un film sur celui que le Canard enchaîné surnomme « saint Vincent de Piaules ». Dans ses Mythologies, Roland Barthes s’interrogera sur le mythe de l’abbé Pierre, avec son regard bienveillant, sa coupe franciscaine et sa barbe de missionnaire. « Je m’inquiète d’une société qui consomme si avidement l’affiche de la charité qu’elle en oublie de s’interroger sur ses conséquences, ses emplois, ses limites », écrit le sémiologue. La belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre « n’est-elle pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise, une fois de plus, pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice » ?
( avant 2005 j'ai fait plus de 480 portraits celui ci fut un des premiers pour un essai)..
Quelles qu’en soient les raisons, l’élan populaire déclenché par l’abbé Pierre ne reste pas sans effet. Une trêve hivernale est mise en place. Et alors que la France compte 7 millions de mal-logés, dont 800 000 dans la seule région parisienne, le ministère de la Reconstruction lance en toute hâte un nouveau plan de 12 000 « logements économiques de première nécessité ». Ils s’ajoutent aux dizaines de milliers de HLM qui sortent de terre dans la banlieue rouge. Mais beaucoup de ces « cités d’urgence » construites par l’État deviendront vite des « taudis neufs », comme le dénoncera, à l’époque, l’Humanité. Entre 1954 et 1975, on bâtit 9 millions de nouveaux logements, soit une hausse de 50 % de l’ensemble du parc. À partir de 1977, la droite transfère le plus gros des aides à la pierre vers les aides à la personne, les fameuses APL. Les constructions chutent pendant des décennies. Le chômage explose et les « nouveaux pauvres » apparaissent dans les années 1980.
L’abbé Pierre lancera deux nouveaux appels, en 1994, puis en 2004. Entre-temps, la loi SRU, qui impose aux communes de construire 20 % de logements sociaux, est adoptée. Un texte de progrès que l’ecclésiastique, même affaibli, a tenu à défendre en personne à l’Assemblée nationale, devant les attaques de la droite revenue au pouvoir. Il n’hésite pas à aller squatter avec le DAL des logements vides. Autre victoire pour l’abbé Pierre, posthume cette fois, l’adoption du droit au logement opposable (Dalo) suite à la mobilisation, en 2005, des Enfants de Don Quichotte. Mais jamais le pays ne connaîtra de nouveau un mouvement populaire de l’ampleur de l’hiver 1954. « Si la situation actuelle du logement dans notre pays ne peut être comparée à celle que la France connaissait en février 1954, les difficultés que rencontrent les plus mal-logés s’en approchent », explique Raymond Étienne, dans le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre. Qui rappelle une nouvelle fois le chiffre de 10 millions de Français victimes de la crise du logement. « Et pour les plus fragiles d’entre eux, ajoute Raymond Étienne, rien n’a vraiment changé. »
Faudra-t-il un nouvel Henri Grouès ? « L’abbé avait conscience qu’un tel élan de solidarité serait difficile à reproduire, confie Laurent Desmard, pilier du mouvement Emmaüs. À l’époque, on sortait de la guerre. Beaucoup de Français avaient connu l’exode, le froid, la faim. Pour eux, il était insupportable de voir des personnes vivre et mourir à la rue. » L’appel de 1954, « nous ne l’avons pas fait, il nous est arrivé », aimait dire l’abbé Pierre. « Cet appel, on le fait maintenant tous les ans », explique Raymond Étienne. Depuis 1954, il y a eu vingt-sept lois pour améliorer la situation du logement. « Mais, à chaque fois, il a manqué l’argent », peste Raymond Étienne, révolté par les récents chiffres de la construction, les plus bas depuis dix ans. Autant de raisons de continuer le combat pour « qu’aucun homme, aucun gosse, ne couche sur l’asphalte ou les quais de Paris ».
http://www.humanite.fr/il-y-soixante-ans-labbe-resistant-lancait-linsurrection-de-la-bonte
Biographie de l’abbé Pierre
https://centreabbepierreemmausesteville.wordpress.com/2011/01/18/donnees-historiques/
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