Cornemuses au front 14-18
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Cornemuses au front 14-18
La Cabrette
kristianmorvan
Les soldats bretons ne seront pas les seuls à réclamer leurs instruments favoris afin d’agrémenter les quelques moments de repos pendant la Grande Guerre. En septembre 1915, un capitaine du 16e Régiment d’Artillerie, régiment basé à Issoire en Auvergne, écrit au journal Le Figaro :
« Parmi les instruments qu’on vous demande, ou qu’on pourrait vous demander, il y en a un tout à fait spécial et local, il est vrai dont je n’entends jamais parler et qui ferait tant de plaisir à mes braves poilus, tous originaires des quatre provinces de l’Auvergne la Loupiasie, la Fouchtrasie la Bouniasie et la Bougrasie !… Cet instrument s’appelle une musette d’Auvergne, ou plutôt une chabrette. Il ne serait pas difficile d’en trouver dans les parages de la Roquette, rue de Lappe. Tous mes solides et braves gaillards sont très amateurs des airs de bourrée qu’ils dansent avec grâce et légèreté, entre deux bombardements.(1) »
Émile Berr, journaliste au Figaro, se met en quête de l’instrument :
« Pour l’avoir, c’est, en effet, rue de Lappe qu’il fallait se renseigner. La rue de Lappe, c’est un morceau d’Aurillac ou du vieux Clermont-Ferrand transporté à cent mètres de la place de la Bastille. […] Et naturellement il y à dans la rue de Lappe un « bal musette » où l’on vient danser la bourrée. Le joueur de musette ou de biniou disons de chabrette pour être Auvergnat tout à fait est mécanicien dans un grand journal illustré; mais tous les soirs il revient au pays, c’est-à-dire à sa chabrette et à son accordéon, et fait danser les camarades ou bien, enfermé dans son étroit logis d’ouvrir bien sage, rue du Chemin-Vert, entre sa femme et sa petite fille, il travaille; il construit des musettes, et voici ce qui est merveilleux il en vend Et dans cette chambre d’ouvrier de Paris, on est stupéfait de trouver l’outillage tout neuf du joueur de bourrées, la ceinture à soufflet, les anches, le sac à air en velours frappé, les flûtes… flûtes en ivoire, en ébène rehaussé d’argent, en gros bois simple et nu de chabrettiste pauvre. Elles sont toutes là, couchées pêle-mêle dans la grande boite où l’Auvergnat déraciné vient choisir sa musette. J’ai choisi la nôtre. Elle partira tout à l’heure pour le front et demain, c’est au son de la chabrette et du canon que les gaillards du 16e d’artillerie danseront la bourrée.(1) »
Dix jours plus tard les lecteurs du Figaro sont avertis que le précieux instrument est bien arrivé. La « chabrette » trouve rapidement son chabrettaire et le capitaine remercie le journal de son envoi :
Les Auvergnats dansent
[i]Une compagnie du 16e d’artillerie – régiment d’Auvergne – voulait danser la bourrée en musique, et demandait une « chabrette » ; autrement dit, une musette ; ou, si l’on veut, un biniou. Nous avons envoyé l’instrument ; et voici l’accusé de réception du capitaine : Aux. Armées, le 24 septembre 1915. « Monsieur, J’étais, en mission à l’arrivée de votre lettre et du colis contenant la « chabrette » tant désirée. Je ne sais comment m’exprimer pour adresser au Figaro les remerciements de tous nos braves et vaillants Auvergnats et vous dépeindre la joie qu’ils ont éprouvée à la vue de cette chabrette et de tous ses accessoires neufs et brillants. Le deuxième canonnier-conducteur Cantuel, un « cabrettaïre » de Salers (Cantal), s’en est emparé ; dès les premiers airs, tous niés poilus accoururent de toutes parts, et, à l’ébahissement des gens du pays, ils dansèrent par couples une bourrée en règle, qu’ils terminèrent par un «iou» formidable et des acclamations à l’adresse du Figaro. Si vous aviez pu assister à ce début de la chabrette dans le département de…, je suis sur, monsieur, que vous auriez été heureux de vous rendre compte de la joie et du plaisir que vous avez procurés à ces braves gens. Une grosse larme perlait par-ci par-là sur dés poils de barbe hirsute… léger et passager attendrissement au souvenir de leur Auvergne, de leurs montagnes qu’ils ont quittées depuis quatorze mois, et où beaucoup ne sont pas retournés depuis ; ils revoyaient parla pensée le jour heureux de leur mariage, les cabrettaïres munis de leurs instruments ornés de longs rubans de soie pour la circonstance, précédant la jeune mariée et les invités, annonçant à tous les échos l’hymen des jeunes époux… C’est un jeu de leur chère Auvergne que le Figaro leur a envoyé ; ils lui en sont profondément reconnaissants. Permettez-moi, cher monsieur, d’ajouter mes remerciements aux leurs et veuillez agréer l’assurance de mes sentiments les meilleurs. Capitaine Henry B… P. S. – J’oubliais de vous dire que leur moral est excellent; plus vaillants que jamais, ils sentent tous qu’il faut en finir avec cette race de barbares qu’ils ont vue à l’œuvre. C’est une grande satisfaction pour un officier d’avoir 1 l’honneur de commander de pareils soldats ; On remarquera que cette lettre est datée du 24 septembre, la veille du jour où se déclenchaient les offensives, si splendidement préparées par nos artilleurs. Quelles, bourrées ceux du 16e n’ont-ils pas dû danser depuis une semaine !
Émile Berr » (2)
Quelques mois plus tard, alors que la guerre s’enlise, des bretons réclament à leur tour une cornemuse pour remonter le moral des troupes bretonnes du front.
« Le capitaine d’une compagnie de Bretons voudrait un biniou pour ses soldats, comme un autre capitaine nous demandait naguère une musette d’Auvergne pour ses artilleurs.(3) »
A Paris en 1916, il était visiblement plus compliqué de trouver un biniou breton qu’une « chabrette » Auvergnate.
« Nous avons pu trouver à Paris un ouvrier auvergnat, fabricant de musettes; nous n’avons pu y trouver un Breton fabricant de binious. Mais l’adresse d’un spécialiste de Keryado (Lorient) nous a été donnée et la commande est faite. Le biniou sera expédié au front vers le 5 mai. (4) »
Le spécialiste de Keryado en Lorient est bien sûr Jean-Pierre Jacob (1865-1919), qui a donc eu une commande de plus à réaliser pour le journal parisien.
(1) Le Figaro, 17 septembre 1915.
(2) Le Figaro, 2 octobre 1915.
(3) Le Figaro, 11 avril 1916.
(4) Le Figaro, 23 avril 1916.
https://musikebreizh.wordpress.com/2015/04/04/cornemuses-au-front-14-18/
kristianmorvan
S’agit-il du 139e RI d’Aurillac avec son cabretaire ?
Les soldats bretons ne seront pas les seuls à réclamer leurs instruments favoris afin d’agrémenter les quelques moments de repos pendant la Grande Guerre. En septembre 1915, un capitaine du 16e Régiment d’Artillerie, régiment basé à Issoire en Auvergne, écrit au journal Le Figaro :
« Parmi les instruments qu’on vous demande, ou qu’on pourrait vous demander, il y en a un tout à fait spécial et local, il est vrai dont je n’entends jamais parler et qui ferait tant de plaisir à mes braves poilus, tous originaires des quatre provinces de l’Auvergne la Loupiasie, la Fouchtrasie la Bouniasie et la Bougrasie !… Cet instrument s’appelle une musette d’Auvergne, ou plutôt une chabrette. Il ne serait pas difficile d’en trouver dans les parages de la Roquette, rue de Lappe. Tous mes solides et braves gaillards sont très amateurs des airs de bourrée qu’ils dansent avec grâce et légèreté, entre deux bombardements.(1) »
Émile Berr, journaliste au Figaro, se met en quête de l’instrument :
« Pour l’avoir, c’est, en effet, rue de Lappe qu’il fallait se renseigner. La rue de Lappe, c’est un morceau d’Aurillac ou du vieux Clermont-Ferrand transporté à cent mètres de la place de la Bastille. […] Et naturellement il y à dans la rue de Lappe un « bal musette » où l’on vient danser la bourrée. Le joueur de musette ou de biniou disons de chabrette pour être Auvergnat tout à fait est mécanicien dans un grand journal illustré; mais tous les soirs il revient au pays, c’est-à-dire à sa chabrette et à son accordéon, et fait danser les camarades ou bien, enfermé dans son étroit logis d’ouvrir bien sage, rue du Chemin-Vert, entre sa femme et sa petite fille, il travaille; il construit des musettes, et voici ce qui est merveilleux il en vend Et dans cette chambre d’ouvrier de Paris, on est stupéfait de trouver l’outillage tout neuf du joueur de bourrées, la ceinture à soufflet, les anches, le sac à air en velours frappé, les flûtes… flûtes en ivoire, en ébène rehaussé d’argent, en gros bois simple et nu de chabrettiste pauvre. Elles sont toutes là, couchées pêle-mêle dans la grande boite où l’Auvergnat déraciné vient choisir sa musette. J’ai choisi la nôtre. Elle partira tout à l’heure pour le front et demain, c’est au son de la chabrette et du canon que les gaillards du 16e d’artillerie danseront la bourrée.(1) »
Dix jours plus tard les lecteurs du Figaro sont avertis que le précieux instrument est bien arrivé. La « chabrette » trouve rapidement son chabrettaire et le capitaine remercie le journal de son envoi :
Les Auvergnats dansent
[i]Une compagnie du 16e d’artillerie – régiment d’Auvergne – voulait danser la bourrée en musique, et demandait une « chabrette » ; autrement dit, une musette ; ou, si l’on veut, un biniou. Nous avons envoyé l’instrument ; et voici l’accusé de réception du capitaine : Aux. Armées, le 24 septembre 1915. « Monsieur, J’étais, en mission à l’arrivée de votre lettre et du colis contenant la « chabrette » tant désirée. Je ne sais comment m’exprimer pour adresser au Figaro les remerciements de tous nos braves et vaillants Auvergnats et vous dépeindre la joie qu’ils ont éprouvée à la vue de cette chabrette et de tous ses accessoires neufs et brillants. Le deuxième canonnier-conducteur Cantuel, un « cabrettaïre » de Salers (Cantal), s’en est emparé ; dès les premiers airs, tous niés poilus accoururent de toutes parts, et, à l’ébahissement des gens du pays, ils dansèrent par couples une bourrée en règle, qu’ils terminèrent par un «iou» formidable et des acclamations à l’adresse du Figaro. Si vous aviez pu assister à ce début de la chabrette dans le département de…, je suis sur, monsieur, que vous auriez été heureux de vous rendre compte de la joie et du plaisir que vous avez procurés à ces braves gens. Une grosse larme perlait par-ci par-là sur dés poils de barbe hirsute… léger et passager attendrissement au souvenir de leur Auvergne, de leurs montagnes qu’ils ont quittées depuis quatorze mois, et où beaucoup ne sont pas retournés depuis ; ils revoyaient parla pensée le jour heureux de leur mariage, les cabrettaïres munis de leurs instruments ornés de longs rubans de soie pour la circonstance, précédant la jeune mariée et les invités, annonçant à tous les échos l’hymen des jeunes époux… C’est un jeu de leur chère Auvergne que le Figaro leur a envoyé ; ils lui en sont profondément reconnaissants. Permettez-moi, cher monsieur, d’ajouter mes remerciements aux leurs et veuillez agréer l’assurance de mes sentiments les meilleurs. Capitaine Henry B… P. S. – J’oubliais de vous dire que leur moral est excellent; plus vaillants que jamais, ils sentent tous qu’il faut en finir avec cette race de barbares qu’ils ont vue à l’œuvre. C’est une grande satisfaction pour un officier d’avoir 1 l’honneur de commander de pareils soldats ; On remarquera que cette lettre est datée du 24 septembre, la veille du jour où se déclenchaient les offensives, si splendidement préparées par nos artilleurs. Quelles, bourrées ceux du 16e n’ont-ils pas dû danser depuis une semaine !
Émile Berr » (2)
Quelques mois plus tard, alors que la guerre s’enlise, des bretons réclament à leur tour une cornemuse pour remonter le moral des troupes bretonnes du front.
« Le capitaine d’une compagnie de Bretons voudrait un biniou pour ses soldats, comme un autre capitaine nous demandait naguère une musette d’Auvergne pour ses artilleurs.(3) »
A Paris en 1916, il était visiblement plus compliqué de trouver un biniou breton qu’une « chabrette » Auvergnate.
« Nous avons pu trouver à Paris un ouvrier auvergnat, fabricant de musettes; nous n’avons pu y trouver un Breton fabricant de binious. Mais l’adresse d’un spécialiste de Keryado (Lorient) nous a été donnée et la commande est faite. Le biniou sera expédié au front vers le 5 mai. (4) »
Le spécialiste de Keryado en Lorient est bien sûr Jean-Pierre Jacob (1865-1919), qui a donc eu une commande de plus à réaliser pour le journal parisien.
(1) Le Figaro, 17 septembre 1915.
(2) Le Figaro, 2 octobre 1915.
(3) Le Figaro, 11 avril 1916.
(4) Le Figaro, 23 avril 1916.
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