« Médecin-légiste, c'est être le témoin d'une société violente »

Garance FEITAMA.


Elles examinent les victimes ou les auteurs de violences, et sont au service de la justice. Portrait de deux femmes légistes, qui exercent dans les Côtes d'Armor.


Elles sont deux à pratiquer ce métier dans les Côtes-d'Armor. Anne Dameme est médecin légiste à Saint-Brieuc depuis 2015. Portrait d'un métier qui s'exerce auprès des morts et des vivants.

« À l'époque où je faisais mes études, la médecine légale n'était pas une spécialité reconnue, explique Anne Dameme. On l'étudiait durant les cours d'épidémiologie, ça ne représentait qu'une heure dans tout le cursus, et pourtant ça m'a tout de suite passionnée. » Elle est installée à la terrasse d'un café briochin. Vêtements colorés, cheveux courts et allure décontractée, la quinquagénaire rompt rapidement tous les clichés qui collent à la profession.


Originaire de la région parisienne, Anne Dameme débute sa carrière en tant qu'urgentiste, en février 2000, à Guingamp. Elle la poursuit à Dinan, avant de reprendre ses études à l'Institut médico-légal (IML) de Rennes en 2012.

« Je travaille d'abord avec les vivants »

Un an plus tard, elle s'installe avec sa famille à Saint-Brieuc, où elle pratiquera plus tard la médecine légale à temps partiel, en parallèle de son métier d'urgentiste au Samu de l'hôpital. Le parcours de la praticienne semble presque classique, mais à l'évocation du terme « thanatologie » (l'étude de la mort), la médecin légiste esquisse un sourire.


« En tant que légiste, je travaille au service de la justice. Je procure une expertise médicale aux enquêteurs. Mais ces examens n'ont pas nécessairement lieu sur les morts. Dans 90% à 95% des cas, je travaille avec les vivants », insiste-t-elle.

++ Lire aussi: L'Institut médico-légal s'occupe surtout des vivants
http://www.ouest-france.fr/bretagne/linstitut-medico-legal-soccupe-surtout-des-vivants-2096269

La plupart de ses interventions, Anne Dameme les effectue au service gynécologie de l'hôpital Yves-Le-Foll. « À Saint-Brieuc, nous sommes majoritairement face à des violences à caractère sexuel, sur des filles comme sur des garçons, alors qu'à Rennes ce sont des violences physiques en majorité non sexuelles. Être un médecin légiste, c'est être témoin des violences de la société. »

« Un pas vers la reconnaissance »

L'essentiel du travail de la légiste consiste donc à examiner les victimes ou les auteurs des faits, afin de vérifier la gravité de l'infraction, et de confirmer techniquement les éléments de l'enquête auprès des autorités.

Un point essentiel pour Anne Dameme, puisqu'il est à l'origine de sa passion pour ce métier.

« J'ai choisi cette profession parce que j'ai l'impression de rendre service aux victimes. L'examen que nous prodiguons, c'est un premier pas vers une reconnaissance pour la victime. Au-delà du retentissement physique, il y a l'aspect psychologique qui prend d'avantage de temps à guérir », développe la médecin, tout soulignant l'importance de rester « objectif » et « impartial. »

Depuis le début de l'année, Anne Dameme a effectué une vingtaine d'interventions, dont une partie a été consacrée aux levées de corps. Alertée par les enquêteurs, elle se rend sur place pour constater un décès. Le corps est envoyé à l'IML de Rennes où débute l'autopsie en tant que pièce à conviction, nécessaire pour déterminer les causes de la mort.

À la question,« est ce que l'on s'habitue à côtoyer la mort régulièrement? », la réponse est positive. « Cependant, je reste profondément déstabilisée par l'inventivité de la nature humaine, capable de faire souffrir l'autre, souvent sans raison réelle. »