Il y a 60 ans, des Français travaillaient à la voiture à moteur nucléaire
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Il y a 60 ans, des Français travaillaient à la voiture à moteur nucléaire
INSOLITE. En 1958, plusieurs constructeurs étudiaient des voitures à moteur nucléaire. Il y avait les Américains chez Ford mais aussi des Français. Leur Arbel Symétric faillit être commercialisée. Retour sur ces drôles de projets.
Fournis par www.challenges.fr Arbel Symétric
Les voitures à propulsion électriques sont-elles la panacée ? Pas pour ceux qui les surnomment "les voitures nucléaires", rapport à l'idée selon laquelle il faudrait construire de nouvelles centrales nucléaires pour alimenter un parc entier de voitures électriques. Bien peu savent qu'il y a soixante ans, il exista bel et bien des prototypes de voitures emportant un réacteur nucléaire individuel… Du moins sur le papier.
En 1958 en effet, la voiture à moteur nucléaire semblait pouvoir devenir une réalité dans un avenir plus ou moins proche. Il faut se remplacer dans le contexte de l'époque, où l'énergie nucléaire est encore quelque chose de neuf, conforme à l'idée d'un progrès technique par définition bénéfique pour l'humanité.
La première centrale expérimentale voit le jour en 1951 aux Etats-Unis, dans l'Idaho. Pour un usage civil, il faut attendre 1954, et ce sont cette fois les Soviétiques qui ont la primeur, à Obninsk. Les Français et les Britanniques suivent deux ans plus tard, et les Américains en 1957. Très vite, on extrapole. On imagine que les réacteurs nucléaires pourront être miniaturisés. Des réacteurs individuels pourront alimenter les maisons… Et pourquoi pas des voitures. Voilà de quoi inspirer les ingénieurs et les designers, dans une période où les concept-cars s'inspirent de la science-fiction, notamment dans les Motorama, ces grands shows itinérants orchestrés par General Motors.
Pour autant, c'est un "petit" constructeur américain qui dégaine le premier, en l'occurrence Studebaker. Le 18 janvier 1958, l'Astral est présentée au South Bend Art Center. Il s'agit d'un véhicule éminemment futuriste, bien dans l'esprit des "dream cars" de l'époque. Cet engin à quatre places ne dispose que d'une seule roue. Il trouve son équilibre par des gyroscopes. Ici, la motorisation nucléaire est le moyen de se projeter un peu plus loin vers l'avenir, sans qu'il n'y ait d'étude technique réelle et sérieuse. L'Astral n'est qu'une maquette, qui ne tient pas debout que sur ses béquilles.
Ford réfléchit à l'intégration du moteur atomique avec la Nucleon
Chez Ford, on a poussé la réflexion plus loin avec le prototype Nucleon. L'intégration du réacteur nucléaire est au cœur de la conception : celui-ci est placé au plus près du centre de la voiture, pour en équilibrer les masses. Le blindage nécessaire à la protection des passagers contre les radiations aurait en effet pu déséquilibrer la voiture. Comme dans un sous-marin nucléaire, la fission de l'uranium avait pour rôle de transformer l'eau en vapeur grâce à la chaleur dégagée, pour faire tourner la turbine qui entraînait l'auto. Le constructeur de Dearborn envisageait une autonomie de 8.000 km, distance après laquelle le propriétaire devait changer son cœur nucléaire ou le faire recharger. Moins contraignant que d'aller à la pompe !
Mais si la vision était un peu plus pragmatique que chez Studebaker, la réalisation était encore plus loin de la série : Ford n'a consenti qu'à réaliser une maquette réduite à l'échelle 3/8 de ce modèle. Paradoxalement, cela montre qu'il ne s'agissait pas même d'une opération de communication digne de ce nom, laquelle aurait nécessité un modèle en taille réelle. Cela tend au contraire à montrer qu'il s'agit de prospection, avec l'optique qu'un jour le réacteur nucléaire miniaturisé serait une réalité. Ford a par la suite retenté l'expérience en 1962 avec la Seattle-ite XXI, toujours à l'état de maquette. Il s'agissait d'un modèle à six roues à l'avant détachable. Mais Ford jeta l'éponge, étant donné que la miniaturisation des réacteurs nucléaires tardait à se concrétiser. Sans compter que les radiations imposaient un blindage bien trop lourd pour une voiture.
Arbel Symétric, de la révolution technologique à l'arnaque
Malgré ces difficultés techniques insurmontables, un constructeur français annonça la commercialisation d'une voiture à moteur nucléaire au Salon de Genève en 1958.
Avant de parler de cette berline nucléaire Arbel, il convient de revenir quelques années en arrière, en 1951. Au Salon de Genève, un ingénieur amateur dénommé Casimir Loubières présente le prototype d'une voiture de sa conception, la Symétric. Celle-ci présente deux originalités. D'une part une carrosserie à section cylindrique, qui facilité l'accès à bord puisque le haut des portes vient se replier dans le toit et le bas dans le châssis. D'autre part, une motorisation hybride : un moteur essence SIMCA fonctionne comme un groupe électrogène, alors que les quatre roues sont entraînées chacune par un moteur électrique. Il n'y a qu'une pédale, le freinage se faisant au lever de pied grâce aux moteurs électriques qui fonctionnent alors en générateur, et grâce aux tambours en-dessous de 15 km/h.
La mécanique est peut-être trop en avance sur son temps, mais surtout la Symétric est très laide. Malgré une nouvelle tentative à l'occasion du Salon de Paris 1953, avec une auto redessinée, personne ne commande la Symétric.
En 1958, la société parisienne Arbel reprend le projet et entend lui donner un second souffle. Un stand est réservé au Salon de Genève, où tout est mis en œuvre pour faire parler de l'auto. Le dessin disgracieux est retravaillé dans un style plus américain, ce qui améliore nettement les choses. Le principe de la motorisation hybride est conservé, mais l'énergie peut cette fois provenir de plusieurs types de motorisations. Il y a bien évidemment des moteurs classiques à essence, de 50 ch ou 75 ch. Mais aussi — et c'est nouveau — un générateur à gaz dénommé Généstagaz, ainsi qu'une turbine Diesel Généstafuel. Voire, plus impressionnant encore, un quatrième propulseur dénommé Généstatom, qui fonctionne à base de déchets nucléaires et qui assure à la voiture une autonomie de cinq ans ! Arbel présente même sur son stand un châssis nu de la Symétric Généstatom.
Les ambitions sont grandes : Arbel annonce même le rachat d'une compagnie de taxi pour assurer la visibilité de son modèle, alors qu'une usine est prévue dans les environs de Nice. Malheureusement, derrière les noms ronflants, les prospectus luxueux et les belles intentions, il n'y avait pas grand-chose… Jamais l'homologation du moteur nucléaire a été ne serait-ce qu'envisagée, et il s'est avéré que le châssis présenté n'était qu'un bricolage, avec un faux réacteur réalisé à partir de ventilateurs de Citroën DS19, sa concurrente désignée. Les clients qui ont versé des arrhes ne les ont jamais revues et on n'entendit plus parler d'Arbel, même pour les modèles plus conventionnels.
SIMCA Fulgur, un des premiers concept-cars français
Cette arnaque ne signe pas pour autant la fin immédiate de la voiture nucléaire française. En 1959, SIMCA répond au Journal de Tintin, qui invite les constructeurs à imaginer ce que sera la voiture de l'an 2000. Cela donne naissance à la Fulgur, un des tous premiers concept-cars français. Elle est animée par une pile atomique qui offre une autonomie de 5.000 km, et d'un dispositif de conduite autonome. Bien évidemment tout cela n'existait que sur le papier. Mais son intérêt historique n'est tout de même pas négligeable : il s'agit là en effet d'une des toutes premières œuvres de Robert Opron, qui marqua de son empreinte le style automobile français d'abord chez Citroën (DS de 1968, GS, CX, SM…) puis chez Renault (9, 11, 25, Fuego…). La carrière du designer fut bien plus longue que celle des voitures nucléaires, aberration technique bien vite écartée sous peine de risquer une catastrophe à chaque accrochage.
Cette parenthèse de l'histoire témoigne de la propension des constructeurs à vouloir communiquer autour de technologies très loin de leur maturité. Il ne faut pas paraître en retard, quitte à faire passer les considérations écologiques au second plan. On en a eu la preuve avec le Dieselgate, et Carlos Tavares a récemment tiré la sonnette d'alarme pour les voitures électriques, à la production polluante. https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/dieselgate-le-gros-coup-de-gueule-de-carlos-tavares-sur-les-accusations-contre-psa_498953 A la lumière de ces élucubrations, la sagesse devrait être mère de l'innovation.
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Fournis par www.challenges.fr Arbel Symétric
Les voitures à propulsion électriques sont-elles la panacée ? Pas pour ceux qui les surnomment "les voitures nucléaires", rapport à l'idée selon laquelle il faudrait construire de nouvelles centrales nucléaires pour alimenter un parc entier de voitures électriques. Bien peu savent qu'il y a soixante ans, il exista bel et bien des prototypes de voitures emportant un réacteur nucléaire individuel… Du moins sur le papier.
En 1958 en effet, la voiture à moteur nucléaire semblait pouvoir devenir une réalité dans un avenir plus ou moins proche. Il faut se remplacer dans le contexte de l'époque, où l'énergie nucléaire est encore quelque chose de neuf, conforme à l'idée d'un progrès technique par définition bénéfique pour l'humanité.
La première centrale expérimentale voit le jour en 1951 aux Etats-Unis, dans l'Idaho. Pour un usage civil, il faut attendre 1954, et ce sont cette fois les Soviétiques qui ont la primeur, à Obninsk. Les Français et les Britanniques suivent deux ans plus tard, et les Américains en 1957. Très vite, on extrapole. On imagine que les réacteurs nucléaires pourront être miniaturisés. Des réacteurs individuels pourront alimenter les maisons… Et pourquoi pas des voitures. Voilà de quoi inspirer les ingénieurs et les designers, dans une période où les concept-cars s'inspirent de la science-fiction, notamment dans les Motorama, ces grands shows itinérants orchestrés par General Motors.
Pour autant, c'est un "petit" constructeur américain qui dégaine le premier, en l'occurrence Studebaker. Le 18 janvier 1958, l'Astral est présentée au South Bend Art Center. Il s'agit d'un véhicule éminemment futuriste, bien dans l'esprit des "dream cars" de l'époque. Cet engin à quatre places ne dispose que d'une seule roue. Il trouve son équilibre par des gyroscopes. Ici, la motorisation nucléaire est le moyen de se projeter un peu plus loin vers l'avenir, sans qu'il n'y ait d'étude technique réelle et sérieuse. L'Astral n'est qu'une maquette, qui ne tient pas debout que sur ses béquilles.
Ford réfléchit à l'intégration du moteur atomique avec la Nucleon
Chez Ford, on a poussé la réflexion plus loin avec le prototype Nucleon. L'intégration du réacteur nucléaire est au cœur de la conception : celui-ci est placé au plus près du centre de la voiture, pour en équilibrer les masses. Le blindage nécessaire à la protection des passagers contre les radiations aurait en effet pu déséquilibrer la voiture. Comme dans un sous-marin nucléaire, la fission de l'uranium avait pour rôle de transformer l'eau en vapeur grâce à la chaleur dégagée, pour faire tourner la turbine qui entraînait l'auto. Le constructeur de Dearborn envisageait une autonomie de 8.000 km, distance après laquelle le propriétaire devait changer son cœur nucléaire ou le faire recharger. Moins contraignant que d'aller à la pompe !
Mais si la vision était un peu plus pragmatique que chez Studebaker, la réalisation était encore plus loin de la série : Ford n'a consenti qu'à réaliser une maquette réduite à l'échelle 3/8 de ce modèle. Paradoxalement, cela montre qu'il ne s'agissait pas même d'une opération de communication digne de ce nom, laquelle aurait nécessité un modèle en taille réelle. Cela tend au contraire à montrer qu'il s'agit de prospection, avec l'optique qu'un jour le réacteur nucléaire miniaturisé serait une réalité. Ford a par la suite retenté l'expérience en 1962 avec la Seattle-ite XXI, toujours à l'état de maquette. Il s'agissait d'un modèle à six roues à l'avant détachable. Mais Ford jeta l'éponge, étant donné que la miniaturisation des réacteurs nucléaires tardait à se concrétiser. Sans compter que les radiations imposaient un blindage bien trop lourd pour une voiture.
Arbel Symétric, de la révolution technologique à l'arnaque
Malgré ces difficultés techniques insurmontables, un constructeur français annonça la commercialisation d'une voiture à moteur nucléaire au Salon de Genève en 1958.
Avant de parler de cette berline nucléaire Arbel, il convient de revenir quelques années en arrière, en 1951. Au Salon de Genève, un ingénieur amateur dénommé Casimir Loubières présente le prototype d'une voiture de sa conception, la Symétric. Celle-ci présente deux originalités. D'une part une carrosserie à section cylindrique, qui facilité l'accès à bord puisque le haut des portes vient se replier dans le toit et le bas dans le châssis. D'autre part, une motorisation hybride : un moteur essence SIMCA fonctionne comme un groupe électrogène, alors que les quatre roues sont entraînées chacune par un moteur électrique. Il n'y a qu'une pédale, le freinage se faisant au lever de pied grâce aux moteurs électriques qui fonctionnent alors en générateur, et grâce aux tambours en-dessous de 15 km/h.
La mécanique est peut-être trop en avance sur son temps, mais surtout la Symétric est très laide. Malgré une nouvelle tentative à l'occasion du Salon de Paris 1953, avec une auto redessinée, personne ne commande la Symétric.
En 1958, la société parisienne Arbel reprend le projet et entend lui donner un second souffle. Un stand est réservé au Salon de Genève, où tout est mis en œuvre pour faire parler de l'auto. Le dessin disgracieux est retravaillé dans un style plus américain, ce qui améliore nettement les choses. Le principe de la motorisation hybride est conservé, mais l'énergie peut cette fois provenir de plusieurs types de motorisations. Il y a bien évidemment des moteurs classiques à essence, de 50 ch ou 75 ch. Mais aussi — et c'est nouveau — un générateur à gaz dénommé Généstagaz, ainsi qu'une turbine Diesel Généstafuel. Voire, plus impressionnant encore, un quatrième propulseur dénommé Généstatom, qui fonctionne à base de déchets nucléaires et qui assure à la voiture une autonomie de cinq ans ! Arbel présente même sur son stand un châssis nu de la Symétric Généstatom.
Les ambitions sont grandes : Arbel annonce même le rachat d'une compagnie de taxi pour assurer la visibilité de son modèle, alors qu'une usine est prévue dans les environs de Nice. Malheureusement, derrière les noms ronflants, les prospectus luxueux et les belles intentions, il n'y avait pas grand-chose… Jamais l'homologation du moteur nucléaire a été ne serait-ce qu'envisagée, et il s'est avéré que le châssis présenté n'était qu'un bricolage, avec un faux réacteur réalisé à partir de ventilateurs de Citroën DS19, sa concurrente désignée. Les clients qui ont versé des arrhes ne les ont jamais revues et on n'entendit plus parler d'Arbel, même pour les modèles plus conventionnels.
SIMCA Fulgur, un des premiers concept-cars français
Cette arnaque ne signe pas pour autant la fin immédiate de la voiture nucléaire française. En 1959, SIMCA répond au Journal de Tintin, qui invite les constructeurs à imaginer ce que sera la voiture de l'an 2000. Cela donne naissance à la Fulgur, un des tous premiers concept-cars français. Elle est animée par une pile atomique qui offre une autonomie de 5.000 km, et d'un dispositif de conduite autonome. Bien évidemment tout cela n'existait que sur le papier. Mais son intérêt historique n'est tout de même pas négligeable : il s'agit là en effet d'une des toutes premières œuvres de Robert Opron, qui marqua de son empreinte le style automobile français d'abord chez Citroën (DS de 1968, GS, CX, SM…) puis chez Renault (9, 11, 25, Fuego…). La carrière du designer fut bien plus longue que celle des voitures nucléaires, aberration technique bien vite écartée sous peine de risquer une catastrophe à chaque accrochage.
Cette parenthèse de l'histoire témoigne de la propension des constructeurs à vouloir communiquer autour de technologies très loin de leur maturité. Il ne faut pas paraître en retard, quitte à faire passer les considérations écologiques au second plan. On en a eu la preuve avec le Dieselgate, et Carlos Tavares a récemment tiré la sonnette d'alarme pour les voitures électriques, à la production polluante. https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/dieselgate-le-gros-coup-de-gueule-de-carlos-tavares-sur-les-accusations-contre-psa_498953 A la lumière de ces élucubrations, la sagesse devrait être mère de l'innovation.
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