Anne Thévenet-Abitbol : elle met du bio et de l'humain chez Danone
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Anne Thévenet-Abitbol : elle met du bio et de l'humain chez Danone
25 Avril 2018
Directrice Prospective et nouveaux Concepts chez le n°1 mondial du yaourt depuis 1998, elle est son capteur sensible, humant l’air du temps, puis bataillant pour aller au bout de ses intuitions.
Anne Thévenet-Abitbol (Crédits : Nod-A, 2018)
Ni équipe ni argent » : Franck Riboud, le patron de Danone a été très clair lorsqu’il a recruté Anne Thévenet-Abitbol en 1998. La feuille de route était plus floue : « créer toute nouvelle idée susceptible de faire avancer le groupe et ses métiers, que ce soit en terme marketing, RH, social ou sociétal ». « Je venais de la pub, j’avais travaillé douze ans comme planneur stratégique pour l’agence CLM-BBDO. C’est ce qui intéressait Franck Riboud. Le planneur est là pour penser différemment, pour avoir des idées et de l’imagination. C’est un électron libre qui peut apporter un point de vue alternatif. »
Vingt ans plus tard, elle occupe toujours ce poste de Directrice Prospective et Nouveaux Concepts, directement rattaché à la présidence du groupe, et a fait des conditions drastiques initiales le moteur qui lui a permis d’avancer et de convaincre. « Quand j’ai une idée, je dois y croire suffisamment pour parvenir à convaincre des managers de dégager de l’argent et d’autres collaborateurs de me rejoindre pour m’aider à la développer ! »
Elle se décrit comme un « Intel Inside pour les équipes en place », humant les idées dans l’air du temps, captant les tendances, et les rapportant au sein de Danone. Animatrice atypique, alchimiste émotionnelle, elle s’emploie à transformer des intuitions, les siennes ou celles de ses collègues, en nouveaux produits ou en démarches entrepreneuriales.
C’est ainsi qu’en 2006 elle a guidé les premiers pas du groupe agroalimentaire dans le bio avec la création de la marque Les 2 Vaches : « Quand j’ai appris que 40 % du lait bio ne trouvait pas de débouchés, j’ai réalisé que nous avions un vrai rôle à jouer. Il fallait sauver les éleveurs en expliquant au grand public la valeur ajoutée du bio pour la santé de la planète et de ses habitants. Au-delà d’un lancement de marque, il s’agissait d’une véritable démarche sociétale d’entreprise et nous avons créé une filiale. J’ai passé plus de six mois à rencontrer tous les acteurs de la filière bio - l’accueil initial de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique a été plus que réservé ! - , à constituer un réseau d’alliés parmi des gens hostiles qui voyaient Danone arriver dans le bio comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. »
Sans gros budget de pub, Anne Thévenet-Abitbol invente des moyens peu coûteux pour promouvoir la nouvelle marque : site web dédié avec possibilité de parrainer une vache, invitation à envoyer des cartes postales pour soutenir la cause de l’agriculture bio…«On a dû travailler énormément, rencontrer des producteurs, parler agriculture ; je me suis même déguisée en vache pour me faufiler dans les célébrations du lancement du tramway à Paris pour soutenir ce moyen de transport moins polluant ».
Elle transforme le packaging en outil de communication, invente un marketing "joyeux" autour de deux vaches sympathiques dessinées sur les emballages, avec un look résolument différent des codes habituels du groupe – le nom de Danone n’apparaît pas directement puisque la marque est gérée par une filiale - susceptible d’attirer un consommateur écolo peu fan des marques multinationales. « C’était des méthodes nouvelles, plus proches de celles d’une jeune pousse que d’un grand groupe. » Elle adore « porter » de tels sujets qui la poussent à se dépasser, à convaincre…
« Quand ça me tient à cœur, je peux déplacer des montagnes, faire tomber tous les obstacles », assure-t-elle. Une détermination qui vient de sa conviction qu’en toute situation on fait partie de la solution et que si on veut changer les choses il faut se changer soi-même d’abord, acquérir une solidité, une authenticité intérieure. C’est exactement ce qu’elle met en œuvre dans les Programmes interentreprises EVE sur le leadership féminin, et OCTAVE sur les générations à l’ère du numérique.
Prendre confiance en soi, être alignée avec ses valeurs, savoir les exprimer et les défendre est la meilleure manière d’être bien dans sa peau et actrice de changement dans une organisation. Adepte du corporate hacking – « il m’arrive souvent de ne pas suivre les process si je pense qu’on peut faire les choses autrement et plus efficacement » -, elle pratique un marketing de l’offre – « je pars d’une idée personnelle, à laquelle je crois profondément et je me bats pour parvenir à la mettre en œuvre ». Dernier exemple en date : la création d’une nouvelle marque en vente depuis début avril.
« Un matin de 2014, au réveil j’ai entendu à la radio des commentaires épouvantables sur les migrants.» Elle qui a été nourrie d'études de civilisation anglaise et de grec moderne, s’exaspère devant ce monde qui « se rétrécit, manque de bienveillance et d’ouverture ». « Pour ouvrir les goûts et les esprits, j’ai eu envie alors de raconter des histoires de peuples et de cultures », avec comme cheval de Troie le yaourt évidemment, véhicule d’échange et de partage. Résultat : « Les Danone du Monde », inspirés de yaourts indiens (Lassi), islandais (Skyr), turcs (Ayran), libanais (Laban) et grecs (Straggisto).
Au-delà des produits, la marque est porteuse d’une vision sociétale d’ouverture des goûts et des esprits. Une façon de penser peu classique dans le marketing traditionnel. « Cela demande beaucoup d’énergie, il faut se battre pour obtenir le budget, garder ses convictions chevillées au corps, faire confiance à son intuition et se constituer des alliés dans le groupe.» Et lorsque ça ne marche pas, lorsque le produit fait un flop ? Elle ne considère comme des échecs que les moments où elle fait « des choses auxquelles je ne crois pas, ou d'une façon qui n'est pas la mienne ». Sinon, dit-elle, il « ne s'agit que d’erreurs. »
Les années à venir s’annoncent comme une succession de nouveaux défis pour Anne Thévenet-Abitbol. Leader mondial du yaourt, Danone a annoncé en février un plan pour passer de 4 % à 15 % de bio dans ses produits laitiers frais en France d’ici à 2022.
Elli Luveri
Directrice Prospective et nouveaux Concepts chez le n°1 mondial du yaourt depuis 1998, elle est son capteur sensible, humant l’air du temps, puis bataillant pour aller au bout de ses intuitions.
Anne Thévenet-Abitbol (Crédits : Nod-A, 2018)
Ni équipe ni argent » : Franck Riboud, le patron de Danone a été très clair lorsqu’il a recruté Anne Thévenet-Abitbol en 1998. La feuille de route était plus floue : « créer toute nouvelle idée susceptible de faire avancer le groupe et ses métiers, que ce soit en terme marketing, RH, social ou sociétal ». « Je venais de la pub, j’avais travaillé douze ans comme planneur stratégique pour l’agence CLM-BBDO. C’est ce qui intéressait Franck Riboud. Le planneur est là pour penser différemment, pour avoir des idées et de l’imagination. C’est un électron libre qui peut apporter un point de vue alternatif. »
Vingt ans plus tard, elle occupe toujours ce poste de Directrice Prospective et Nouveaux Concepts, directement rattaché à la présidence du groupe, et a fait des conditions drastiques initiales le moteur qui lui a permis d’avancer et de convaincre. « Quand j’ai une idée, je dois y croire suffisamment pour parvenir à convaincre des managers de dégager de l’argent et d’autres collaborateurs de me rejoindre pour m’aider à la développer ! »
Elle se décrit comme un « Intel Inside pour les équipes en place », humant les idées dans l’air du temps, captant les tendances, et les rapportant au sein de Danone. Animatrice atypique, alchimiste émotionnelle, elle s’emploie à transformer des intuitions, les siennes ou celles de ses collègues, en nouveaux produits ou en démarches entrepreneuriales.
C’est ainsi qu’en 2006 elle a guidé les premiers pas du groupe agroalimentaire dans le bio avec la création de la marque Les 2 Vaches : « Quand j’ai appris que 40 % du lait bio ne trouvait pas de débouchés, j’ai réalisé que nous avions un vrai rôle à jouer. Il fallait sauver les éleveurs en expliquant au grand public la valeur ajoutée du bio pour la santé de la planète et de ses habitants. Au-delà d’un lancement de marque, il s’agissait d’une véritable démarche sociétale d’entreprise et nous avons créé une filiale. J’ai passé plus de six mois à rencontrer tous les acteurs de la filière bio - l’accueil initial de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique a été plus que réservé ! - , à constituer un réseau d’alliés parmi des gens hostiles qui voyaient Danone arriver dans le bio comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. »
Sans gros budget de pub, Anne Thévenet-Abitbol invente des moyens peu coûteux pour promouvoir la nouvelle marque : site web dédié avec possibilité de parrainer une vache, invitation à envoyer des cartes postales pour soutenir la cause de l’agriculture bio…«On a dû travailler énormément, rencontrer des producteurs, parler agriculture ; je me suis même déguisée en vache pour me faufiler dans les célébrations du lancement du tramway à Paris pour soutenir ce moyen de transport moins polluant ».
Elle transforme le packaging en outil de communication, invente un marketing "joyeux" autour de deux vaches sympathiques dessinées sur les emballages, avec un look résolument différent des codes habituels du groupe – le nom de Danone n’apparaît pas directement puisque la marque est gérée par une filiale - susceptible d’attirer un consommateur écolo peu fan des marques multinationales. « C’était des méthodes nouvelles, plus proches de celles d’une jeune pousse que d’un grand groupe. » Elle adore « porter » de tels sujets qui la poussent à se dépasser, à convaincre…
« Quand ça me tient à cœur, je peux déplacer des montagnes, faire tomber tous les obstacles », assure-t-elle. Une détermination qui vient de sa conviction qu’en toute situation on fait partie de la solution et que si on veut changer les choses il faut se changer soi-même d’abord, acquérir une solidité, une authenticité intérieure. C’est exactement ce qu’elle met en œuvre dans les Programmes interentreprises EVE sur le leadership féminin, et OCTAVE sur les générations à l’ère du numérique.
Prendre confiance en soi, être alignée avec ses valeurs, savoir les exprimer et les défendre est la meilleure manière d’être bien dans sa peau et actrice de changement dans une organisation. Adepte du corporate hacking – « il m’arrive souvent de ne pas suivre les process si je pense qu’on peut faire les choses autrement et plus efficacement » -, elle pratique un marketing de l’offre – « je pars d’une idée personnelle, à laquelle je crois profondément et je me bats pour parvenir à la mettre en œuvre ». Dernier exemple en date : la création d’une nouvelle marque en vente depuis début avril.
« Un matin de 2014, au réveil j’ai entendu à la radio des commentaires épouvantables sur les migrants.» Elle qui a été nourrie d'études de civilisation anglaise et de grec moderne, s’exaspère devant ce monde qui « se rétrécit, manque de bienveillance et d’ouverture ». « Pour ouvrir les goûts et les esprits, j’ai eu envie alors de raconter des histoires de peuples et de cultures », avec comme cheval de Troie le yaourt évidemment, véhicule d’échange et de partage. Résultat : « Les Danone du Monde », inspirés de yaourts indiens (Lassi), islandais (Skyr), turcs (Ayran), libanais (Laban) et grecs (Straggisto).
Au-delà des produits, la marque est porteuse d’une vision sociétale d’ouverture des goûts et des esprits. Une façon de penser peu classique dans le marketing traditionnel. « Cela demande beaucoup d’énergie, il faut se battre pour obtenir le budget, garder ses convictions chevillées au corps, faire confiance à son intuition et se constituer des alliés dans le groupe.» Et lorsque ça ne marche pas, lorsque le produit fait un flop ? Elle ne considère comme des échecs que les moments où elle fait « des choses auxquelles je ne crois pas, ou d'une façon qui n'est pas la mienne ». Sinon, dit-elle, il « ne s'agit que d’erreurs. »
Les années à venir s’annoncent comme une succession de nouveaux défis pour Anne Thévenet-Abitbol. Leader mondial du yaourt, Danone a annoncé en février un plan pour passer de 4 % à 15 % de bio dans ses produits laitiers frais en France d’ici à 2022.
Elli Luveri
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