14-18. À l’arrière, les femmes au travail
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14-18. À l’arrière, les femmes au travail
LE TELEGRAMME
Pendant la Grande Guerre, la poudrerie de Pont-de-Buis tourne de jour comme de nuit. Les besoins en main-d’œuvre sont immenses. L’usine compte 993 ouvriers en 1914 : ils seront 5 600, dont 3 000 ouvrières, à la fin de la guerre.
Pendant la Première Guerre mondiale, l’économie bretonne souffre de l’absence de bras, due à l’appel des hommes sur le Front. Ce sont les femmes qui prennent la relève, aux champs comme à l’usine. Cette nouvelle main-d’œuvre investit le monde ouvrier, qui lui était fermé jusqu’alors. Un frein provisoire à l’exode rural féminin, qui sera de courte durée.
En Bretagne comme ailleurs, le secteur économique va être entièrement mobilisé dans « la guerre totale », dès 1914. Tous les secteurs doivent s’adapter à grande vitesse. L’agroalimentaire ne fait pas exception : l’usine Lu à Nantes, délaisse la production de biscuits pour fabriquer le pain de guerre aux soldats. Les conserveries du pays bigouden, qui font de la conserve de poisson mais aussi de légumes, accroissent leur production. Le secteur agricole est aussi sollicité : « Si des friches apparaissent et si des rendements baissent, la situation dans les campagnes se détériore toutefois moins qu’en ville. D’une part, le travail des femmes, l’aide des enfants, l’emploi des prisonniers de guerre, les permissions accordées aux soldats à partir de 1915 pour les gros travaux de la terre limitent la baisse de la production ; d’autre part, la hausse des prix des produits agricoles améliore les revenus des femmes dans les campagnes », écrit l’historien Didier Guyvarc’h. Dans cette économie libérale mais entièrement contrôlée par l’État, il ne s’agit pas de subvenir uniquement aux besoins du Front, mais aussi d’éviter la pénurie de denrées alimentaires dans les grandes villes.
Des femmes dans les ateliers
L’industrie, qui n’occupe à la veille de la Première Guerre mondiale que 23 % de la main-d’œuvre bretonne, connaît un véritable coup de fouet pour subvenir aux besoins de la guerre. C’est le cas de l’industrie du cuir à Fougères, des arsenaux de Brest et Lorient ou des poudreries. Les hommes sont au Front, on manque de bras : les femmes pénètrent pour la première fois dans un monde ouvrier qui leur était resté fermé jusqu’alors. À la douillerie de l’arsenal de Rennes, elles sont 5 100 en 1918. À la poudrerie de Pont-de-Buis, dans le Finistère, les besoins en main-d’œuvre sont immenses : la production est décuplée entre 1914 et 1916. Les ateliers de fabrication tournent de jour comme de nuit. L’usine compte 993 ouvriers en 1914 : ils seront 5 600, dont 3 000 ouvrières, à la fin de la guerre. Pour recruter ces dernières, l’âge minimum légal est abaissé à 16 ans.
L’arrivée massive de cette main-d’œuvre féminine introduit de nouvelles et provisoires législations : en juillet 1916, le travail de nuit est interdit pour les femmes enceintes. Plus surprenant : une circulaire impose la généralisation des salles d’allaitement pour les entreprises employant plus de 100 femmes de plus de 15 ans. À la poudrerie de Pont-de-Buis, deux salles d’allaitement sont installées à proximité des ateliers, en septembre 1917. Une classe enfantine est même créée dans un baraquement pour accueillir les enfants âgés de 3 à 6 ans.
Ces ouvrières, qui travaillent dans des conditions difficiles, apprennent aussi à se défendre : un mouvement démarre en 1915 dans les ports de pêche et les conserveries puis se généralise en 1917. À Rennes, en juin 1917, les « munitionnettes » de la douillerie sont à la tête d’un mouvement social pour obtenir de meilleurs salaires et davantage de respect de la part de l’encadrement. À la poudrerie de Pont-de-Buis, la quasi-totalité des ouvrières se met en grève en juillet afin de protester contre les cadences infernales et réclamer de meilleurs salaires : elles obtiennent gain de cause.
Le douloureux après-guerre
À la fin de la guerre, la démobilisation fait revenir de nombreux soldats du Front. Parallèlement, toutes les industries de guerre se trouvent surdimensionnées. À la poudrerie de Pont-de-Buis, l’effectif baisse de 75 % dès le mois de décembre 1918 et la production est divisée par 15. Les ouvriers étrangers, dont de nombreux Kabyles, doivent quitter leurs postes. Idem pour les femmes qu’on incite à retourner dans leurs foyers. « À la poudrerie de Pont-de-Buis, on propose aux femmes une prime pour qu’elles partent plus vite, mais la plupart refusent ! Elles restent jusqu’au bout », raconte l’historien Jérôme Cucarull. 400 licenciements d’ouvrières sont annoncés pour janvier 1918.
Cette intégration temporaire dans le monde ouvrier n’a pas été sans conséquences pour les Bretonnes : « Cela a permis l’arrêt provisoire de l’exode rural. Ce fut un moyen de fixer cette population pendant quatre ans, puis cet exode redémarre dès la fin de la guerre », explique Jérôme Cucarull. Plus généralement, la porosité très importante qui existait entre le monde de la campagne et le monde industriel, tend à diminuer. « La guerre marque une rupture, rappelle le chercheur. On peut de moins en moins avoir cette double activité entre la ferme et l’usine, même si en Bretagne, ce système dure plus longtemps qu’ailleurs. À partir de la fin de la Première Guerre, une rupture plus importante se crée entre le monde rural et le monde ouvrier. »
Pour en savoir plus
« Histoire économique et sociale de la Bretagne », Jérôme Cucarull, éditions JP Gisserot, 2002.« La Bretagne dans la guerre de 1914-1918 : un quotidien bouleversé », article de Didier Guyvarc’h, site Becedia, septembre 2017.
Poudrerie de Pont-de-Buis. Une industrie de la guerre
Pendant la Première Guerre mondiale, le rôle de la poudrerie de Pont-de-Buis, dans le Finistère, devient primordial. Cette industrie créée sous le règne de Louis XIV par Colbert, connaît au XIXe une première phase de modernisation. En 1852, l’usine s’étend sur presque 12 ha et produit de la poudre de mine, de chasse et exceptionnellement de guerre. La production de la poudre B, sans fumée, se développe sous la direction d’Albert Louppe et une gare de marchandises ouvre en 1888.
La poudre est fabriquée à partir de coton-poudre qui provient du Moulin Blanc, près de Brest. La poudrerie prend un essor considérable au cours de la Grande Guerre. « Le passage de la guerre de mouvement à la guerre de position dans les tranchées amène l’élaboration d’une tactique nouvelle, où l’artillerie joue un rôle majeur et où, par contrecoup, les besoins en obus et en poudre vont primer chez tous les belligérants », écrit l’historien Jérôme Cucarull. Les adaptations techniques et productives s’accompagnent d’une augmentation de la main-d’œuvre : les effectifs de l’usine se trouvent multipliés par sept entre 1914 et 1918. En plus des femmes, arrivent des travailleurs étrangers, des ouvriers civils, des militaires et des travailleurs coloniaux. L’afflux de cette nouvelle population bouleverse la société rurale locale : il faut trouver logement et alimentation à ces nouveaux arrivés.
À l’Armistice, la poudrerie prend un nouveau visage avec la chute brutale de la production : les effectifs sont divisés par dix. Malgré ses 193 morts pour la France, l’impact de la guerre est moins visible qu’ailleurs à Pont-de-Buis : l’afflux d’ouvriers venus travailler à l’usine et restés sur place, compense les pertes humaines. Simple hameau entre Saint-Ségal et Quimerc’h, Pont-de-Buis, désormais véritable petite ville, ne deviendra une commune qu’en 1949.
Un livre
Durant quatre ans, un groupe de passionnés d’histoire locale a réalisé un travail de recherche minutieux dans les archives de la poudrerie de Pont-de-Buis, mais également au sein des archives départementales et au Service historique de la Défense à Châtellerault (86), afin d’éclairer, au plus près des sources, cette aventure industrielle et humaine. Parmi les chercheurs amateurs figurent d’ailleurs des anciens employés de l’usine. Leurs recherches ont été coordonnées par Marie-Lyse Cariou, responsable culture et patrimoine de la commune de Pont-de-Buis, et dirigées par Jérôme Cucarull, historien spécialiste de l’histoire économique et sociale de la Bretagne.
Ce long travail collectif a donné lieu à un ouvrage mêlant des iconographies inédites et des textes explicatifs sur l’histoire de la poudrerie durant la Première Guerre mondiale. Une démarche d’écriture historique et citoyenne qui a été l’occasion d’une forme d’appropriation sociale de l’histoire locale.
« Poudre de guerre. Pont-de-Buis 1914-1918. Histoire d’une industrie d’armement ». Ouvrage collectif sous la direction de Jérôme Cucarull, éditions Locus Solus, 2018.
Pendant la Grande Guerre, la poudrerie de Pont-de-Buis tourne de jour comme de nuit. Les besoins en main-d’œuvre sont immenses. L’usine compte 993 ouvriers en 1914 : ils seront 5 600, dont 3 000 ouvrières, à la fin de la guerre.
Pendant la Première Guerre mondiale, l’économie bretonne souffre de l’absence de bras, due à l’appel des hommes sur le Front. Ce sont les femmes qui prennent la relève, aux champs comme à l’usine. Cette nouvelle main-d’œuvre investit le monde ouvrier, qui lui était fermé jusqu’alors. Un frein provisoire à l’exode rural féminin, qui sera de courte durée.
En Bretagne comme ailleurs, le secteur économique va être entièrement mobilisé dans « la guerre totale », dès 1914. Tous les secteurs doivent s’adapter à grande vitesse. L’agroalimentaire ne fait pas exception : l’usine Lu à Nantes, délaisse la production de biscuits pour fabriquer le pain de guerre aux soldats. Les conserveries du pays bigouden, qui font de la conserve de poisson mais aussi de légumes, accroissent leur production. Le secteur agricole est aussi sollicité : « Si des friches apparaissent et si des rendements baissent, la situation dans les campagnes se détériore toutefois moins qu’en ville. D’une part, le travail des femmes, l’aide des enfants, l’emploi des prisonniers de guerre, les permissions accordées aux soldats à partir de 1915 pour les gros travaux de la terre limitent la baisse de la production ; d’autre part, la hausse des prix des produits agricoles améliore les revenus des femmes dans les campagnes », écrit l’historien Didier Guyvarc’h. Dans cette économie libérale mais entièrement contrôlée par l’État, il ne s’agit pas de subvenir uniquement aux besoins du Front, mais aussi d’éviter la pénurie de denrées alimentaires dans les grandes villes.
Des femmes dans les ateliers
L’industrie, qui n’occupe à la veille de la Première Guerre mondiale que 23 % de la main-d’œuvre bretonne, connaît un véritable coup de fouet pour subvenir aux besoins de la guerre. C’est le cas de l’industrie du cuir à Fougères, des arsenaux de Brest et Lorient ou des poudreries. Les hommes sont au Front, on manque de bras : les femmes pénètrent pour la première fois dans un monde ouvrier qui leur était resté fermé jusqu’alors. À la douillerie de l’arsenal de Rennes, elles sont 5 100 en 1918. À la poudrerie de Pont-de-Buis, dans le Finistère, les besoins en main-d’œuvre sont immenses : la production est décuplée entre 1914 et 1916. Les ateliers de fabrication tournent de jour comme de nuit. L’usine compte 993 ouvriers en 1914 : ils seront 5 600, dont 3 000 ouvrières, à la fin de la guerre. Pour recruter ces dernières, l’âge minimum légal est abaissé à 16 ans.
L’arrivée massive de cette main-d’œuvre féminine introduit de nouvelles et provisoires législations : en juillet 1916, le travail de nuit est interdit pour les femmes enceintes. Plus surprenant : une circulaire impose la généralisation des salles d’allaitement pour les entreprises employant plus de 100 femmes de plus de 15 ans. À la poudrerie de Pont-de-Buis, deux salles d’allaitement sont installées à proximité des ateliers, en septembre 1917. Une classe enfantine est même créée dans un baraquement pour accueillir les enfants âgés de 3 à 6 ans.
Ces ouvrières, qui travaillent dans des conditions difficiles, apprennent aussi à se défendre : un mouvement démarre en 1915 dans les ports de pêche et les conserveries puis se généralise en 1917. À Rennes, en juin 1917, les « munitionnettes » de la douillerie sont à la tête d’un mouvement social pour obtenir de meilleurs salaires et davantage de respect de la part de l’encadrement. À la poudrerie de Pont-de-Buis, la quasi-totalité des ouvrières se met en grève en juillet afin de protester contre les cadences infernales et réclamer de meilleurs salaires : elles obtiennent gain de cause.
Le douloureux après-guerre
À la fin de la guerre, la démobilisation fait revenir de nombreux soldats du Front. Parallèlement, toutes les industries de guerre se trouvent surdimensionnées. À la poudrerie de Pont-de-Buis, l’effectif baisse de 75 % dès le mois de décembre 1918 et la production est divisée par 15. Les ouvriers étrangers, dont de nombreux Kabyles, doivent quitter leurs postes. Idem pour les femmes qu’on incite à retourner dans leurs foyers. « À la poudrerie de Pont-de-Buis, on propose aux femmes une prime pour qu’elles partent plus vite, mais la plupart refusent ! Elles restent jusqu’au bout », raconte l’historien Jérôme Cucarull. 400 licenciements d’ouvrières sont annoncés pour janvier 1918.
Cette intégration temporaire dans le monde ouvrier n’a pas été sans conséquences pour les Bretonnes : « Cela a permis l’arrêt provisoire de l’exode rural. Ce fut un moyen de fixer cette population pendant quatre ans, puis cet exode redémarre dès la fin de la guerre », explique Jérôme Cucarull. Plus généralement, la porosité très importante qui existait entre le monde de la campagne et le monde industriel, tend à diminuer. « La guerre marque une rupture, rappelle le chercheur. On peut de moins en moins avoir cette double activité entre la ferme et l’usine, même si en Bretagne, ce système dure plus longtemps qu’ailleurs. À partir de la fin de la Première Guerre, une rupture plus importante se crée entre le monde rural et le monde ouvrier. »
Pour en savoir plus
« Histoire économique et sociale de la Bretagne », Jérôme Cucarull, éditions JP Gisserot, 2002.« La Bretagne dans la guerre de 1914-1918 : un quotidien bouleversé », article de Didier Guyvarc’h, site Becedia, septembre 2017.
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Poudrerie de Pont-de-Buis. Une industrie de la guerre
Pendant la Première Guerre mondiale, le rôle de la poudrerie de Pont-de-Buis, dans le Finistère, devient primordial. Cette industrie créée sous le règne de Louis XIV par Colbert, connaît au XIXe une première phase de modernisation. En 1852, l’usine s’étend sur presque 12 ha et produit de la poudre de mine, de chasse et exceptionnellement de guerre. La production de la poudre B, sans fumée, se développe sous la direction d’Albert Louppe et une gare de marchandises ouvre en 1888.
La poudre est fabriquée à partir de coton-poudre qui provient du Moulin Blanc, près de Brest. La poudrerie prend un essor considérable au cours de la Grande Guerre. « Le passage de la guerre de mouvement à la guerre de position dans les tranchées amène l’élaboration d’une tactique nouvelle, où l’artillerie joue un rôle majeur et où, par contrecoup, les besoins en obus et en poudre vont primer chez tous les belligérants », écrit l’historien Jérôme Cucarull. Les adaptations techniques et productives s’accompagnent d’une augmentation de la main-d’œuvre : les effectifs de l’usine se trouvent multipliés par sept entre 1914 et 1918. En plus des femmes, arrivent des travailleurs étrangers, des ouvriers civils, des militaires et des travailleurs coloniaux. L’afflux de cette nouvelle population bouleverse la société rurale locale : il faut trouver logement et alimentation à ces nouveaux arrivés.
À l’Armistice, la poudrerie prend un nouveau visage avec la chute brutale de la production : les effectifs sont divisés par dix. Malgré ses 193 morts pour la France, l’impact de la guerre est moins visible qu’ailleurs à Pont-de-Buis : l’afflux d’ouvriers venus travailler à l’usine et restés sur place, compense les pertes humaines. Simple hameau entre Saint-Ségal et Quimerc’h, Pont-de-Buis, désormais véritable petite ville, ne deviendra une commune qu’en 1949.
Un livre
Durant quatre ans, un groupe de passionnés d’histoire locale a réalisé un travail de recherche minutieux dans les archives de la poudrerie de Pont-de-Buis, mais également au sein des archives départementales et au Service historique de la Défense à Châtellerault (86), afin d’éclairer, au plus près des sources, cette aventure industrielle et humaine. Parmi les chercheurs amateurs figurent d’ailleurs des anciens employés de l’usine. Leurs recherches ont été coordonnées par Marie-Lyse Cariou, responsable culture et patrimoine de la commune de Pont-de-Buis, et dirigées par Jérôme Cucarull, historien spécialiste de l’histoire économique et sociale de la Bretagne.
Ce long travail collectif a donné lieu à un ouvrage mêlant des iconographies inédites et des textes explicatifs sur l’histoire de la poudrerie durant la Première Guerre mondiale. Une démarche d’écriture historique et citoyenne qui a été l’occasion d’une forme d’appropriation sociale de l’histoire locale.
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