Comment Clemenceau a vécu le 11 novembre 1918
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Comment Clemenceau a vécu le 11 novembre 1918
Par Michel DERRIEN ouest francais
À 76 ans, le 16 novembre 1917, il devient président du Conseil pour la seconde fois. Chef du gouvernement français et ministre de la Guerre, Georges Clemenceau (1841-1929) a consacré toute son énergie à vivre cette journée particulière du 11 novembre 2018. « Le Tigre » y gagnera un nouveau surnom, celui de « Père la Victoire ».
Coiffé de son bonnet gris, le chef du gouvernement français n’a pas beaucoup dormi dans la nuit du 10 au 11 novembre. À 6 h 15, Georges Clemenceau est debout lorsque le général Mordacq, son aide de camp, franchit le porche du 8, rue Benjamin Franklin dans le 16e arrondissement de Paris.
Celui qu’on surnomme « le Tigre » a toujours refusé de loger dans les palais de la République, que sa fonction l’autorise pourtant à habiter. Mordacq tombe dans les bras de celui qu’on va vite appeler « le Père la Victoire ». Il vient lui annoncer que les Allemands ont fini par signer l’armistice : « La grande œuvre est enfin accomplie. Elle fut surhumaine et la France, je l’espère, saura reconnaître tout ce qu’elle vous doit… »
« Oui, à moi et à d’autres », répond le vieil homme.
Clemenceau coiffé de son célèbre bonnet gris, à son bureau, chez lui à Paris, rue Benjamin Franklin. (Photo : archives Musée Clemenceau
Une image familière qu’on ne verra plus : Clemenceau au front, rendant visite aux Poilus. (Photo : archives Musée Clemenceau)
Clemenceau gagne son bureau du ministère de la Guerre plus tôt que d’habitude. L’y attend une lettre du président de la République, Raymond Poincaré. Les deux hommes se détestent. « Laissez-moi vous adresser à vous-même et vous prier aussi de transmettre au maréchal Foch […], au général Pétain […], à tous les généraux, officiers, sous-officiers et soldats, l’expression de ma reconnaissance et de mon admiration. […] »
Clemenceau reçoit aussi la visite de sa famille : enfants, frères, sœurs, neveux, petits-enfants… Une femme est particulièrement émue. Entièrement vêtue de noir, elle porte le deuil de son mari, le capitaine Jung, qu’elle a épousé trois mois et demi plus tôt et qui a été tué le 8 octobre à Verdun. « Ma pauvre enfant », lance le président du Conseil en embrassant Thérèse Jung-Clemenceau, sa fille. « Oh ! il faut être contente aujourd’hui ! », répond-elle.
La journée va être longue. Clemenceau voudrait réserver l’annonce officielle de la capitulation de l’Allemagne à l’Assemblée nationale mais il y a trop de gens au courant. La censure demandée ne peut empêcher une si grande nouvelle de circuler.
Paris fête déjà la nouvelle. Les boulevards sont pris d’assaut. Usines, administrations, bureaux, écoles ont donné congé pour fêter la victoire. On chante partout La Marseillaise.
Sur les grands boulevards de Paris, la foule en liesse laisse éclater sa joie. La guerre est finie ! (Photo : archives AFP)
Foch (2e à droite) et la délégation alliée qui a arraché l’armistice à l’Allemagne, dans la clairière de Rethondes à Compiègne, (Oise). (Photo : archives AFP)
Clemenceau à la tribune de l’Assemblée, le 11 novembre 1918. (Photo : DR)
La foule devant l’Assemblée nationale le 11 novembre attend Clemenceau. (Photo : archives Assemblée nationale)
15 h 30. Clemenceau est à l’Élysée. Poincaré lui donne l’accolade. Surpris, le Tigre sourit : « Depuis ce matin, j’ai été embrassé par 500 jeunes filles. »
Direction l’Assemblée nationale, qu’il a toutes les peines du monde à atteindre en voiture. Dans l’Hémicycle bondé, c’est pareil, il lui faut serrer des dizaines de mains. À 16 h, il monte à la tribune, ajuste ses lorgnons et lit le texte de l’armistice. Il est fréquemment interrompu par des ovations. « Il me semble qu’en cette heure terrible, grande et magnifique, mon devoir est accompli. »
16 h 30. Clemenceau doit aller au Sénat. Avant qu’il ne parte, députés, invités, journalistes, membres des corps diplomatiques entonnent, debout, La Marseillaise.
Mêmes scènes de liesse au Sénat. Quand il revient au ministère, rue Saint-Dominique, une foule compacte l’attend. Le Tigre doit apparaître au balcon pour satisfaire les gens massés là. « Mes amis criez avec moi : vive la France ! »
« Maintenant il va falloir gagner la paix »
21 h. Clemenceau est enfin de retour chez lui en famille et entouré d’amis. « Nous avons gagné la guerre et non sans peine, maintenant il va falloir gagner la paix, et ce sera peut-être encore plus difficile… surtout avec tous nos Alliés », lance-t-il.
La journée n’est pas finie. Il aimerait aller se coucher, mais devant l’insistance de sa fille Thérèse, il accepte d’aller écouter la cantatrice Marthe Chenal, qui doit chanter place de l’Opéra. On a loué pour lui un salon dans le Grand Hôtel. Il pourra tout voir sans être vu.
La place est noire de monde. Éclairé d’un faisceau de lumière bleue, le baryton belge Noté sonne du clairon à l’entrée du grand escalier de l’Opéra. Puis, drapée dans les plis du drapeau tricolore, surgit Marthe Chenal, qui entame une vibrante Marseillaise, reprise en chœur par 50 000 personnes. Ému, Clemenceau écarte le rideau et met un pied sur le balcon pour mieux voir.
On l’a reconnu. « Clemenceau ! c’est Clemenceau ! » C’en est fini de l’incognito. Il regagne le salon. On tire les rideaux. Mais c’est trop tard. La foule scande son nom. Le réclame. Clemenceau se terre. Il faudra bien partir pourtant. Au bout d’une heure, il tente une sortie pour regagner sa Rolls Royce garée devant l’hôtel. Le Tigre est happé par la foule qui n’a pas bougé puis le porte en triomphe… pour le déposer dans sa voiture.
Lentement, péniblement la Rolls Royce fend la foule d’admirateurs qui s’écartent avec regret. Clemenceau peut enfin rentrer chez lui après une journée historique.
À 76 ans, le 16 novembre 1917, il devient président du Conseil pour la seconde fois. Chef du gouvernement français et ministre de la Guerre, Georges Clemenceau (1841-1929) a consacré toute son énergie à vivre cette journée particulière du 11 novembre 2018. « Le Tigre » y gagnera un nouveau surnom, celui de « Père la Victoire ».
Coiffé de son bonnet gris, le chef du gouvernement français n’a pas beaucoup dormi dans la nuit du 10 au 11 novembre. À 6 h 15, Georges Clemenceau est debout lorsque le général Mordacq, son aide de camp, franchit le porche du 8, rue Benjamin Franklin dans le 16e arrondissement de Paris.
Celui qu’on surnomme « le Tigre » a toujours refusé de loger dans les palais de la République, que sa fonction l’autorise pourtant à habiter. Mordacq tombe dans les bras de celui qu’on va vite appeler « le Père la Victoire ». Il vient lui annoncer que les Allemands ont fini par signer l’armistice : « La grande œuvre est enfin accomplie. Elle fut surhumaine et la France, je l’espère, saura reconnaître tout ce qu’elle vous doit… »
« Oui, à moi et à d’autres », répond le vieil homme.
Clemenceau coiffé de son célèbre bonnet gris, à son bureau, chez lui à Paris, rue Benjamin Franklin. (Photo : archives Musée Clemenceau
Une image familière qu’on ne verra plus : Clemenceau au front, rendant visite aux Poilus. (Photo : archives Musée Clemenceau)
Clemenceau gagne son bureau du ministère de la Guerre plus tôt que d’habitude. L’y attend une lettre du président de la République, Raymond Poincaré. Les deux hommes se détestent. « Laissez-moi vous adresser à vous-même et vous prier aussi de transmettre au maréchal Foch […], au général Pétain […], à tous les généraux, officiers, sous-officiers et soldats, l’expression de ma reconnaissance et de mon admiration. […] »
Clemenceau reçoit aussi la visite de sa famille : enfants, frères, sœurs, neveux, petits-enfants… Une femme est particulièrement émue. Entièrement vêtue de noir, elle porte le deuil de son mari, le capitaine Jung, qu’elle a épousé trois mois et demi plus tôt et qui a été tué le 8 octobre à Verdun. « Ma pauvre enfant », lance le président du Conseil en embrassant Thérèse Jung-Clemenceau, sa fille. « Oh ! il faut être contente aujourd’hui ! », répond-elle.
Paris fête la capitulation de l’Allemagne
La journée va être longue. Clemenceau voudrait réserver l’annonce officielle de la capitulation de l’Allemagne à l’Assemblée nationale mais il y a trop de gens au courant. La censure demandée ne peut empêcher une si grande nouvelle de circuler.
Paris fête déjà la nouvelle. Les boulevards sont pris d’assaut. Usines, administrations, bureaux, écoles ont donné congé pour fêter la victoire. On chante partout La Marseillaise.
Sur les grands boulevards de Paris, la foule en liesse laisse éclater sa joie. La guerre est finie ! (Photo : archives AFP)
Foch (2e à droite) et la délégation alliée qui a arraché l’armistice à l’Allemagne, dans la clairière de Rethondes à Compiègne, (Oise). (Photo : archives AFP)
Clemenceau à la tribune de l’Assemblée, le 11 novembre 1918. (Photo : DR)
La foule devant l’Assemblée nationale le 11 novembre attend Clemenceau. (Photo : archives Assemblée nationale)
15 h 30. Clemenceau est à l’Élysée. Poincaré lui donne l’accolade. Surpris, le Tigre sourit : « Depuis ce matin, j’ai été embrassé par 500 jeunes filles. »
Direction l’Assemblée nationale, qu’il a toutes les peines du monde à atteindre en voiture. Dans l’Hémicycle bondé, c’est pareil, il lui faut serrer des dizaines de mains. À 16 h, il monte à la tribune, ajuste ses lorgnons et lit le texte de l’armistice. Il est fréquemment interrompu par des ovations. « Il me semble qu’en cette heure terrible, grande et magnifique, mon devoir est accompli. »
16 h 30. Clemenceau doit aller au Sénat. Avant qu’il ne parte, députés, invités, journalistes, membres des corps diplomatiques entonnent, debout, La Marseillaise.
Mêmes scènes de liesse au Sénat. Quand il revient au ministère, rue Saint-Dominique, une foule compacte l’attend. Le Tigre doit apparaître au balcon pour satisfaire les gens massés là. « Mes amis criez avec moi : vive la France ! »
« Maintenant il va falloir gagner la paix »
21 h. Clemenceau est enfin de retour chez lui en famille et entouré d’amis. « Nous avons gagné la guerre et non sans peine, maintenant il va falloir gagner la paix, et ce sera peut-être encore plus difficile… surtout avec tous nos Alliés », lance-t-il.
La journée n’est pas finie. Il aimerait aller se coucher, mais devant l’insistance de sa fille Thérèse, il accepte d’aller écouter la cantatrice Marthe Chenal, qui doit chanter place de l’Opéra. On a loué pour lui un salon dans le Grand Hôtel. Il pourra tout voir sans être vu.
La place est noire de monde. Éclairé d’un faisceau de lumière bleue, le baryton belge Noté sonne du clairon à l’entrée du grand escalier de l’Opéra. Puis, drapée dans les plis du drapeau tricolore, surgit Marthe Chenal, qui entame une vibrante Marseillaise, reprise en chœur par 50 000 personnes. Ému, Clemenceau écarte le rideau et met un pied sur le balcon pour mieux voir.
On l’a reconnu. « Clemenceau ! c’est Clemenceau ! » C’en est fini de l’incognito. Il regagne le salon. On tire les rideaux. Mais c’est trop tard. La foule scande son nom. Le réclame. Clemenceau se terre. Il faudra bien partir pourtant. Au bout d’une heure, il tente une sortie pour regagner sa Rolls Royce garée devant l’hôtel. Le Tigre est happé par la foule qui n’a pas bougé puis le porte en triomphe… pour le déposer dans sa voiture.
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