Le 11 novembre 1918 en Bretagne
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Le 11 novembre 1918 en Bretagne
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Si le 11 novembre 1918 est solidement inscrit dans la mémoire nationale, cette date n’est pas sans paradoxes. Espéré depuis août 1914 et le déclenchement des hostilités, l’Armistice surprend les états-majors qui avaient déjà planifié des offensives pour le printemps 1919. Pire encore, le 11 novembre 1918 est mal compris. L’Armistice n’est en effet pas la paix mais une suspension provisoire des combats. En Bretagne comme ailleurs, il faudra attendre encore de longs mois pour que les poilus reviennent dans leurs foyers et tentent de renouer avec la vie « d’avant ».
Saint-Brieuc, 11 novembre 1918, 11 h 30, devant une place décrite comme « noire de monde » par le Moniteur des Côtes-du-Nord, le maire Henri Servain apparaît au balcon de l’hôtel de ville et prononce ces quelques mots :
« L’armistice est signé. Les hostilités cessent à midi. Vive la France ! »
Immédiatement, « une immense acclamation retentit » et la foule scande « Vive la France ! » et « Vive M. Le Maire ! ». La musique municipale entonne La Marseillaise, reprise de suite en chœur par l’assistance. Comme un lointain écho du sinistre glas du 1er août 1914, les cloches de la cathédrale propagent la nouvelle en sonnant « à toute volée », bientôt imitées par « toutes les autres églises ». Dans le port du Légué, les navires amarrés hissent le grand pavois. À en croire l’hebdomadaire, « l’enthousiasme est très grand ».
Loin de nous bien entendu l’idée de vouloir remettre en question ce récit de la journée du 11 novembre 1918. Pourtant, à Saint-Brieuc comme ailleurs, l’annonce de l’Armistice est un moment plus ambigu qu’il n’y paraît, où se mêlent, certes une joie immense, mais aussi la surprise face à une nouvelle qu’on n’ose plus vraiment attendre et un contexte particulièrement difficile. Autant d’éléments qui expliquent pourquoi cet évènement est mal compris par les contemporains.
UNE SURPRISE ?
Henri Servain, le maire de Saint-Brieuc, dit d’ailleurs bien cette ambivalence, lui qui a la douleur de perdre en octobre 1915 son fils, sous-officier de carrière emporté par une « maladie contractée en service ». Il faut donc nuancer les scènes de liesse rapportées par la presse qui, si elles sont bien réelles, ne disent rien des familles trop éprouvées par le deuil pour célébrer la victoire.
Pourtant, à lire les journaux de l’époque, il serait tentant de présumer que la nouvelle de la cessation des hostilités sur le front ouest était chose prévisible. La situation est telle qu’à la fin du mois d’octobre 1918 Le Nouvelliste du Morbihan lance auprès de ses lecteurs un grand jeu concours : celui ou celle qui pronostiquera le jour exact où finira la guerre gagnera un bon de la Défense nationale d’une valeur de 300 francs… Mais la fin de la guerre est espérée depuis tellement longtemps qu’on n’ose plus vraiment y croire.
Selon L’Ouest-Éclair, la journée du 11 novembre 1918 est à Rennes « émouvante, patriotique, d’un enthousiasme débordant ». À Brest, à Redon, à Nantes ou encore à Lannion on retrouve les mêmes scènes de liesse rapportées par la presse. Aux armées, les poilus se montrent peu prolixes dans leurs correspondances et carnets. La joie est assombrie par le souvenir des compagnons d’armes tombés au champ d’honneur. Surtout, elle est de courte durée. Le 10 janvier 1919, Loeiz Herrieu écrit ainsi – en breton – à sa femme : « Bout e zo tud varù hag e zo eursoh eit er rè biù hag e zob et ér brezél… / Il est certainement des morts qui sont plus heureux que les vivants qui vont revenir de la guerre… »
ENTRE GRIPPE ET PÉNURIES
Il est vrai que l’Armistice intervient dans un climat très lourd, marqué par une épidémie de grippe dite « espagnole » dont on oublie trop souvent qu’elle fait plus de morts que le conflit lui-même et qui enregistre alors son pic. Dans le Morbihan, le préfet prend un arrêté exigeant des élèves à l’occasion de la rentrée scolaire « un certificat médical constatant qu’ils ne sont pas atteints de la grippe et qu’il n’y a, dans leur famille, aucun cas contagieux ».
À cela s’ajoutent les rigueurs d’un rationnement qui, instauré en 1917, promet de se faire toujours aussi sévère pour 1919. En novembre 1918, sur les marchés, on cherche, trop souvent en vain, beurre, œufs, viande… Même le charbon, indispensable pour se chauffer, est rare.
Sans doute est-ce ce contexte particulièrement difficile qui, pour une large part, permet d’expliquer que la nouvelle de l’Armistice soit aussi mal comprise. En effet, celui-ci n’est pas la paix mais une suspension provisoire des combats. Dès lors, le conflit pouvant reprendre d’un instant à l’autre, il est illusoire de voir l’autorité militaire démobiliser en masse les poilus. Il faudra d’ailleurs attendre l’été 1919 pour que ceux-ci reviennent enfin dans leurs foyers. L’attente est donc vraiment très longue, encore plus pour ceux que la guerre a surpris en août 1914 en train d’effectuer leur service militaire : certains se trouvent ainsi sous les drapeaux depuis octobre 1912 !
Le 11 novembre 1918 ne marque donc pas la fin de la guerre. Pour autant, malgré un effroyable bilan humain – 130 000 poilus morts pour la France – la Bretagne apparaît comme un espace relativement préservé. Dans les confins orientaux du bassin méditerranéen, la guerre ne cessera qu’en 1923, avec le traité de Lausanne définissant les frontières de cette Turquie née de l’effondrement de l’Empire ottoman et organisant de vastes transferts de populations avec la Grèce.
Erwan Le Gall
Docteur en histoire contemporaine
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Si le 11 novembre 1918 est solidement inscrit dans la mémoire nationale, cette date n’est pas sans paradoxes. Espéré depuis août 1914 et le déclenchement des hostilités, l’Armistice surprend les états-majors qui avaient déjà planifié des offensives pour le printemps 1919. Pire encore, le 11 novembre 1918 est mal compris. L’Armistice n’est en effet pas la paix mais une suspension provisoire des combats. En Bretagne comme ailleurs, il faudra attendre encore de longs mois pour que les poilus reviennent dans leurs foyers et tentent de renouer avec la vie « d’avant ».
Saint-Brieuc, 11 novembre 1918, 11 h 30, devant une place décrite comme « noire de monde » par le Moniteur des Côtes-du-Nord, le maire Henri Servain apparaît au balcon de l’hôtel de ville et prononce ces quelques mots :
« L’armistice est signé. Les hostilités cessent à midi. Vive la France ! »
Immédiatement, « une immense acclamation retentit » et la foule scande « Vive la France ! » et « Vive M. Le Maire ! ». La musique municipale entonne La Marseillaise, reprise de suite en chœur par l’assistance. Comme un lointain écho du sinistre glas du 1er août 1914, les cloches de la cathédrale propagent la nouvelle en sonnant « à toute volée », bientôt imitées par « toutes les autres églises ». Dans le port du Légué, les navires amarrés hissent le grand pavois. À en croire l’hebdomadaire, « l’enthousiasme est très grand ».
Loin de nous bien entendu l’idée de vouloir remettre en question ce récit de la journée du 11 novembre 1918. Pourtant, à Saint-Brieuc comme ailleurs, l’annonce de l’Armistice est un moment plus ambigu qu’il n’y paraît, où se mêlent, certes une joie immense, mais aussi la surprise face à une nouvelle qu’on n’ose plus vraiment attendre et un contexte particulièrement difficile. Autant d’éléments qui expliquent pourquoi cet évènement est mal compris par les contemporains.
UNE SURPRISE ?
Henri Servain, le maire de Saint-Brieuc, dit d’ailleurs bien cette ambivalence, lui qui a la douleur de perdre en octobre 1915 son fils, sous-officier de carrière emporté par une « maladie contractée en service ». Il faut donc nuancer les scènes de liesse rapportées par la presse qui, si elles sont bien réelles, ne disent rien des familles trop éprouvées par le deuil pour célébrer la victoire.
Pourtant, à lire les journaux de l’époque, il serait tentant de présumer que la nouvelle de la cessation des hostilités sur le front ouest était chose prévisible. La situation est telle qu’à la fin du mois d’octobre 1918 Le Nouvelliste du Morbihan lance auprès de ses lecteurs un grand jeu concours : celui ou celle qui pronostiquera le jour exact où finira la guerre gagnera un bon de la Défense nationale d’une valeur de 300 francs… Mais la fin de la guerre est espérée depuis tellement longtemps qu’on n’ose plus vraiment y croire.
Selon L’Ouest-Éclair, la journée du 11 novembre 1918 est à Rennes « émouvante, patriotique, d’un enthousiasme débordant ». À Brest, à Redon, à Nantes ou encore à Lannion on retrouve les mêmes scènes de liesse rapportées par la presse. Aux armées, les poilus se montrent peu prolixes dans leurs correspondances et carnets. La joie est assombrie par le souvenir des compagnons d’armes tombés au champ d’honneur. Surtout, elle est de courte durée. Le 10 janvier 1919, Loeiz Herrieu écrit ainsi – en breton – à sa femme : « Bout e zo tud varù hag e zo eursoh eit er rè biù hag e zob et ér brezél… / Il est certainement des morts qui sont plus heureux que les vivants qui vont revenir de la guerre… »
ENTRE GRIPPE ET PÉNURIES
Il est vrai que l’Armistice intervient dans un climat très lourd, marqué par une épidémie de grippe dite « espagnole » dont on oublie trop souvent qu’elle fait plus de morts que le conflit lui-même et qui enregistre alors son pic. Dans le Morbihan, le préfet prend un arrêté exigeant des élèves à l’occasion de la rentrée scolaire « un certificat médical constatant qu’ils ne sont pas atteints de la grippe et qu’il n’y a, dans leur famille, aucun cas contagieux ».
À cela s’ajoutent les rigueurs d’un rationnement qui, instauré en 1917, promet de se faire toujours aussi sévère pour 1919. En novembre 1918, sur les marchés, on cherche, trop souvent en vain, beurre, œufs, viande… Même le charbon, indispensable pour se chauffer, est rare.
Sans doute est-ce ce contexte particulièrement difficile qui, pour une large part, permet d’expliquer que la nouvelle de l’Armistice soit aussi mal comprise. En effet, celui-ci n’est pas la paix mais une suspension provisoire des combats. Dès lors, le conflit pouvant reprendre d’un instant à l’autre, il est illusoire de voir l’autorité militaire démobiliser en masse les poilus. Il faudra d’ailleurs attendre l’été 1919 pour que ceux-ci reviennent enfin dans leurs foyers. L’attente est donc vraiment très longue, encore plus pour ceux que la guerre a surpris en août 1914 en train d’effectuer leur service militaire : certains se trouvent ainsi sous les drapeaux depuis octobre 1912 !
Le 11 novembre 1918 ne marque donc pas la fin de la guerre. Pour autant, malgré un effroyable bilan humain – 130 000 poilus morts pour la France – la Bretagne apparaît comme un espace relativement préservé. Dans les confins orientaux du bassin méditerranéen, la guerre ne cessera qu’en 1923, avec le traité de Lausanne définissant les frontières de cette Turquie née de l’effondrement de l’Empire ottoman et organisant de vastes transferts de populations avec la Grèce.
Erwan Le Gall
Docteur en histoire contemporaine
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