L’étonnante histoire de la France... il y a vingt mille ans
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L’étonnante histoire de la France... il y a vingt mille ans
20 novembre 2018 / Jean-Pierre Tuquoi (Reporterre)
À quoi ressemblait le territoire qu’on appelle la France avant que les humains n’en modèlent en profondeur les paysages ? Stéphane Durand, dans « 20.000 ans ou la grande histoire de la nature », s’est attelé à cette vertigineuse entreprise, riche en surprises.
C’est une histoire de France inhabituelle que celle que nous livre Stéphane Durand. Cette fois, il ne s’agit pas de raconter des guerres et des batailles, de ressusciter « nos ancêtres les Gaulois », d’exhumer des monuments ou de « grands hommes »… Le parti pris est à la fois plus ambitieux et plus déroutant. Avec sa « grande histoire de la nature », ce sont plusieurs dizaines de milliers d’années que l’auteur fait défiler sans que l’homme en soit ni le héros ni le démiurge. La nature occupe la place centrale. Le changement de perspective est total. « Il s’agit, explique l’auteur, biologiste et ornithologue, de raconter 20.000 ans de l’histoire de France (…) depuis les écosystèmes qui ont fait notre pays et du point de vue des animaux et des plantes sauvages qui le peuplent. » Autrement dit, le livre entend répondre à des questions comme celle-ci : à quoi ressemblait ce territoire baptisé la France au maximum du dernier âge de l’ère glaciaire lorsqu’une poignée d’hommes peignaient des fresques sur les parois de Lascaux ou de la grotte Chauvet ? Quels paysages traversaient les hommes du néolithique ? À quoi ressemblait la Gaule lorsqu’elle fut conquise par Jules César ? Quelle influence sur la végétation et la faune les hommes du Moyen Âge et leurs descendants ont-ils exercée ?
Ce voyage au long cours, lesté de multiples références bibliographiques, s’intéresse à tout, aux végétaux comme aux animaux, au climat aussi bien qu’à l’hydrologie, à la vie aquatique et à celle du sous-sol. Le périple est étourdissant et réserve son lot de surprises. Au fil des pages, parfois très denses, le lecteur non averti apprendra qu’il y a 20.000 ans, à l’âge glaciaire, la future France n’était qu’une morne plaine abandonnée par les premiers hommes, un désert stérile balayé par un vent froid et traversé par un filet d’eau douce, la Manche, alimenté par la Seine, la Tamise, le Rhin et quelques autres torrents. Il fallait descendre au sud de l’Ardèche pour retrouver un semblant de végétation, une sorte de steppe-toundra où saules, pins maritimes, bouleaux proliféraient au milieu des herbes. C’était le royaume des bisons des steppes, des rennes, des loups, des lions… À cette époque, « l’Aquitaine est le dernier refuge de vie dans une France réduite à un vaste désert », écrit Stéphane Durand.
Avec la fin de l’ère glaciaire, les arbres — chênes, bouleaux, hêtres, pins, aulnes… — ont pris leur revanche et, depuis leurs refuges méridionaux, ont gagné le nord à la vitesse stupéfiante de 2 km par an — une vitesse cent fois supérieure à celle observée aujourd’hui, selon les botanistes (bien incapables d’expliquer le phénomène). Dans leur sillage, mais en empruntant des routes souvent impossibles à retracer, le petit peuple des forêts a migré. C’est l’époque où un écureuil pouvait sauter d’arbre en arbre, de l’Aquitaine à la Lorraine, des rives de la Méditerranée à la Bretagne.
« Nous sommes parvenus à transformer notre pays en un désert »
De cette forêt, on ne sait pas grand-chose. « Aucun témoignage direct de la grande forêt vierge française ne nous est parvenu », note l’auteur. Seule certitude : à l’époque gauloise, il n’en subsistait déjà plus que des lambeaux (alors qu’elle se maintiendra longtemps de l’autre côté du Rhin). Le déboisement est l’œuvre de l’homme.
Aujourd’hui, l’arbre bénéficie d’un statut plus positif dans la conscience collective mais il n’est pas mieux traité pour autant. « Nous sommes incapables de préciser l’espérance de vie des arbres de nos forêts, car cela fait des millénaires que nous les coupons bien avant qu’ils n’atteignent l’âge de la maturité », fait observer l’auteur. Et d’ajouter : « On pense par exemple que le chêne sessile peut vivre cinq cents à mille ans, sans plus de précision. C’est plutôt flou. Quant au hêtre, on estime généralement qu’il peut atteindre trois cents ans alors même que l’on connait certains individus vénérables dépassant les cinq cents ans. » L’imprécision vaut tout autant pour leur taille. Naguère, les arbres de nos contrées s’élançaient bien plus haut qu’aujourd’hui dans le ciel.
Des bouleversements tout aussi spectaculaires marquent l’histoire des cours d’eau. Les modifications climatiques au cours des âges en ont fréquemment modifié le tracé (le cours de la Seine à Lutèce était de huit kilomètres plus long qu’actuellement). Mais désormais l’action acharnée des hommes a pris le relais. Les rivières sont domestiquées, leur cours modifié, et la vie qu’elles abritent malmenée. Le phénomène n’est pas récent, note l’auteur. Dès le Moyen Âge, la liberté des rivières était remise en cause par l’Homme.
De tous ces bouleversements successifs décrits d’une plume alerte se dégage un constat. La nature est faite d’interactions innombrables qui ont mis en jeu et continuent à mettre en jeu des millions d’acteurs anonymes, souvent étrangers l’un à l’autre. Les vers de terre aussi bien que les arbres — morts ou vivants —, les champignons autant que les moules perlières ou les moineaux ont composé le tableau de la France actuelle. L’Homme n’est intervenu qu’il y a peu mais c’est à lui que l’on doit l’appauvrissement de la luxuriance de naguère. « Nous sommes parvenus à transformer notre pays en un désert », assure tristement Stéphane Durand avant de conclure : « Mais soyez rassurés : avec la nature, nous ne sommes jamais au bout de nos surprises. »
20.000 ans ou la grande histoire de la nature, de Stéphane Durand, collection Mondes sauvages. Pour une nouvelle alliance, éditions Actes Sud, octobre 2018, 256 p., 22 €.
À quoi ressemblait le territoire qu’on appelle la France avant que les humains n’en modèlent en profondeur les paysages ? Stéphane Durand, dans « 20.000 ans ou la grande histoire de la nature », s’est attelé à cette vertigineuse entreprise, riche en surprises.
C’est une histoire de France inhabituelle que celle que nous livre Stéphane Durand. Cette fois, il ne s’agit pas de raconter des guerres et des batailles, de ressusciter « nos ancêtres les Gaulois », d’exhumer des monuments ou de « grands hommes »… Le parti pris est à la fois plus ambitieux et plus déroutant. Avec sa « grande histoire de la nature », ce sont plusieurs dizaines de milliers d’années que l’auteur fait défiler sans que l’homme en soit ni le héros ni le démiurge. La nature occupe la place centrale. Le changement de perspective est total. « Il s’agit, explique l’auteur, biologiste et ornithologue, de raconter 20.000 ans de l’histoire de France (…) depuis les écosystèmes qui ont fait notre pays et du point de vue des animaux et des plantes sauvages qui le peuplent. » Autrement dit, le livre entend répondre à des questions comme celle-ci : à quoi ressemblait ce territoire baptisé la France au maximum du dernier âge de l’ère glaciaire lorsqu’une poignée d’hommes peignaient des fresques sur les parois de Lascaux ou de la grotte Chauvet ? Quels paysages traversaient les hommes du néolithique ? À quoi ressemblait la Gaule lorsqu’elle fut conquise par Jules César ? Quelle influence sur la végétation et la faune les hommes du Moyen Âge et leurs descendants ont-ils exercée ?
Ce voyage au long cours, lesté de multiples références bibliographiques, s’intéresse à tout, aux végétaux comme aux animaux, au climat aussi bien qu’à l’hydrologie, à la vie aquatique et à celle du sous-sol. Le périple est étourdissant et réserve son lot de surprises. Au fil des pages, parfois très denses, le lecteur non averti apprendra qu’il y a 20.000 ans, à l’âge glaciaire, la future France n’était qu’une morne plaine abandonnée par les premiers hommes, un désert stérile balayé par un vent froid et traversé par un filet d’eau douce, la Manche, alimenté par la Seine, la Tamise, le Rhin et quelques autres torrents. Il fallait descendre au sud de l’Ardèche pour retrouver un semblant de végétation, une sorte de steppe-toundra où saules, pins maritimes, bouleaux proliféraient au milieu des herbes. C’était le royaume des bisons des steppes, des rennes, des loups, des lions… À cette époque, « l’Aquitaine est le dernier refuge de vie dans une France réduite à un vaste désert », écrit Stéphane Durand.
Avec la fin de l’ère glaciaire, les arbres — chênes, bouleaux, hêtres, pins, aulnes… — ont pris leur revanche et, depuis leurs refuges méridionaux, ont gagné le nord à la vitesse stupéfiante de 2 km par an — une vitesse cent fois supérieure à celle observée aujourd’hui, selon les botanistes (bien incapables d’expliquer le phénomène). Dans leur sillage, mais en empruntant des routes souvent impossibles à retracer, le petit peuple des forêts a migré. C’est l’époque où un écureuil pouvait sauter d’arbre en arbre, de l’Aquitaine à la Lorraine, des rives de la Méditerranée à la Bretagne.
« Nous sommes parvenus à transformer notre pays en un désert »
De cette forêt, on ne sait pas grand-chose. « Aucun témoignage direct de la grande forêt vierge française ne nous est parvenu », note l’auteur. Seule certitude : à l’époque gauloise, il n’en subsistait déjà plus que des lambeaux (alors qu’elle se maintiendra longtemps de l’autre côté du Rhin). Le déboisement est l’œuvre de l’homme.
Aujourd’hui, l’arbre bénéficie d’un statut plus positif dans la conscience collective mais il n’est pas mieux traité pour autant. « Nous sommes incapables de préciser l’espérance de vie des arbres de nos forêts, car cela fait des millénaires que nous les coupons bien avant qu’ils n’atteignent l’âge de la maturité », fait observer l’auteur. Et d’ajouter : « On pense par exemple que le chêne sessile peut vivre cinq cents à mille ans, sans plus de précision. C’est plutôt flou. Quant au hêtre, on estime généralement qu’il peut atteindre trois cents ans alors même que l’on connait certains individus vénérables dépassant les cinq cents ans. » L’imprécision vaut tout autant pour leur taille. Naguère, les arbres de nos contrées s’élançaient bien plus haut qu’aujourd’hui dans le ciel.
Des bouleversements tout aussi spectaculaires marquent l’histoire des cours d’eau. Les modifications climatiques au cours des âges en ont fréquemment modifié le tracé (le cours de la Seine à Lutèce était de huit kilomètres plus long qu’actuellement). Mais désormais l’action acharnée des hommes a pris le relais. Les rivières sont domestiquées, leur cours modifié, et la vie qu’elles abritent malmenée. Le phénomène n’est pas récent, note l’auteur. Dès le Moyen Âge, la liberté des rivières était remise en cause par l’Homme.
De tous ces bouleversements successifs décrits d’une plume alerte se dégage un constat. La nature est faite d’interactions innombrables qui ont mis en jeu et continuent à mettre en jeu des millions d’acteurs anonymes, souvent étrangers l’un à l’autre. Les vers de terre aussi bien que les arbres — morts ou vivants —, les champignons autant que les moules perlières ou les moineaux ont composé le tableau de la France actuelle. L’Homme n’est intervenu qu’il y a peu mais c’est à lui que l’on doit l’appauvrissement de la luxuriance de naguère. « Nous sommes parvenus à transformer notre pays en un désert », assure tristement Stéphane Durand avant de conclure : « Mais soyez rassurés : avec la nature, nous ne sommes jamais au bout de nos surprises. »
20.000 ans ou la grande histoire de la nature, de Stéphane Durand, collection Mondes sauvages. Pour une nouvelle alliance, éditions Actes Sud, octobre 2018, 256 p., 22 €.
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