Quand les (faux) carnets intimes d’Hitler faisaient la une
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Quand les (faux) carnets intimes d’Hitler faisaient la une
Correspondance, Nicolas MONTARD
En 1983, une drôle d’affaire défraie la chronique : on aurait retrouvé les journaux intimes d’Adolf Hitler, mort le 30 avril 1945. Plusieurs magazines à grand tirage en publient même les premiers extraits. Sauf qu’il s’agissait de faux. Retour sur un flop retentissant.
6 mai 1983. Sur le plateau d’Antenne 2, Christine Ockrent lance un sujet : les carnets d’Hitler sont des faux, assure la journaliste, avant de laisser place à un reportage en Allemagne, où son confrère revient sur « un sordide scandale de presse ». Sordide, certes, et planétaire en plus !
Retour une quinzaine de jours plus tôt, le 25 avril. Le magazine Stern, journal à grand tirage d’Allemagne de l’Ouest, organise une conférence de presse à Hambourg. La presse mondiale est conviée : le magazine s’apprête à publier des extraits… des carnets intimes d’Hitler ! Un journaliste, Gerd Heidemann (photo ci-dessus), brandit d’ailleurs un carnet noir, sur lequel on peut lire les lettres gothiques A et H.
En 1983, le magazine allemand Stern annonce la découverte du journal intime d’Adolf Hitler. En France, Paris Match achète les droits et fait sa couverture sur l’événement. Mais les prétendus « carnets du Führer » étaient des faux. (Photos : archives Stern et Paris Match)
L’affaire est présentée ainsi : le journal intime du Führer, dans lequel le chef du IIIe Reich raconte sa vie au quotidien, est d’une valeur historique fondamentale. Écrit entre le 22 juin 1932 et avril 1945, il se compose d’une soixantaine de cahiers d’une centaine de pages chacun. Dans ses derniers jours, Adolf Hitler les aurait fait exfiltrer avec des documents officiels sur le régime nazi. Sauf que l’avion les transportant s’est écrasé aux frontières de la Tchécoslovaquie. Une unité de la Wehrmacht aurait fouillé les débris, récupéré et ramené les bagages, dont ces précieux carnets, en Allemagne de l’Est
Le journaliste du Stern possède le bateau de Göring
Comment ces prétendus carnets d’Hitler ont-ils refait surface en 1983 ? Gerd Heidemann, reporter du magazine Stern, est au cœur de l’affaire. Un étrange personnage, d’ailleurs. Fasciné par l’Allemagne nazie, il recherche le trésor des dignitaires du IIIe Reich et a surtout racheté, en 1973, le Carin II, l’ancien bateau d’Hermann Göring, ministre de l’Aviation d’Hitler ! De quoi lui ouvrir le monde des anciens SS. Heidemann a même une aventure avec Edda, la fille de Göring.
Le journaliste serait entré en contact avec un certain Konrad Fischer, un antiquaire qui lui déclare être capable de faire venir de RDA les fameux carnets d’Hitler. Heidemann passe outre sa hiérarchie éditoriale pour aller trouver les patrons financiers de Stern, qui flairent le bon coup et approuvent la coûteuse opération.
Début janvier 1981, le journaliste verse 200 000 marks pour une première livraison. Puis 480 000, un mois plus tard, 340 000 en mars, et ainsi de suite…
« L’opération se passe selon toutes les règles de la série noire, écrit Le Monde en 1983. Une mystérieuse automobile attend dans un virage, près de Lauenburg : elle dépasse la Mercedes de Heidemann qui, par la vitre de droite abaissée, jette le paquet contenant les marks. À son tour Heidemann baisse la vitre de droite, dépasse la voiture d’où sont lancés les précieux carnets. »
Une partie des carnets sera livrée cachée dans des pianos. Au final, le magazine dépense 9,3 millions de Deutsche Marks !
Des doutes surgissent très rapidement
Au moment où Stern publie ses premiers scoops le 25 avril, les doutes surgissent. Deux experts avaient bien identifié l’écriture des carnets comme celle d’Hitler, mais un historien britannique, Hugh Trevor-Roper, qui avait authentifié les carnets quelques semaines plus tôt, revient sur ses conclusions. Ça ne colle pas avec la réalité historique.
L’historien britannique Hugh Trevor-Roper, spécialiste de l’Allemagne nazie, ici en 1975. (Photo : Wikimédia / Nationaal Archief / Rob Mieremet / Anefo / CC BY-SA 3.0)
Un autre historien, l’Allemand Eberhard Jackel, s’interroge : « Les circonstances de la vie du Führer indiquent qu’il n’était pas le genre d’homme à tenir un journal. Il a dit plusieurs fois qu’on ne devrait pas écrire et garder de la paperasserie inutile. » C’est seulement à ce moment-là que le magazine Stern entreprend de vérifier l’identité du mystérieux informateur de Gerd Heidemann.
La machine est cependant lancée. Stern, pour rentrer dans ses frais, a revendu le scoop à des journaux étrangers : Newsweek aux États-Unis, The Sunday Times au Royaume-Uni, Panorama en Italie.
En France, c’est Paris Match qui décroche l’exclusivité et s’affiche en grand dans le métro parisien. Le journal français est bien au courant des doutes qui planent sur l’affaire, mais peu importe. L’édition du 6 mai présente ces carnets comme un « objet de controverse pour les historiens ». « L’authenticité de notre document est controversée ; achetez-le, lisez-le, faites-vous vous-même votre opinion ! »
Le scoop ne paie pourtant pas plus que ça. Paris Match vend 950 000 numéros, « moins, finalement, que pour une couverture avec Caroline de Monaco ou Isabelle Adjani »
Un type de papier qui n’existait pas avant 1950
Le 6 mai, c’est la douche froide. Une dépêche lapidaire de l’Agence France Presse (AFP) tombe : « Les « carnets secrets » attribués par l’hebdomadaire ouest-allemand Stern à Hitler « sont des faux », a déclaré le ministère de l’Intérieur fédéral allemand, après expertise des services officiels. »
Parmi les analyses effectuées, il en est une qui porte sur le papier des carnets. Il contient des composants non-utilisés avant les années 1950 !
Les conséquences sont désastreuses. Stern, qui a perdu l’équivalent de 30 millions de francs, et dont les ventes baisseront de 150 000 exemplaires les mois suivants, s’engage à rembourser le Sunday Times qui avait payé 200 000 dollars.
Paris Match n’avait encore rien versé… mais ses dirigeants ne semblent guère mortifiés, selon Le Monde de l’époque : « Nous nous sommes laissé prendre à deux pièges. D’abord, le groupe de presse qui nous a proposé cette affaire est allemand. Nous avons pensé qu’il connaissait son affaire et qu’il avait pris toutes les précautions nécessaires, expliquent-ils. Un rapport de trois experts figurait dans le contrat que nous avons signé avec Stern. Ensuite, nous avons été fascinés, pris dans un vertige de chasseur. C’était les carnets d’Hitler, un document extraordinaire. » Et d’ajouter : « On ne meurt pas aujourd’hui d’une fausse information. Je ne crois pas. Nous étions d’une certaine bonne foi, et même de bonne foi. »
Quatre ans de prison pour escroquerie
Les auteurs de la supercherie, eux, seront jugés en 1984 à Hambourg, d’autant qu’une partie de l’argent versé a disparu.
Le journaliste Gerd Heidemann est condamné à quatre ans et huit mois de prison pour escroquerie. Car il savait très bien que ces carnets étaient faux, l’accuse le faussaire, Konrad Kujau de son vrai nom, qui récolte une peine similaire.
Konrad Kujau, le faussaire à l’origine des faux carnets d’Hitler, ici en 1992, quelques années après sa sortie de prison. (Photo : GNU-FDL / Wikimédia / CC BY-SA 3.0)
Ce natif de Dresde, en Allemagne, avait fait des contrefaçons son métier. Après sa libération, il se mettra d’ailleurs à peindre des faux Dali et Chagall, en apposant la signature du copié et du copiste !
Quant aux carnets, ils font désormais partie des… archives nationales allemandes !
ouest france
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