Le Livre de Poche, le succès d’une légende de l’édition française
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Le Livre de Poche, le succès d’une légende de l’édition française
Correspondance, Nicolas MONTARD
Le Salon du Livre de Paris fait son retour sous forme de Festival du livre entre ce 22 et 24 avril 2022, après deux ans d’absence. Les livres au format « poche » y occuperont encore une bonne place. Un format dont l’invention est parfois attribuée à la collection Le Livre de Poche en 1953. En partie vrai… en partie faux aussi.
9 février 1953. Le livre Kœnigsmark de Pierre Benoît, qui raconte l’histoire d’amour entre un jeune professeur de français et une duchesse, s’offre une seconde jeunesse. Ce roman, paru en 1918 et d’ailleurs finaliste du Goncourt, est le numéro 1 d’une nouvelle collection de la Librairie générale française, filiale de Hachette : Le Livre de Poche. Un mini-format pour le livre qui, lit-on encore souvent, va révolutionner le monde de l’édition en représentant une véritable innovation !
« Le livre devient un bien de consommation culturel »
Vrai, mais faux, indique Yann Sordet, qui a publié une Histoire du livre et de l’édition chez Albin Michel en 2021. Vrai car les années 1950 constituent un véritable tournant dans le monde du livre, un bouleversement que l’on pourrait mettre sur des plans semblables au passage du volumen (soit le livre en rouleau) au codex (notre forme de livre) il y a près de 2 000 ans, à l’invention de l’imprimerie en 1450, ou à l’industrialisation de la fabrication du livre au XIXe siècle.
Avec le Livre de Poche et ses successeurs, « le livre devient un bien de consommation culturel, un objet de la société de consommation ». Il est moins cher à produire qu’un livre classique (via la technique de rotatives comme la presse, avec des cahiers non plus brochés mais collés, des couvertures souples, pelliculées et non reliées), et sa diffusion est démultipliée.
On le trouve partout (d’autant plus avec le réseau de distribution Hachette), il est bien plus accessible financièrement qu’un livre classique, on peut se balader ou partir en vacances avec…
Observant le succès d’Hachette, les autres éditeurs suivent le mouvement les années suivantes : J’ai lu en 1958, 10/18 (par Plon) et Pocket (à l’époque Presses Pocket par les Presses de la Cité) en 1962, Folio par Gallimard en 1972. Liste non exhaustive. Le succès du format poche ne s’est d’ailleurs jamais démenti, confirme Yann Sordet : « Aujourd’hui, il représente environ 15 % du chiffre d’affaires de l’édition pour 30 % des ventes en termes de volume. »
Un format plus ancien mais plus confidentiel
Mais – parce qu’il y a un mais – Henri Filipacchi, secrétaire général de la librairie Hachette, qui prétend avoir eu cette idée en voyant un soldat américain déchirer un livre en deux pour le mettre dans une poche, n’est pas vraiment un précurseur. Déjà, parce que tout au long de l’histoire, il y a eu une volonté de rendre le livre beaucoup plus… portatif.
Au XIIIe siècle, à Paris, on crée déjà des bibles de petit format pour les prédicateurs. Au XVIIe siècle, la Bibliothèque bleue est une littérature de colportage que l’on amène de château en château, de marché en marché… Au XIXe, l’éditeur Charpentier crée une collection de poche, au prix unique. Au XXe, les expériences se succèdent. Dès 1914, l’éditeur Tallandier avait déjà lancé une collection « Le Livre de Poche », dont le nom sera racheté par Hachette, composée de romans sentimentaux. La Librairie générale française avec Calmann-Lévy publiait la collection « Pourpre » depuis 1938. En Grande-Bretagne, Penguin Books rencontre un grand succès depuis 1936 sur ce modèle du livre de petit format.
Mais avec Hachette et Filipacchi, on entre bien dans une nouvelle ère alors qu’auparavant, les formats poche restaient rares : « Hachette et Le Livre de Poche ont lancé l’industrialisation du format poche avec ce côté rouleau compresseur », reprend Yann Sordet, par ailleurs directeur des bibliothèques Mazarine et de l’Institut de France à Paris.
Autre particularité : avec Le Livre de Poche, on ne va pas publier de la sous-littérature ou littérature de gare. Hachette négocie avec d’autres grands éditeurs comme Gallimard, Denoël, Fasquelle Calmann-Lévy, afin de rééditer leurs titres et auteurs. Le Livre de Poche, c’est donc du Gide, du Colette, du Camus… « Ça a offert une diffusion phénoménale à Jean-Paul Sartre, par exemple. Pas sûr qu’il aurait eu le même succès sans le format poche. »
De quoi relativiser les quelques critiques auxquelles se laisseront aller certains intellectuels les premières années (ou l’étudiant en médecine interrogé dans la vidéo ci-dessous).
https://www.dailymotion.com/video/xyehy8
Ainsi, Hubert Damisch, philosophe, qui estimait dans la revue Mercure de France que « l’édition de poche accomplit la transformation du livre, de l’œuvre imprimée, en produit, produit si bien conçu et présenté qu’il puisse être proposé au consommateur dans les mêmes conditions et suivant les mêmes méthodes qu’un quelconque paquet de détersif ». Avant de le voir comme une « entreprise mystificatrice ».
A contrario, Jean Giono considérait le livre de poche comme « le plus puissant instrument de culture de la civilisation moderne ».
ouest france
Le Salon du Livre de Paris fait son retour sous forme de Festival du livre entre ce 22 et 24 avril 2022, après deux ans d’absence. Les livres au format « poche » y occuperont encore une bonne place. Un format dont l’invention est parfois attribuée à la collection Le Livre de Poche en 1953. En partie vrai… en partie faux aussi.
9 février 1953. Le livre Kœnigsmark de Pierre Benoît, qui raconte l’histoire d’amour entre un jeune professeur de français et une duchesse, s’offre une seconde jeunesse. Ce roman, paru en 1918 et d’ailleurs finaliste du Goncourt, est le numéro 1 d’une nouvelle collection de la Librairie générale française, filiale de Hachette : Le Livre de Poche. Un mini-format pour le livre qui, lit-on encore souvent, va révolutionner le monde de l’édition en représentant une véritable innovation !
« Le livre devient un bien de consommation culturel »
Vrai, mais faux, indique Yann Sordet, qui a publié une Histoire du livre et de l’édition chez Albin Michel en 2021. Vrai car les années 1950 constituent un véritable tournant dans le monde du livre, un bouleversement que l’on pourrait mettre sur des plans semblables au passage du volumen (soit le livre en rouleau) au codex (notre forme de livre) il y a près de 2 000 ans, à l’invention de l’imprimerie en 1450, ou à l’industrialisation de la fabrication du livre au XIXe siècle.
Avec le Livre de Poche et ses successeurs, « le livre devient un bien de consommation culturel, un objet de la société de consommation ». Il est moins cher à produire qu’un livre classique (via la technique de rotatives comme la presse, avec des cahiers non plus brochés mais collés, des couvertures souples, pelliculées et non reliées), et sa diffusion est démultipliée.
On le trouve partout (d’autant plus avec le réseau de distribution Hachette), il est bien plus accessible financièrement qu’un livre classique, on peut se balader ou partir en vacances avec…
Observant le succès d’Hachette, les autres éditeurs suivent le mouvement les années suivantes : J’ai lu en 1958, 10/18 (par Plon) et Pocket (à l’époque Presses Pocket par les Presses de la Cité) en 1962, Folio par Gallimard en 1972. Liste non exhaustive. Le succès du format poche ne s’est d’ailleurs jamais démenti, confirme Yann Sordet : « Aujourd’hui, il représente environ 15 % du chiffre d’affaires de l’édition pour 30 % des ventes en termes de volume. »
Un format plus ancien mais plus confidentiel
Mais – parce qu’il y a un mais – Henri Filipacchi, secrétaire général de la librairie Hachette, qui prétend avoir eu cette idée en voyant un soldat américain déchirer un livre en deux pour le mettre dans une poche, n’est pas vraiment un précurseur. Déjà, parce que tout au long de l’histoire, il y a eu une volonté de rendre le livre beaucoup plus… portatif.
Au XIIIe siècle, à Paris, on crée déjà des bibles de petit format pour les prédicateurs. Au XVIIe siècle, la Bibliothèque bleue est une littérature de colportage que l’on amène de château en château, de marché en marché… Au XIXe, l’éditeur Charpentier crée une collection de poche, au prix unique. Au XXe, les expériences se succèdent. Dès 1914, l’éditeur Tallandier avait déjà lancé une collection « Le Livre de Poche », dont le nom sera racheté par Hachette, composée de romans sentimentaux. La Librairie générale française avec Calmann-Lévy publiait la collection « Pourpre » depuis 1938. En Grande-Bretagne, Penguin Books rencontre un grand succès depuis 1936 sur ce modèle du livre de petit format.
Mais avec Hachette et Filipacchi, on entre bien dans une nouvelle ère alors qu’auparavant, les formats poche restaient rares : « Hachette et Le Livre de Poche ont lancé l’industrialisation du format poche avec ce côté rouleau compresseur », reprend Yann Sordet, par ailleurs directeur des bibliothèques Mazarine et de l’Institut de France à Paris.
Autre particularité : avec Le Livre de Poche, on ne va pas publier de la sous-littérature ou littérature de gare. Hachette négocie avec d’autres grands éditeurs comme Gallimard, Denoël, Fasquelle Calmann-Lévy, afin de rééditer leurs titres et auteurs. Le Livre de Poche, c’est donc du Gide, du Colette, du Camus… « Ça a offert une diffusion phénoménale à Jean-Paul Sartre, par exemple. Pas sûr qu’il aurait eu le même succès sans le format poche. »
De quoi relativiser les quelques critiques auxquelles se laisseront aller certains intellectuels les premières années (ou l’étudiant en médecine interrogé dans la vidéo ci-dessous).
https://www.dailymotion.com/video/xyehy8
Ainsi, Hubert Damisch, philosophe, qui estimait dans la revue Mercure de France que « l’édition de poche accomplit la transformation du livre, de l’œuvre imprimée, en produit, produit si bien conçu et présenté qu’il puisse être proposé au consommateur dans les mêmes conditions et suivant les mêmes méthodes qu’un quelconque paquet de détersif ». Avant de le voir comme une « entreprise mystificatrice ».
A contrario, Jean Giono considérait le livre de poche comme « le plus puissant instrument de culture de la civilisation moderne ».
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