La politique en Bretagne au XXe siècle : du blanc au rose, en passant par les Bonnets rouges
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La politique en Bretagne au XXe siècle : du blanc au rose, en passant par les Bonnets rouges
La politique en Bretagne au XXe siècle : du blanc au rose, en passant par les Bonnets rouges
D’Albert de Mun – député catholique légitimiste du Morbihan puis du Finistère au tournant des XIXe et XXe siècles – à Jean-Yves Le Drian – président socialiste de la région Bretagne en ce début de XXIe siècle –, voici résumé en deux protagonistes le bouleversement politique que connaît la Bretagne du siècle dernier. C’est à ce stimulant voyage intellectuel que nous convie le hors série n°10 de la revue d’histoire politique Parlement[s], éditée par le Comité d'histoire parlementaire et politique1. Ce dossier, intitulé « La Bretagne en politique », réunit les meilleurs historiens et politologues autour d’une question : comment la Bretagne est-elle passée du statut de bastion catholique au début du XXe siècle, à celui de bastion socialiste un siècle plus tard ? Du blanc au rose, donc. La question mérite d’être posée, car comme le rappelle D. Bensoussan dans l’introduction, la Bretagne semble présenter une situation originale dans le paysage politique français actuel. Il est vrai que depuis le passage à gauche du Conseil régional en 2004, la région apparaît comme « un bastion du Parti socialiste dont la solidité n’a d’égale que sa relative soudaineté» (p. 11), résistant même mieux qu’ailleurs à la montée du Front national (p. 28-29).
C’est tout d’abord R. Pasquier qui analyse le grand basculement du vote breton. Il met en garde contre une généralisation trop forte des sensibilités politiques sur l’ensemble du territoire. La Bretagne politique est une mosaïque : des zones qui penchent sur la longue durée vers la droite (Léon, Vannetais oriental, Vitréais) ; quand d’autres inclinent plus largement vers la gauche, voire même communiste (Trégor et Haute-Cornouaille). D’après le politologue, le phénomène de basculement s’accélère depuis la fin des années 1970. Pour l’expliquer, il avance une cause démographique avec l’urbanisation et la prépondérance des grandes villes sur le reste des territoires ; et une raison politique, avec la captation « du double héritage laïc et chrétien de la Bretagne » (p. 35) par le Parti socialiste. C. Bougeard analyse lui l’imprégnation progressive de la gauche dans le vote breton par la constitution de réseaux : des premières conquêtes socialistes, avec notamment la prise de la mairie de Brest en 1904 (p. 52), puis l’élection du premier député SFIO en Bretagne six ans plus tard ; puis l’émergence du PSU dans les années 1960-1970, véritable laboratoire d’idées et pépinière de jeunes élus. Des réseaux socialistes se constituent également chez les paysans, comme nous le montre F. Prigent. Aux côtés du vote socialiste, devenu majoritaire à gauche dans le dernier quart du XXe siècle, T. Kernalegenn montre l’apport non négligeable, dans le « basculement », du mouvement écologiste qui s’arrime à la gauche dans les années 1990 ; alors qu’il semblait se structurer des deux côtés de l’échiquier politique vingt ans plus tôt à la suite des grandes luttes environnementales (Plogoff et les marées noires par exemple).
Si cette montée en puissance de la gauche en Bretagne au XXe siècle mérite ces analyses, c’est bien parce que la région a longtemps eu l’image d’une terre catholique, chouanne. Il est vrai que quelques personnages politiques influents se réclament de cet héritage. Parmi ceux-ci, le monarchiste Albert de Mun, dont l’élection contestée à Pontivy en 1876 nous est présenté par L. Le Gall. Ces combats avec le républicain Dr Le Maguet (p. 155) nous sont restés célèbres par des tracts électoraux.
« La résistance en Bretagne, contre les décrets d’expulsion des Sœurs. Ce n’était qu’un cycliste, un étranger inoffensif qui traversait le Bourg. Mais les heures de faction sont finies ; un bon coup de cidre, et notre troupe va reprendre le chemin de la ferme et retourner aux travaux des champs. » Carte postale. Collection particulière.
Le Marquis Henri de la Ferronnays, quant à lui, mène une carrière « pour Dieu et le Roi » (p. 37). Mais, conscient que ses soutiens ruraux ne veulent pas le retour de l’Ancien régime, ce partisan ardent de l’Action Française dans les années 1920 préfère mettre en avant la défense de la religion et de l’Eglise au cœur de son action politique (p. 41-42). Sa carrière culmine avec son élection à la tête du Conseil général de Loire-Inférieure en 1931. En 1940, il vote les pleins pouvoirs à Pétain, qu’il qualifie à la suite de Charles Maurras de « divine surprise » (p. 49). Cet acte scelle la fin de sa carrière lors de la Libération. Mais, même sans cela, on peut se demander si le temps d’une sensibilité catholique et monarchiste n’était pas révolu, tant un courant catholique modéré émerge dans la Bretagne d’après-guerre. Cette démocratie-chrétienne bretonne s’incarne largement dans le mouvement politique du MRP, dans le mouvement de la jeunesse rurale de la JAC, mais aussi dans les colonnes du journal Ouest-France, héritier du quotidien Ouest-Eclair.
Les auteurs du dossier semblent trancher le nœud gordien du basculement politique de la Bretagne par la captation d’une partie suffisamment important de l’électorat catholique modéré par la gauche. Mouvement électoral initié par l’arrivée de nouveaux réseaux de militants (S. Teinturier, V. Flauraud), dont Jean-Marc Ayrault, ancien du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne, devenu maire de Nantes en 1989, puis Premier ministre en 2012, est un exemple éminent (p. 121).
Portique de prélevement de l'écotaxe portant une bannière d'opposition à la mise en place de la taxe poids lourds à hauteur de Bignan dans le Morbihan, octobre 2013. Wikicommons.
Reste à savoir comment va évoluer ce bastion socialiste dans les prochaines années. Pour C. Bougeard, les résultats électoraux du Parti socialiste ne pourront sans doute que refluer dans les consultations à venir (p. 64). D’autant plus qu’il faut désormais prendre en compte un nouvel acteur politique difficilement classable, depuis l’éclosion des Bonnets Rouges en 2013. G. Aubert, historien des révoltes bretonnes à l’époque moderne, tente de comprendre ce mouvement qui semble rassembler autant à gauche, qu’à droite, dans une optique contestataire, face à un contexte économique de crise.
Au final, la lecture de ce dossier est indispensable à tous ceux qui veulent comprendre les dynamiques politiques à l’œuvre dans la Bretagne contemporaine. Mais plus encore, à tous ceux qui chercheront à analyser les prochains résultats électoraux, à l’issue des scrutins départementaux et régionaux de 2015. Un bel exemple de compréhension de l’actualité par la connaissance du passé.
Thomas PERRONO
BENSOUSSAN, David (Dir.), « Bretagne en politique », Parlements[s], Revue d’histoire politique, Hors-série n°10, 2014-3.
1 BENSOUSSAN, David (Dir.), « Bretagne en politique », Parlements[s], Revue d’histoire politique, Hors-série n°10, 2014-3. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.
http://enenvor.fr/eeo_actu/apresW/la_politique_en_bretagne_au_xxe_siecle_du_blanc_au_rose_en_passant_par_les_bonnets_rouges.html
D’Albert de Mun – député catholique légitimiste du Morbihan puis du Finistère au tournant des XIXe et XXe siècles – à Jean-Yves Le Drian – président socialiste de la région Bretagne en ce début de XXIe siècle –, voici résumé en deux protagonistes le bouleversement politique que connaît la Bretagne du siècle dernier. C’est à ce stimulant voyage intellectuel que nous convie le hors série n°10 de la revue d’histoire politique Parlement[s], éditée par le Comité d'histoire parlementaire et politique1. Ce dossier, intitulé « La Bretagne en politique », réunit les meilleurs historiens et politologues autour d’une question : comment la Bretagne est-elle passée du statut de bastion catholique au début du XXe siècle, à celui de bastion socialiste un siècle plus tard ? Du blanc au rose, donc. La question mérite d’être posée, car comme le rappelle D. Bensoussan dans l’introduction, la Bretagne semble présenter une situation originale dans le paysage politique français actuel. Il est vrai que depuis le passage à gauche du Conseil régional en 2004, la région apparaît comme « un bastion du Parti socialiste dont la solidité n’a d’égale que sa relative soudaineté» (p. 11), résistant même mieux qu’ailleurs à la montée du Front national (p. 28-29).
C’est tout d’abord R. Pasquier qui analyse le grand basculement du vote breton. Il met en garde contre une généralisation trop forte des sensibilités politiques sur l’ensemble du territoire. La Bretagne politique est une mosaïque : des zones qui penchent sur la longue durée vers la droite (Léon, Vannetais oriental, Vitréais) ; quand d’autres inclinent plus largement vers la gauche, voire même communiste (Trégor et Haute-Cornouaille). D’après le politologue, le phénomène de basculement s’accélère depuis la fin des années 1970. Pour l’expliquer, il avance une cause démographique avec l’urbanisation et la prépondérance des grandes villes sur le reste des territoires ; et une raison politique, avec la captation « du double héritage laïc et chrétien de la Bretagne » (p. 35) par le Parti socialiste. C. Bougeard analyse lui l’imprégnation progressive de la gauche dans le vote breton par la constitution de réseaux : des premières conquêtes socialistes, avec notamment la prise de la mairie de Brest en 1904 (p. 52), puis l’élection du premier député SFIO en Bretagne six ans plus tard ; puis l’émergence du PSU dans les années 1960-1970, véritable laboratoire d’idées et pépinière de jeunes élus. Des réseaux socialistes se constituent également chez les paysans, comme nous le montre F. Prigent. Aux côtés du vote socialiste, devenu majoritaire à gauche dans le dernier quart du XXe siècle, T. Kernalegenn montre l’apport non négligeable, dans le « basculement », du mouvement écologiste qui s’arrime à la gauche dans les années 1990 ; alors qu’il semblait se structurer des deux côtés de l’échiquier politique vingt ans plus tôt à la suite des grandes luttes environnementales (Plogoff et les marées noires par exemple).
Si cette montée en puissance de la gauche en Bretagne au XXe siècle mérite ces analyses, c’est bien parce que la région a longtemps eu l’image d’une terre catholique, chouanne. Il est vrai que quelques personnages politiques influents se réclament de cet héritage. Parmi ceux-ci, le monarchiste Albert de Mun, dont l’élection contestée à Pontivy en 1876 nous est présenté par L. Le Gall. Ces combats avec le républicain Dr Le Maguet (p. 155) nous sont restés célèbres par des tracts électoraux.
« La résistance en Bretagne, contre les décrets d’expulsion des Sœurs. Ce n’était qu’un cycliste, un étranger inoffensif qui traversait le Bourg. Mais les heures de faction sont finies ; un bon coup de cidre, et notre troupe va reprendre le chemin de la ferme et retourner aux travaux des champs. » Carte postale. Collection particulière.
Le Marquis Henri de la Ferronnays, quant à lui, mène une carrière « pour Dieu et le Roi » (p. 37). Mais, conscient que ses soutiens ruraux ne veulent pas le retour de l’Ancien régime, ce partisan ardent de l’Action Française dans les années 1920 préfère mettre en avant la défense de la religion et de l’Eglise au cœur de son action politique (p. 41-42). Sa carrière culmine avec son élection à la tête du Conseil général de Loire-Inférieure en 1931. En 1940, il vote les pleins pouvoirs à Pétain, qu’il qualifie à la suite de Charles Maurras de « divine surprise » (p. 49). Cet acte scelle la fin de sa carrière lors de la Libération. Mais, même sans cela, on peut se demander si le temps d’une sensibilité catholique et monarchiste n’était pas révolu, tant un courant catholique modéré émerge dans la Bretagne d’après-guerre. Cette démocratie-chrétienne bretonne s’incarne largement dans le mouvement politique du MRP, dans le mouvement de la jeunesse rurale de la JAC, mais aussi dans les colonnes du journal Ouest-France, héritier du quotidien Ouest-Eclair.
Les auteurs du dossier semblent trancher le nœud gordien du basculement politique de la Bretagne par la captation d’une partie suffisamment important de l’électorat catholique modéré par la gauche. Mouvement électoral initié par l’arrivée de nouveaux réseaux de militants (S. Teinturier, V. Flauraud), dont Jean-Marc Ayrault, ancien du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne, devenu maire de Nantes en 1989, puis Premier ministre en 2012, est un exemple éminent (p. 121).
Portique de prélevement de l'écotaxe portant une bannière d'opposition à la mise en place de la taxe poids lourds à hauteur de Bignan dans le Morbihan, octobre 2013. Wikicommons.
Reste à savoir comment va évoluer ce bastion socialiste dans les prochaines années. Pour C. Bougeard, les résultats électoraux du Parti socialiste ne pourront sans doute que refluer dans les consultations à venir (p. 64). D’autant plus qu’il faut désormais prendre en compte un nouvel acteur politique difficilement classable, depuis l’éclosion des Bonnets Rouges en 2013. G. Aubert, historien des révoltes bretonnes à l’époque moderne, tente de comprendre ce mouvement qui semble rassembler autant à gauche, qu’à droite, dans une optique contestataire, face à un contexte économique de crise.
Au final, la lecture de ce dossier est indispensable à tous ceux qui veulent comprendre les dynamiques politiques à l’œuvre dans la Bretagne contemporaine. Mais plus encore, à tous ceux qui chercheront à analyser les prochains résultats électoraux, à l’issue des scrutins départementaux et régionaux de 2015. Un bel exemple de compréhension de l’actualité par la connaissance du passé.
Thomas PERRONO
BENSOUSSAN, David (Dir.), « Bretagne en politique », Parlements[s], Revue d’histoire politique, Hors-série n°10, 2014-3.
1 BENSOUSSAN, David (Dir.), « Bretagne en politique », Parlements[s], Revue d’histoire politique, Hors-série n°10, 2014-3. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.
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