Aux chantiers de Saint-Nazaire, le spleen des ouvriers ballottés de rachat en rachat
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Aux chantiers de Saint-Nazaire, le spleen des ouvriers ballottés de rachat en rachat
Vendredi, 4 Novembre, 2016
L'Humanité
Le 13 octobre 2015, François Hollande plaidait le dialogue social devant les ouvriers de STX. Des propos restés lettre morte.
Les noms des repreneurs potentiels de STX Saint-Nazaire seront connus ce vendredi. Une perspective qui n’enthousiasme pas les salariés, qui ont vu la précarité exploser et leurs conditions de travail liées au manque d’embauches se dégrader ces dernières années, malgré l’afflux des commandes.
Aucun panneau « À vendre » sur l’immense portique rouge et blanc des chantiers STX de Saint-Nazaire. Les noms des repreneurs potentiels seront pourtant connus ce vendredi. « Ce jeu (des rachats successifs des chantiers) dure depuis dix-sept ans », souffle Grégory, un salarié de STX. D’abord Alstom, puis le norvégien Aker Yards en 2006, avant le coréen STX Offshore & Shipbuilding en 2008, devenant STX Europe. « Alstom a vidé les caisses des chantiers pour renflouer Alstom Transport, Aker Yards s’est effondré au bout de deux ans, et STX a été un actionnaire absent qui n’a jamais investi à l’exception du portique qui est constamment en arrêt », résume le délégué syndical CGT, Sébastien Benoît. Avec des commandes pour les dix prochaines années, un bénéfice de 1,6 million d’euros en 2015, plusieurs options sont sur la table : le rachat par le concurrent italien, le conglomérat chinois, l’industriel hollandais et même la nationalisation.
Depuis juillet, le feuilleton de la vente des chantiers navals se raconte dans la presse. « Notre direction, elle, ne nous dit rien », déplore le délégué syndical CGT, Sébastien Benoît. Si certains salariés aimeraient voir l’État monter au capital des chantiers, « ce qui serait une garantie », la majorité estime que ce changement d’actionnaire n’est pas vraiment « un sujet ». À chaque fois, « ils nous achètent une bouchée de pain puis, quand les carnets de commandes sont pleins, ils n’embauchent pas, ne nous augmentent pas. Nous, on travaille comme des cons, on est de moins en moins payés et ils nous vendent une fortune », explique Grégory.
De son côté, l’État actionnaire a balayé l’hypothèse, estimant que son « objectif n’est pas de monter au capital, mais de faire en sorte qu’un projet industriel solide soit mis en place pour STX France ». Un garde-fou peu convaincant. « L’administrateur, on ne l’a pas beaucoup vu, à part quand il a fallu faire les sacrifices », affirme Sébastien Benoît, qui avait refusé de serrer la main à François Hollande, lors de sa visite des chantiers en octobre 2015.
Ces efforts consentis depuis la mise en place de l’accord de compétitivité en janvier 2014, dont le gel de sept jours de congés pour les cadres, la fin de la majoration des heures supplémentaires avec la renégociation de l’accord sur le temps de travail, sont la recette miracle qui permet, selon la direction et le gouvernement, d’amasser les commandes en réalisant sur trois ans 21 millions d’euros « d’économies », soit environ 10 % de la masse salariale, calcule la CGT. Auxquelles s’ajoutent les 8,38 millions d’euros d’allégements d’impôts au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) octroyés depuis 2013. Un leurre, puisque la masse salariale représente moins de 15 % du prix d’un navire, ajoute-t-elle.
D’autant que de nombreuses études pointent la reprise du marché du paquebot et de la croisière de luxe en Europe pour expliquer la recrudescence des commandes. Et que, dans cette guerre du plus gros, du plus grand, seul Saint-Nazaire est en capacité de fabriquer ces monstres marins.
Des salaires au « ras des pâquerettes »
Une rhétorique d’autant plus insupportable pour les ouvriers qui ont vu la précarité exploser sur le chantier et leurs conditions de travail liées au manque d’embauches se dégrader. En mai, les chantiers employaient, en plus de leurs 2 497 salariés, 4 977 personnes de 637 entreprises sous-traitantes dont 3 360 salariés détachés. Des chiffres édifiants sortis de l’étude du cabinet d’expertise Secafi. En 2016, 167 personnes ont été embauchées en CDI. « Insuffisant », scande la CGT, d’autant que 72 personnes ont quitté STX dans le même temps.
« Le plan d’embauche qui nous a été présenté montre très clairement la volonté de la direction de garder un volume important de travailleurs précaires », estime Sébastien Benoît. De 2002 à 2018, la part des ouvriers descendra de 50 % à 38 % des effectifs de STX, alors que celles des cadres et techniciens passeront respectivement de 15 à 25 % et de 34 à 37 %, peut-on lire dans le rapport. La direction pointe de son côté les difficultés à embaucher des personnes formées, notamment des soudeurs et des chaudronniers. « Depuis 2007, nous avons eu 400 contrats de professionnalisation et d’apprentissage, avec un taux de reconversion extrêmement faible », rétorque Sébastien Benoît. « Sur dix apprentis, ils vont en embaucher un », ajoute Ludwig, qui pointe les box d’apprentis vides dans son atelier. Les ouvriers dénoncent les salaires au « ras des pâquerettes » proposés par la direction, et qui « n’incitent pas les gens à venir travailler chez nous ».
« On en a marre de les voir se faire du fric sur notre dos »
Yoan vient de débarquer de Brest. Deux semaines qu’il soude la double coque métallique de ces géants de la mer. « Un nouveau départ », explique l’intérimaire. S’il a accepté de s’éloigner de chez lui pour dix-huit mois, c’est pour acquérir de l’expérience. Car « la paie ne suit pas », raconte-t-il. Sur son contrat, le taux horaire est à 9,91 euros brut, soit un euro de moins que dans la plupart des autres boîtes. Certains ont un taux horaire au-dessous du Smic, expliquent ses collègues.
« Pourtant, il y a du pognon », s’insurge Grégory. « Ils passent à côté de bons ouvriers et c’est Airbus (à quelques kilomètres d’ici –NDLR) qui les récupèrent », regrette Ludwig. « Ici, c’est le laboratoire social du gouvernement », lance Alain Lebrun, secrétaire général de la CGT des ingénieurs, cadres et techniciens. « La loi travail a été un petit réveil, une prise en compte que le modèle de société que le gouvernement et le patronat veulent nous imposer est déjà mis en place chez STX, explique Sébastien Benoît. Ce qui manque, c’est notre capacité à résister. Nous avons morflé depuis 2008, et même frôlé la mort. Les sacrifices ont été suffisamment nombreux. Le chantage à l’emploi ne peut plus fonctionner. Si nous sommes soulagés d’avoir du travail et de ne plus avoir à s’inquiéter pour demain, aujourd’hui, la grogne est palpable, le ras-le-bol est présent », note le syndicaliste. « Bien sûr qu’on en a marre de les voir se faire du fric sur notre dos. Avant, ça valait le coup de travailler ici », explique Ludwig, qui précise n’être syndiqué nulle part. « Pour les faire plier, il faut avoir les reins solides, poursuit-il. Trois semaines de grève, ça fait un énorme trou sur notre paie ; chez Man, à côté, ils sont 80 à 90 % à sortir, ça change tout. »
L’histoire d’une vente en quelques dates
En 2006, le finlandais Aker Yards et Alstom créent le nouvel Aker Yards. Fin 2007, le groupe sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding achète
par surprise les actions du groupe Aker Yards. En 2010, l’État rachète les parts des chantiers détenues par Alstom et devient actionnaire à 33 %, disposant d’une
minorité de blocage. En septembre 2016, STX, lourdement endetté, est contraint de vendre le site de Saint-Nazaire. En octobre, le tribunal de commerce de Séoul
annonce étudier toutes les offres de reprise du groupe ainsi que les offres séparées. Au 4 novembre, est fixée la date de dépôt des offres au tribunal de Séoul.
Le 11 novembre, le tribunal sud-coréen annoncera sa décision. La vente ne sera effective que fin 2016 ou début 2017.
L'Humanité
Le 13 octobre 2015, François Hollande plaidait le dialogue social devant les ouvriers de STX. Des propos restés lettre morte.
Les noms des repreneurs potentiels de STX Saint-Nazaire seront connus ce vendredi. Une perspective qui n’enthousiasme pas les salariés, qui ont vu la précarité exploser et leurs conditions de travail liées au manque d’embauches se dégrader ces dernières années, malgré l’afflux des commandes.
Aucun panneau « À vendre » sur l’immense portique rouge et blanc des chantiers STX de Saint-Nazaire. Les noms des repreneurs potentiels seront pourtant connus ce vendredi. « Ce jeu (des rachats successifs des chantiers) dure depuis dix-sept ans », souffle Grégory, un salarié de STX. D’abord Alstom, puis le norvégien Aker Yards en 2006, avant le coréen STX Offshore & Shipbuilding en 2008, devenant STX Europe. « Alstom a vidé les caisses des chantiers pour renflouer Alstom Transport, Aker Yards s’est effondré au bout de deux ans, et STX a été un actionnaire absent qui n’a jamais investi à l’exception du portique qui est constamment en arrêt », résume le délégué syndical CGT, Sébastien Benoît. Avec des commandes pour les dix prochaines années, un bénéfice de 1,6 million d’euros en 2015, plusieurs options sont sur la table : le rachat par le concurrent italien, le conglomérat chinois, l’industriel hollandais et même la nationalisation.
Depuis juillet, le feuilleton de la vente des chantiers navals se raconte dans la presse. « Notre direction, elle, ne nous dit rien », déplore le délégué syndical CGT, Sébastien Benoît. Si certains salariés aimeraient voir l’État monter au capital des chantiers, « ce qui serait une garantie », la majorité estime que ce changement d’actionnaire n’est pas vraiment « un sujet ». À chaque fois, « ils nous achètent une bouchée de pain puis, quand les carnets de commandes sont pleins, ils n’embauchent pas, ne nous augmentent pas. Nous, on travaille comme des cons, on est de moins en moins payés et ils nous vendent une fortune », explique Grégory.
De son côté, l’État actionnaire a balayé l’hypothèse, estimant que son « objectif n’est pas de monter au capital, mais de faire en sorte qu’un projet industriel solide soit mis en place pour STX France ». Un garde-fou peu convaincant. « L’administrateur, on ne l’a pas beaucoup vu, à part quand il a fallu faire les sacrifices », affirme Sébastien Benoît, qui avait refusé de serrer la main à François Hollande, lors de sa visite des chantiers en octobre 2015.
Ces efforts consentis depuis la mise en place de l’accord de compétitivité en janvier 2014, dont le gel de sept jours de congés pour les cadres, la fin de la majoration des heures supplémentaires avec la renégociation de l’accord sur le temps de travail, sont la recette miracle qui permet, selon la direction et le gouvernement, d’amasser les commandes en réalisant sur trois ans 21 millions d’euros « d’économies », soit environ 10 % de la masse salariale, calcule la CGT. Auxquelles s’ajoutent les 8,38 millions d’euros d’allégements d’impôts au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) octroyés depuis 2013. Un leurre, puisque la masse salariale représente moins de 15 % du prix d’un navire, ajoute-t-elle.
D’autant que de nombreuses études pointent la reprise du marché du paquebot et de la croisière de luxe en Europe pour expliquer la recrudescence des commandes. Et que, dans cette guerre du plus gros, du plus grand, seul Saint-Nazaire est en capacité de fabriquer ces monstres marins.
Des salaires au « ras des pâquerettes »
Une rhétorique d’autant plus insupportable pour les ouvriers qui ont vu la précarité exploser sur le chantier et leurs conditions de travail liées au manque d’embauches se dégrader. En mai, les chantiers employaient, en plus de leurs 2 497 salariés, 4 977 personnes de 637 entreprises sous-traitantes dont 3 360 salariés détachés. Des chiffres édifiants sortis de l’étude du cabinet d’expertise Secafi. En 2016, 167 personnes ont été embauchées en CDI. « Insuffisant », scande la CGT, d’autant que 72 personnes ont quitté STX dans le même temps.
« Le plan d’embauche qui nous a été présenté montre très clairement la volonté de la direction de garder un volume important de travailleurs précaires », estime Sébastien Benoît. De 2002 à 2018, la part des ouvriers descendra de 50 % à 38 % des effectifs de STX, alors que celles des cadres et techniciens passeront respectivement de 15 à 25 % et de 34 à 37 %, peut-on lire dans le rapport. La direction pointe de son côté les difficultés à embaucher des personnes formées, notamment des soudeurs et des chaudronniers. « Depuis 2007, nous avons eu 400 contrats de professionnalisation et d’apprentissage, avec un taux de reconversion extrêmement faible », rétorque Sébastien Benoît. « Sur dix apprentis, ils vont en embaucher un », ajoute Ludwig, qui pointe les box d’apprentis vides dans son atelier. Les ouvriers dénoncent les salaires au « ras des pâquerettes » proposés par la direction, et qui « n’incitent pas les gens à venir travailler chez nous ».
« On en a marre de les voir se faire du fric sur notre dos »
Yoan vient de débarquer de Brest. Deux semaines qu’il soude la double coque métallique de ces géants de la mer. « Un nouveau départ », explique l’intérimaire. S’il a accepté de s’éloigner de chez lui pour dix-huit mois, c’est pour acquérir de l’expérience. Car « la paie ne suit pas », raconte-t-il. Sur son contrat, le taux horaire est à 9,91 euros brut, soit un euro de moins que dans la plupart des autres boîtes. Certains ont un taux horaire au-dessous du Smic, expliquent ses collègues.
« Pourtant, il y a du pognon », s’insurge Grégory. « Ils passent à côté de bons ouvriers et c’est Airbus (à quelques kilomètres d’ici –NDLR) qui les récupèrent », regrette Ludwig. « Ici, c’est le laboratoire social du gouvernement », lance Alain Lebrun, secrétaire général de la CGT des ingénieurs, cadres et techniciens. « La loi travail a été un petit réveil, une prise en compte que le modèle de société que le gouvernement et le patronat veulent nous imposer est déjà mis en place chez STX, explique Sébastien Benoît. Ce qui manque, c’est notre capacité à résister. Nous avons morflé depuis 2008, et même frôlé la mort. Les sacrifices ont été suffisamment nombreux. Le chantage à l’emploi ne peut plus fonctionner. Si nous sommes soulagés d’avoir du travail et de ne plus avoir à s’inquiéter pour demain, aujourd’hui, la grogne est palpable, le ras-le-bol est présent », note le syndicaliste. « Bien sûr qu’on en a marre de les voir se faire du fric sur notre dos. Avant, ça valait le coup de travailler ici », explique Ludwig, qui précise n’être syndiqué nulle part. « Pour les faire plier, il faut avoir les reins solides, poursuit-il. Trois semaines de grève, ça fait un énorme trou sur notre paie ; chez Man, à côté, ils sont 80 à 90 % à sortir, ça change tout. »
L’histoire d’une vente en quelques dates
En 2006, le finlandais Aker Yards et Alstom créent le nouvel Aker Yards. Fin 2007, le groupe sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding achète
par surprise les actions du groupe Aker Yards. En 2010, l’État rachète les parts des chantiers détenues par Alstom et devient actionnaire à 33 %, disposant d’une
minorité de blocage. En septembre 2016, STX, lourdement endetté, est contraint de vendre le site de Saint-Nazaire. En octobre, le tribunal de commerce de Séoul
annonce étudier toutes les offres de reprise du groupe ainsi que les offres séparées. Au 4 novembre, est fixée la date de dépôt des offres au tribunal de Séoul.
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