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Alice Zeniter, prix Goncourt des lycéens : « Un siècle de relations non résolues »

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Alice Zeniter, prix Goncourt des lycéens : « Un siècle de relations non résolues »  Empty Alice Zeniter, prix Goncourt des lycéens : « Un siècle de relations non résolues »

Message par Admin Sam 18 Nov - 17:54

Publié le 17/11/2017 à 20:48 article la montagne

Alice Zeniter, prix Goncourt des lycéens : « Un siècle de relations non résolues »  Sans_307
Alice Zeniter est déjà lauréate du prix Littéraire du Monde, du prix Landernau des Lecteurs, du prix des Libraires de Nancy. ©️ JOEL SAGET


Multiprimé, son roman L’Art de Perdre est un très légitime succès de librairie et critique. Ce mercredi, il a été récompensé par le prix Goncourt des lycéens. Nous l'avions interviewée à l'occasion de sa venue à la Foire du Livre de Brive. Alice Zeniter nous confiait alors ce qui l’avait amenée à écrire ce livre, venu du plus profond d’elle-même.


Son grand-père était harki. Dans sa famille, on ne parlait jamais de l’Algérie. Ce sont des poins communs qu’Alice Zeniter partage avec son héroïne, Naïma. Cette trentenaire, comme elle, travaille dans l’élitiste milieu des galeristes.

L’Art de perdrereste toutefois une fresque historique, très documentée. L’auteure y retrace la vie d’une famille algérienne sur trois générations, depuis l’avant-guerre et la guerre en Algérie, puis de 1962 à nos jours en France.

Comment vivez-vous le succès de votre livre qui fait de vous l'enfant chérie des prix littéraires, des médias, qui suppose maintes rencontres dans les librairies, maintes sollicitations et déplacements ?

C'est une rentrée dingue, follement épuisante, follement exaltante.

Il ne vous reste sans doute pas de temps pour écrire. Est-ce un manque ?

En effet, je n'ai plus la concentration pour écrire. Mais je sais que c'est provisoire. Suite aux précédentes rentrées littéraires, je sais que de bonnes choses naissent de cette situation. Quand enfin je peux écrire, je n'ai aucune angoisse de la page blanche. Face à mon ordinateur, je dis : "à nous deux !" Je peux enfin me pencher sur le livre déjà bien mûri même si, en ce moment, je n'ai même pas le temps de prendre la moindre note.

Quel déclic vous a amené à écrire sur les harkis et leur descendance ?

On ne peut pas parler de déclic. La relation intime que j’ai avec ce sujet fait que je vis avec depuis des années. De 20 à 30 ans, je tournais autour. J'ai développé une obsession. Je pouvais regarder en boucle La Bataille d'Alger, sans pour autant me mettre au travail, faire des recherches. Peu à peu, cette fascination s'est transformée en projet d’écriture.

Avez-vous comme Naïma eu du mal à renouer avec l’Algérie ?

Nous avons beaucoup de choses en commun, comme cette valse hésitation. Avec ce pays, ce fut pour moi un pas en avant, un pas en arrière. Je me mettais à apprendre l’arabe, j’arrêtais. Je suis retournée une fois, deux fois en Algérie, puis plus jamais. Quand j’ai demandé le pemier visa, je craignais qu’il soit refusé, que le nom de ma famille soit sur une liste noire. C’était à mes yeux une injustice. Or quand il a été accordé, j’étais déçue car j’avais très peur de faire ce voyage.

Le vrai chemin de retour a-t-il été finalement pour vous l’écriture ? « La seule vie vécue est l’écriture ». Je reprends à mon compte cette profession de foi de Proust. Lors de mon premier voyage en Algérie, j’étais paralysée. Avec ma caméra intérieure, je me regardais moi-même. J’étais incapable d’être vraiment présente à l’Algérie. Je l’ai enfin été en me penchant sur mes personnages, Ali, Hamid, Naïma...

Comment avez-vous fait pour parler des harkis mais aussi de la culture arabo-musulmane sans jugement ? Cela permet au lecteur une compréhension profonde de ces réalités.

J'ai veillé à inverser le phénomène d'inquiétante réalité. La première partie du livre se passe en Algérie. C'est le pays connu. La vie y est normale. Le pays exotique devient alors la France. C'est le pays de la culture nouvelle et perturbante où la famille arrive en 1962.

En m'attaquant à un sujet clivant, j'ai aussi veillé à occulter la mauvaise foi, le réflexe d'accuser l'autre. Quand un soldat français témoigne pour dire qu'il ne sait pas pourquoi et comment il en est arrivé à torturer, j'ai le réflexe de dire : n'importe quoi !


Il y a peut-être une part de non-vérité dans son propos mais il ne faut pas le traiter comme un mensonge car le soldat est convaincu. Ali, le grand-père, est convaincu de ce qu'il fait. Ce sont d'autres personnages autour qui montrent qu'il aurait pu faire un autre choix. Il ne faut pas avoir d'ironie, rejeter l'image que les gens ont d'eux-mêmes. Au contraire, le rôle de la littérature est de l'explorer.

1962 : arrivée des familles de harkis en France. Six ans plus tard : mai 68. En six ans, le monde change radicalement. Les idéaux de 68 ont-il marqué votre famille, comme ils ont marqué Hamid le fils du grand-père Ali ?

Oui et ils ont contribué à mon évolution. Je voulais parler de la vitesse d'adaptation des enfants d'immigrés. Cela vérifie encore aujourd'hui avec les migrants. Cette adaptation rapide des enfants doit être terrible pour les parents, qui les voient si vite devenir autres.

Est-ce le silence dans votre famille qui vous a amené à l'écriture ?

Non car le silence ne concernait que l'Algérie et son Histoire. Au contraire, dans ma famille, il se racontait des histoires. Mon père en inventait tout le temps, avec des personnges récurrents. Dès que nous l'avons pu, avec mes deux soeurs, nous en avons aussi inventé. Mon écriture vient plutôt de là.

Ce livre vous a-t-il libéré de quelque chose ?

Non. Dans notre société, l’idée que la vie est un combat permettant de se libérer, faute de quoi, il y a échec, est même quelque chose contre lequel je voulais m’élever.

A la fin, le présent et l’avenir de Naïma restent incertains car, au-delà de moi, le livre parle d’un siècle de relations franco-algériennes non résolues. Il n’y a pas de fin aux problèmes soulevés, à la façon dont les émigrés sont perçus et pensés. Rien n’est réglé ni foutu pour de bon. Le combat est à continuer.

Naïma est perdue face aux amalgames nés du communautarisme, de l’islamisme. Est-ce le cas pour tous les enfants issus de l’immigration ?

Tous les discours sur l'égalité des chances ne s'appliquent pas à ces enfants. Cela me frappe. Ils ne peuvent toujours pas façonner leur identité librement. Il existe un racisme latent. Quand un jeune Noir ou Magrébin commet un méfait, on le pense en fonction de sa communauté. Les uns paieront pour les autres. Quand on se demandait encore si l’auteur des tueries de Mohammed Merah étai tun terroriste islamiste ou un suprémaciste blanc, on espérait qu’il s’agisse d’un suprémaciste, redoutant d’avoir à souffrir des conséquences dans l’autre cas.

Le prix Goncourt vous fait-il rêver ?

Mon rapport aux prix est compliqué. Je n'aime pas forcément l'ambiance de compétition des rentrées littéraires. Elle oppose les livres, laissant supposer qu'il pourrait s'établir une hiérarchie entre des ouvrages tellement différents !

En même temps, c'est formidable. Les prix, qui créent un suspens, permettent de donner une place aux livres dans les médias que, sans cela, ils n'auraient pas. Enfin, pas tous les livres... Mais cette compétition offre un énorme coup de projecteur sur la ittéraire.

Sinon, que puis-je dire sur Goncourt ? C'est un monument.

Muriel Mingau
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