Commerce à Saint-Brieuc. « Des erreurs que l'on ne referait plus aujourd'hui »

Modifié le 20/11/2017 à 11:02 | Publié le 20/11/2017 à 11:01 Recueilli par Thibaud Grasland



La ville de Saint-Brieuc est aujourd'hui cernée par 4 zones commerciales en périphérie, dont celle de Langueux qui rassemble plus de 200 commerces. Entretien avec Marie-Claire Diouron, maire de Saint-Brieuc et président de Saint-Brieuc Armor Agglomération.

Pourquoi le centre-ville de Saint-Brieuc est-il aujourd'hui cerné par de très grandes zones commerciales ?

Leur création accompagnait un mouvement général d'évolution de la société à partir des années 1970. Cela correspondait à une demande de l'époque : des prix bas et l'accès à tout en voiture. On a vu les villes alentour se développer dans les années 1970 : Plérin, Langueux, Trégueux. Aujourd'hui, la volonté des uns et des autres est de revenir à des choses vraies et les centralités peuvent jouer ce rôle-là.


Commerces. Le centre-ville de Saint-Brieuc victime des zones commerciales ?

À une époque, les élus ont encouragé ce développement...


Il y avait un besoin de construire des zones commerciales. Chaque commune voulait avoir la sienne. Certains maires voulaient avoir leur Leclerc, leur Intermarché ou leur Super U. On se disait que créer une grande surface était un besoin pour le territoire, pour créer de l'emploi, attirer des habitants.

Mais les grands magasins en périphérie sont promoteurs d'emplois, non ?

Une chose que l'on sait aujourd'hui et que l'on ne savait pas à l'époque (sinon on n'aurait pas fait ces erreurs) : lorsque l'on crée un emploi dans une grande surface en périphérie, on en supprime trois dans les centralités. Je parle du centre-ville de Saint-Brieuc, mais aussi des bourgs dans les communes. C'est grave. Les centres-villes et centres bourgs sont tellement importants pour la qualité de vie des habitants.


Le centre-ville de Saint-Brieuc est particulièrement touché par la désertification commerciale...

Le nombre de fermetures a augmenté après 2008, avec la crise, même s'il y a toujours eu un turn-over important auparavant. Dans les zones commerciales autour de Saint-Brieuc, il y a également des cellules vides. Qui en parle ?

Qu'est-ce qui vous fait dire qu'il est encore possible de renverser la vapeur dans le centre-ville ?

La crise économique de 2008 a été importante, on n'en est pas encore sorti. Il s'agit aussi d'une crise sociétale. La façon de penser est différente. Les gens veulent de l'authenticité, du nature, du bio et protéger leur territoire. C'est pour ça que je pense que les centres-villes ont encore de beaux jours.

Plusieurs services et administrations ont également quitté le centre-ville : la Caf, la CCI, les cliniques...

Qui en est responsable ? Pas nous. La volonté de Bruno Joncour était de créer un centre interadministratif et ne pas y mettre que le siège de l'agglomération, mais aussi toute une offre de services publics. Ce que l'on veut aujourd'hui, c'est attirer des services novateurs et complémentaires par rapport à ce qui se fait ailleurs.

Vous regrettez les choix de vos prédécesseurs ?

Nous avons un territoire très bien placé au niveau de la Bretagne. Autant je ne peux que regretter le choix des élus d'avoir développé plus qu'ailleurs les zones commerciales en périphérie, autant ils ont très bien préservé nos côtes. Ce n'est pas le cas partout. Elles font partie des plus belles de France à 2 heures 15 de Paris désormais. La ville va devenir magnifique une fois que les travaux vont être finis : réhabilitation du logement, aménagements urbains qui vont préserver la qualité de vie, des bus pour faire venir la population.

Que répondez-vous aux personnes qui dénoncent les problèmes de stationnement et le cumul des travaux actuellement dans le centre-ville ?

Regardez le Légué, un endroit où l'on ne voulait pas aller dans les années 1990 et 2000, avec le wagon, les friches industrielles et les entrepôts vides. Il a fallu du temps pour maturer le projet. Il y a eu dix années difficiles avec le restaurant qui n'a pas tenu. Aujourd'hui, tout le monde a envie d'y aller. Même chose pour Charner. On a subi dix ans de critiques. Aujourd'hui, nous avons un hôtel 4 étoiles, une école des beaux-arts dans un site rénové dont Saint-Brieuc peut-être fier.

Dans le centre-ville, il va donc falloir être patient... ?

Oui, ce sera le cas pour le centre-ville dans quelques années. On est dans le dur, mais on prévoit l'avenir avec TEO, le pôle d'échange multimodal. La ville de demain, c'est une ville où les familles et les personnes âgées auront envie de venir s'y promener, de faire du vélo dans un cadre apaisé et agréable, où il y aura de la culture et de l'animation. Au niveau du commerce, nous aurons une proposition différente et complémentaire de ce qui se fait ailleurs.

Et les zones commerciales, dans dix ans ?

Je pense qu'à un moment donné, elles seront amenées à muter. Leur modèle est peut-être un peu dépassé. On voit aujourd'hui que les grandes enseignes créent des boutiques à l'intérieur du grand magasin. Ils veulent recréer des villages artificiels. Or l'authenticité elle est dans les centres-villes et les centres bourgs. Et les gens préfèrent l'original à la copie. On a peut-être un peu plus souffert que les autres, mais avec tous les projets en cours, nous sommes en train de prendre un temps d'avance. Dans dix ans, on nous demandera peut-être : que font les élus pour sauver les zones commerciales ?

https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-brieuc-22000/commerce-saint-brieuc-des-erreurs-que-l-ne-referait-plus-aujourd-hui-5391530

Thibaud Grasland


Les zones commerciales, comme à Langueux, continuent à se développer. Les élus tentent de trouver un équilibre avec le commerce de centre-ville. Pas simple... Malgré l'opposition de certains élus, la galerie de l'hypermarché Carrefour a pu s'étendre. Aujourd'hui, les élus n'ont plus beaucoup de poids pour s'opposer à ce type d'extensions.

La publicité avait créé une petite polémique sur les réseaux sociaux. Fin octobre, Cultura, qui venait d'ouvrir son magasin à Langueux,   https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-brieuc-22000/cultura-saint-brieuc-quand-une-publicite-ravive-des-tensions-5355961 avait lancé une campagne dans le centre-ville. Une publicité mal perçue par certains Briochins, dont le député Bruno Joncour, un mois avant l'ouverture de la Fnac dans le centre-ville. Ce débat tendait à opposer le commerce d'un centre-ville en souffrance et le développement d'une immense zone commerciale en périphérie.

189 cellules vides dans le centre-ville

Dans l'agglomération de Saint-Brieuc, c'est un vieux serpent de mer. Dans le centre-ville, le Journal des entreprises a dénombré 189 cellules commerciales vides début 2017.   https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-brieuc-22000/saint-brieuc-commerces-une-enquete-confirme-la-souffrance-du-centre-ville-4835331 Saint-Brieuc fait partie des villes moyennes françaises qui souffrent le plus de la désertification commerciale avec un taux de mitage de 32,1 % selon le journal économique.

D'un autre côté, les zones commerciales en périphérie continuent à se développer. La galerie marchande de Carrefour a ouvert une extension de 4 650 m² qui accueille les enseignes Cultura, Mango ou encore Bizzbee.https://www.ouest-france.fr/bretagne/langueux-22360/langueux-mango-bizzbee-et-pimkie-s-installent-pres-de-carrefour-4747884
Brieuc


« Notre voix n'a plus beaucoup de sens »

La municipalité de Saint-Brieuc s'était opposée à cette extension pour ne pas mettre à mal son centre-ville. Mais concrètement, aujourd'hui, quel est le pouvoir des élus pour limiter ce type d'installation ? « Aujourd'hui, notre voix n'a plus beaucoup de sens », regrette Marie-Claire Diouron, la maire de Saint-Brieuc. « C'est la libre administration du commerce, confirme Thérèse Jousseaume, son homologue de Langueux. Le commerce a le droit de s'implanter là où il veut, s'il respecte les règles. »

Une loi, entrée en vigueur en 2009, a changé la donne. Avant, chaque département avait sa commission départementale d'équipement commercial (CDEC). « Elle rassemblait des consommateurs, la CCI et des élus pour dire si les implantations étaient judicieuses ou pas au vu de la concurrence », explique Marie-Claire Diouron.




L'Etat supprime la CDEC pour stimuler la concurrence

En 2009, l'État les a remplacées par des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC). Pourquoi ? Pour stimuler la concurrence et faciliter l'installation de grandes surfaces. Les CDAC n'analysent plus les critères économiques et concurrentiels. Uniquement les critères urbanistiques et environnementaux.


Pour s'installer, un commerçant doit donc simplement se conformer aux textes d'urbanisme que sont les Schémas de cohérence territoriale (Scot) et les Plans locaux d'urbanisme (Plu), qui classifient les secteurs en différentes zones en fonction de leur destination (commerce, habitat, agriculture, nature...).En construisant, en 2017, une extension sur son terrain déjà voué au commerce, Carmila, la multinationale qui gère la galerie de Carrefour, était donc dans les clous.

Elle a présenté son projet d'extension aux élus de Langueux dès 2014. « On leur a dit ce qu'on ne voulait pas, notamment des commerces d'habillement. Car il y en a plein et ces magasins risquaient de vider Saint-Brieuc », se souvient Thérèse Jousseaume, qui a donné son aval à l'extension.

Langueux accepte avant de connaître les enseignes

La maire de Langueux explique avoir demandé à Carmila de rencontrer la municipalité briochine. « Je voulais que les porteurs de projets assurent aux élus de Saint-Brieuc que ce qu'ils allaient faire n'allait pas vider le centre-ville de sa substance. On ne connaissait pas les enseignes. »

À l'époque, l'extension avait été définie ainsi : équipement de la personne et équipement de la maison. « Ces deux catégories sont larges, reconnaît la maire de Langueux. Mais on a bien vu ensuite que les magasins qui ont ouvert n'étaient ni dans l'équipement de la personne, ni dans l'équipement de la maison... »

Cultura, Mango, Bizzbie et Pimkie annonçaient leur arrivée à Langueux début janvier, plusieurs mois avant le choix de la Fnac de s'implanter en centre-ville. Au grand dam des élus briochins.

DEPUIS 1973 EUROMARCHE S'EST BIEN ENTOURE



Aujourd'hui, la zone commerciale de Langueux compte 227 commerces. D'ailleurs, ne parlez pas de « zone » à la maire Thérèse Jousseaume, qui préfère parler d'« espace commercial ».

Voilà à quoi elle ressemblait dans les années 1970 et 1980. L'hypermarché Carrefour s'appelait Euromarché. Il était entouré... de champs, de maisons et de corps de ferme. On reconnaît la RN12 en haut à gauche de la photo.

L'histoire de ce centre commercial (le premier des Côtes-d'Armor) a débuté en septembre 1970 avec l'implantation de l'enseigne Escale, qui deviendra Euromarché en 1973, puis Carrefour en 1992.

« Mammouth (à la place de Géant aux Villages) et Escale étaient les premiers hypermarchés à s'implanter dans l'agglomération de Saint-Brieuc, se souvient Marie-Claire Diouron, présidente de l'agglo. Ils accompagnaient un mouvement général d'évolution de la société et correspondaient à une demande : des prix bas, une facilité d'accès avec la voiture. »

L'espace commercial s'est ensuite étoffé avec les enseignes que l'on connaît aujourd'hui. Parallèlement, les communes périphériques de Saint-Brieuc se sont toutes dotées de grandes zones commerciales : le Leclerc de Ploufragan, celui de Plérin et les nombreux magasins de la zone du Chêne Vert.


« Il n'y a pas assez d'échanges entre les commerçants du centre-ville et ceux de la périphérie », reconnaît sans détour Benoît Le Rest. L'opticien est vice-président de l'union des commerçants Boutik'n'Co, mais aussi président de l'association des commerçants du centre commercial Les Champs.

Les commerçants du centre-ville ne souhaitent pas rentrer dans une opposition stérile avec les zones commerciales en périphérie. « Autour de Saint-Brieuc, vous avez quatre zones commerciales. L'offre est complémentaire, explique le commerçant. Je prends l'exemple de Leroy Merlin et des magasins d'ameublement. Ce n'est pas en centre-ville que vous viendrez acheter vos meubles. Par contre ici, vous trouvez des boutiques de créateurs, des petits restaurants et des belles terrasses qu'il n'y a pas à Langueux. »

« Dans les zones commerciales, on trouve des choses à petits prix et les gens viennent de loin. Nous, si on peut attirer ces clients, c'est bien aussi, poursuit Benoît Le Rest. Dans le centre-ville, les clients ont un pouvoir d'achat supérieur, les zones commerciales essayent de les attirer aussi. »

Boutik'n'Co et la direction de Carrefour espèrent davantage d'échanges, à l'avenir, entre les commerçants du centre-ville et ceux des zones commerciales. Boutik'n'Co vient de publier une application sur smartphone https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-brieuc-22000/saint-brieuc-en-un-clic-tous-les-commerces-du-centre-ville-5387411 et un site internet regroupant, en un clic, tous les commerces du centre-ville. Pourquoi pas imaginer la même chose avec tous les commerces de l'agglomération de Saint-Brieuc ? Problème : aujourd'hui, aucune structure ou association ne porte le dialogue à cette échelle.


https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-brieuc-22000/commerce-le-centre-ville-de-saint-brieuc-victime-des-zones-commerciales-5391488

« Sur les 40 magasins en franchise que la Fnac a ouvert ces derniers mois en France, à part Saint-Brieuc et Vichy (Allier), il n'y en a pas un en centre-ville ! » La remarque est signée Bernard Isabet, l'actionnaire du Forum des Champs, qui deviendra la Fnac à partir de jeudi.

L'entrepreneur a convaincu l'enseigne de venir s'implanter dans le centre-ville de Saint-Brieuc. La direction, à Paris, a cru dans son projet. Le bailleur des Champs aussi, il a financé une partie de travaux. Pour l'actionnaire, Saint-Brieuc est « à la croisée des chemins ». « Tout ce qui est entrepris ces derniers temps fonctionne : le Novotel de Charner, la LGV, la salle de sport Basic-Fit. Et autour de ça, il y a plein de petits commerces qui bougent ! »

L'extension des zones commerciales ? Bernard Isabet est « favorable à un moratoire. Le problème, c'est que le gâteau ne grandit pas, le pouvoir d'achat des clients non plus. Aujourd'hui, l'offre commerciale explose. On arrive à une saturation. »

https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-brieuc-22000/commerce-le-centre-ville-de-saint-brieuc-victime-des-zones-commerciales-5391488