70 ans après, le sac d’un soldat rendu à sa famille
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70 ans après, le sac d’un soldat rendu à sa famille
par Brice BACQUET lundi 9 juillet 2018
En 1940, un soldat polonais avait laissé un petit sac à Besné, en Loire-Atlantique. Il avait prévu de revenir le chercher. Il n’est jamais revenu. Soixante-dix ans après, l'histoire trouve enfin son épilogue.
Esther Tranchant a le goût des histoires. Petite, elle écoutait celles de sa grand-mère qui avait 20 ans pendant la Seconde Guerre mondiale. « J’ai des tonnes d’écrits et aussi des enregistrements d’elle », raconte cette professeure de langues.
Et c’est au cours de l’une de ces histoires qu’elle a découvert ce soldat polonais et sa valise enterrée dans le jardin. « Les gens savaient que s’ils avaient besoin d’aide, il fallait aller dans cette maison », relate-t-elle. Un gradé polonais qui demande un ciseau pour détacher ses galons, d’autres soldats qui viennent récupérer des vêtements de civils etc.
Dans une petite boîte à cigare métallique, plusieurs photos du soldat : son père, sa famille restée en Pologne. (Photo : Ouest-France)
Et puis il y a ce soldat polonais, plus marquant que les autres : Jan Boleslaw Switalski. En 1940, le soldat est stationné au camp de Coëtquidan. Il fait partie des 80 000 militaires polonais ayant fui l’arrivée des Allemands en Pologne en gagnant la France par la Roumanie. Avec la débâcle des armées françaises et anglaises en juin 1940, il tente de rejoindre l’Angleterre, depuis Loyat (Morbihan), par Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).
Enterrée dans le jardin
Sur la route, il s’arrête à Besné et dépose à la mairie une valise contenant ses effets personnels. « Ma grand-mère, dont la mère travaillait là, récupère les affaires et les cache, explique Esther Tranchant. Le soldat leur a dit qu’il repasserait. » Sauf qu’il n’est jamais repassé
Quelques carnets contiennent des notes sur ses cours de médecine, en français ou en polonais. (Photo : Ouest-France)
« Ma grand-mère l’avait enterrée dans le jardin marécageux de l’église à l’intérieur d’une caisse en métal. Peu après la fin de la guerre, le curé de Besné a sûrement voulu jardiner ou faire quelque chose de ce terrain marécageux et a retrouvé cette caisse en bêchant », déduit la descendante.
Depuis plus de soixante-dix ans, les affaires de Jan Boleslaw Switalski sont donc restées dans la famille d’Esther Tranchant. La caisse et les affaires qu’elle contient sont oubliées, jusqu’au jour où Esther Tranchant s’y intéresse.
Joe Switalski déplie la carte d’identité polonaise de son grand-père. (Photo : Ouest-France)
« L’été 2006, j’étais en vacances chez ma grand-mère et on parlait de la guerre, se souvient-elle. Elle avait sorti ce sac bleu sur les escaliers, au bout de plusieurs jours je lui ai posé la question. » C’était les affaires de Jan Boleslaw Switalski posées là. Aussitôt, Esther Tranchant s’intéresse à l’histoire et commence ses recherches. « J’ai tapé sur internet le nom et j’ai retrouvé la trace d’un certain John Switalski, médecin en Angleterre. » Au gré de son temps libre et de sa curiosité, elle s’intéresse à ce soldat polonais et retrouve son acte de mariage, à Wakefield, en Angleterre.
En 2010, elle appelle tout simplement les noms de famille correspondant dans l’annuaire du comté de West Yorkshire. « Le premier numéro n’a pas répondu, le second, oui, se rappelle Esther Tranchant. J’ai demandé : votre père s’appelle Jan Switalski et il était soldat polonais ? » La réponse fut positive. « Le fils semblait assez neutre, il n’avait pas l’air intéressé, mais la petite-fille a voulu me contacter. »
Anne et Joe Switalski découvrent avec excitation les témoignages laissés par leur aïeul. (Photo : Ouest-France)
Commencent alors de longues années d’attente pour se retrouver. De passage en France, un des petits-fils et sa mère, tous les deux Anglais, sont venus finalement récupérer les affaires de leur aïeul à Saint-Nazaire, ce lundi 9 juillet. « Ça a l’air délicat, je peux ? Je suis excité ? », demande intrigué Joe Swiltaski, petit fils de Jan Bolelsaw Switalksi. « C’est marrant, il ne sourit jamais sur les photos, je dois avoir gardé ce trait polonais », s’amuse le petit-fils.
Sur le sac bleu délavé aux teintes rouillées par le temps et l’humidité, « Marsha Swiltaksi » est cousu au fil orange. « C’était sa sœur, explique Anne Witalski, belle-fille du soldat polonais. Ce devait être son cartable d’école. » À l’intérieur, plusieurs témoignages du passé de ce soldat polonais.
Sur le sac bleu aux couleurs passés, M. Switalski, le prénom de la sœur du soldat, est brodé au fil orange. (Photo : Ouest-France)
« Tout ce qui a pu être réutilisé l’a été, raconte Esther Tranchant. Ma grand-mère me disait qu’un pull avait été retricoté pour aller à son petit frère. » Une trentaine de cartes postales, des lettres d’amour en français, des correspondances en polonais, des carnets de cours, une boîte en métal dont le contenu a disparu, un petit journal intime en cuir rouge ou encore des photos de lui et ses parents. « Je pense que c’est lui au milieu », devine Joe Swiltaski en pointant un des hommes en uniforme sur un vieux cliché noir et blanc. Parmi les lettres, des échanges avec la romancière et poète, Jeanne Perdriel-Vaissière, sa marraine de guerre. « Il devait mieux écrire que je ne parle Français », plaisante son petit-fils.
Un poète, médecin malgré lui
Joe Swiltaski avait trois ans quand son grand-père est mort, mais il se souvient de lui. « Il était très bon pianiste et je me souviens qu’il jouait à un jeu de mémoire avec des cartes. » Dans ses mains passe le récit de son grand-père, poète forcé de devenir médecin par vocation familiale. « Pour moi, c’est vraiment intéressant, confie Joe Swiltaski. Mon père a été adopté par Jan Swiltaski, mais c’est un moyen de me connecter avec l’histoire terrible que j’apprenais en cours à l’université. »
Son petit-fils tente déplie une carte de la Pologne conservée dans le sac. (Photo : Ouest-France)
« Il ne parlait jamais de la guerre », explique sa mère. Ça expliquerait qu’il n’ait jamais essayé de récupérer les affaires, malgré les vacances en France de la famille britannique. « Après la guerre, il a essayé de reprendre contact avec sa famille restée en Pologne, mais l’URSS compliquait tout », explique Anne Swiltaski.
De Saint-Nazaire, ce soldat polonais a rejoint l’Angleterre, puis l’Écosse où il a fini sa formation de médecin. « Il a été ensuite en Italie, il nous a raconté cette histoire d’un soldat auquel il a dû amputer la jambe, mais n’a pas survécu pendant la bataille de Monte-Cassino », se rappelle-t-elle.
Retourné en Angleterre, après la guerre, il s’installe comme médecin généraliste. « Il était connu comme Dr John simplement, il avait anglicisé son prénom pour être le plus britannique possible », raconte-t-elle. Mort le 5 mars 1995, Jan Boleslaw Switalski n’avait jamais mentionné ce sac enterré en France. Un passé qui surgit cet été, soixante-dix après.
En 1940, un soldat polonais avait laissé un petit sac à Besné, en Loire-Atlantique. Il avait prévu de revenir le chercher. Il n’est jamais revenu. Soixante-dix ans après, l'histoire trouve enfin son épilogue.
Esther Tranchant a le goût des histoires. Petite, elle écoutait celles de sa grand-mère qui avait 20 ans pendant la Seconde Guerre mondiale. « J’ai des tonnes d’écrits et aussi des enregistrements d’elle », raconte cette professeure de langues.
Et c’est au cours de l’une de ces histoires qu’elle a découvert ce soldat polonais et sa valise enterrée dans le jardin. « Les gens savaient que s’ils avaient besoin d’aide, il fallait aller dans cette maison », relate-t-elle. Un gradé polonais qui demande un ciseau pour détacher ses galons, d’autres soldats qui viennent récupérer des vêtements de civils etc.
Dans une petite boîte à cigare métallique, plusieurs photos du soldat : son père, sa famille restée en Pologne. (Photo : Ouest-France)
Et puis il y a ce soldat polonais, plus marquant que les autres : Jan Boleslaw Switalski. En 1940, le soldat est stationné au camp de Coëtquidan. Il fait partie des 80 000 militaires polonais ayant fui l’arrivée des Allemands en Pologne en gagnant la France par la Roumanie. Avec la débâcle des armées françaises et anglaises en juin 1940, il tente de rejoindre l’Angleterre, depuis Loyat (Morbihan), par Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).
Enterrée dans le jardin
Sur la route, il s’arrête à Besné et dépose à la mairie une valise contenant ses effets personnels. « Ma grand-mère, dont la mère travaillait là, récupère les affaires et les cache, explique Esther Tranchant. Le soldat leur a dit qu’il repasserait. » Sauf qu’il n’est jamais repassé
Quelques carnets contiennent des notes sur ses cours de médecine, en français ou en polonais. (Photo : Ouest-France)
« Ma grand-mère l’avait enterrée dans le jardin marécageux de l’église à l’intérieur d’une caisse en métal. Peu après la fin de la guerre, le curé de Besné a sûrement voulu jardiner ou faire quelque chose de ce terrain marécageux et a retrouvé cette caisse en bêchant », déduit la descendante.
Depuis plus de soixante-dix ans, les affaires de Jan Boleslaw Switalski sont donc restées dans la famille d’Esther Tranchant. La caisse et les affaires qu’elle contient sont oubliées, jusqu’au jour où Esther Tranchant s’y intéresse.
Joe Switalski déplie la carte d’identité polonaise de son grand-père. (Photo : Ouest-France)
« L’été 2006, j’étais en vacances chez ma grand-mère et on parlait de la guerre, se souvient-elle. Elle avait sorti ce sac bleu sur les escaliers, au bout de plusieurs jours je lui ai posé la question. » C’était les affaires de Jan Boleslaw Switalski posées là. Aussitôt, Esther Tranchant s’intéresse à l’histoire et commence ses recherches. « J’ai tapé sur internet le nom et j’ai retrouvé la trace d’un certain John Switalski, médecin en Angleterre. » Au gré de son temps libre et de sa curiosité, elle s’intéresse à ce soldat polonais et retrouve son acte de mariage, à Wakefield, en Angleterre.
Des années de recherche
En 2010, elle appelle tout simplement les noms de famille correspondant dans l’annuaire du comté de West Yorkshire. « Le premier numéro n’a pas répondu, le second, oui, se rappelle Esther Tranchant. J’ai demandé : votre père s’appelle Jan Switalski et il était soldat polonais ? » La réponse fut positive. « Le fils semblait assez neutre, il n’avait pas l’air intéressé, mais la petite-fille a voulu me contacter. »
Anne et Joe Switalski découvrent avec excitation les témoignages laissés par leur aïeul. (Photo : Ouest-France)
Commencent alors de longues années d’attente pour se retrouver. De passage en France, un des petits-fils et sa mère, tous les deux Anglais, sont venus finalement récupérer les affaires de leur aïeul à Saint-Nazaire, ce lundi 9 juillet. « Ça a l’air délicat, je peux ? Je suis excité ? », demande intrigué Joe Swiltaski, petit fils de Jan Bolelsaw Switalksi. « C’est marrant, il ne sourit jamais sur les photos, je dois avoir gardé ce trait polonais », s’amuse le petit-fils.
Sur le sac bleu délavé aux teintes rouillées par le temps et l’humidité, « Marsha Swiltaksi » est cousu au fil orange. « C’était sa sœur, explique Anne Witalski, belle-fille du soldat polonais. Ce devait être son cartable d’école. » À l’intérieur, plusieurs témoignages du passé de ce soldat polonais.
Sur le sac bleu aux couleurs passés, M. Switalski, le prénom de la sœur du soldat, est brodé au fil orange. (Photo : Ouest-France)
« Tout ce qui a pu être réutilisé l’a été, raconte Esther Tranchant. Ma grand-mère me disait qu’un pull avait été retricoté pour aller à son petit frère. » Une trentaine de cartes postales, des lettres d’amour en français, des correspondances en polonais, des carnets de cours, une boîte en métal dont le contenu a disparu, un petit journal intime en cuir rouge ou encore des photos de lui et ses parents. « Je pense que c’est lui au milieu », devine Joe Swiltaski en pointant un des hommes en uniforme sur un vieux cliché noir et blanc. Parmi les lettres, des échanges avec la romancière et poète, Jeanne Perdriel-Vaissière, sa marraine de guerre. « Il devait mieux écrire que je ne parle Français », plaisante son petit-fils.
Un poète, médecin malgré lui
Joe Swiltaski avait trois ans quand son grand-père est mort, mais il se souvient de lui. « Il était très bon pianiste et je me souviens qu’il jouait à un jeu de mémoire avec des cartes. » Dans ses mains passe le récit de son grand-père, poète forcé de devenir médecin par vocation familiale. « Pour moi, c’est vraiment intéressant, confie Joe Swiltaski. Mon père a été adopté par Jan Swiltaski, mais c’est un moyen de me connecter avec l’histoire terrible que j’apprenais en cours à l’université. »
Son petit-fils tente déplie une carte de la Pologne conservée dans le sac. (Photo : Ouest-France)
« Il ne parlait jamais de la guerre », explique sa mère. Ça expliquerait qu’il n’ait jamais essayé de récupérer les affaires, malgré les vacances en France de la famille britannique. « Après la guerre, il a essayé de reprendre contact avec sa famille restée en Pologne, mais l’URSS compliquait tout », explique Anne Swiltaski.
De Saint-Nazaire, ce soldat polonais a rejoint l’Angleterre, puis l’Écosse où il a fini sa formation de médecin. « Il a été ensuite en Italie, il nous a raconté cette histoire d’un soldat auquel il a dû amputer la jambe, mais n’a pas survécu pendant la bataille de Monte-Cassino », se rappelle-t-elle.
Retourné en Angleterre, après la guerre, il s’installe comme médecin généraliste. « Il était connu comme Dr John simplement, il avait anglicisé son prénom pour être le plus britannique possible », raconte-t-elle. Mort le 5 mars 1995, Jan Boleslaw Switalski n’avait jamais mentionné ce sac enterré en France. Un passé qui surgit cet été, soixante-dix après.
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